Année B

Dimanche 28 novembre 1999 1er dimanche de l’Avent – Année B

Réconcilions-nous ?- Mais nous sommes réconciliés !

Nous vivons souvent dans la peur les uns des autres. Cette peur a bien des raisons : l’humain, tout humain, est tellement inhumain ! Inutile d’en apporter la preuve : regardons dans notre propre cœur ! Mais nous qui croyons, qui espérons et qui aimons, n’en venons pas à oublier que la grâce et la paix ont été données au monde. Oui, c’est chose faite, nous sommes réconciliés avec les autres, avec nous–mêmes et avec Dieu. Plus personne ne nous en veut. Et, pourtant, nous vivons encore dans la peur. Comme si la vie humaine, aimée de Dieu lui-même, ne méritait pas mieux que cette peur et que les violences qu’elle engendre. Car c’est notre peur – des autres, de nous-mêmes, de Dieu – qui nous rend méchants. Sans cesse, rappelons-nous ceci :  » Il est fidèle le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de Son Fils Jésus Christ notre Seigneur.  » (1 Cor. 1, 9) Ainsi, Dieu a déjà fait œuvre de paix en nous, parmi nous. Il est sûr que nous ne pouvons plus avoir peur de Lui. Ou alors nous ne croyons plus, nous n’espérons plus, nous n’aimons plus ! Honorons joyeusement cette paix reçue, en donnant, en faisant la paix ! Devenons ce que nous sommes : réconciliés.

Dimanche 1er décembre 2002 – année B 1er dimanche de l’Avent

 » Pourtant, Seigneur, Tu es notre Père… « 

Les progrès de la technique ne nous font pas de cadeaux. Quand une machine très sophistiquée tombe en panne, il faut la réparer ou en changer. La vie en société est, elle aussi, souvent impitoyable. Les autres non plus ne nous font pas de cadeaux, et nous le leur rendons bien ! Ainsi va le monde ! Pour quiconque croit en Dieu et croit qu’il est Père, il n’en va pas ainsi. Pourtant, pour les croyants, comme pour tous, les épreuves, les échecs, les déceptions, la tentation de se mépriser soi-même, rien ne manque de ce qui fait le menu ordinaire d’une vie. Le bonheur n’est pas tous les jours au rendez-vous ! Et que dire de la détresse qui nous submerge quand nous en venons à attribuer à Dieu en personne la responsabilité de tous nos malheurs ?  » Pourquoi, Seigneur, nous égares-Tu loin de tes chemins, endurcis-Tu nos cœurs loin de Ta crainte ?… Oui, Tu as caché Ta face loin de nous. Tu nous as fait fondre dans la main de nos fautes…  » (Isaïe 63, 17 et 64, 6) Tout cela n’est que trop vrai. Cependant, parce que nous croyons, nous déclarons obstinément :  » Oui, c’est Toi, notre Père… Nous, nous sommes l’argile. C’est Toi qui nous façonnes. Tous, nous sommes l’œuvre de Ta main.  » (Isaïe 63, 16 et 64, 7) Ces paroles que nous prononçons ne sont pas vides. Si nous sommes engagés en elles, quelque chose se produit en nous. Quoi donc ? Nous sommes sans cesse créés, et recréés quand nous sommes détruits, comme peut l’être quelqu’un lorsqu’il se découvre reconnu par un autre qui le fait exister, bref, lorsqu’il éprouve qu’il a un Père. Alors nous vivons toutes nos misères, et nos fautes mêmes, tout autrement. Nous ne sommes plus effondrés, comme si nous ne tenions debout que par ce que nous pouvons faire, en bien ou en mal. Le courage nous est donné de faire tout ce que nous pouvons faire, et aussi d’accepter sans désespoir de ne pouvoir faire plus ou mieux. Nous sommes dans la paix parce que Dieu, notre Père, Lui, est à l’œuvre en nous.  » Jamais on n’a entendu ni appris, personne n’a vu un autre dieu que Toi agir pour qui met son désir en Lui.  » (Isaïe 64, 3) Où mettons-nous notre désir ? Si nous le mettons en Dieu, nous ne connaîtrons peut-être pas un bonheur tranquille, mais nous avancerons en sauvés (cf. Isaïe 64, 4).

Dimanche 19 décembre 1999 4e dimanche de l’Avent – Année B

 » Rien n’est impossible à Dieu.  »

La puissance des hommes nous fait peur. Elle n’est pas seulement capable d’inventer mais aussi de détruire. Nous ne suffisons pas à faire le compte des ruines accumulées tout au long de l’histoire. Un regard jeté sur la durée, si courte soit-elle encore, de notre propre vie, et nous sommes saisis d’horreur. Rien, pourtant, ne pourra nous faire oublier la grandeur merveilleuse de la puissance humaine. Pourquoi ? En dépit de notre pouvoir d’humilier et d’anéantir les hommes, nous restons capables aussi de les aimer comme des frères. C’est là sans doute un mystère plus profond encore que l’énigme de notre cruauté insatiable. Méditons seulement sur la tendresse dont nous entourons un enfant qui naît ou sur les soins que nous prodiguons, inlassablement, à un malade, ou encore sur la douleur qui nous envahit quand une vie s’achève dans la souffrance. Oui, notre cœur, si terrible, est riche d’un amour qui va jusqu’au désintéressement. Comment cela se fait-il ? Les croyants sont les premiers à s’étonner de la réponse qu’ils apportent à cette question qui nous habite tous. Nous répondons, en effet, sans toujours bien comprendre ce que nous disons :  » Rien n’est impossible à Dieu.  » (Luc, 1, 37) Un Autre que nous, en nous, avec nous, qui nous aime, fait que nous aimions aussi, que nous L’aimions et qu’avec Lui nous nous aimions nous-mêmes et tous ceux qu’Il nous a donnés.  » Oui, voilà le mystère qui est maintenant révélé : il était resté dans le silence depuis toujours, mais aujourd’hui il est manifesté. Par ordre du Dieu éternel, et grâce aux écrits des prophètes, ce mystère est porté à la connaissance de toutes les nations pour les amener à l’obéissance de la foi.  » (Rom 16,26)

Dimanche 22 décembre 2002 4e dimanche de l’Avent – année B

Dieu sans maison ni pays ?

Nous avons beaucoup à apprendre des sans-abri, de tous ceux qui sont menacés dans leur existence sur leur propre terre. Nous avons beaucoup à apprendre du combat que nous livrons – mais livrons-nous ce combat ? – pour que tous aient un toit et puissent vivre en paix dans leur pays. Nous apprenons que tous, pour vivre humainement, nous avons besoin d’une maison et de résider en des lieux où nous soyons chez nous. C’est une simple, une fondamentale exigence d’humanité. Vivre à l’abri, résider quelque part en sécurité, voilà ce que nous souhaitons pour nous, pour tous, et même pour Dieu ! Il était insupportable à David d’habiter une maison de cèdre, tandis que l’arche de la présence du Seigneur habitait sous la toile d’une tente. Mais avait-il bien saisi ce qu’était le Seigneur pour lui, ce qu’est Dieu pour nous, quand nous croyons en lui ? Il ne semble pas. Dieu n’est pas protégé par les murs d’une maison. Dieu n’est pas fixé quelque part sur un territoire. Pourtant, Dieu a sa manière à lui d’être avec nous. Sa manière, c’est d’aller avec nous, c’est de marcher, c’est de nous conduire, de nous ouvrir un chemin, comme fait un guide. La résidence du Seigneur, c’est la route qu’il fait avec nous. Allons plus loin encore. Dieu n’est pas dans l’espace. Il est dans le temps des hommes. Pour David, comme pour nous, il prépare un nom qui ne périra pas, qui occupe toutes les années de notre vie et qui subsiste au-delà même de notre mort. Nous n’avons pas à lui bâtir une maison, à lui attribuer une place sur la carte. C’est lui, le Seigneur, qui nous bâtit, qui fait de nous tous une maison, la sienne, et un peuple, le sien. Dieu réside dans notre foi, dans notre espérance et dans notre amour. Voilà ce qui nous forme une patrie et un séjour, mieux que des pierres et qu’un sol ! Nous y sommes, tous ensemble, avec lui.

