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« C’est l’humble qui crie, et IHVH écoute et le sauve »


(1) De David quand il se changea le sens
à la face d’Abimélech, qui le chassa, et il s’en alla.

(2) Je bénirai IHVH en tout temps,
Sa louange constamment en ma bouche.
(3) En IHVH mon âme se loue :
Que les humbles écoutent et qu’ils se réjouissent !
(4) Magnifiez IHVH avec moi,
Et exaltons ensemble son nom !
(5) J’ai cherché IHVH et il m’a répondu,
De toutes mes terreurs il m’a délivré.
(6) Ils le regardent, et ils brillent,
Et leurs faces ne rougiront pas.
(7) C’est un humble qui crie, et IHVH écoute
Et le sauve de toutes ses angoisses.
(8) Le messager de IHVH campe autour de ceux qui le craignent
Et il les arrache.
(9) Sentez et voyez, oui, quel bien est IHVH !
En marche, le brave qui s’abrite en lui !
(10) Craignez IHVH, ses saints,
Oui, pour ceux qui le craignent, pas de manque !
(11) Les lionceaux sont dans le besoin, ils ont faim :
Ceux qui cherchent IHVH ne manquent d’aucun bien.
(12) Allez, fils, écoutez-moi :
Je vous enseignerai la crainte de IHVH.
(13) Quel est l’homme qui désire la vie,
Qui aime les jours, pour voir le bien ?
(14) Préserve ta langue du mal
Et tes lèvres du parler de tromperie !
(15) Sors du mal et fais le bien,
Demande la paix et poursuis-la !
(16) Les yeux de IHVH vers les justes,
Et ses oreilles vers leur plainte.
(17) La face de IHVH sur les malfaisants,
Pour retrancher de la terre leur souvenir.
(18) Ils criaillent et IHVH écoute,
De toutes leurs angoisses il les délivre.
(19) Proche IHVH pour les cœurs brisés,
Il sauve les souffles écrasés.
(20) Nombreux les maux du juste,
Mais d’eux tous IHVH le délivre.
(21) Il garde tous ses os,
Pas un d’entre eux n’est brisé.
(22) Le mal fait mourir le méchant,
Et ceux qui haïssent le juste sont châtiés.
(23) IHVH rachète l’âme de ses serviteurs,
Et pas un de tous ceux qui s’abritent en lui n’est châtié !


Psaume XXXIV

Une expérience qui qualifie pour parler

Bénir, louer, magnifier, exalter, tous ces actes ont ceci en commun de venir comme des réponses. Quel que soit le sens de ces verbes dans le dictionnaire, en eux s’expriment ici des actes de parole qui sont des réactions à un événement. Ils en sont la suite, ils sont l’effet en lequel cet événement se prolonge autrement qu’il ne s’est produit et donc se transforme.

En quoi donc a consisté l’événement initial ?

Il s’énonce en trois moments qui se succèdent et s’enchaînent l’un l’autre :


J’ai cherché IHVH et il m’a répondu,
De toutes mes terreurs il m’a délivré.

Cette séquence unit deux intervenants, moi et IHVH. L’initiative m’est attribuée à moi. IHVH est l’objet de ma quête. Celle-ci se poursuit par un acte de parole, par une réponse venant de IHVH. Quant à moi, je suis le destinataire de sa parole. Je ne lui réponds pas à mon tour mais je parle cependant, moi aussi : je proclame le résultat de sa réponse.

Ainsi, d’un bout à l’autre, c’est moi qui parle. D’abord, pour dire le mouvement de recherche dans lequel j’étais engagé. Était-il de l’ordre de la parole qui peut être écoutée ?   On ne le sait pas. Il s’agit, en tout cas, d’un effort dirigé vers un terme, vers quelqu’un - un destinataire ? - que je peux expressément nommer : J’ai cherché IHVH.  Ensuite, c’est moi encore qui parle, pour dire cette fois que IHVH m’a répondu et que de toutes mes terreurs il m’a délivré.

