Pas un ne t'a condamnée ?
«Jésus s'en alla au mont des Oliviers. Mais, à l'aurore, il se présenta de nouveau dans le Temple. Et tout le peuple venait vers lui, et s'étant assis, il les enseignait. Les scribes et les Pharisiens lui amènent une femme surprise en adultère et, l'ayant placée au milieu, ils lui disent : «Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a commandé de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu ?» Ils disaient cela pour le mettre à l'épreuve, afin d'avoir à l'accuser. Mais Jésus, s'étant baissé, écrivait du doigt sur le sol. Comme ils persistaient à l'interroger, il se redressa et leur dit : «Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre.» Et de nouveau, s'étant baissé, il écrivait sur le sol. Quand ils eurent entendu, ils se retiraient un à un en commençant par les plus vieux, et il fut laissé seul, et la femme était au milieu. S'étant redressé, Jésus lui dit : «Femme, où sont-ils ? Pas un ne t'a condamnée ?» Elle dit : «Pas un, Seigneur.» Et Jésus dit : «Moi non plus, je ne te condamne pas. Va ; désormais ne pèche plus».»
Jésus dit aux hommes qui étaient là : «Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre». Celui d'entre vous, non pas celui d'entre nous. Déjà, il se met à part. Or, puisque tous s'en vont, c'est sans doute que pas un seul d'entre eux n'est sans péché. Mais, puisqu'il reste, lui seul, est-ce qu'il est sans péché ? On peut le penser, même s'il a dit : «celui d'entre vous». Mais il reste, et, puisqu'il est le seul à rester, qu'il soit ou qu'il ne soit pas sans péché, sera-t-il le premier à lancer la pierre ? Sera-t-il le premier à condamner ? Que va-t-il faire ?
*
Nous apprenons ceci, à la fin, «S'étant redressé, Jésus lui dit : "Femme, où sont-ils ? Pas un ne t'a condamnée ?" Elle dit : "Pas un, Seigneur." Et Jésus dit : "Moi non plus, je ne te condamne pas. Va ; désormais ne pèche plus."» Ainsi, par un côté, il les imite, il fait comme eux, il ne condamne pas. Mais, par un autre côté, il n'est pas comme eux, puisqu'il reste. On peut dire les choses autrement : ces hommes font comme lui, comme lui fera. Ils ne condamnent pas alors que, pourtant, ils déclarent, par leur conduite, qu'ils ne sont pas comme lui, puisqu'ils s'en vont et que lui reste.
En somme, dans cette histoire, nous voyons qu'il y a des gens qui accèdent à la même conduite que Jésus : comme lui, ils ne condamnent pas. Mais la différence entre eux et lui est maintenue. Ils partent alors qu'il reste. Tout se passe comme si Jésus, qui est là en position d'enseignant - «s'étant assis, il les enseignait» - pratiquait un enseignement en acte. Jésus est en train de libérer ces hommes d'avoir à condamner. Il leur fait passer ce qui est son propre, ce qui est à lui : ne pas condamner.
*
Il reste, oui, mais il reste comme celui qui est le dernier : il est laissé seul. «Quand ils eurent entendu, ils se retiraient un à un en commençant par les plus vieux, et il fut laissé seul». On voudrait nous dire qu'il est peut-être le plus jeune, on ne pourrait pas s'y prendre mieux. Les autres s'en vont, à la queue leu leu, lui, il reste seul. Faut-il en être si surpris ? Il était venu «à l'aurore» se présenter «de nouveau» - de nouveau ! tiens ! - dans le Temple, une nouvelle fois. Au fond, ce dernier, ce dernier venu, il est dans l'histoire, il est dans la série des âges, mais plus ancien que l'ancien, plus ancien que Moïse lui-même. Il a l'âge de la terre, du sol. Plus ancien que Moïse, il écrit sur le sol.
Mais après avoir écrit, le voilà qui dit quelque chose, et quelque chose qui ne contredit pas Moïse, mais qui est neuf. Sur la loi elle-même il ne dit rien. Mais, quand il s'agit de passer à l'acte, d'appliquer la loi, il dit ce que nous l'entendons dire. Au fond, il demande à ses interlocuteurs s'ils sont capables d'appliquer la loi, s'ils ont l'aptitude indispensable à son application. Car, pour l'appliquer, il faut être sans péché.
*
La loi commandait de supprimer le péché, sans doute, mais la loi commandait de supprimer le péché en tuant. Or si l'on tue en obéissant à la loi, a-t-on supprimé le péché ?
«Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a commandé de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu ?» Ce qu'il dit, c'est que la mort infligée comme peine ne peut pas supprimer le péché car ce serait aller du pareil au même. Il y a donc une loi plus fondamentale que la loi de Moïse. Ainsi, avant de sauver cette femme, il les sauve. Il les sauve de s'imaginer qu'en lapidant cette femme, ils évacuaient le péché. Mais, évidemment, en même temps il leur découvre, et il nous découvre, que nous appartenons tous, sans exception, à un monde de péché.