Dimanche 5 janvier 2003 Epiphanie du Seigneur – année B

Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? (Mt 2, 2)

Accordons que les mages ne soient pas des rois. Rien, en effet, ne permet de l’affirmer. Mais que les mages aient affaire au pouvoir, et au pouvoir royal, c’est trop clair. Jésus est né  » aux jours du roi Hérode  » (Mt 2, 1). C’est lui,  » le roi Hérode  » qui se trouble  » et tout Jérusalem avec lui « , à la nouvelle que  » le roi des Juifs vient de naître.  » (cf. Mt 2, 3 et 2). Il se garde bien de lui donner lui-même ce titre. Il se contente de le nommer  » l’enfant  » (Mt 2, 8), peut-être  » le Messie  » (Mt 2, 4). Quant aux mages, après s’être inclinés dans l’adoration devant  » l’enfant  » (Mt 2, 11),  » ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin « , sans passer  » chez Hérode  » (cf. Mt 2, 12). Il est remarquable qu’à la fin du récit Hérode n’est même plus gratifié de son titre de roi, comme s’il avait été découronné entre-temps ! Ainsi Hérode-le-pouvoir ne peut-il pas rencontrer le sans-pouvoir qu’est l’enfant-Messie, cet autre-roi. Le pouvoir, incarné ici par Hérode-le-roi, ne peut pas jouer sur tous les tableaux à la fois, comme il propose – sincèrement ? – de le faire : se maintenir en place et, comme le font les mages, pour leur plus grande joie (cf. Mt 2, 10), reconnaître la souveraineté de Jésus. Ne ressentirait-il pas qu’il affronte en sa personne son rival le plus redoutable ? En revanche, les mages, quels qu’il fussent au demeurant, n’étaient vraisemblablement pas étrangers au pouvoir. Mais ils pouvaient le déposer, s’en détacher ou, en tout cas, ne pas tenir leur position sociale comme concurrente de celle de Jésus. Ils se sont fiés à l’indication de l’étoile (cf. Mt 2, 2) et à la divine inspiration de leur songe (cf. Mt 2, 12). La présence du Messie dans le monde brille d’un autre éclat que celui d’Hérode !  » Il eût été inutile à Notre Seigneur Jésus Christ, pour éclater dans son règne de sainteté, de venir en roi, mais il y est bien venu avec l’éclat de son ordre.  » (Pascal) -(Extrait de Paris Notre-Dame, n° 975 du 02-01-2003, p. 13)

Dimanche 9 janvier 2000 Baptême du Seigneur – Année B

 » Celui qui est venu par eau et par sang  »

L’eau! Le sang ! L’eau nous a portés tous avant même que nous naissions. Le sang se fige dans la mort, à moins qu’il ne soit versé. Venir par eau et par sang, c’est entrer dans une vie mortelle (cf. 1 Jean 5, 6.) Ainsi en est-il de nous tous et de Jésus, le Messie, avec nous. Il n’en faut pas plus pour que nous soyons de la même lignée que Lui, et cela du seul fait de l’eau et du sang, pour la seule raison que nous naissons et que nous mourons. Par sa naissance au monde et par sa mort Jésus nous ressemble. Et, en naissant et mourant comme nous, il nous communique une vie qui lui est propre : une vie qui vient de Dieu. Ainsi, tandis que passent nos années, une autre vie que la vie, mais au dedans de cette vie mortelle, fait de nous des vivants à jamais. Dès lors, comment pourrions-nous ne pas aimer notre vie en ce monde ? Comment ne pas aimer les  » enfants de Dieu  » (1 Jean 5, 2), tous les autres et nous-mêmes ? Hélas ! nous pouvons imaginer que le monde et, en lui, la vie qui va avec la mort, se jouent de nous, que nous sommes écrasés par les événements, qui sont plus forts que nous, qui nous tuent. Nous en venons alors à nous mépriser nous-mêmes, et aussi à mépriser les autres qui sont en ce monde avec nous. A moins que nous ne fassions des autres et de nous des idoles Nous oublions alors que  » l’amour de Dieu consiste en ceci: que nous gardions ses commandements, et que ses commandements ne sont pas lourds  » (Ibid. 5, 3) Pas lourds, les commandements de Dieu ? Pas lourd de vivre en ce monde, comme Jésus, le Messie, d’une vie éternelle ? Souvent, très souvent, toujours pour certains d’entre nous, les événements semblent nous convaincre du contraire. L’eau et le sang, la vie et la mort paraissent être seuls à régner en nous et autour de nous. Et il en serait bien ainsi vraiment si, par la foi, déjà en ce monde, nous ne respirions pas du  » Souffle, qui est la vérité  » (Ibid., 5, 6) Ce Souffle se confond avec notre foi, comme notre haleine avec notre vie, Il se joint à l’eau et au sang, à la vie et à la mort. C’est lui qui témoigne en nous, sur le ton d’un murmure invincible, que nous avons en nous le Fils de Dieu et que nous vivons à jamais, déjà (cf. 1 Jean, 5, 12).

Dimanche 12 janvier 2003 – année B Baptême du Seigneur

Plonger

Nous disons :  » Je plonge.  » Que voulons-nous dire ? Est-ce que nous nous enfonçons ? mais dans quoi ? dans la misère ? dans le bonheur ? de quoi touchons-nous le fond ? Mais on peut aussi demander : que plongeons-nous ? qui plongeons-nous ? Ou encore, est-ce que nous prenons nous-mêmes notre élan, à partir d’un tremplin, pour traverser l’air, les profondeurs marines et, finalement, retrouver l’atmosphère, sous un ciel où nous pouvons vivre ? Nous pourrions encore ajouter bien des questions. Nous n’en finirions pas de méditer sur la plongée, sur le plongeon et, pour finir, sur le Baptême. Oui, le Baptême, car, dans le Baptême, on plonge. Jésus est plus puissant que Jean, qui le baptise. Jean ne peut pas faire grand’ chose pour lui, pas même se  » courber pour défaire la courroie de ses sandales.  » (Mc 1, 7) Pourtant, Jésus se laisse faire par lui :  » Il se fit baptiser par Jean dans le Jourdain  » (Mc 1, 9). Ainsi, Jésus va jusqu’aux dernières profondeurs. Il y est introduit par nous ! Jésus plonge, il plonge lui-même et nous avec lui, parce que nous ne faisons qu’un avec lui. Mais  » au moment où il sortait de l’eau, Jésus vit le ciel se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe.  » (Mc 1, 10) Avec Jésus la plongée change de sens. A la place du gouffre des eaux, le ciel. Et le ciel n’est plus une immense étendue, qu’on admire et qui parfois décourage. Le ciel se fend. Le ciel laisse passer un souffle de vie, un messager porteur de paix. Le ciel lui-même descend en plongeant vers Jésus et vers nous, non pour nous étouffer, pour nous écraser mais pour nous faire respirer.  » Moi, je vous ai baptisés dans l’eau, lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint  » (Mc 1, 8 ) Qu’est-ce qui manque à celui qui plonge au risque de se noyer ? Il lui manque d’être reconnu, de vivre avec la certitude qu’il a un Père. En Jésus nos plongeons, quels qu’ils soient, se transforment. Nous pouvons désespérer des autres ou de nous-mêmes, en piquant droit jusqu’aux abîmes, comme si nous avions des semelles de plomb. A l’opposé, nous pouvons maîtriser nos envols et, librement, avec élégance et souplesse, traverser les événements, sans être engloutis par eux. Qu’importe ! Toujours une voix, la voix du Père, entendue dans la foi, déchire le ciel :  » C’est toi mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis tout mon amour  » (Mc 1, 11)

Dimanche 2 février 2003 – année B Présentation du Seigneur

 » Dans la paix, selon Ta parole « 

La pire des choses, pour un homme vivant, n’est pas de mourir mais de vivre dans la peur de mourir, de vivre asservi. Il fait alors partie de ceux  » qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves.  » (He 2, 15) Oui, la pire des choses, parce que nous sommes faits pour vivre libres, pour vivre heureux de vivre, sans être accablés, pas même par ce que nous avons pu faire de mal. Car il nous suffit de regretter nos fautes sincèrement, du fond du cœur, pour que nous en soyons déchargés. Mais alors pourquoi vivons-nous comme des esclaves ? pourquoi rendons-nous les autres esclaves ? C’est là une grande énigme. Cette énigme s’efface pourtant si nous sommes vraiment des croyants, des  » fils d’Abraham  » (He 2, 16). Alors nous vivons soutenus par une certitude libératrice et apaisante. L’un des nôtres est avec nous, toujours, comme un frère, un frère à la fois plus sensible, plus tendre, plus vulnérable aussi, mais plus fort qu’aucun de nous (cf. He 2, 17). Ce frère, c’est le Christ. Le Christ, qui vient d’ailleurs que de chez nous, qui vient de Dieu, qui est Dieu même, partage toutes nos faiblesses et toutes nos peurs. En s’attachant à notre condition, en s’emparant d’elle, Il nous rend la splendide dignité d’être humain. Désormais, nous n’avons plus à gémir. Nous ne pouvons plus que nous associer au combat qu’Il livre en nous jusqu’à la fin du monde, pour que nous vivions tous libres, nous et tous nos frères humains. Le Christ éprouve tout ce que nous pouvons ressentir, et surtout notre détresse. Mais Il fait la preuve que l’humanité peut tenir contre la puissance du mal. Le Christ nous révèle à nous-mêmes. Il nous enseigne que nous ne sommes pas des esclaves. Non seulement Il nous l’enseigne, mais Il nous donne, par sa présence dans le monde accueillie dans la foi, la force de nous libérer de tout ce qui nous asservit. Ainsi déjà, tout au long de notre vie, nous pouvons chanter avec le vieillard Syméon, qui portait l’enfant-Christ dans ses bras :  » Maintenant, ô Maître, Tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon Ta parole. Car mes yeux ont vu Ton salut, que Tu as préparé à la face de tous les peuples : lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d’Israël ton peuple.  » (Lc 2, 29-32) Le vieillard portait l’enfant. L’enfant délivrait le vieillard.