En définitive, tout repose sur ma parole présente. Elle porte en elle, au moment intermédiaire de son parcours, comme en son tournant, l’affirmation d’une autre parole, de la réponse de IHVH. Quant à son commencement et à son achèvement, en eux s’exprime l’affirmation d’une réalité qui n’apparaît pas, du moins d’emblée, comme une parole. À quel ordre, en effet, appartient la recherche de IHVH ? Quand je m’y livrais, n’étais-je pas déjà pris, par mon effort, dans une communication au moins virtuelle avec lui ? Quant à ces terreurs, dont je déclare que IHVH m’a délivré, ne désigneraient-elles pas l’en deçà de toute communication, le degré zéro de toute parole possible, la vitalité pure, violente, à l’état sauvage en quelque sorte ? Du coup, d’en être délivré peut s’entendre comme un accès à l’entretien, comme un passage à la parole.

Quoi qu’il en soit, telle est l’expérience qui maintenant affleure dans ma parole et que je m’engage à y établir en permanence sur le mode de la bénédiction et de la louange adressées à IHVH. Le passé de l’événement devient ainsi, une fois transformé, un présent constant, ouvert lui-même sur un avenir indéfini. C’est comme une façon de conserver à l’événement sa force que de le rendre immanent à tous les moments du temps par la bénédiction et la louange. Mais a-t-on bien observé qu’il s’agit encore d’actes de parole, qui passent par ma bouche ?

Quelque définition qu’on donne de ces actes, pris abstraitement, en eux-mêmes, il est assez clair qu’ils s’opposent, en contraste, à l’état de terreur dont, en me répondant, IHVH m’a délivré. Ils font advenir toute la puissance d’heureuse affirmation dont je suis maintenant capable. Il est même remarquable que la louange présente cette propriété bien singulière d’être dirigée vers IHVH et, simultanément, de me transformer en elle-même, au plus profond de mon être, en mon âme :


Je bénirai IHVH en tout temps,
Sa louange constamment en ma bouche.
En IHVH mon âme se loue.

Or, tout se passe comme si cette expérience d’une délivrance changée en louange, en étant parlée, découvrait qu’elle n’appartient pas, comme une propriété privée, à celui qui est saisi par elle. Elle se change encore en un appel à la communication à d’autres. Mais à qui ?

Pas à n’importe qui, pas indifféremment. Une condition est mise pour pouvoir accéder à l’événement :


Que les humbles écoutent et qu’ils se réjouissent !
Magnifiez IHVH avec moi,
Et exaltons ensemble son nom !

Qu’importe, ici encore, la traduction du mot hébreu qu’on rend par humble ! D’autres peuvent préférer « humilié » ou « pauvre » ou encore « malheureux » ou même « affligé », voire « doux ». N’est-il pas évident qu’en tout état de cause le qualificatif doit être rapproché des terreurs dont IHVH m’a délivré ? Il dirige l’attention sur une faiblesse, sur une souffrance, sur un malheur. D’éprouver cette faiblesse, cette souffrance et ce malheur, voilà ce qui me qualifie pour inviter instamment d’autres que moi à partager avec moi l’expérience que j’ai faite et que je fais encore.

En exerçant ce magistère, moi qui parle, en pressant les humbles de s’unir à moi, je laisse percevoir un aspect de l’événement qui n’apparaissait pas quand je parlais de ce qui m’était arrivé à moi, personnellement. Il semblait alors, en effet, que l’initiative de la parole pouvait m’être attribuée, absolument d’une certaine façon, que rien n’avait précédé ma parole qui fût déjà de l’ordre de la communication, comme si parler surgissait de moi, souverainement. Or, ici, ont lit : Que les humbles écoutent…

