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Si Christ n'a pas été réveillé...

«S'il est proclamé que Christ a été réveillé d'entre des morts, comment certains parmi vous disent-ils qu'il n'y a pas de résurrection de morts ? Mais s'il n'y a pas de résurrection de morts, Christ non plus n'a pas été réveillé. Mais si Christ n'a pas été réveillé, alors vide notre proclamation, vide aussi votre foi. Il se trouve même que nous sommes de faux témoins de Dieu, parce que nous avons témoigné contre Dieu qu'il a réveillé le Christ, qu'il n'a pas réveillé, si de fait des morts ne sont pas réveillés. Si en effet des morts ne sont pas réveillés, Christ non plus n'a pas été réveillé. Mais si Christ n'a pas été réveillé, vaine votre foi, vous êtes encore dans vos péchés. Alors aussi ceux qui se sont endormis en Christ ont péri. Si nous [ne] sommes [que des gens] qui ont espéré dans cette vie-ci en Christ - [et cela] seulement -, nous sommes à plaindre plus que tous les hommes. Mais maintenant Christ a été réveillé d'entre des morts, prémices de ceux qui se sont endormis.»


1 Corinthiens XV, 12-20

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Devant  un passage comme celui que nous venons de traverser, nous éprouvons peut-être une certaine perplexité. Il est bon que nous l'exprimions et que nous en formulions brièvement la raison.

Nous entendons revenir sans cesse ce verbe "réveiller". A force de l'entendre, nous risquons de nous y perdre. Nous sentons bien qu'un raisonnement est à l'oeuvre mais ce raisonnement nous paraît tellement serré, tellement insistant, que nous avons de la peine à le suivre.

Quand nous avons reconnu cela, il faut, en face d'un passage comme celui-ci, non pas rendre les armes, mais au contraire oser courageusement l'attaquer. Nous risquons, si nous ne lisons pas attentivement, de penser que Paul se répète. Par exemple, il dit "si Christ n'a pas été réveillé, alors vide notre proclamation, vide aussi votre foi." Or nous lisons un peu plus bas, "Mais si Christ n'a pas été réveillé, vaine votre foi". Pour peu que nous lisions de près, nous sommes cependant avertis que ça n'est pas une pure répétition. En effet, Paul a commencé par dire "si Christ n'a pas été réveillé, alors vide notre proclamation, vide aussi votre foi." Lorsqu'il paraît redire la même chose, c'est autre chose qu'il dit : "vaine votre foi". Il ne dit pas "vide", mais "vaine" et puis il ajoute aussitôt autre chose : "vous êtes encore dans vos péchés."

Ne nous laissons donc pas impressionner par ce qui paraît répétitif. Au contraire, disons-nous : il faut épier le texte pour découvrir la vérité du message qu'il transmet.

J'ajoute encore à cette remarque quelques observations, pour nous acclimater à ce texte.

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Vous avez sans doute été frappés par le début de ce passage : "S'il est proclamé que Christ a été réveillé d'entre des morts, comment certains parmi vous disent-ils qu'il n'y a pas de résurrection de morts ?" En d'autres mots, dès le début, ce que Paul oppose, c'est un événement de parole, la proclamation que Christ a été réveillé d'entre des morts, et, d'autre part, un autre événement de parole : les propos que tiennent un certain nombre de gens.

Lorsque nous avançons, nous observons que ce n'est plus sur les propos tenus que porte la déclaration de Paul, mais sur l'événement lui-même. Ainsi, nous lisons : "s'il n'y a pas de résurrection de morts, Christ non plus n'a pas été réveillé." Ce passage par la réalité de l'événement est d'autant plus remarquable que, aussitôt après, on paraît l'oublier : "Mais si Christ n'a pas été réveillé, alors vide notre proclamation, vide aussi votre foi." On avait commencé par mettre en contraste ce que j'appelle deux événements de parole. Maintenant, on met en opposition, voire en contradiction un événement, le réveil du Christ, et, d'autre part, la proclamation que l'on en fait, qu'en fait celui qui parle, - "vide notre proclamation" -, et aussi quelque chose qui n'est pas sans rapport avec un événement de parole, à savoir, la foi que l'on accorde à ce que proclame quelqu'un : "vide aussi votre foi."