Dimanche 30 janvier 2000 4e dimanche du temps ordinaire – Année B

 » Et je donnerai ma parole dans sa bouche  »

Demander de vivre sans avoir à mourir, est-ce poursuivre une illusion ou la vérité ? L’homme croyant, comme tout homme, se fait à lui-même cette question. Il apprend, dans sa foi, qu’il ne poursuit pas une illusion. Il mourrait d’écouter la voix de Dieu, de voir son grand feu. Il ne meurt pas s’il écoute la parole de Dieu de la bouche d’un frère !  » C’est un prophète de ton sein, de tes frères, comme mai que fera lever pour toile Seigneur, ton Dieu, Lui , vous !’écouterez, selon ce que tu as demandé au Seigneur ton Dieu, à l’Horeb, au jour de l’assemblée, pour dire :  » Je ne continuerai pas d’écouter la voix du Seigneur, mon Dieu; ce grand feu, je ne le verrai plus, et je ne mourrai pas.  » En passant par la bouche du frère, la voix de Dieu et le feu deviennent une parole qui fait vivre. Cette parole exige de moi que je vive. Elle m’appelle à vivre. Elle m’ordonne de vivre.  » Le Seigneur m’a dit : Ils ont bien parlé. C’est un prophète que je ferai lever pour eux du sein de leurs frères comme toi et je donnerai ma parole dans sa bouche, et il leur parlera tout ce que j’ordonnerai.  » Parole de frère ? Oui. Parole de Dieu ? Oui. Mais parole de frère qui ne ment pas, qui lui-même ne fait qu’un avec la parole donnée dans sa bouche.  » Mais le prophète qui s échauffera jusqu’à parler une parole en mon nom, ce que je ne lui aurai pas ordonné de parler, et qui parlera au nom d’autres dieux, il mourra, ce prophète-là  » Parole d’un homme. Parole d’un prophète. Parole du Christ. Parole du chrétien ? Oui. Car le chrétien vit de la parole de Dieu qu’il reçoit de ses frères. En se livrant lui-même tout entier à cette parole, il la transmet à ses frères.

Dimanche 6 février 2000 5e dimanche du temps ordinaire – Année B

 » Souviens-toi que ma vie est un souffle …  »

 » Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre. Comme l’esclave qui désire un peu d’ombre, comme le manœuvre qui attend sa paye, depuis des mois je n ‘y ai gagné que du néant, je ne compte que des nuits de souffrance.  » (Job 7, 1-3) Et cette souffrance des hommes est inexplicable. Job enverra promener tous ceux qui chercheront à rendre compte des misères dont il est accablé. Mais il y a plus inexplicable encore que la souffrance des hommes. C’est la conversation interminable, que nous entretenons les uns avec les autres et avec Dieu, dans la confiance et dans l’amour. Nous ne pouvons parfois prononcer que ces mots :  » Souviens-toi que ma vie est un souffle. Mon oeil ne retournera pas voir le bonheur.  » (Ibid. v. 7). Nous serions bien embarrassés de désigner clairement à qui nous parlons alors. Du moins, nous parlons. Timidement, nous croyons que nous sommes écoutés. Ou, plutôt, si nous disons  » Souviens-toi… « , c’est parce qu’une Bonne Nouvelle est arrivée jusqu’à notre oreille et nous a touchés au plus profond de notre détresse. Nous n’avons pas accueilli seulement un enseignement. Quelqu’un s’est rendu présent à notre vie. C’est comme s’il disait :  » Je suis devenu faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute façon quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de la Bonne Nouvelle afin d’y avoir ma part.  » (I Co 9, 22-23). Celui qui parle ainsi peut être n’importe, qui, vous ou moi, par exemple. Il n’est toujours, quel qu’il soit, que le témoin vaincu, convaincu par Celui que rien n’arrête et qui déclarait à ses proches, quand ils voulaient le retenir dans leur cercle :  » Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, pour que là aussi je proclame. Car c’est pour cela que je suis sorti.  » (Mc 1, 38). Le malheur des hommes, notre malheur à tous, n’est pas terrassé à moindre prix que par l’amour : celui que nous recevons, celui que nous donnons, sans nous fixer de limites. Oui, notre vie n’est qu’un souffle. Mais ce souffle m’apporte la Bonne Nouvelle d’un amour à saisir, à propager en me perdant en lui.

Dimanche 23 février 2003 Année B – 7ème dimanche du temps ordinaire

 » Lève-toi, prends ton brancard et marche « .

Soyons bien d’accord sur ce que c’est que croire. Croire, c’est tenir quelque chose pour vrai et c’est aussi se fier à quelqu’un, s’abandonner à lui avec confiance. Ceci dit, nous croyons certainement au péché, tous tant que nous sommes. Nous pensons, en effet, que nous sommes vraiment pécheurs, et nous ne manquons pas non plus de nous laisser aller au péché, avec mauvaise conscience peut-être mais résolument. Pourtant, dans le Credo, nous déclarons que nous croyons à la rémission des péchés. Alors ? Il y a quelque chose de vrai, en quoi nous pouvons nous plonger. C’est que nos péchés ont été et sont toujours déjà pardonnés.  » Par tes péchés tu M’as traité comme un esclave, par tes fautes tu M’as fatigué. Mais Moi, oui, Moi Je pardonne tes révoltes, à cause de moi-même, et Je ne veux plus me souvenir de tes péchés  » (Is 43, 24-25) Il nous faut toujours partir de là ou, plutôt, en rester là. Le Dieu de notre foi ne serait plus Lui-même, nous ne pourrions plus nous en remettre totalement à Lui, croire en , si nous pensions qu’Il garde par devers Lui, comme un comptable impitoyable, le souvenir de ce que nous avons fait de mal. Ils avaient donc bien raison, ces gens qui déclaraient :  » Qui donc peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul ?  » (Mc 2, 7). Oui, c’est le privilège de Dieu, et de Lui seul, que de nous libérer, que de guérir la paralysie dans laquelle nous pouvons nous complaire – car on s’habitue à tout, même au mal qu’on fait ou à celui qu’on subit – , que de nous permettre de nous lever, de prendre en main notre brancard et de revenir chez nous (cf. Mc 2, 11). C’est donc aussi la merveille de notre foi en ce Dieu que de croire que cette histoire est la nôtre, et d’en être joyeux, et de nous associer à beaucoup d’autres, tout ébahis :  » tous étaient stupéfaits et rendaient gloire à Dieu, en disant: ‘nous n’avons jamais rien vu de pareil’  » (Mc 2,12). Mais nous avons le cœur dur. Au lieu d’être dans l’admiration, nous sommes scandalisés.  » Pourquoi cet homme parle-t-il ainsi ? Il blasphème…  » (Mc 2, 7). Qu’est-ce donc qui nous retient de croire ? Nous pressentons que s’il est vrai que nos péchés sont remis, alors nous ne pourrons plus vivre comme si de rien n’était, nous ne pourrons plus vivre comme auparavant. Bref, nous préférons nos péchés, et même le mal que nous en ressentons, à une vie qui, non sans efforts, s’épanouit dans la liberté, à une vie qui nous rend heureux. Au fond, est-ce que nous aimons vivre dans le bonheur ? Est-ce que nous ne préférons pas l’immobilité du brancard à la marche courageuse ? En un mot, croyons-nous à la rémission des péchés ? C’est une affaire de foi.

N.B. : Si nous en concluons que nous avons donc le droit de faire tout et n’importe quoi, c’est que nous n’avons rien compris à la bonne nouvelle de la rémission des péchés.

Dimanche 2 mars 2003 – année B 8ème dimanche du temps ordinaire

Notre intuition ne nous trompe pas. Nous avons bien raison de juger insupportables les règlements divers sous lesquels nous ployons, si nécessaires, si utiles qu’ils soient pour la vie en société. Et même les lois, si justes soient-elles, nous avons bien raison de trouver lourdes les obligations qu’elles nous imposent. Mais comment vivre les uns avec les autres sans lois et sans règlements ? C’est impossible. Quoi qu’il en soit, nous sommes animés par une certitude : la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie (2 Co 3, 6). Oui, l’Esprit, comme la vie, est premier, la lettre vient ensuite, comme la mort. L’Esprit est toujours là. Il ne connaît pas le vieillissement. Il n’est pas comme un tissu qui, à l’usage, finit par s’user, ni comme
des outres qui ont déjà servi et qui éclatent sous la pression du vin
nouveau (cf. Mc 2, 21-22). L’Esprit, c’est lui le souffle même de la vie. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que nos communautés humaines n’existent
pas par la vertu d’un code ni pour appliquer un programme défini une fois pour toutes. Nous sommes créés libres pour constituer un seul Peuple,
réunis dans la joie d’une Alliance, invités tous ensemble à des noces (cf. Mc 2, 18-20) Nous devons nous rappeler cette donnée élémentaire de
notre foi, surtout en ces jours où la guerre menace, où nous risquons de désespérer de l’humanité et de devenir complices d’une violence dont, pourtant, nous souffrons. Le Christ, que nous célébrons comme notre Seigneur
et notre Frère, fait de chacun de nous et de nous tous rassemblés un vivant message d’amitié que Dieu Lui-même adresse au monde. De toute évidence,
vous êtes ce document, venant du Christ, confié à notre service, écrit non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas sur
des tables de pierre, mais dans des cœurs de chair (2 Co 3, 3) L’humanité est un grand mystère. Elle vaut mieux que tout ce que nous pouvons faire
d’elle. Dans l’humanité se poursuit, interminablement, une Alliance nuptiale, les épousailles de Dieu avec l’immense Peuple auquel il a choisi de s’unir. Tu seras Ma fiancée, et ce sera pour toujours. Tu seras ma fiancée, et Je T’apporterai la justice et le droit, l’amour et la tendresse ; tu seras Ma fiancée, et Je T’apporterai la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur (Os 2, 21-22). Rien donc ne peut nous enlever notre joie. Car la tristesse n’a pas le même poids que la joie. La tristesse vient, elle passe, tandis que la joie demeure. Elle est aussi fidèle, la joie, aussi solide que le pacte d’Alliance entre Dieu et Son Peuple. Les invités de la noce pourraient-ils donc jeûner, pendant que l’Epoux est avec eux ? tant qu’ils ont l’Epoux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais un temps viendra où l’Epoux leur sera enlevé : ce jour-là ils jeûneront (Mc 2, 19-20)