On ne saurait trop insister sur la portée de cette invitation à écouter, avant même de se réjouir, de magnifier IHVH avec moi, et d’exalter ensemble son nom. On apprend ainsi que l’écoute est première, originaire, d’emblée à la disposition de quiconque, non seulement en dépit de la détresse mais encore jusqu’en elle, plus forte que toute les terreurs. Il faut même peut-être aller plus loin encore et reconnaître qu’elle ne va pas sans   ce qu’on nomme ici humilité : deux noms pour signifier une même manière d’être. Or, cette écoute n’est pas dirigée seulement vers le maître qui enseigne et transmet, elle est plus indéterminée, et elle précède toute prise de parole, fût-ce celle du maître : lui aussi, il a écouté ! Ainsi l’écoute semble-t-elle être une disposition élémentaire qui convient aussi bien pour l’enseignant que pour le disciple et même, comme on va le voir bientôt, pour IHVH lui-même. Aussi bien, lorsque je soutiens qu’il m’a répondu, est-il vain de prétendre qu’il ne pouvait que répondre à une première parole, que j’aurais dirigée vers lui tandis que je le cherchais : à vrai dire, déjà alors j’écoutais, et c’est à cette écoute que IHVH envoyait une réponse.

IHVH et l’humble

Le nom de IHVH, déjà plusieurs fois répété, le sera encore fréquemment. Il revient comme un leitmotiv qui introduit une étroite solidarité dans les diverses phrases d’une même partition.

Ce nom offre toujours la même propriété : il est employé pour signaler que sont associés à IHVH dans une ferme alliance ceux qui soit le cherchent soit même, plus simplement, le regardent. Bref, IHVH est au principe d’une heureuse transformation. De même que la louange que lui adresse mon âme reflue sur elle, comme on l’a noté, et l’exalte, de même l’éclat qu’un oeil capte de lui, bien loin de le confondre, rend cet œil lui-même lumineux :  


Ils le regardent, et ils brillent,
Et leurs faces ne rougiront pas.

C’est à croire qu’il y a une sorte de loi ou de maxime universelle selon laquelle sont réglés les rapports entre l’humble et IHVH :


C’est un humble qui crie, et IHVH écoute
Et le sauve de toutes ses angoisses.

On se tromperait si l’on allait imaginer que l’humilité ou ses variantes exerce un pouvoir quasi magique sur IHVH au point de le contraindre à écouter et à sauver. À vrai dire, avec la formulation qu’on vient d’énoncer, on atteint sans doute au point le plus décisif de ce Psaume et aussi à la vérité la plus indémontrable qui soit. Pour l’admettre, il faut en quelque manière, imiter le mouvement même de foi qui se laisse lire dans la proposition qui, pour ainsi dire, raconte cette vérité :


J’ai cherché IHVH et il m’a répondu,  
De toutes mes terreurs il m’a délivré.

On gagne à rapprocher les deux énoncés. L’homologie de leur structure invite à commenter l’un par l’autre. Ainsi l’humble qui crie n’est-il pas un autre que celui qui a cherché IHVH et, d’autre part, l’écoute offerte maintenant par IHVH était présentée d’abord comme sa réponse. Quant au salut de toute angoisse, il reprend à sa façon la délivrance de toute terreur. Ces ressemblances et ces différences donnent, certes, beaucoup à penser, pour peu qu’on les médite. Mais, avant tout, on doit se garder d’oublier l’avancée qui s’est produite : d’une expérience qui se recommandait d’un cas singulier on est passé à sa validation universelle. Désormais, jusqu’à la fin du Psaume, tous les propos qui seront tenus viseront à l’universel et, d’abord, ceux qui traitent de la crainte de IHVH.

La crainte de IHVH


Le messager de IHVH campe autour de ceux qui le craignent
Et il les arrache.

Après ce qu’on vient d’apprendre sur la délivrance de toute terreur et sur le salut de toute angoisse, on ne peut confondre la crainte de IHVH avec quoi que ce soit qui ressemblerait à de la peur. Dès lors, s’il est vrai que ceux qui craignent IHVH sont assiégés, comme à la guerre, par son messager, il va de soi que ce n’est pas pour les maintenir prisonniers mais bien pour les arracher à toute captivité, pour les rendre libres.

