Adam et sa côte ou l’homme et le féminin
« (18) IHVH Dieu dit : « Il n’est pas bien pour le glèbeux d’être seul. Je ferai pour lui un auxiliaire comme un vis-à-vis de lui. » (19) IHVH Dieu forma de la glèbe tout animal du champ, tout volatilile des cieux et il les fit venir vers le glébeux pour voir ce qu’il leur crierait. Tout ce que le glébeux crierait à l’être vivant serait son nom. (20) Le glébeux cria des noms pour toute bête, pour tout volatil des cieux, pour tout animal du champ. Mais pour le glébeux il ne trouva pas d’auxiliaire comme un vis-à-vis de lui. (21) IHVH Dieu fit tomber une torpeur sur le glébeux. Il s’endormit. Il prit une de ses côtes et il ferma la chair dessus. (22) IHVH Dieu bâtit la côte qu’il avait prise du glébeux en hommée. Il la fit venir vers le glébeux. (23) Le glébeux dit : « Celle–ci, cette fois, c’est l’os de mes os, la chair de ma chair. À celle–ci sera crié hommée car de l’homme elle est prise, celle-ci ». (24) Sur quoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à son hommée et ils deviennent une chair unique. (25) Les deux étaient nus, le glébeux et son hommée, et ils n’en étaient pas rendus honteux. »
Commençons par quelques observations concernant la traduction du passage biblique que nous allons lire et commenter.
Au lieu de glébeux, pour traduire Adam, nous pourrions dire homme, avec ou sans majuscule. Les plus avertis parmi les lecteurs y entendraient encore la souvenir de l'humus, de la terre. Mais une confusion naîtrait lorsque le glébeux, celui que nous aurions appelé l'homme, dérivera le nom de femme ('ichchâh, en hébreu) de celui d'homme ('ich, en hébreu) et inventera ainsi d'un seul coup ces deux dénominations, en faisant venir celle-là de celle-ci. Pour rendre sensible cette dérivation, nous avons conservé le mot homme et nous avons forgé, pour femme, le terme de hommée. Ce néologisme est, certes, disgracieux. Néanmoins il nous permet de triompher de l'insuffisance de notre langue. Celle-ci, en effet, ne distingue pas dans le mot homme entre la désignation de l'espèce, l'être humain, et celle de l'individu humain masculin. On sait, du reste, que, pour rester fidèle à la lettre du texte biblique, Luther avait déjà osé créer, pour désigner la femme, un nom, Männin, dans lequel on pût reconnaître le thème qui désigne l'individu humain masculin : il avait joué sur l'opposition de Mann et de Männin, ce dernier nom étant de son invention ! Le précédent fait autorité ! Pour le reste de la traduction, nous suivons celle que propose Chouraqui, non sans quelques modifications.
Une première lecture.
(18) IHVH Dieu dit: « Il n'est pas bien pour le glébeux d'être seul. Je ferai pour lui un auxiliaire comme un vis-à-vis de lui. »
Nous l'appelons donc le glébeux, puisque son nom est pris de la glèbe. Quelqu'un, IHVH Dieu, se soucie de l'état dans lequel il est. Il ne se satisfait pas qu'il existe. Il estime qu'il lui manque quelque chose. Exister, soit ! Mais pas dans la solitude ! Il faut au glébeux une compagnie. Ce lui sera un secours. En effet, il sera aidé d'avoir quelqu'un d'autre en face de lui. IHVH Dieu se propose donc de lui apporter une présence qui lui sera secourable.
(19-20 a) IHVH Dieu forma de la glèbe tout animal du champ, tout volatile des cieux, et il les fit venir vers le glébeux pour voir ce qu'il leur crierait. Tout ce que le glébeux crierait à l'être vivant serait son nom. Le glébeux cria des noms pour toute bête, pour tout volatile des cieux, pour tout animal des champs.
La glèbe, toujours la glèbe ! C'est avec elle, comme avec une matière, que IHVH Dieu s'emploie à produire quelqu'un qui puisse se situer en face du glébeux et lui apporter ainsi l'aide qui le délivrera de sa solitude. A cette fin il fait exister tout l'ordre des animaux. Mais ce sera lui, le glébeux, qui donnera un nom, son nom particulier, à tout ce que IHVH Dieu lui présentera, parmi les vivants. C'est à lui, et non à IHVH Dieu, de décider des noms. Du reste, il n'y manque pas.
(20 b) Mais pour le glébeux il ne trouva pas d'auxiliaire comme vis-à-vis de lui.
Si inventif qu'il ait été, IHVH Dieu ne réussit pas à produire la compagnie recherchée. Telle est, du moins, l'affirmation du narrateur. Parmi tous les vivants amenés à l'existence le glébeux n'a pu reconnaître, par le nom qu'il lui aurait donné, l'auxiliaire et le vis-à-vis que IHVH Dieu cherchait pour lui.
(21) IHVH Dieu fit tomber une torpeur sur le glébeux. Il s'endormit. Il prit une de ses côtes et il ferma la chair dessus.