Dimanche 5 mars 2000 9° dimanche du temps ordinaire – Année B

 »
Tu te souviendras que tu as été esclave … « 


Le temps de notre vie s’écoule et aussi il se remplit sans cesse. Comment
arrêter le cours du temps et aussi le vider ? Il n’est pas sûr que nous
puissions y parvenir aussi longtemps que nous vivons. En effet, c’est
là une prétention qui ne peut se réaliser que dans la mort. Alors le cours
du temps s’arrête et, puisqu’il n’y a plus de temps, II n’y a plus rien
à faire ! Mais, dès à présent, nous sommes dans une alliance avec Dieu
par la foi. Nous écoutons l’ordre qu’Il nous donne : Il nous commande
d’arrêter le cours du temps et de le vider sans mourir pour autant ! Le
SABBAT est la cessation par excellence, le signe, dans le temps, tandis
qu’il continue, de l’arrêt du temps et du vide du temps, un repos qui
n’est pas celui de la mort.  » Garde le jour du Sabbat pour le sanctifier,
comme l’a ordonné le Seigneur, ton Dieu.  » (Deutéronome, 5, 12) Le jour
du SABBAT n’est rempli que par un souvenir. Mais celui-ci, à la différence
de toutes les occupations et du travail, qui alourdissent le temps, n’est
pas un encombrement, un souci supplémentaire ! Nous étions impitoyablement
emportés par le temps qui s’écoule., Nous étions aussi écrasés sous les
tâches. Et voilà que la liberté nous est donnée par Celui qui fait alliance
avec nous dans la foi ! Le jour du Sabbat nous célébrons notre liberté.
 » Tu te souviendras que tu as été esclave en terre d’Égypte, et le Seigneur,
ton Dieu, t’a fait sortir de là à main-forte et à bras étendu. C’est pourquoi
le Seigneur, ton Dieu, t’a ordonné de faire le jour du Sabbat.  » (Deutéronome,
5, 15)  » Tu te souviendras…  » II n’y a pas de nostalgie dans ce souvenir.
Nous ne regardons pas en arrière. Nous ne regrettons pas une liberté qui
nous aurait été donnée, en un lointain âge d’or, et que nous aurions perdue.
Le souvenir de notre libération est un engagement dans le temps présent
et l’accueil joyeux d’un avenir. Puisque nous avons été libérés de toute
servitude, nous ne pouvons plus endurer le cours du temps qui s’écoule
ni supporter les charges dont il est plein comme un asservissement. Dans
le temps, déjà, nous vivons libres ! Mais cette liberté serait mensongère
si nous étions seuls à être libres, si nous ne libérions pas avec nous
tous ceux qui sont soumis à la peine de vivre.  » Pendant six jours tu
travailleras et tu feras tout ton ouvrage, mais le septième jour est le
jour du Sabbat pour le Seigneur, ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage,
ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni
ton bœuf, ni ton âme, ni aucune de tes bêtes, ni l’immigré qui réside
dans ta ville. Ainsi, comme toi-même, ton serviteur et ta servante se
reposeront.  » (Deutéronome, 5, 14)

Dimanche 26 mars 2000 3e dimanche de Carême- Année B

Les commandements de la liberté  »

Ah ! si seulement Dieu n’avait créé que des animaux ! Il y aurait sans doute de la férocité
sur la terre. Mais la cruauté de tant de conduites inhumaines, dont nous
souffrons, n’existerait pas !  » Ainsi s’exprimait devant moi quelqu’un,
en commentant les violences qui ravagent notre monde. C’était avouer que
nous autres, les humains, nous sommes supérieurs aux animaux, mais plus
fragiles qu’eux, plus ingénieux aussi dans l’invention du mal. Après cela,
qui trouvera encore insupportable que le Seigneur, au Sinaï, ait édicté
des commandements et des interdits ? Le Seigneur, venait d’affirmer solennellement
qu’il avait arraché son peuple à la servitude.  » Je suis le Seigneur ton
Dieu, qui t’ai fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclavage. » (Exode
20, 1). Pouvait-il laisser ceux qu’il aime s’humilier eux-mêmes jusqu’à
devenir injustes et durs ? Il ne suffit pas de dire que nous sommes libres
de choisir entre le bien et le mal. En effet, sommes-nous encore libres
quand nous avons accepté de nous soumettre à la violence qui est à la
porte du cœur de chacun de nous ? Nous qui croyons, nous reconnaissons
que nous avons été libérés afin de rester, de vivre libres désormais.
Le Décalogue, les commandements et les interdits prononcés par le Seigneur
au Sinaï constituent la charte de notre liberté. Que chacun de nous médite,
une à une, les paroles de cette loi fondamentale ! Qu’il fasse l’effort
personnel de découvrir dans les articles de ce code non pas un empêchement
de vivre mais un appel confiant à l’amour de la vie, adressé à tout homme,
croyant ou non, pour qu’il proclame par toute sa conduite qu’il a été
libéré ! Sommes-nous libres quand nous tuons, quand nous manquons à notre
parole, quand nous volons, quand nous mentons ? A ces moments-là nous
oublions que le Seigneur, en nous créant, en nous libérant, a fait de
nous des êtres capables de prolonger, d’incarner dans leur vie la liberté
qui leur a été confiée. Les humains sont plus grands que les animaux supérieurs
! Ils sont libérés pour la liberté.

Dimanche 23 mars 2003 – année B 3e dimanche de Carême

 » Ce qu’il y a dans l’homme  » (Jean 19, 25)

Qu’y a-t-il en nous, en chacun de nous et aussi dans le grand corps que nous formons avec tous les hommes sur cette terre ? Il ne suffit pas de répondre :  » le meilleur et le pire « , en nous inspirant des événements, selon que, tour à tour, ils nous exaltent ou nous dépriment. Ce n’est pas là une réponse de croyant. Dans l’immense corps de l’humanité, comme au plus intime de chacun de nous, il y a Dieu Lui-même. Il réside là comme dans Son Temple. Or, ce Temple de Dieu, que nous sommes, est fragile, tel une forteresse sans défense. Nous pouvons le livrer à nos passions, à nos violences, comme à autant d’idoles, qui usurpent la place du Dieu vivant et vrai. Mais heureusement, plus forte que nos lâchetés, la voix de Dieu résonne du plus profond du cœur de notre humanité :  » Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage. Tu n’auras pas d’autres dieux que moi… Tu n’invoqueras pas le nom du Seigneur pour le mal…  » (Exode 20, 2.7) Cette voix, trop souvent, nous ne l’entendons pas. Alors elle se grave, sous nos yeux, en lettres vivantes de souffrance, dans la chair de tous ceux qui sont meurtris, et souvent par les coups que nous leur portons. Ainsi, par notre foi, nous pouvons déchiffrer dans la misère du monde la présence d’un  » Messie crucifié « , scandale pour les uns, folie pour les autres (cf. première Epître aux Corinthiens 2, 23). Tel est le visage de Dieu, du Christ – Dieu, que nous sommes appelés à découvrir sur la face blessée de notre humanité. Comment, dès lors, pourrions-nous céder au désespoir ? Car nous pouvons bien, les uns et les autres, nous acharner à détruire le Temple de Dieu que nous habitons, tous ensemble, en ce monde. L’hôte de cette demeure est plus fort que ses démolisseurs :  » ‘Détruisez ce Temple et en trois jours je le relèverai’… Le temple dont Il parlait, c’était son corps.  » (Jean 19-20). Nous pouvons donc nous fier à nos efforts pour que le monde reste le Temple de Dieu. Car Dieu Lui-même, en la personne de Son Fils, le Messie souffrant, est à l’œuvre en nous et avec nous, et  » la folie de Dieu est plus sage que l’homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l’homme.  » (Première Epître aux Corinthiens 2, 25)

Dimanche 30 mars 2003 – année B 4e dimanche de Carême

 » Si je t’oublie, a

Jérusalem…  » (Psaume 137, 5)

Dieu n’est
pas quelque part. Il n’est pas ici plutôt que là, à Jérusalem plutôt qu’ailleurs.
Aucun lieu ne le détient. Il n’est la propriété d’aucun pays. Dieu n’a
pas de camp. Pourquoi ? Parce que Dieu est lié au cœur des hommes, quels
qu’ils soient, et à la pureté de l’amour qui anime ce cœur. Ainsi donc
Jérusalem n’est pas un site qu’on pourrait repérer sur la carte du monde.
Jérusalem est en nous. Nous sommes Jérusalem, partout où nous allons,
pourvu que nous vivions dans la foi, dans l’espérance et dans l’amour.
Ainsi tout homme au cœur pur peut-il dire :  » Je veux que ma langue s’attache
à mon palais, si je perds ton souvenir, si je n’élève Jérusalem au sommet
de ma joie.  » (Psaume 137, 6) Aujourd’hui encore, comme toujours, il y
a en ce monde une immense cité, une Jérusalem invisible. Or, les citoyens
de cette Jérusalem n’ont pas d’autre pièce d’identité à produire que le
désintéressement d’un amour qui se confond avec l’amour même que Dieu
nous porte. Voilà le message que nous recevons et transmettons joyeusement,
nous qui nous rassemblons dans l’Eglise au nom de Jésus Christ. Car nous
entendons le Christ déclarer à qui veut L’entendre :  » Dieu a tant aimé
le monde qu’Il a donné Son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en
Lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle (Jean 3, 16). Ainsi,
dans la Jérusalem de notre foi, nous sommes assurés de rejoindre l’amour
qui est Dieu même et, en même temps, l’amour sans armes, paisible et pacifiant,
qui fait le bonheur de tout cœur humain. Il est simplement vital pour
chacun de nous de nous rappeler les uns aux autres cette vérité élémentaire
de l’Evangile, surtout en ces jours où nos cœurs sont exposés à la montée
des ténèbres. Oui, nous devons nous le rappeler activement :  » Tout homme
qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de
peur que ses œuvres ne luis soient reprochées ; mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient reconnues comme des œuvres de Dieu.  » (Jean 3, 20-21).