Dès lors, ceux qui craignent IHVH sont appelés à entrer dans une expérience tout à fait originale. Ils sont élargis et non pas enfermés par cette crainte. Pourquoi ? Mais, justement, parce qu’il s’agit de la crainte de IHVH. De ce fait, il faut bannir tout ce qui sentirait l’écrasement ou même l’étroitesse, tout ce qui détournerait de voir IHVH comme un bien, tout ce qui induirait à le considérer comme un abri qui protège, certes, mais en entravant la marche, en empêchant d’exister :


Sentez et voyez, oui, quel bien est IHVH !
En marche, le brave qui s’abrite en lui !

Sans doute. Mais à quoi reconnaître qu’on avance dans cette liberté souveraine ?

Une réponse est donnée à cette question qui surgit à partir même des exhortations qu’on lit. Elle peut d’abord paraître déconcertante :


Craignez IHVH, ses saints,
Oui, pour ceux qui le craignent pas de manque !
Les lionceaux sont dans le besoin, ils ont faim :
Ceux qui cherchent IHVH ne manquent d’aucun bien.

La liberté souveraine se reconnaît à ce signe que tout manque qui serait de l’ordre du besoin a disparu : il témoignerait encore d’une pure vitalité seulement animale, si puissante qu’elle soit, comme celle des lionceaux. Ceux qui craignent IHVH, ses saints, ne cessent pourtant pas de le chercher, ils ne le détiennent pas mais ils ne sentent pas son absence comme le manque d’un bien. Car le bien qu’est IHVH, ils n’ont pas besoin de l’avoir, de le posséder : il leur est communiqué, ils le reçoivent et même, d’une certaine manière, comme on l’a vu, ils le deviennent eux-mêmes, ils se transforment en lui – ce qui est tout autre chose que de l’avoir ou de le posséder !

Pour que de telles pensées soient acceptables on devra tenter de se représenter quel être étrange et paradoxal est désigné par ce nom de IHVH. Il ne suffit pas de ne pas le tenir pour une chose. En fera-t-on quelqu’un ? Oui, sans doute, mais à condition de le penser dans une association avec nous qui ne l’aliène pas à nous ni non plus nous à lui, et cela malgré le salut, venu de lui, dont nous affirmons les uns aux autres qu’il nous délivre de nos terreurs et de nos angoisses. Car, en dehors de la parole échangée entre nous, quelle autre assurance avons-nous de n’être pas toujours dans le seul ordre du manque et du besoin, en deçà donc encore de la crainte de IHVH, toujours seulement dans nos terreurs et nos angoisses ?


Allez, fils, écoutez-moi :
Je vous enseignerai la crainte de IHVH.

Tous les mots de ce bref exorde doivent être soigneusement pesés. On y entend le ton qui restera présent dans l’ensemble du discours qui suit.

La crainte de IHVH peut être enseignée. Pourtant, elle n’est pas apprise ni possédée comme un savoir, que celui-ci soit théorique ou pratique. L’enseignement, ici, est dépendant d’une écoute, celle-ci est le mode d’acquisition de cette crainte. Cet enseignement s’adresse à des fils comme aussi il fait des fils de ceux auxquels il est adressé. En effet, entre le maître et les disciples il y a une relation qui relève de la continuité biologique mais qui ne s’y réduit pas : un autre lien les unit, qui n’est pas le produit de la génération, celui de la reconnaissance mutuelle du père et du fils. C’est ainsi que les fils peuvent aller, s’en aller, partir, inventer leur chemin.

On en sait assez pour entendre le sens des propos qu’on va lire.


Quel est l’homme qui désire la vie,
Qui aime les jours, pour voir le bien ?

