Toute écriture est soufflée par Dieu
«Toi, demeure en ce que tu as appris et dont tu as acquis la certitude : tu connais de qui tu as appris, et que depuis la plus tendre enfance tu connais des écrits sacrés, qui peuvent te rendre sage pour le salut, par la foi qui est en Christ Jésus. Toute écriture est soufflée par Dieu et utile pour enseigner, pour convaincre, pour redresser, pour éduquer dans la justice, afin que l'homme de Dieu soit apte, adapté à toute oeuvre bonne. Je l'atteste à la face de Dieu et de Christ Jésus, qui va juger vivants et morts, et par son apparition et son règne : proclame la parole, interviens à temps, à contretemps, convaincs, réprimande, exhorte, en toute longanimité dans l'enseignement.»
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Deux mots vont revenir fréquemment dans le commentaire que je vais vous proposer. Aussi, je voudrais m'expliquer très simplement sur ces deux mots avant d'entreprendre la lecture attentive de ces quelques versets. C'est, d'une part, le mot de nature et, d'autre part, le mot de culture.
La nature, comme le mot l'indique, nous renvoie à l'état de notre naissance. Nous entendons encore le mot naître dans "nature".
En revanche, la culture, c'est ce qui est venu s'ajouter à la nature. La nature n'est pas traitée. La culture est le traitement que l'on ajoute à ce qui est déjà là, seulement né. La culture, c'est la nature traitée, c'est ce qui était sauvage et qui est devenu policé, civilisé, même si, nous le savons, la culture peut être cruelle.
Ces deux termes vont nous servir pour lire ce texte.
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Nous pouvons avancer une première affirmation : nul ne naît avec la foi. Celle-ci n'est pas une affaire de naissance, de nature, comme on naît avec des bras, des yeux, avec aussi des capacités, comme sont nos cinq sens.
"Toi, demeure en ce que tu as appris et dont tu as acquis la certitude". La nature ignore l'apprentissage, elle ne connaît pas de certitude. Apprendre, devenir certain de quelque chose, nous y sommes tellement habitués que nous oublions que ce n'est possible qu'à ceux qui ont été cultivés.
Nul ne naît avec la foi. Pourtant, la foi est et n'est pas affaire de culture.
En quel sens la foi est-elle affaire de culture ? Elle l'est pour autant qu'elle apparaît à l'intérieur d'une tradition d'humanité dans laquelle on apprend, dans laquelle on connaît, dans laquelle nous parvenons à un certain savoir, parce que nous avons reçu un certain enseignement d'autres hommes qui nous ont précédés. Plus précisément, à l'intérieur d'une tradition d'humanité, la foi est en rapport avec une certaine écriture qui est là comme le signe qu'il y a eu passage de l'état naturel à l'état de culture.
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Maintenant nous pouvons lire les toutes premières lignes de ce texte. "Tu connais de qui tu as appris, et que depuis la plus tendre enfance - donc, tu n'étais pas né avec - tu connais des écrits sacrés, qui peuvent te rendre sage pour le salut, par la foi qui est en Christ Jésus." Ainsi, par tous les traits que nous venons de reconnaître, la foi apparaît comme affaire de culture.
Je vous disais tout à l'heure que la foi est et n'est pas affaire de culture. Nous venons de voir en quel sens elle l'est. Essayons de préciser en quel sens elle ne l'est pas.
Elle n'est pas affaire de culture parce que, à l'intérieur d'une certaine culture, la foi surgit comme un événement. Elle n'est donc pas affaire de culture, non pas parce que la foi sortirait de la culture, mais parce que, dans cette culture, un événement apparaît, la foi, et pas n'importe laquelle : la foi qui est en Christ Jésus. Voilà autant de notations qui nous renvoient à l'histoire. Nous nous trouvons en face de deux noms propres : Christ et Jésus. "Tu connais des écrits sacrés, qui peuvent te rendre sage pour le salut, par la foi qui est en Christ Jésus".
Bref, la foi, étrangère à toute nature apparaît comme intérieure à la culture et, dans cette culture, elle est un événement, mais un événement qui suppose cette culture, une référence à des écrits, mais qui dépassent cette culture.
Disons les choses autrement : la foi, pour s'exprimer, pour apparaître, utilise la culture, qu'elle suppose et qu'elle dépasse. Parce que la foi ne va pas sans une certaine référence à une culture, manifestée dans des écrits, à cause de cela il y a une communauté croyante. Car des écrits permettent de créer une communauté de lecteurs qui n'a rien de commun avec une communauté naturelle.
Cette communauté se développe à la faveur d'une conversation ininterrompue. C'est vers la fin du texte que je vous invite à vous reporter : "proclame la parole, interviens à temps, à contretemps, convaincs, réprimande, exhorte, en toute longanimité dans l'enseignement." Nous étions préparés à entendre cela puisque aussi bien, au milieu du texte, nous avions appris que "toute écriture est soufflée par Dieu et utile pour enseigner, pour convaincre, pour redresser, pour éduquer dans la justice, afin que l'homme de Dieu soit apte, adapté à toute oeuvre bonne". Cette conversation est un débat. Celui-ci permet que vienne à l'existence un certain type humain : l'homme de Dieu. Quant au terme d'oeuvre, voilà encore un terme qui convient à un monde cultivé : des oeuvres, il ne s'en produit que dans la culture ; dans la nature, il n'y a que des productions. En revanche, une fois franchi le seuil de la culture, peuvent exister des oeuvres, et même des oeuvres bonnes.