Semaine Sainte 2003 – année B

 » … Jusqu’à la mort de la croix. « 

Il y a mort et mort. Il y a la mort qui arrive au terme d’une longue vie, celle aussi qui survient, trop tôt, par suite d’un accident ou d’une maladie. Il y a une autre mort, la mort que nous donnons à d’autres, celle que nous recevons des autres. C’est de cette autre mort, d’abord et par priorité, que nous faisons mémoire pendant les fêtes de Pâques. La mort qui vient de nous et que nous recevons, c’est elle que le Christ a endurée. Il est même allé au-devant d’elle.  » Le Christ Jésus, Lui qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mais au contraire, Il se dépouilla Lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, Il s’est abaissé Lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix  » (Ephésiens 2, 6-8). En tout temps, mais particulièrement dans les jours que nous vivons, nous faisons l’expérience que cette mort-là, la mort donnée et reçue, comme un coup asséné par des hommes sur d’autres hommes, bref, la mort du Christ, continue dans notre histoire. La mort du Christ au Vendredi-Saint ne cesse de prendre chair aujourd’hui encore.  » Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là.  » (Pascal). Dans la nuit de notre foi, tandis que nous sortons du sommeil, c’est là que le Christ et tous les morts avec Lui, les morts de vieillesse, d’accident ou de maladie, mais aussi les morts qui ont tué ou qui ont été tués, c’est là, dans notre foi créatrice, qu’ils sortent du tombeau, pour vivre en ressuscités. C’est là, dans notre foi, que nous accueillons tous ceux qui sont morts comme le Christ et avec Lui, qui a été  » élevé au-dessus de tout nom  » (Ephésiens 2, 9).  » Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ. Recherchez donc les réalités d’en haut. C’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Tendez vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre. En effet, vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste caché avec Lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec Lui en pleine gloire.  » (Colossiens 3, 1-4).

20 avril 2003 – année B Dimanche de la Résurrection

Pâques aujourd’hui sur le monde

Qui tue en Irak et ailleurs dans le monde, aujourd’hui ? Qui a tué autrefois, en Judée, Jésus de Nazareth ? A ces deux questions des journalistes, des historiens peuvent répondre : ceux qui donnent physiquement la mort à d’autres, par les décisions qu’ils prennent, peuvent être connus, ils ne se perdent pas dans l’anonymat. Nous ne pouvons pas les confondre avec n’importe qui. Bref, il y a des responsables. Cela dit, quand nous déclarons que nous sommes concernés, nous aussi, par la mort des tués dans les guerres d’aujourd’hui et par l’exécution de Jésus autrefois, que voulons-nous dire ? D’abord, sans doute, que nous appartenons à la même humanité que les morts et les meurtriers. Nous sommes leurs frères. Mais il y a plus. Si nous condamnons ces mises à mort, c’est que, d’une certaine façon, très réellement, nous en sommes solidaires. Entendons : nous partageons la condition des morts et celle des bourreaux. Nous souffrons dans notre chair de toutes ces morts et nous ne pouvons pas nous en laver les mains. S’il en allait autrement, nous ne serions plus des hommes parmi les hommes, nous ne serions plus des croyants, des frères de Jésus, le Christ. Oui, c’est une affaire de foi en notre humanité et aussi de foi au salut que nous accueillons joyeusement au matin de Pâques. Nous sommes blessés et coupables de la mort de nos frères et de la mort de Jésus. Or, malgré notre faute et notre blessure, nous sommes relevés, ressuscités avec tous, le Christ en tête. Dans la foi, voilà ce que nous proclamons ! En célébrant ainsi le Christ, notre Pâque, nous sommes engagés dans le combat qui fut le sien, où Il rejoint tous les martyrs du monde et pardonne à tous les bourreaux. Cet engagement, renouvelé en la nuit de Pâques, nous renouvelle aussi jusqu’au fond de nous-mêmes. Cet engagement nous interdit toute complaisance pour la mort, pour celle que l’on donne à d’autres. Au matin de Pâques, les croyants acclament la vie qui leur est donnée, comme au Christ, par Son Père et notre Père, Son Dieu et notre Dieu. Comment pourrions-nous encore pactiser avec tout ce qui tue ?

4 mai 2003 – année B 3e dimanche de Pâques

L’intelligence des Ecritures

Alors Il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Ecritures (Lc 24, 45) Mais où faut-il donc se placer pour bien comprendre les Ecritures ? Pas hier. Pas demain. Aujourd’hui même. Ici et maintenant. Or, il est très difficile à chacun de nous de tenir en place dans le présent. Nous préférons aller vers le passé ou vers l’avenir. Mais pourquoi donc le présent est-il le temps, le seul temps, où nous pouvons comprendre les Ecritures, vraiment ce qui s’appelle les comprendre, les prendre avec nous, non pas les connaître seulement mais en faire une expérience vitale ? Il y a au moins deux raisons à cela. L’une tient au temps lui-même, à nous, qui vivons dans le temps. L’autre tient au message des Ecritures elles-mêmes. Pour nous, le présent est le seul temps que nous possédions. Le passé nous a fuis. L’avenir, nous ne l’avons pas encore. D’un côté donc, des souvenirs. De l’autre, des espoirs ou des craintes. C’est dans le présent que le temps nous est donné. Ce temps est heureux ou malheureux. Mais il est là. Nous ne faisons qu’un avec lui. Nous sommes en lui. Il est en nous. Bref, c’est au présent que nous jouissons du temps, quel qu’il soit. Or, le message que nous recevons des Ecritures s’adresse tout entier, tout d’un trait, à notre présent. C’est notre présent qu’il vient transformer, tout de suite. C’est bien ce qui était annoncé par l’Ecriture : les souffrances du Messie, sa résurrection d’entre les mort le troisième jour, et la conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés, à toutes les nations… (Lc 24, 46-47) Le Messie que nous attendons – et tout le monde en attend un ! -, c’est au présent que nous l’accueillons. Or, nous sommes souvent, voire toujours, déçus par le Messie qui nous arrive chaque jour. Nous l’avions rêvé, idéalisé, et il nous vient par l’épreuve de la souffrance ! Oui, mais c’est dans ce même présent, aujourd’hui même, que nous recevons, dans la foi, la nouvelle de la résurrection de nous-mêmes et de tous, avec ce Messie, sorti du tombeau. C’est aujourd’hui que nous naissons à la vie qui nous est rendue, pour notre plus grande joie. C’est dans le présent, enfin, que nous sommes libérés de nos fautes, et le monde entier avec nous. Nos chaînes sont tombées ! Si l’un de vous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste (1 Jn 2, 1) Bref, le présent est le temps de la foi, le temps pendant lequel nous recevons les Ecritures dans la joie de croire. Que resterait-il de notre foi, si nous ne la goûtions pas, si nous ne la savourions pas maintenant, aujourd’hui même, sans attendre, pour nous en nourrir ? Que deviendrait pour nous le temps qui passe, s’il n’était pas, chaque jour, un temps où il fait de la foi, comme on dit qu’il fait bon, qu’il fait soleil ?

Dimanche 14 mai 2000 4e dimanche de Pâques – Année B

Le mercenaire et le berger

 » Moi, je suis le berger, le beau. Le berger, le beau, pose sa vie pour ses brebis. Le mercenaire, et qui n’est pas un berger, dont les brebis ne sont pas la propriété, voit le loup venir et laisse les brebis et s’enfuit – et le loup les ravit et les disperse – , parce qu’il est mercenaire et n’a point souci des brebis.  » Jean, 10, 11-13

Non, tout ne se paie pas.

Tout n’est pas matière à trafic.

Tout n’est pas une marchandise,

Qu’on vend et qu’on achète.

Chacun de nous a sa vie,

Et nous pouvons nous en défaire,

Pour rien,

Pas comme un mercenaire,

Qui ne le peut pas,

Parce qu’il y tient,

Parce qu’il ne tient même qu’à sa vie.

Si un être que nous aimons et qui nous aime,

Ou même un inconnu, un anonyme,

Peut se défaire de sa vie,

La poser là,

La déposer, comme un vêtement qui le protège,

L’exposer, au risque de la perdre,

C’est parce qu’il ne fait qu’un

Avec un autre que lui-même,

Avec tous les autres que lui-même.

Il n’existe pas sans eux,

Et eux-mêmes n’existent pas sans lui.

C’est à eux qu’il tient, non à sa vie,

C’est à lui qu’ils tiennent, non à leur vie,

Comme on tient à quelque chose d’autre que soi,

Qui ne fait qu’un avec soi.

Se défaire de sa vie,

La déposer,

Et rester tout nu,

L’exposer,

Et en mourir,

C’est être libre,

Mais non pas seul,

C’est croire que nous ne recevons

Que ce que nous donnons,

Gratuitement,

C’est croire que nous ne prenons

Que ce qui nous est donné.

Bref, nous avons un Père,

Et nous avons le pouvoir

De nous conduire comme lui,

Nous envers tous les autres

Comme lui envers nous tous.