Sans doute l’interrogation est-elle toute rhétorique et remplit-elle la fonction d’une entrée en matière. Toutefois, dans son contenu se croisent au moins deux lignes de sens bien différentes. Le désir de la vie, l’amour des jours rendent présents la nature, entendue comme puissance, comme élan, qui porte à la croissance et à la complicité avec le temps qui dure et qui éclaire. Mais l’homme, s’il n’existe pas en dehors d’une telle nature, ne se confond pas avec elle : il attend d’une telle existence de voir le bien. Du moins peut-on reconnaître son humanité à une telle attente. Et, semble-t-il, personne n’en doutera. On s’accorde aisément sur de telles prémisses.

Mais alors comment s’y prendre pour réaliser le programme éthique qu’on vient de se donner sans quitter les conditions de l’existence naturelle dans le temps de l’histoire humaine telle qu’elle se poursuit de fait ?

La réponse est faite à chacun et le rejoint dans sa singularité la plus personnelle. Elle se présente comme un ordre, général dans sa formulation, que chacun doit approprier à sa condition :


Préserve ta langue du mal
Et tes lèvres du parler de tromperie !
Sors du mal et fais le bien,
Demande la paix et poursuis-la !

La langue, les lèvres : frontières du physique et du parler et, au-delà de celui-ci, comme un immense pays auquel il donne accès, il y a l’éthique, avec le mal, la tromperie et le bien. Ces territoires sont conçus comme des espaces que l’on doit qualifier et sur lesquels on doit opérer des mouvements : préserver, sortir, poursuivre. Bref, il y a à faire, à demander, à poursuivre. Quoi donc ? Le bien, la paix, qui ne se s’offrent pas comme des fruits qui pousseraient d’eux-mêmes. S’il y a un donné premier, il semble bien que ce soit le mal, dont il faut préserver sa langue, dont il faut s’extraire, sortir. Car la paix est l’objet d’une demande, d’une poursuite.  

On comprend mieux sans doute pourquoi l’enseignement n’est pas comparable à une leçon qu’on apprend et qu’on récite, parce qu’on la sait. Il est dans le commandement prononcé, accueilli et accompli. Il est lui-même partie intégrante d’une communication. Mais on se méprendrait sur la portée d’un tel entretien si l’on n’y discernait pas la présence d’un tiers entre le maître et le disciple ou le fils :


Les yeux de IHVH vers les justes,
Et ses oreilles vers leur plainte.

Les yeux, les oreilles : IHVH n’a pas de corps mais sa relation aux justes n’est pas moins réelle que s’il les voyait et que s’il entendait leur plainte. Et cette relation ne vient pas doubler les mouvements qui sont commandés à l’homme, elle ne se substitue pas à eux : elle leur est immanente. C’est d’ailleurs ce que l’on saisit clairement quand on observe comment IHVH se rend présent aux malfaisants :


La face de IHVH sur les malfaisants,
Pour retrancher de la terre leur souvenir.

D’un côté, une présence qui soutient, qui accompagne, de la vue et de l’ouïe, de l’autre, cette même présence, mais qui détruit jusqu’au souvenir que les malfaisants aient existé, comme s’ils avaient usurpé leur place dans le temps, sur la terre.

Enseignement et vérité

Tel est l’enseignement donné et reçu. Or, il tient sa vérité non pas de refléter ce qui a lieu dans la réalité mais, précisément, d’être donné et d’être reçu. Sa vérité est une vérité de parole adressée et écoutée. On se méprendrait si l’on en concluait que cette vérité est inconsistante, puisqu’elle ne reproduit pas la réalité. Elle réside dans un champ qui n’a rien d’illusoire ni d’imaginaire, elle est intérieure à un entretien qui se poursuit inlassablement entre IHVH et tous ceux qui criaillent :


Ils criaillent et IHVH écoute,
De toutes leurs angoisses il les délivre.