En avançant encore un peu plus, nous découvrons que le raisonnement de Paul continue à s'appuyer sur cette contradiction qu'il y aurait entre, d'un côté, un événement et, d'autre part, ce que lui et d'autres sont en train de faire : "Il se trouve même -- au cas où Christ n'a pas été réveillé - que nous sommes de faux témoins de Dieu". Pourquoi ? Mais parce que nous avons produit un événement de parole mensonger : "parce que nous avons témoigné contre Dieu qu'il a réveillé le Christ, qu'il n'a pas réveillé, - il faudrait lire : qu'en réalité il n'a pas réveillé - si de fait des morts ne sont pas réveillés."

Lorsque nous continuons à avancer dans le texte, nous observons que l'importance attachée à l'événement de parole s'estompe (pas tout à fait : je vais vous montrer comment elle demeure) et c'est la réalité elle-même qui, en quelque sorte, prend toute l'importance.

L'importance de l'événement de parole tend à disparaître sans s'effacer tout à fait. Lisons ce qui suit : "Si en effet des morts ne sont pas réveillés, Christ non plus n'a pas été réveillé." De nouveau nous voilà en pleine réalité. Or, aussitôt après : "Mais si Christ n'a pas été réveillé, vaine votre foi" : voilà que réapparaît ce que j'avais appelé tout à l'heure l'événement de parole, la foi. On ne parle plus de la proclamation, on parle de son effet d'adhésion, si je puis dire : "vaine votre foi". On ne parle plus que de ceux auxquels on s'adresse "vous êtes encore dans vos péchés". Celui qui parle leur déclare quelque chose qui les concerne et qui, à première vue, n'a pas grand rapport avec ce dont il les a entretenus jusqu'alors.

En tout cas, l'événement de parole s'atténue et même tend à disparaître comme objet du discours dans la fin du passage. Paul ne dit plus qu'il parle, ne parle plus de sa proclamation, ne parle plus de ce que des gens disent, ne parle plus même de la réception qui est faite par ceux auxquels il s'adresse. Il ne parle pas non plus de cet effet qu'il a mentionné, il y a un instant : "vous êtes encore dans vos péchés". Il parle tout court, si je puis dire. Il ne parle plus de sa parole mais pour dire ce que nous lisons dans les quatre dernières lignes : "Si nous [ne] sommes" - vous observerez comment il revient au "nous" - "[que des gens] qui ont espéré dans cette vie-ci en Christ - [et cela] seulement - nous sommes à plaindre plus que tous les hommes." Il dit quelque chose qui porte non sur l'état de ceux auxquels il s'adresse, comme il l'avait fait tout à l'heure ("vous êtes encore dans vos péchés"), mais sur nous, c'est-à-dire sur lui et sur eux. Il dit : "nous sommes à plaindre plus que tous les hommes." Enfin, tout se termine par cette affirmation, où nous voyons paraître un adverbe de temps : "Mais maintenant Christ a été réveillé d'entre des morts, prémices de ceux qui se sont endormis."

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Nous pouvons peut-être mieux entendre la portée de la déclaration finale, si nous la joignons aux tout premiers mots de ce passage.

"S'il est proclamé que Christ a été réveillé d'entre des morts, comment certains parmi vous disent-ils qu'il n'y a pas de résurrection de morts ?" Il y avait des gens pour dire, au vu de l'expérience qui était la leur : "il n'y a pas de résurrection des morts". De fait, ces gens, comme lui-même, Paul, ne voyaient pas de morts qui fussent ressuscités. Il n'y a pas de résurrection des morts : voilà une constatation que n'importe qui peut faire. Mais, sur la base de cette expérience commune à tous, la différence porte sur le fait que l'on proclame que Christ a été réveillé des morts.

Si donc Christ est proclamé comme ayant été  réveillé des morts, vous pouvez bien, dit Paul, vivre avec cette expérience, que je partage avec vous, qu'il n'y a pas de morts ressuscités sous nos yeux. Mais vous êtes du même coup invités à entendre ce que résurrection des morts signifie.  

Il y a bien eu "endormissement", entrée dans le sommeil de la mort, et ce sommeil de la mort est une réalité que personne ne peut contester. Donc on ne se trompe pas quand on dit qu'il n'y a pas de résurrection des morts, de gens sortis du sommeil de la mort qui soient sous nos yeux. Au point où nous en sommes, nous pouvons dire : Paul et les destinataires de sa lettre sont d'accord pour dire que les gens qui se sont endormis se sont bien endormis dans la mort et y restent. Vous ne voyez pas les endormis réveillés, ressuscités. Moi non plus ! Mais ce que je vous dis, ce que je proclame, ce à quoi vous croyez, c'est que le Christ a été réveillé d'entre des morts, après avoir été lui-même endormi, et il a été réveillé comme prémices de ceux qui se sont endormis. Or, ces prémices, vous les accueillez dans la foi que vous donnez à la prédication du message que nous vous annonçons. Le Christ a été réveillé, lui, et, si j'ose dire, le champ dans lequel son réveil est présent, et retentit, c'est la proclamation que nous en faisons et la foi que vous donnez à cette proclamation.