18 mai 2003 – année B 5e dimanche de Pâques

La vie qui passe et la vie qui pousse

Nous n’éprouvons aucune difficulté à convenir que la vie passe, qu’elle passe vite, trop vite. Il nous suffit de consulter nos souvenirs, surtout s’ils sont nombreux. Ils font tous de notre vie un passé. Si nous sommes portés à la mélancolie, nous changeons même ce passé en un cimetière. Et, pourtant, la vie ne se contente pas de passer. Elle pousse aussi. Elle pousse comme un bon plant, comme une vigne bien entretenue. Nous en avons la certitude quand nous contemplons un enfant dans son berceau. Alors nous sommes tellement sûrs que la vie produit des fruits que nous souffrons lorsque des vies naissantes, de jeunes vies disparaissent ou, pire, sont cruellement massacrées. Ainsi, la même vie qui passe est aussi une vie qui pousse. Avec tous les hommes sur cette terre nous sommes étonnés par cette énigme. Si paradoxal que soit ce fait, nous y consentons, et la plupart du temps avec beaucoup de joie. Mais, reconnaissons-le, à certaines heures, il nous faut prendre sur nous pour nous redresser courageusement, pour espérer, malgré tout, dans les fruits de la vie. Car la vie reçoit, en nous et autour de nous, tant de coups durs ! Ce qui est sûr, c’est que, dans les croyants que nous sommes, l’espérance en une vie qui fructifie se trouve confirmée, transformée et même exaltée. Reconnaissons-le aussi : nous en sommes souvent étonnés nous-mêmes. Car nous avons tant de motifs d’être ébranlés jusque dans notre foi, et d’abord par la médiocrité de nos actes, par la faiblesse de notre amour, que nous jugeons souvent sans la moindre pitié ! Pourtant, notre cœur aurait beau nous accuser, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses (I Jn 3, 20) D’où viennent cette paix au milieu des tourments, cette confiance en une vie qui pousse à l’intérieur d’une vie qui passe mais qui se dépasse elle-même dans ses fruits ? Cette paix et cette confiance viennent de ce que nous sommes nourris, comme par une sève, par une présence qui demeure en nous, en qui nous demeurons. Mais vous, déjà vous voici nets et purifiés grâce à la parole que je vous ai dite :  » Demeurez en moi, comme moi en vous.  » De même que le sarment ne peut pas porter du fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. Moi, je suis le vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. (Jn 15, 3-6) Oui, telle est la merveille, dont nous ne revenons pas, qui fait notre joie sans cesse, plus forte que tous nos abattements, plus vraie que nos chutes elle-mêmes.

8 juin 2003 – année B Dimanche de Pentecôte

L’Esprit, le Souffle

En disant Souffle, nous disons plus et mieux qu’Esprit, et nous disons aussi mieux ce que veut dire Esprit. L’air est comme la matière du Souffle ou, plutôt, son élément. Quand le Souffle fait irruption dans la maison (cf. Ac 2, 2), tous reçoivent de lui de quoi respirer, c’est-à-dire de quoi vivre. Ils en reçoivent aussi de quoi parler, et parler à n’importe qui, à tous ceux qui sont là, quels qu’ils soient. Bien plus, quand vient le feu, il se nourrit du Souffle et se change en une parole ardente, qui court partout comme la flamme. Le Souffle brûlant consume tout ce qu’il y a, inévitablement, de général et encore d’impersonnel dans la langue de ceux qui parlent. Ainsi peuvent-ils rejoindre, dans leurs idiomes singuliers, au plus près d’eux-mêmes, tous leurs auditeurs. Ces hommes qui parlent ne sont-ils pas tous des Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? (Ac 2, 7-8). L’événement est-il si surprenant, puisqu’il s’agit non d’un phénomène naturel mais de proclamer… les merveilles de Dieu (Ac 2, 11) ? L’Esprit, le Souffle, est assez puissant pour transformer ceux qu’il fait vivre. Il donne à la parole, chez qui l’annonce et chez qui l’écoute, l’énergie d’une vie nouvelle. Voici ce que produit l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi… Puisque l’Esprit nous fait vivre, laissons-nous conduire par l’Esprit (Ga 5, 22.25) Comme le vent, comme l’air, l’Esprit, le Souffle, porte jusqu’à nous, au plus intime, les paroles qui lui sont confiées. Il devient un messager qui redira tout ce qu’il a entendu (Jn 16, 13), pour l’insinuer dans notre cœur croyant, il rendra témoignage en nous, en sorte que, sous son inspiration, sous la poussée de ce Souffle, nous puissions, nous aussi, rendre témoignage (cf. Jn 15, 26-27). (Extrait de Paris Notre-Dame, n° 997 du 5 juin 2003, p. 13)

15 juin 2003 – année B Dimanche de la Trinité

Un Esprit qui fait de vous des fils

Un esclave, autrefois comme aujourd’hui, n’existe pas comme une personne. Il n’est pas quelqu’un mais quelque chose. Si l’on a des égards pour lui, si on l’entretient, c’est comme on ferait pour une machine, à cause de son rendement. On ne s’entretient pas avec lui. Il n’existe pas pour nous ou alors c’est pour nous servir. L’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c’est un Esprit qui fait de vous des fils… (Rom 8, 15) Comment pourrions-nous comprendre ces paroles si nous n’avions entre nous que des relations d’esclavage, si notre fraternité humaine n’était qu’un régime masqué de servitude mutuelle ? Si donc nous voulons nous reconnaître pour ce que nous sommes devant Dieu, pour des fils, non pour des esclaves terrorisés, soyons heureux de pouvoir, avec tous les hommes, nous aimer comme des frères, exister les uns pour les autres dans l’amitié. Tel est l’enjeu humain de notre foi de chrétiens. Pour dire et pour comprendre un peu ce que nous sommes devant Dieu et pour Dieu, nous devons commencer par réaliser tristement ce que hélas ! nous pouvons être, ce que nous sommes souvent entre nous : une compagnie d’esclaves. Avouons qu’il y a de la provocation dans notre foi. Quelle audace, en effet, que de prétendre que nous ne sommes pas seulement enfants de Dieu, que nous sommes ses fils et donc ses héritiers, puisqu’un fils hérite de son père ! Et, pourtant, il en est bien ainsi. …poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l’appelant :  » Abba ! « . C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui affirme à notre esprit que nos sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers ; héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, à condition de souffrir avec lui pour être avec lui dans la gloire. (Rom 8, 15-17) …à condition de souffrir avec lui… Mais souffrir de quoi donc ? Souffrir d’être esclave encore et de rendre les autres esclaves. Supporter avec une douleur intolérable que d’autres souffrent de nous et par nous. Car la souffrance qui naît de la foi, de la foi qui nous unit au Christ, fait de nous des libérateurs de nos frères, à l’image de Dieu lui-même (cf. Dt 4, 32-40)

dimanche 22 juin 2003 – année B Fête du Saint-Sacrement

La misère du monde et le Mystère de la Foi

De nombreuses populations meurent de faim. Des nations se battent les unes contre les autres pour des motifs économiques, c’est-à-dire pour vivre, certaines pour simplement pouvoir survivre, d’autres pour mieux vivre encore. Ainsi les uns n’ont pas de quoi satisfaire leurs besoins élémentaires en nourriture, tandis que d’autres succombent comme des animaux qu’on gave. Des conflits sanglants et interminables naissent de ces déséquilibres du monde. Qui n’a déjà entendu ce diagnostic porté sur l’état d’humanité ou, plutôt, d’inhumanité de notre planète ? Qui peut en contester sérieusement le bien fondé ? Quel croyant, surtout, n’en souffre jusqu’au cœur de sa foi ? Il semble en effet que la situation du monde soit un défi adressé à ce que nous appelons à juste titre le Mystère de la Foi. Chaque dimanche nous sommes conviés à un repas qui nous réunit. Chaque dimanche nous ne sommes pas seulement rassasiés mais rassemblés. Chaque dimanche une table est dressée, opulente, largement ouverte, et aussi une alliance est renouvelée entre nous et avec Dieu. C’est un vrai repas, le pain y est du vrai pain, nous sommes vraiment alimentés à cette table autour de laquelle nous nous recevons les uns les autres amicalement, comme des hôtes, en frères. Pourquoi cette merveille de la Cène est-elle toujours présente au milieu de nous, dans la communauté de l’Eglise que nous formons ? Nous connaissons la réponse à cette question. C’est parce que l’un d’entre nous, notre Seigneur et notre Frère, a dit une fois et répète sans cesse, au milieu d’un Peuple qui est son Corps : Prenez, ceci est Mon Corps…Ceci est Mon Sang, le Sang de l’Alliance, répandu pour la multitude… Quand nous entendons ces paroles, quand nous leur ajoutons foi, nous apprenons que Celui qui les prononce a pris sur Lui pour toujours d’être donné, d’être livré, de mourir pour que tous les autres vivent. Il a fait du Sacrifice Son affaire personnelle ! Ainsi donc nous vivons tous du don qu’Il a fait de Lui-même, nous vivons de L’avoir livré, nous vivons de la mort à laquelle Il est allé librement. Oui, nous vivons, car désormais, par Sa Résurrection, Il a fait de notre monde un monde nouveau, un monde dans lequel nous sommes des vivants pour toujours. Telle est notre foi. Mais cette foi, que deviendrait-elle, si nous en venions à consentir ou à nous résigner à la misère d’un monde où règnent la famine, l’exploitation des plus pauvres, l’indifférence et la haine ? Car nous croyons, comme à une vérité certaine, dans le combat victorieux de Jésus. Or, il nous entraîne dans ce combat. Il nous y associe à Lui-même, puisque nous communions à Son Corps et à Son Sang, puisque, dans l’Eglise, où nous faisons mémoire de Son sacrifice au cours d’un repas, nous connaissons déjà la vie du Royaume.