Oui, nous sommes dans un monde où tous nous sommes pécheurs. Mais, en même temps que nous découvrons cela, nous sommes appelés à en sortir. Revenons à la déclaration de Jésus. Elle est d'une extrême densité, d'une extrême simplicité aussi : «Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre.» N'est-ce pas assez dire, la suite va le montrer, que, si pas un n'est sans péché, en même temps un chemin est tracé qui détourne de rester dans le péché ? S'ils partent, sans doute nous faut-il entendre cette manière de déguerpir comme la façon qu'ils ont de prendre la voie du salut. Jésus les tire d'un mauvais pas. Il les sauve !
Qui était mis à l'épreuve ? «Ils disaient cela pour le mettre à l'épreuve, afin d'avoir à l'accuser.» La situation s'est retournée. Il y a bien une mise à l'épreuve. Y a-t-il une accusation ? Qui accuse qui ? Eux-mêmes s'accusent, puisqu'ils partent. Mais, puisqu'ils partent, tout est sauf.
*
Il reste que le péché contre lequel ces hommes s'élevaient est à prendre en compte. «Les scribes et les Pharisiens lui amènent une femme surprise en adultère... "Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère".» Il nous reste à comprendre pourquoi cette faute mérite la suppression de son auteur. Pourquoi ce péché-là exige-t-il que le coupable soit lapidé ?
L'adultère, c'est le péché qui porte atteinte à l'union, le péché qui rompt le pacte, le péché qui brise l'alliance. Comme on comprend que la Loi - la Loi qui est là pour allier les hommes entre eux, les hommes et les femmes -, comme on comprend que la Loi rencontre dans l'adultère quelque chose comme son contraire, comme la face inversée de ce qu'elle est ! Imaginerions-nous une loi qui commanderait l'adultère ? Une telle loi serait en contradiction même avec ce qu'est une loi. Donc, ce péché n'était pas indifférent, tant s'en faut.
*
Avez-vous observé comment toute cette petite histoire commence ? Par quelques notations que nous serions tentés, un peu légèrement, de considérer comme du bourrage, du tissu conjonctif : «Jésus s'en alla au mont des Oliviers. Mais, à l'aurore, il se présenta de nouveau dans le Temple. Et tout le peuple venait vers lui, et s'étant assis, il les enseignait.» Jésus vient d'ailleurs, presque de la campagne, et entre dans le Temple, et dans le Temple, là où le sacré est déjà institué, défini, codifié, il introduit comme un nouveau droit, comme un nouveau sacré. Et ce qu'il va dire, il le dit pour tout le monde, pour n'importe qui, pour tous ceux qui viennent et, en venant, font peuple autour de lui. «Et tout le peuple venait vers lui» : le peuple, celui qui est maintenu, lié par une loi. Tout le peuple vient vers lui et le peuple reçoit de lui la manière d'appliquer la loi.
*
Soyons sensibles encore à quelques petits détails : «Jésus, s'étant baissé, écrivait du doigt sur le sol... il se redressa et leur dit... Et de nouveau, s'étant baissé, il écrivait sur le sol... S'étant redressé, Jésus lui dit».
Il ne se baisse pas pour prendre une pierre. Il se baisse, il s'abaisse, il touche terre et il se redresse, et il se redresse encore lorsqu'il parle à la femme : «s'étant redressé, Jésus lui dit». Jésus lui dit, mais il dirige vers elle une question comme pour recevoir d'elle en réponse la révélation qu'il lui apporte. Jésus lui dit : «Femme, où sont-ils ? Pas un ne t'a condamnée ?» «Pas un, Seigneur»'', (les autres l'avaient appelé «''Maître», elle l'appelle «Seigneur»). Eh bien, «Moi non plus, je ne te condamne pas». Donc, toi aussi, tu peux t'en aller. Ils sont partis, elle aussi, elle peut partir. Ils avaient trouvé un chemin grâce à la parole de Jésus. Elle aussi, la voilà qui a un chemin, elle peut aller. «Va et désormais» non pas : tu ne pècheras plus, mais «désormais ne pèche plus».
Ne pèche plus, mais non pas parce que, si tu pèches, tu seras lapidée. Ne pèche plus, parce que tu as été sauvée de la lapidation. Ne pèche plus, en te réjouissant de n'avoir pas été condamnée, et non seulement par ceux qui sont partis, convaincus d'être incapables de te condamner, sauf à se condamner eux-mêmes, mais surtout par celui qui est resté. Pas plus qu'eux il ne te condamne. Non point parce qu'il y renonce, alors qu'il le pourrait, mais parce qu'il libère ceux qui condamneraient : en leur faisant reconnaître leur péché, il les libère de l'obligation de condamner la pécheresse, et aussi, sans doute, de la condamnation qu'ils porteraient contre les pécheurs qu'ils sont. Comment condamnerait-il lui-même ? C'est sur fonds de grâce que tu es appelée à aller et à ne plus pécher, non sur fonds de crainte d'être condamnée.
De grâce ? Oui, mais non pas de cette grâce qu'on accorde au coupable que l'on gracie, en passant outre la condamnation qu'il mériterait et qu'il a encourue. De cette grâce donnée par celui qui, sans rien méconnaître de la gravité de la faute commise, aime trop le pécheur pour le détruire.