IHVH Dieu n'œuvre plus à partir de la glèbe mais du glébeux lui-même, de sa personne. Bien plus, il le soustrait à la claire conscience, il le plonge dans le sommeil. Il opère sur lui sans lui, à son insu. Il va jusqu'à supprimer son intégrité physique, en procédant à l'ablation d'une de ses côtes, c'est-à-dire d'une partie de lui-même. Mais sur le corps du glébeux rien n'apparaîtra de l'opération, puisque, une fois celle-ci accomplie, la trace en est effacée.
(22) IHVH Dieu bâtit la côte qu'il avait prise du glébeux en hommée. Il la fit venir devant le glébeux.
Une côte, telle quelle, n'est pas une compagnie pour le glébeux ! Encore faut-il l'élaborer, la construire, un peu comme on fait pour une maison à partir de matériaux. Quel sera son nom ? Remarquons au passage que le narrateur nous en informe, sans attendre de l'avoir appris lui-même du glébeux. Il nous le livre aussitôt. Tout se passe néanmoins comme si le narrateur lui-même et nous autres, lecteurs, avec lui, étions suspendus à la déclaration que fera le glébeux quand la côte transformée lui sera présentée. Car c'est lui qui donnera son nom à cet être nouveau, comme il l'avait fait pour tous les autres.
(23) Le glébeux dit: a Celle-ci, cette fois, c'est l'os de mes os, la chair de ma chair. A celle-ci sera crié hommée car de l'homme elle est prise, celle-ci. »
N'oublions pas que la déclaration vient de celui auquel nous avons donné le nom de glébeux. C'est en cette qualité qu'il s'exprime. Or, ce qu'il dit a de quoi nous surprendre. A la côte bâtie il ne donne pas le nom de glébeuse, comme nous aurions pu nous y attendre. Il lui en donne un autre, celui d'hommée, et il invente, en même temps, le nom d'homme. Ainsi ces noms d'homme et d'hommée semblent-ils venir, ensemble, d'une découverte ou d'une expérience propre au glébeux. Car c'est lui, le glébeux, qui aurait perçu que c'était de son corps, de son corps de glébeux, non pas de son corps d'homme, que l'hommée avait été prise. Mes os, ma chair se rapportent au glébeux lui-même, non pas à l'homme. Quant à la fonction de secours et de vis-à-vis, attendue de l'hommée, le glébeux n'en dit rien. Il se contente d'affirmer que, si ce nom d'hommée lui revient, c'est parce que son être même a été prélevé sur le sien, sur son corps non de glébeux mais d'homme. A celle-ci sera crié hommée car de l'homme elle est prise, celle-ci.
L'opération de IHVH Dieu semble donc avoir eu pour effet de suspendre l'identité qui correspondait au nom de glébeux : celui-ci serait devenu quelqu'un d'autre, un homme, associé à une hommée, en même temps qu'il recevait, lui, le glébeux, en tant que glébeux, la compagnie dont il manquait. Car c'est bien lui, le glébeux, et non pas l'homme, qui est délivré de sa solitude.
(24) Sur quoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à son hommée et ils deviennent une unique chair.
On ne sait trop s'il faut attribuer cette déclaration au glébeux ou au narrateur. Quoi qu'il en soit de l'attribution, il semble bien qu'il n'y ait plus de glébeux mais seulement l'homme et son hommée. Cependant, comme la côte avait été extraite du glébeux, on affirme que l'homme, lui aussi, en quelque façon, s'extrait des conditions de sa naissance. En effet, alors que le glébeux était sans père ni mère, tel n'est pas le cas de l'homme. Il naît associé à ses géniteurs, il est précédé par une ascendance, alors que le glébeux, lui, était seul. C'est comme tel qu'il manquait de compagnie, d'aide, de vis-à-vis. Certes. Mais rien ne laissait entendre qu'une fois ce manque comblé, il dût cesser d'être glébeux. Rien non plus ne laissait supposer que, pour le glébeux, l'auxiliaire dût ne faire qu'un avec lui, au point qu'ensemble ils ne feraient plus qu'une seule chair : il s'agissait d'un face à face ! Et, d'ailleurs, il n'est pas dit du glébeux qu'il ne fait qu'une seule chair avec l'hommée : c'est sur l'homme que porte une telle déclaration.
(25) Les deux étaient nus, le glébeux et son hommée, et ils n'en étaient pas rendus honteux.
Il y a toujours deux personnages. Mais ce n'est pas l'homme et l'hommée. L'hommée, assurément, reste présente mais elle n'est pas déclarée l'hommée de l'homme : elle est celle du glébeux. Qu'en penser ?
Le glébeux, certes, n'est plus seul, il a une compagnie, il est aidé, il a un vis-à-vis. Mais il ne fait pas qu'un, il n'est pas confondu avec ce qui lui a été adjoint, comme l'homme l'est avec l'hommée. L'hommée apparaît comme cette adjonction qui lui a été faite, à lui, le glébeux. De ce fait, ce nom d'hommée a-t-il le même sens quand il signifie la suppression de la solitude du glébeux et quand il désigne ce qui a été extrait de lui pour que soient institués l'homme et l'hommée et leur union ? Il ne semble pas. Ainsi n'est-il pas possible de confondre le glébeux et l'homme. Une preuve indirecte en est donnée. Nous ne savons pas si, entre l'homme et l'hommée, du fait qu'ils seraient nus, la honte pourrait survenir. En tout cas, c'est un fait avéré, et le narrateur tient à le mentionner, entre le glébeux et son hommée, la honte n'a pas lieu d'être, alors pourtant que la nudité règne.