Dimanche 1er octobre 2000 26e dimanche du Temps Ordinaire – Année B

Le Souffle, la parole et le Peuple

 » Qui donnera que tout le peuple du Seigneur soit inspiré ! Oui, le Seigneur donnera sur eux son souffle.  » (Nombres, 11, 29) Tous, déjà, nous avons fait des confidences à quelqu’un. Avons-nous bien réfléchi à la suite ? Puisque nous avons parlé à quelqu’un, nous voilà pour toujours unis à notre confident. Un lien existe entre lui et nous. Ainsi en est-il du Seigneur et de Moïse, de Moïse et du Peuple et, finalement, du Seigneur lui-même et de son Peuple. Cependant, la différence avec nos confidences privées est de taille ! Quand le Seigneur parle, une communauté publique naît, constituée d’une multitude d’hommes et de femmes. La Parole du Seigneur rassemble. La Parole du Seigneur ne fait pas de ceux qui la reçoivent des initiés, qui pourraient se replier chacun sur soi. Car la Parole du Seigneur est adressée à un Peuple pour qu’il vive du Souffle de Dieu, comme Moïse et comme Jésus lui-même, pour qu’il en vive en peuple. Alors, sommes-nous tous des prophètes, c’est-à-dire des inspirés, des gens habités par le Souffle du Seigneur ? Oui, pourvu que nous formions un Peuple, accueillant dans la foi la Parole du Seigneur, travaillé par elle, renouvelé sans cesse par elle, réuni par elle.

CONCLUSION

o Pas de fidèle sans Eglise.

o Pas de paroissien sans paroisse.

Et je laisse à chacun le soin de répondre à cette question :  » Qu’est-ce qui est premier, du fidèle ou de l’Église, du paroissien ou de la paroisse ?  »

Dimanche 28 septembre 2003 – année B 26ème dimanche du temps ordinaire

Vivre à la source

De certaines personnes nous disons qu’elles forment une bande de copains. Et nous ajoutons parfois, malicieusement : de coquins ! De certains groupes fermés nous déclarons qu’ils sont une chapelle. On ne compte plus tous ceux qui en sont exclus. Ainsi va la société. Mais nous sentons bien qu’il ne devrait pas en être ainsi. En effet, quoi de plus humain, de plus grandement humain, que de s’associer non pour faire un clan mais pour s’ouvrir ensemble, généreusement, à tous ? Nous pressentons même que si nous vivons avec d’autres comme avec des amis, non comme avec des complices, nous cesserons bientôt d’avoir des ennemis. Car il y a une dynamique de la confiance ! Mais quelle conversion du cœur nous est nécessaire pour en venir là ! Tant il est vrai que, spontanément, nous sommes tous portés à nous rassembler en sectes ! Maître, nous avons vu quelqu’un chasser des esprits mauvais en ton nom ; nous avons voulu l’en empêcher, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. (Marc 9, 38) Jésus, lui, nous reconduit à la vérité la plus profonde de notre humanité. Il nous détourne d’obéir à la caricature odieuse que nous en donnons trop souvent. Si c’est un miracle que d’expulser les esprits mauvais, il ne provient pas de notre adhésion à un parti, si saint soit-il. Le triomphe sur le mal coule, comme d’une source pure, d’un cœur bienveillant, qui ignore toute ségrégation. L’Eglise n’est pas une bande, ni une chapelle, ni un clan, ni un parti. Elle est l’Alliance de Dieu dans le Christ, pour tout homme vivant en ce monde. C’est pourquoi Jésus déclare sereinement : Ne l’empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous. (Marc 9, 39-40) Nous sommes désaltérés, tous tant que nous sommes, comme par une boisson fraîche, par la bonté. Nous en avons tous besoin, comme de l’eau, pour vivre. Et le miracle, le vrai miracle, c’est que cette eau, quand on la donne à d’autres, si faiblement que ce soit, revigore ceux qui la reçoivent comme ceux qui la donnent. C’est elle qui nous entretient tous en vie. Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense. (Marc 9, 41). C’est la puissance du Christ, notre frère et notre Dieu, qui fait ce miracle !

Dimanche 8 octobre 2000 27e dimanche du Temps Ordinaire – Année B

Jésus n’a pas honte de nous appeler ses frères (cf. Épître aux Hébreux, 2, 9-11.)

Jésus pourrait avoir honte de nous appeler ses frères. Tel serait le cas, s’il estimait qu’il est d’un autre ordre que nous, supérieur à nous, s’il ne se regardait pas comme notre égal. Or, ce cas se produirait bien, quoi qu’il pense lui-même, s’il partageait tout avec nous, sauf la mort. Alors, étant l’un de nous, il nous sauverait, peut-être de la mort, mais en restant en dehors de celle-ci, et donc en dehors de notre condition humaine, puisque la mort en fait partie. Mais telle ne pouvait pas être la conduite de Dieu, par qui arrive tout ce qui arrive. En effet, avant même la venue parmi nous de Jésus, il n’a cessé de mener jusqu’à la gloire les nombreux fils qu’il s’est donnés. Et il les y a conduits sans que la mort leur fût épargnée. Comment, dans ces conditions, aurait-il pu dispenser Jésus d’aller jusqu’au bout de notre condition humaine, ne pas faire de lui un vivant mortel, qui souffre d’avoir à mourir et de mourir ? Ainsi Jésus n’est-il pas un meneur en chef de nous tous qui nous conduirait à la gloire sans prendre le même chemin que nous, en se contentant par exemple de nous l’indiquer, mais sans l’emprunter lui-même. Si tel était le cas, il ne serait pas solidaire de nous tous. Or, il l’est ! A la source de lui-même il ne fait qu’un avec nous. Cette source, c’est Dieu, son Père et notre Père. Cette source, c’est aussi la condition d’humanité, qu’il partage avec nous. Cette source, enfin, c’est la mort, puisque la mort est intégrée à la condition humaine. En définitive, en croyant en Dieu, nous croyons qu’un homme, Jésus, sauve l’humanité en allant jusqu’à sauver en elle la mort elle-même, puisqu’il entre dans la gloire après avoir goûté lui-même à la mort comme nous tous.

Dimanche 22 octobre 2000 29e dimanche du Temps Ordinaire – Année B

 » Pouvez-vous … ? » –  » Nous pouvons …  »

Quand nous disons de quelqu’un  » il a fait ce qu’il a pu « , nous laissons ainsi entendre, la plupart du temps, qu’il ne pouvait pas faire grand-chose, qu’il est allé jusqu’au bout de ses possibilités, mais qu’il n’a pas réussi. Il y a cependant une autre façon d’entendre  » il a fait ce qu’il a pu « . Nous pouvons admirer que quelqu’un ait eu de la puissance, et qu’il l’ait dépensée toute entière. Alors, ce n’est pas son échec que nous considérons, mais son engagement dans l’action, sa résolution. Au fond, celui qui fait ce qu’il peut est un fort ! Ainsi, en tout cas, semble bien le penser Jésus, quand il s’adresse à Jacques et Jean, en leur disant:  » Pouvez-vous boire la coupe que, moi, je bois ou être plongés dans la plongée où, moi, je suis plongé ?  » Pourquoi serait-il étonné de les entendre lui répondre:  » Nous pouvons  » ? Pourquoi, nous autres, les soupçonnerions-nous de présomption ? En effet, si par la coupe et la plongée nous comprenons la souffrance et la mort, nous savons bien que tous boivent cette coupe et que tous, un jour, plongent! Mais il y a beaucoup plus ici! Il s’agit de  » la coupe que, moi, je bois « , de  » la plongée où, moi, je suis plongé « . Or, parce que moi, ici, désigne Jésus lui-même, pouvoir boire la coupe et pouvoir plonger, c’est non seulement souffrir et mourir, mais c’est aussi triompher de la souffrance et de la mort. Car, lorsque Jésus prend le plus dur de notre condition humaine, il ne la laisse pas comme il l’avait trouvée. Il la transforme. Sa venue, sa résidence et son passage parmi nous ouvrent une issue. Ainsi donc, Jacques et Jean n’avaient pas tellement tort de soutenir qu’ils pouvaient passer par où passait Jésus. Mais Jacques et Jean oubliaient – et ce n’est pas un mince oubli! – que, s’ils sortaient du passage où ils étaient entrés, ils en sortiraient comme Jésus, avec la puissance que Jésus lui–même recevait d’en sortir. Car la puissance de sortir de l’épreuve mortelle, après l’avoir acceptée et subie, Jésus ne la possède pas comme une force dont il serait le détenteur. Sa gloire lui est donnée, et il n’en est pas le maître. Dès lors, comment pourrait-il l’accorder ? C’est à un Autre que lui de le faire! C’est pourquoi Jacques et Jean s’abusaient quand ils disaient à Jésus:  » Donne-nous que nous soyons: assis dans ta gloire, l’un à ta droite et l’autre à gauche « . Jésus ne pouvait que leur répondre:  » D’être assis à ma droite ou à gauche, ce n’est pas à moi de le donner, mais pour qui cela est préparé.  » (cf. Marc 10, 35-40).