Avec une légère variante - criailler au lieu de crier - revient l’énoncé de ce qu’on a nommé plus haut une loi ou une maxime universelle. Qui maintenant prononce cette phrase ? Au point où l’on est venu on peut répondre : quelqu’un qui fait sien l’enseignement donné et reçu, adressé et écouté. Est-ce le maître, s’exprimant maintenant dans l’exercice de son magistère ? Est-ce le disciple devenu maître à son tour ? Peu importe. Il ne s’agit pas d’identifier par un nom celui qui parle. Ce qui est sûr, c’est que la reprise d’un énoncé déjà bien connu va permettre un nouvel et dernier approfondissement de la pensée.

On vient d’apprendre la différence que met IHVH entre les justes et les malfaisants. On peut, certes, se demander lesquels criaillent. On peut même être surpris de devoir attribuer cette conduite aux malfaisants, et cela au seul prétexte qu’on vient de faire mention d’eux immédiatement. Mais est-on vraiment contraint de faire une telle attribution ? Rien n’est moins sûr.

En effet, pourquoi et les justes et les malfaisants ne seraient-ils pas de ceux qui criaillent ? Pourquoi celui qui parle ici ne viserait-il pas les uns et les autres ensemble ? Pourquoi, surtout, n’affirmerait-il pas que IHVH les écoute sans faire de distinction entre eux comme aussi bien il les délivre pareillement de toutes leurs angoisses. Mais là s’arrête la communauté entre les deux groupes.

Par la suite, et jusqu’à la fin du Psaume, on envisage les destins contrastés du juste et du méchant. Mais d’où vient qu’ils sont, en effet, bien loin de se ressembler ?  

Qu’on s’arrête d’abord sur ce qui est dit du méchant en une formule lapidaire :

Le mal fait mourir le méchant…

Si l’on comprend bien, le méchant se donne lui-même la mort par le mal qu’il fait, en raison de sa méchanceté même.

Tout autre est le sort du juste :


Proche IHVH pour les cœurs brisés,
Il sauve les souffles écrasés.
Nombreux les maux du juste,
Mais d’eux tous IHVH le délivre.
Il garde tous ses os,
Pas un d’entre eux n’est brisé.

Ainsi les maux ne sont-ils pas épargnés au juste. Mais il fait partie des cœurs brisés dont IHVH est proche, des souffles écrasés qu’il sauve. D’où vient donc que IHVH le délivre de ses maux nombreux, qu’il garde tous ses os ? On ne saurait répondre tout uniment que son salut lui vient de sa justice. Ce serait, en effet, attribuer ce salut à une qualité qui lui est propre, indépendamment de toute relation à IHVH. On doit donc plutôt prendre en considération le lien mystérieux qui rend IHVH proche des cœurs brisés et qui l’amène à sauver les souffles écrasés. C’est par la vertu de ce lien que se crée la capacité du juste à être délivré et même à rester intact jusque dans la mort, puisqu’il garde tous ses os et que pas un d’entre eux n’est brisé.

Si donc la mort s’empare du méchant, c’est parce qu’elle était déjà à l’œuvre en lui dans sa méchanceté et dans sa haine du juste : cette mort est, à vrai dire, un châtiment qu’il s’invente. En revanche, quoi qu’il en soit des maux nombreux dont il souffre, le juste n’a jamais accueilli en lui la mort et, par conséquent, il ignore tout châtiment.  Où l’on voit échanger leurs valeurs respectives deux registres, celui de la vitalité et de la mortalité, d’une part, et celui de l’éthique avec la justice et la haine, d’autre part. Au principe même d’un tel échange il faut placer quelque chose comme une rencontre entre IHVH et tous ceux qui s’abritent en lui. Le maître qui parle ici à ses fils règle tout son discours sur la présence active ou l’absence destructrice de cette rencontre.

Mais on se tromperait si l’on estimait qu’il décrit un état de fait, qu’il raconte une histoire à la fois déjà arrivée et constamment répétée à l’identique. On oublierait alors que son enseignement ne transmet pas un savoir ni n’établit un état des lieux : il a pour finalité de se faire écouter et d’établir ainsi celui qui l’écoute dans la crainte de IHVH. On aura compris que celle-ci n’est que le nom sapientiel de la foi.

Quel cri ? Qui crie en appelant ?

