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 Me voici 


«Oui, ainsi dit IHVH:
"Jubilez de joie pour Jacob,
Hennissez en tête des nations,
Faites entendre, louangez et dites:
"IHVH a sauvé son peuple,
Le reste d’Israël:
Me voici, je les fais venir de la terre du nord,
Je les groupe du fin fond de la terre.
Parmi eux, l’aveugle et le boiteux,
La femme grosse et celle qui enfante,
Réunis.
En grande assemblée, ils retournent ici,
En pleurs ils viendront,
Dans les supplications, je les amènerai.
Je les ferai aller vers des torrents d’eaux,
Sur une route droite où ils ne trébucheront pas.
Oui, je suis pour Israël un père,
Ephraïm est mon premier-né.''»


Jeremie XXXI, 7-9

En revanche, au début de ce texte, nous sommes devant un entrelacement de voix. Il y a la voix de celui qui parle, à savoir celui qui prononce ce texte. C’est un autre que le Seigneur qui parle, puisque aussi bien il dit «Oui, ainsi dit IHVH». Mais nous observons aussitôt que la voix qui parle, la vôtre, la mienne, porte en elle la parole d’un autre, un peu à la façon de l’air qui porte le vol de l’oiseau. L’oiseau vole, sans doute, mais il ne volerait pas s’il n’était supporté par l’air. C’est un peu ce qui se passe ici: «Oui, ainsi dit IHVH: "Jubilez de joie pour Jacob, hennissez en tête des nations, faites entendre, louangez et dites. C’est le Seigneur qui dit cela, mais ce message ne serait pas porté, s’il n’y avait la parole de celui qui s’exprime ici.

On en vient à un moment où ce que dit le Seigneur est un ordre de dire: «faites entendre, louangez et dites». A ce moment-là, le Seigneur parle de lui-même, mais toujours dans la voix de celui qui parle ici. Il parle de lui-même, le Seigneur, à la troisième personne si je puis dire, «IHVH a sauvé son peuple, le reste d’Israël», mais c’est aussi, bien sûr, celui qui porte la parole du Seigneur qui le dit, qui le reconnaît.

*

Quelqu’un parle à la première personne et pour dire qu’il est là: «me voici !» Pour dire aussitôt ce qu’il fait: «je les fais venir de la terre du nord, je les groupe du fin fond de la terre». Celui qui affirme sa présence: «me voici» déclare donc aussitôt ce à quoi il s’emploie: à aller chercher des gens au plus loin : «Me voici, je les fais venir de la terre du nord». Cette terre du nord est commentée comme ce qu’il y a de plus loin, le «fin fond de la terre». Enfin, celui qui dit «je» ne fait pas seulement venir, il fait venir en groupant.

Ainsi, une pensée est en train de se construire, la pensée d’une présence («me voici»), d’une présence active, qui fait venir, mais qui fait venir d’une certaine façon, en rassemblant, en réunissant. Au beau milieu de ce passage, c’est sur cette réunion que l’insistance est portée. Non seulement ceux dont on parle viennent de loin, du fin fond de la terre, mais ils viennent ensemble et sans la moindre homogénéité. Ce qu’ils ont de commun, c’est d’être pris du plus loin et d’être rassemblés.

«Parmi eux», qu’y a-t-il? «l’aveugle et le boiteux», ceux qui sont blessés, ceux auxquels manque une certaine intégrité, qui sont atteints dans leur corps. Mais, parmi eux, il y a aussi des porte-espoir: «la femme grosse et celle qui enfante ». Rassemblement hétéroclite, composé de personnes qui sont en déficience, et aussi d’autres, qui portent en elles la naissance d’un temps: la femme grosse et celle qui enfante témoignent de quelque chose qui va arriver, ou qui vient d’arriver.

Ce passage central se termine par cette affirmation: «En grande assemblée, ils retournent ici». Le rassemblement est mis en valeur. Sans doute, ils reviennent, mais ils reviennent «ici», et quand nous disons «ici», nous ne disons pas «là». Dire ici, c’est équivalemment désigner le lieu qu’occupe celui qui parle. «Me voici…»: voilà comment il avait commencé par s’exprimer. Or, «ils retournent ici».