Dimanche 29 octobre 2000 30e dimanche du Temps Ordinaire – Année B

 » Je les rassemble  »

Rien n’est plus commun, dans nos vies, que le rassemblement. Il y a, certes, les regroupements, trop souvent lourds pour beaucoup, qu’imposent les nécessités du travail. Car il est bien rare qu’on travaille dans la solitude. Mais il y a aussi les fêtes et les célébrations, en famille, entre amis, à l’occasion des anniversaires heureux comme aux jours de deuil. On se presse alors autour d’une même personne, pour l’entourer, ou dans son souvenir. La reconnaissance, l’espérance, font un lien entre nous. On n’en finirait pas d’énumérer les moments où nous sommes ensemble, et souvent dans la joie et l’amitié. Ces moments ne rendent que plus insupportables les raisons que nous cherchons, et que nous trouvons souvent, pour nous unir dans la méfiance et pour nous opposer à d’autres, quand ce n’est pas pour détruire, au lieu de marcher fraternellement avec tous sur les routes de ce monde. En tout cas, le rassemblement est la figure que prend l’action du Seigneur dans notre histoire. C’est à ce signe que les croyants reconnaissent cette action, dans la foi.  » Me voici, je les fais venir de la terre du nord, Je les groupe du fin fond de la terre. Parmi eux, l’aveugle et le boiteux, La femme grosse et celle qui enfante, Réunis. En grande assemblée, ils retournent ici.  » (Jérémie, 31, 8 ). Dans ce rassemblement, il y a toute sorte de gens, des blessés comme aussi des porteurs d’espérance. Il y a n’importe qui. Tous n’ont en commun que d’être les uns avec les autres, rapprochés entre eux par le Seigneur. Ils n’ont plus peur, parce qu’ils sont ensemble et avec Lui. Et ils découvrent ensemble que c’est Lui qui les arrache à leurs larmes, qui les conduit, qui les nourrit.  » En pleurs il viendront Dans les supplications je les amènerai. Je les ferai aller vers les torrents d’eau, Sur une route droite où ils ne trébucheront pas . » (Jérémie, 31, 9a) Car le rassemblement est un chemin. En y avançant, comme des frères, nous apprenons à entendre la parole qui nous fait naître et renaître sans cesse, comme des fils :  » Oui, je suis pour Israël un père, Ephraïm est mon premier-né.  » (Jérémie, 31, 9b)

Dimanche 26 octobre 2003 – année B 30ème dimanche du temps ordinaire

L’aveugle qui mendie

Beaucoup de gens l’interpellaient vivement pour le faire taire, mais il criait de plus belle :  » Fils de David, aie pitié de moi !  » (Mc 10, 48) Nous ne supportons pas la mendicité. D’une certaine façon, nous avons bien raison. Elle est intolérable, mais pas toujours au sens que nous donnons à cet adjectif. Il se pourrait, en effet, que nous ne supportions pas nous-mêmes d’être des mendiants. Rassurez-vous donc. Je ne vais pas m’engager dans une analyse de la détresse économique et morale dans laquelle se trouvent plongés tant de nos contemporains, tant de nos frères. Je veux seulement, et c’est beaucoup, laisser leur cri nous instruire. Ils crient et, si nous y consentons, nous crions, nous aussi, avec eux et comme eux, parce qu’ils sont, parce que nous sommes aveugles. Que veux-tu que je fasse pour toi ? – Rabbouni, que je voie.  » (Mc 10, 51) Mais, je vous le demande gravement, voulons-nous voir ? Ou, plutôt, voulons-nous que quelqu’un, un autre que nous, nous fasse voir ? Voulons-nous que quelqu’un nous ouvre les yeux, pour que nous regardions le monde comme il est, et nous-mêmes comme nous sommes ? Bref, voulons-nous être lucides, par la grâce des autres, d’un Autre, qui est l’un des nôtres, notre maître ? Oui, il est insupportable d’être aveugle, mais il est peut-être plus insupportable de voir clair. Et, pourtant, si le bonheur, la santé ou, si vous préférez, le salut était dans la lucidité, la lucidité à tout prix, même au prix fort de la mendicité, acceptée non pour les autres, mais pour nous-mêmes ? Si nous devenions libres, libres de nos mouvements, au point d’envoyer promener tout ce qui nous entrave et de nous lancer en avant, parce que, en effet, quelqu’un nous appelle à la liberté que nous attendions ? Notre cri, c’est l’appel qui nous est adressé, il en est comme l’écho anticipé. Jésus s’arrête et dit :  » Approche « . On appelle donc l’aveugle, et on lui dit :  » Confiance, lève-toi ; il t’appelle.  » L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. (Mc 10, 49-50) Au fond, ce qui nous est insupportable, ce n’est peut-être ni d’être aveugle ni de mendier, mais de croire. La foi, qui nous sauve, nous hésitons à nous jeter en elle. Pourquoi donc ? Parce qu’elle est faite d’une demande qui nous fait hurler de détresse. Parce qu’elle est faite aussi de l’aveu que nous ne voyons pas clair et que nous en souffrons. Pourquoi donc nous refusons-nous à entrer dans la peau d’un aveugle, dans la peau d’un mendiant. ? Une chose est sûre : Et Jésus lui dit :  » Va, ta foi t’a sauvé.  » Aussitôt l’homme se mit à voir, et il suivait Jésus sur la route.  » (Mc 10, 52).

Dimanche 12 novembre 2000 32e dimanche du Temps Ordinaire – Année B

Dieu nous libère en nous jugeant

 » Et il disait dans son enseignement: `Regardez avec distance les scribes qui veulent circuler en robes et des salutations sur les places publiques, et les premiers sièges dans les synagogues et les premiers lits dans les dîners. ‘  » (Marc, 12, 38-39). Rien ne nous fait plus sourire que l’étalage de la vanité… chez les autres. Nous devrions aussi en sourire quand nous succombons nous-mêmes à ce travers. Mais, à vrai dire, il s’agit d’autre chose que d’une conduite déplacée. Notre désir de paraître mérite plus que notre sourire. Pourquoi donc ? En mettant notre plaisir à faire l’important, nous sommes gravement injustes envers nous-mêmes. Car, en pensant nous faire valoir, en réalité, nous nous déprécions. En effet, nous sommes appelés à ne pas arrêter notre désir d’exister à la satisfaction qui peut nous venir de la considération de la société. Notre désir d’exister a un autre interlocuteur. Même si nous hésitons à prononcer son nom, à le nommer Dieu, c’est à Lui qu’il s’adresse. Il est donc dérisoire de le diriger ailleurs. A vouloir être en vue nous apprenons du moins sur nous quelque chose d’important. Cette volonté révèle que nous avons peur de nous effondrer et que nous souffrons. Mais cette peur et cette souffrance ne sont pas guéries quand nous attendons d’être reconnus comme les meilleurs, comme les premiers ! Cette avidité n’est qu’un trompe-la-faim. Mais cette avidité devient une injustice insupportable quand nous nous donnons le change à nous-mêmes, en croyant rejoindre Dieu, obtenir sa faveur, par la prière par exemple, alors que nous sommes féroces envers les autres, lorsque nous vivons de leur détresse. Heureusement, Dieu nous délivre de tant d’illusion, de tant de misère, de tant de violence! En nous jugeant, Il nous rend à nous-mêmes, Il fait apparaître notre vérité. Car le jugement de Dieu est comme un crible infaillible qui ne laisse passer de nous que le meilleur et rejette toutes les scories. Contrairement à ce que nous pouvons imaginer, ce jugement ne nous détruit pas. Il nous purifie.

Dimanche 16 novembre 2003 33ème dimanche du Temps ordinaire – année B

Attendre Dieu dans la détresse du monde

Un bonheur indéfectible n’est assuré à personne. Qui d’entre nous n’a connu de ces périodes, parfois très longues, où toutes les lumières s’étaient éteintes, où la nuit s’étendait partout et sans cesse, où le désespoir l’emportait en nous ? En tout cas, personne ne peut fermer les yeux sur la détresse chronique dans laquelle se trouvent des multitudes de nos frères et de nos sœurs, ici même, dans notre pays, et hors de nos frontières. Le malheur est en nous et il est parmi nous. Quand le monde s’écroule ainsi au dedans de nous et autour de nous, c’est la figure humaine, la nôtre, celle des autres, qui s’efface. Il nous semble que toutes les valeurs auxquelles nous pouvions croire n’étaient, en fait, que des illusions, que nos engagements n’étaient que de vaines aspirations. Alors nous perdons foi en l’humanité elle-même. Dans ces conditions, comment pourrions-nous voir encore le Fils de l’homme venir sur les nuées avec grande puissance et grande gloire (Marc 13, 26) ? Comment pourrions-nous penser que Dieu se plaît à rassembler ceux qu’Il aime dans une immense communauté unanime, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel (Marc 13, 27) ? Ces interrogations et ces doutes nous habitent tous. Ils n’épargnent pas les croyants que nous sommes. Nous souffrons comme les autres et avec les autres. Peut-être même sommes-nous plus sensibles que d’autres à la douleur du monde. Pourquoi ? Mais parce que notre perception des épreuves de l’humanité est à la mesure de l’espérance qui est en nous, de l’attente qui soulève nos cœurs. Aussi accueillons-nous partout, comme des feuilles et des bourgeons, assurés d’un avenir, tous les signes annonciateurs d’une heureuse récolte, celle-là même qui est promise à tous les hôtes de cette terre. Que la comparaison du figuier vous instruise : Dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver tout cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte (Marc 13, 28-29). Ainsi la victoire sur le malheur du monde est-elle en train de mûrir dans notre foi, dans cette conversation interminable qui se poursuit en nous et entre nous, au milieu des épreuves, avec Celui qui ne cesse de nous dire : Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas (Marc 13, 30). Mais sommes-nous de ces croyants-là, de ceux qui veillent activement, dans la nuit, en prenant leur part de la peine de tous ? Avons-nous renoncé à la curiosité de savoir le jour et l’heure, portés tout entiers par la joie d’attendre, comme des fils, qui sont sûrs de la bonté du Père (cf. Marc 13, 32) ?

Les commentaires sont fermés.