Sur Mt 20, 1-16

Ne rien faire, n’avoir rien à faire, n’être embauché par personne, c’est là, pour chacun de nous, une très grande misère. Or, si vraiment nous croyons, si désoeuvrés que nous soyons du fait de notre condition, nous avons échappé à cette misère. Nous ne sommes pas oisifs. Nous sommes appliqués à une tâche. Le croyant est toujours à l’ouvrage.

Pourquoi en est-il ainsi ?

Parce que, tout au long de notre vie, jusqu’au fond des plus sévères épreuves et jusque dans les douleurs de l’abandon, notre foi est la révélation permanente, toujours neuve, d’une alliance dans laquelle nous existons pour toujours. Tout se passe, pour le croyant, comme s’il était un travailleur engagé en vertu d’un pacte, d’une convention justement établie et toujours fidèlement observée. Or, comme on va le voir, cette situation nous élève à une grandeur dont notre mesquinerie s’effraie.

Le Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui sortit de grand matin, afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il convint avec les ouvriers d’un denier pour la journée et les envoya à sa vigne.

Tout au long de la journée le propriétaire ne cesse de renouveler son embauche. Il fait tant et si bien que personne n’est resté sans emploi. Lui-même, il tient sa promesse, celle qu’il a faite à chacun de nous, la même pour tous. Ainsi l’alliance est-elle honorée.

Mais nous pouvons pervertir cette situation d’alliance, et cela non par notre paresse ou notre désinvolture mais par l’illusion dans laquelle se précipite notre coeur. C’est ce que nous faisons lorsque nous nous mettons à compter notre peine, à la comparer à celle des autres, à prétendre à plus qu’il n’a été convenu sous prétexte que nous avons travaillé davantage. Nous en venons là parce que disparaît en nous la belle et simple joie d’avoir été, comme tous les autres et avec eux, embauchés…pour la vigne. Au lieu de cette joie, partagée avec tous, voilà que monte en nous l’envie. Nous avons oublié que tous avaient été appelés à entrer dans une même alliance, que tous nous y étions effectivement entrés et qu’en cela consistait notre trésor, un trésor qui nous était commun.

Heureusement pour nous, en réponse à notre avarice de cœur, le maître est assez généreux et fidèle pour ne pas nous en punir. Il se contente de nous rappeler qu’il agit selon la justice et il nous invite à la partager. Mon ami, je ne te fais pas de tort. N’es-tu pas convenu avec moi d’un denier ? Emporte ce qui est à toi et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien, ou faut-il que ton œil soit mauvais parce que moi je suis bon ?

Oui, assurément, c’était une grande misère que de n’être pas embauché. Mais ce serait une plus grande misère encore que de refuser d’avoir part à l’universelle générosité qui fait la loi dans le Royaume des Cieux. Sous prétexte qu’en effet nous ne sommes que des humains, des êtres souvent très intéressés, oserons-nous ne pas honorer l’alliance dans laquelle nous avons été, gratuitement, introduits, ne chercherons-nous pas à la prolonger, dès à présent, les uns envers les autres ?

Guy LAFON

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