Tout ce passage que nous venons de lire est au présent, comme si les événements mentionnés étaient contemporains de ce «je» qui parle. Ils sont les effets de ce «je». Il parle de ce qu’il fait et il en parle au présent, comme si son action ne se séparait pas de sa présence: «me voici… ils retournent ici».

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Autre chose marque la fin de ce passage. « En pleurs ils viendront, dans les supplications, je les amènerai ». Ce retour ici ne va pas de soi pour ceux qui en sont les bénéficiaires. Ils viennent dans la tristesse.

Mais, «Je les ferai aller vers des torrents d’eaux, sur une route droite où ils ne trébucheront pas.» La pensée du rassemblement, élaborée dans les paroles précédentes, est oubliée. Elle n’est plus mentionnée. Ce qui s’exprime, c’est la venue et l’accès, l’arrivée vers un ici, qui est nourrissant. Non pas des larmes, mais «des torrents d’eaux». Ils sont sur une route où il n’y a pas de danger, où ils peuvent avancer.

Nous voyons comment ce rassemblement, affirmé vers le milieu du texte, s’épanouit en un retour qui sauve, qui va permettre d’avancer. Nous voyons s’esquisser la pensée suivante, qui est forte: peut-être ne peut-on avancer qu’en étant rassemblé, ne peut-on aller, venir qu’en étant réuni, parce que le rassemblement et la réunion sont une véritable source, l’équivalent d’une route droite, «sur une route droite où ils ne trébucheront pas».

L’exercice pratiqué du rassemblement conduit à prononcer cette''''confession de foi: «Oui, je suis pour Israël un père, Ephraïm est mon premier-né.» Ainsi s’affirme la paternité de celui qui parle, à partir de la fraternité qu’il institue. C’est une expérience d’avant-garde. «Ephraïm est mon premier-né.» Nous étions d’ailleurs invités à entendre tout ce qui allait être écrit, lu et accepté, comme une exploration: «hennissez en tête des nations», hennissez, comme le cheval, mais «en tête», «faites entendre, louangez et dites: "IHVH a sauvé son peuple, le reste d’Israël''". En d’autres mots, ce qui est vécu est une expérience-témoin. «''Le reste d’Israël»: il suffit qu’il en reste pour que soit affirmé le salut d’un ensemble que le Seigneur regarde comme son peuple.

*

Je reviens maintenant sur ce qui se passe dans le début de ce texte. Je vous avais fait observer qu’il y avait une voix, celle qui parle, et qui porte en elle la parole d’un autre. Mais elle porte aussi le consentement à cette parole. Or, il est insuffisant de dire que cette parole d’un autre est écoutée. Ce qui est dit, c’est plutôt «faites entendre», comme si, faire entendre, pour celui qui porte la parole du Seigneur, c’était cela écouter la parole du Seigneur. On a l’impression que l’écoute est relayée par la prise de parole de ceux qui parlent ici. «Faites entendre, louangez et dites».

Que doivent-ils dire? «IHVH a sauvé son peuple» Ils ont à énoncer l’événement d’un salut. Or, nous avons vu en quoi consiste ce salut. Le salut passe par un retour de gens rassemblés, réunis, quels qu’ils soient. C’est l’assemblée qui est l’expression du salut. «Je les groupe... En grande assemblée, ils retournent ici».

Ce thème d’un retour avec rassemblement de ceux qui reviennent, rejoint le motif du texte. Ce qui meut le texte, ce qui lui donne son départ, c’est cet enlacement de deux voix: la voix de celui qui prononce le texte et qui est le porte-voix d’un autre. Le motif est l’entrelacement de la voix du Seigneur et de celui qui ne l’écoute qu’en la répercutant. Audition qui est une répercussion. Ce motif trouve son thème ensuite. Le thème parle de ceux qui sont pris au plus loin et réunis. Il illustre le motif que nous avons entendu résonner dans les premières lignes. Dans les premières lignes, de quoi est-il question? De la présence de la parole du Seigneur dans la parole de celui qui ne l’écoute qu’en la répercutant, et donc en parlant, non pas à son compte, mais à son tour.

26 octobre 2000

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