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Nous pouvons revenir sur les observations que nous faisions tout à l'heure. S'il est proclamé que le Christ a été réveillé, comment certains parmi vous peuvent-ils dire qu'il n'y a pas de résurrection de morts ? Est-ce que par hasard ils ne croiraient pas que notre parole est pleine de la résurrection du Christ ? Et quelle est la preuve de sa résurrection ? C'est la proclamation que nous en faisons. "Mais si Christ n'a pas été réveillé, alors vide notre proclamation" : notre proclamation n'est plus qu'une parole creuse, qui ne porte rien. Or notre parole n'est pas creuse, elle n'est pas vide, pas plus que la réponse que vous donnez à notre proclamation, votre foi.

Au fond, ce que Paul leur dit, c'est ceci : quand vous avez cru, vous avez accompli un acte qui consiste non pas à croire en nous, mais à croire en Dieu. Quand vous avez entendu dire ce que nous disions sur le Christ, sur sa mort et tout ce qui l'a suivie, vous avez réalisé avec Dieu un lien tel que pour vous, la mort était vaincue. En croyant en Dieu, vous avez cru en un Dieu qui ne peut que faire passer de la mort à la vie. Si c'est en Dieu que vous avez cru (ce n'est pas pour rien que le mot "Dieu" arrive là, vers le milieu de l'argumentation de Paul) vous ne pouviez que croire que ce Dieu fait passer de la mort à la vie, après que la mort a été effectivement accomplie.

Votre foi n'est pas pleine de la résurrection du Christ et de la vôtre comme d'un objet en lequel on croirait. Votre foi est pleine parce qu'elle est elle-même déjà l'acte de ressusciter. C'est par le fait même de croire que vous êtes passés de la mort à la vie.

"Mais si Christ n'a pas été réveillé, vaine votre foi" : vous pouvez vous dispenser de croire. Allez ! ne croyez plus ! Envoyez promener votre foi ! Mais alors vous êtes les mêmes que vous étiez auparavant : "vous êtes encore dans vos péchés". Vous n'êtes pas rétablis dans l'alliance avec Dieu car le lien avec Dieu ne peut avoir pour effet que de faire de vous des vivants.

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"Alors aussi ceux qui se sont endormis en Christ ont péri." Ce qui est dit des autres, qui sont déjà passés par la mort, peut se rabattre sur vous, auxquels je m'adresse, dit Paul, sur vous qui ne vous êtes pas encore endormis (mais ça va venir, car vous vous endormirez comme les autres, personne n'y échappe, tout le monde y passe). Vous-mêmes donc vous êtes voués à périr purement et simplement, alors que pourtant, par votre foi, si du moins vous croyez, vous êtes entrés dans un monde où la mort est vaincue.

"Si nous [ne] sommes [que des gens] qui ont espéré dans cette vie-ci en Christ - [et cela] seulement -, nous sommes à plaindre plus que tous les hommes." Pourquoi ? Non pas pour avoir espéré ! Nous sommes à plaindre plus que tous les hommes si nous ne sommes que des gens qui ont, dans cette vie-ci, espéré en Christ, et cela seulement, autrement dit si notre espérance n'était pas prégnante de la résurrection.

En somme, on peut s'interroger et dire : la mort est-elle sans suite naturelle ? La réponse de Paul est claire : oui ! la mort est sans suite naturelle. Mais la mort n'est pas sans antécédent.

La mort est sans suite naturelle, pour tout le monde, sans suite naturelle qui soit homogène à la vie. Mais elle n'est pas sans un antécédent qui, lui, n'est pas naturel, qui tient à la foi que nous donnons à la proclamation de la résurrection de Jésus-Christ. Ainsi, la mort est sans suite naturelle. Mais elle n'est pas sans antécédent théologal. La mort, quand elle arrive, est en quelque sorte minée du dedans d'elle-même par cet antécédent qu'est la foi donnée à l'alliance proclamée de Dieu avec les hommes.

12 février 1998

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