Ainsi se forme l'homme de la foi. Mais je pourrais aussi bien l'appeler l'homme de Dieu. Pourquoi je peux hésiter entre l'homme de la foi ou l'homme de Dieu ? Parce que j'ai lu tout à l'heure, "des écrits sacrés, qui peuvent te rendre sage pour le salut, par la foi qui est en Christ Jésus." Donc ces écrits sont là, tout prêts à faire de celui qui les a reçus, appris, qui les lit, quelqu'un de sage et qui va, par cette sagesse, se sauver, en vertu de la foi qu'il a en Christ Jésus. Donc, je peux l'appeler l'homme de la foi, mais je peux aussi l'appeler, plus fidèle au texte, l'homme de Dieu. J'entends par là que cet homme de Dieu se prépare à actualiser son rapport à Dieu dans une oeuvre qu'il va produire et qui est son existence même : "afin que l'homme de Dieu soit apte, adapté à toute oeuvre bonne."
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Revenons encore sur certains aspects que j'ai délibérément laissés de côté dans ce premier accès au texte.
Cette écriture est qualifiée de sacrée : "tu connais des écrits sacrés". Ce terme est encore commenté un peu plus bas, d'une façon d'ailleurs très énigmatique : "Toute écriture est soufflée par Dieu". Nous avons oublié qu'inspirer veut dire souffler. En d'autres mots, dès qu'il y a de l'écrit, non seulement il n'y a plus seulement la nature, mais quelque chose d'autre : toute écriture est soufflée, et par Dieu, comme un mot est soufflé à quelqu'un quand on souffle à son voisin ou encore, si vous préférez, comme une voile est soufflée, quand le vent la gonfle.
L'écriture n'est pas ici traitée en fonction de ce à quoi elle renvoie, de ce dont elle parle. Car l'écriture ne parle pas, l'écriture n'est pas la parole. Mais toute écriture est soufflée par Dieu.
En d'autres mots, l'écriture attend qu'on la prenne (l'apprenne) et c'est en la prenant (l'apprenant) - "Tu as appris... demeure en ce que tu as appris et dont tu as acquis la certitude" - qu'on a été transformé en un homme de Dieu. "Toute écriture est soufflée par Dieu... afin que l'homme de Dieu soit apte, adapté à toute oeuvre bonne."
Quelle conception nous est présentée ici de la lecture ! Nous sommes à mille lieues d'une lecture entendue comme une information, qui nous ferait connaître des choses. Ou, plutôt, si, par l'écriture, nous apprenons quelque chose, c'est pour que, par ces choses que nous apprenons, nous soyons nous-mêmes transformés.
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Avançons encore ! "Qui peuvent te rendre sage pour le salut, par la foi qui est en Christ Jésus." Or, un peu plus bas, nous voyons revenir, non pas la foi, mais Christ Jésus : "Je l'atteste à la face de Dieu et de Christ Jésus, qui va juger vivants et morts, et par son apparition et son règne".
Il suffit d'être né pour être un vivant et pour mourir. Les êtres de la nature vivent et meurent. Mais le jugement ne s'adresse qu'à des gens qui ne sont pas seulement des vivants, potentiellement capables de mourir. Le jugement, qui est d'ailleurs rattaché à Christ Jésus, est une autre façon d'entendre ce qui se passe lorsque l'homme de Dieu accède "à la foi qui est en Christ Jésus".
Quel est le sujet de cette conversation ininterrompue, que l'homme de Dieu poursuit, sur la base d'une écriture, et donc avec d'autres qui, comme lui, lisent l'écriture ? Le sujet de la conversation, c'est, comme vous voudrez, ou le salut, ou le jugement. Mais le salut et le jugement sont deux manières de dire la même chose. Ceux qui lisent et qui lisent à la foi ces écrits, en attendent, pour tout de suite, que se réalise, dans l'oeuvre bonne à laquelle ils vont être adaptés, dès à présent, dans cette existence temporelle, le salut. Ils en attendent de se sauver dans une oeuvre bonne. Quand on est sauvé, on est sain est sauf, on n'est pas condamné. Donc, le jugement que nous attachons à l'apparition et au règne de Christ Jésus, est déjà là, présent, dans la foi que notre entretien ininterrompu à partir de l'écriture fait surgir en nous et entre nous.
Sans doute, ce sera une conversation vive, animée, et nous en avons un témoignage dans la fin : "proclame la parole, interviens à temps, à contretemps, convaincs, réprimande, exhorte, en toute longanimité dans l'enseignement." Si l'écriture est donnée pour croire et, finalement, pour que nous existions sauvés, il faut qu'elle devienne une écriture vive, et elle ne le devient que lorsqu'elle cesse d'être une écriture, lorsqu'elle devient une parole. L'écriture, d'une certaine façon, dort toujours, avec ce souffle de Dieu qui est en elle, mais ce souffle de Dieu ne se manifeste que lorsque l'écriture est parlée, dans le débat de la conversation.
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En définitive, il s'agit de mettre l'homme, qui est homme de Dieu, à la hauteur du souffle. Or, il est à la hauteur du souffle quand il assimile toute son existence à l'écriture, qui est soufflée par Dieu. Et cet homme montre qu'il est bien homme de Dieu, qu'il est bien homme de la foi, quand il exprime en des oeuvres bonnes ce qu'il est devenu par le souffle qui est passé de l'écriture jusqu'en lui, et il y est passé toujours à la faveur d'une conversation, d'un entretien avec d'autres, où c'est à qui interviendra, convaincra, réprimandera, exhortera tout en restant d'ailleurs longanime !