Pour percevoir ici une différence entre un discours qui raconte et un autre, qui appelle, il faut admettre que, par un côté, justes et méchants partagent ensemble la même condition. Les uns et les autres sont éprouvés par de nombreux maux et ils crient ou criaillent pareillement du fond de leurs angoisses. Mais le cri des uns, celui des justes, est un appel qui écoute et qui est écouté. En revanche, le cri des autres, celui des méchants, est écouté, lui aussi - car IHVH ne fait pas de différence ! – mais il n’est pas un appel qui écoute.

En conséquence, les uns, les justes, sont aussi en puissance les disciples du maître. Il est lui-même, on s’en souvient, qualifié pour parler, pour appeler à écouter, par son expérience d’écoute. Ils peuvent donc proclamer avec lui qu’ils sont sauvés par IHVH, même s’ils demeurent, avec les autres, les méchants, au milieu des angoisses.

Quant à ces autres, ils ne vont pas au-delà de leur cri. En effet, s’il y a un au-delà du cri - et il y en a un ! -, ils ne sont pas là pour en parler. Pourquoi donc ? Mais parce qu’ils sont foncièrement étrangers à un cri qui serait un appel et, pour cette raison, pourrait être suivi d’une écoute de IHVH, au double sens de cette expression, et de son salut.

Si donc il y a un au-delà du cri, seuls peuvent affirmer qu’il existe le maître et ceux qui auront écouté ses leçons. Pour les méchants, le cri, étant dépourvu de tout appel, étant stérile de toute invocation, sans recherche de IHVH, sans désir de vie, sans amour des jours, ce cri se perd en une haine destructrice qui va jusqu’à les détruire eux-mêmes. Car leur destruction est leur châtiment, puisque le mal fait mourir le méchant.

Mais, il faut le marquer avec force, les méchants ne sont pas là pour raconter ce qui leur arrive. Le récit de leur destin, seuls peuvent le produire ceux qui crient, qui appellent, qui écoutent IHVH et sont écoutés de lui et qui, pour finir, dès le temps de leur détresse, peuvent proclamer leur salut

Ainsi, en définitive, à tout moment du temps et donc aujourd’hui encore, n’existent que des hommes qui hésitent et toujours choisissent entre un cri qui appelle et un cri qui n’est pas un appel, entre un cri qui écoute et un cri qui n’est pas une écoute, entre un cri qui sauve et un cri sans salut. Bref, tout se passe dans le champ d’un entretien dont IHVH est le garant puisque, s’il se maintient, c’est en son nom et, s’il s’épuise, c’est par suite de la méconnaissance de son nom.

Il reste qu’au terme d’une lecture de ce Psaume on demeure habité par une question et sans doute celle-ci ne peut-elle pas recevoir de réponse qui apporte la certitude. En effet, on se demande s’il existe vraiment un cri qui ne soit pas prégnant d’un appel. On est fondé à soulever cette question. On doit se souvenir qu’on a lu et entendu cette interrogation du maître :


Quel est l’homme qui désire la vie,
Qui aime les jours, pour voir le bien ?

Interrogation toute rhétorique, a-t-on prononcé quand on l’a rencontrée. Soit ! On l’accorde encore maintenant. Mais on avait cependant été sensible déjà à l’entrelacement de deux aspirations : l’une emporte vers la vie et le temps des jours, l’autre vers le bien. Or, puisque dans cette implication mutuelle de deux aspirations distinctes mais nullement contradictoires il y a place, chez certains, pour un cri lesté d’un appel, pourquoi tout homme, quel qu’il soit, et pas seulement ceux qui en deviennent justes, ne ferait-il pas toujours de son cri un appel ?

La question demeure vive et sans réponse qui l’apaise. Mais si elle devait en recevoir une qui fût positive, affirmative, on sait du moins que le cri de cet appel serait écouté et suivi d’un salut. Mais qui connaît les saints de IHVH ?      

Clamart, le 26 octobre 2007


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