Le féminin
Que conclure de la lecture que nous venons de faire ? Comment la prolonger ?
L'hommée, semble-t-il, doit s'entendre en deux sens. Par un côté, elle est quelqu'un, un individu de sexe féminin, une femme. Alors elle se distingue de l'homme, de l'individu de sexe masculin. Alors aussi elle ne fait qu'un avec lui après qu'il a quitté ses géniteurs. Par un autre côté, l'hommée représente une fonction du glébeux ou, si l'on préfère, de l'être humain. Or, par ce second côté, l'hommée, ou le féminin, mérite la plus grande attention.
Le féminin a pour fonction de supprimer le manque constitutif de l'être humain, de faire cesser la solitude qui est la sienne quand il est réduit à seulement exister. En effet, sa seule existence fait de lui un existant tout seul. Or, le moyen par lequel l'être humain sort de cet état de solitude révèle ce qui est au principe de celle-ci. Pour échapper à sa solitude il est entamé dans son intégrité personnelle, quelque chose de lui-même lui est pris. Rien ne lui vient du dehors de lui pour lui tenir lieu de vis-à-vis. Dès lors, on peut penser que sa solitude provenait de sa plénitude, du fait qu'il se suffisait à lui-même. L'autre, qui lui manquait, lui est accordé à partir d'un vide qui lui est, si l'on ose ainsi parler, ajouté par une soustraction pratiquée sur lui-même, par une perforation de son corps, par un certain évidement de lui-même. Cet autre l'aide mais ne le comble pas. L'être humain n'est donc pas secouru par un autre qui le complèterait et, ainsi, l'enfermerait encore. L'hommée, en tant que fonction, le féminin, est, en face de lui, la compagnie secourable d'une absence qui a été produite à partir de lui après avoir été introduite en lui. C'est par cette absence qu'il est délivré de sa solitude.
On a compris que le féminin, ainsi entendu, n'est pas le propre d'un sexe plutôt que d'un autre. Notamment, il ne se confond pas avec la femme. Celle-ci, en tant qu'elle est, comme l'homme, un être humain est aussi affectée par le féminin. Accomplissent-ils - mais que veut dire, ici, accomplir ? - leur être humain quand ils ne font qu'un, l'homme et la femme ? Ils n'y dérogent pas alors, bien entendu, mais ce n'est point par leur union, au point de ne faire qu'un, qu'ils réalisent leur humanité. Car l'humanité d'un homme ou d'une femme s'exprime par le féminin qui, à la fois, ne manque ni à l'un ni à l'autre et est aussi le vecteur et le représentant d'une absence qui, paradoxalement, supprime leur solitude d'être humain.
On aimerait, bien sûr, pouvoir donner un nom d'être à ce féminin, le concrétiser en quelqu'un. C'est impossible. Tout au plus, pour chacun de nous, quelqu'un, n'importe qui, peut-il le représenter. Mais ce féminin peut aussi n'être représenté par personne, par aucun individu. Il est une dimension ou, mieux, une modalité de l'humain lui-même. Il n'a pas de contraire, par exemple, dont il se distinguerait, comme on dit que la femme est autre que l'homme, l'individu féminin autre que l'individu masculin.
N'est-ce pas là, du reste, ce qui est suggéré par la nudité, acceptée et vécue sans honte quand l'humain est affecté du féminin (et il l'est toujours !) ? La nudité serait ainsi la solitude initiale de l'humain, mais maintenant transformée, après que sa plénitude a été, en quelque sorte, évidée et comme ponctionnée. Elle n'est pas, comme l'enfermement dans la seule existence, dans l'existence tout seule, un mal qu'il faudrait faire disparaître. La nudité de l'humain, accompagné du féminin, désigne plutôt son ouverture, son exposition, son absence de protection. Mais en tout cela ne réside pas un mal qu'il faudrait éliminer. En d'autres termes, on dira que la nudité de l'humain est le signe de son infinité, puisque l'humain n'est pas clos sur lui-même, puisqu'il n'est pas achevé.
On se demandera comment on en est venu à une telle conclusion. On craindra tout particulièrement d'abandonner une lecture que je propose de nommer fondatrice, parce qu'elle établirait et justifierait une pratique, celle de l'union de l'homme et de la femme, sans chercher davantage. Car, pense-t-on, il n'y aurait pas lieu d'attendre davantage d'un tel passage biblique.
Pourtant il est clair que par la lecture ici présentée une telle union n'est pas privée de ses fondements. Mais, certes, ces derniers sont relativisés. Car cette union de l'homme et de la femme, de l'homme et de l'hommée, apparaît tout au plus comme possible quand on la compare à l'ouverture infinie qu'apporte à l'humain le féminin.. Or, cette possibilité particulière de l'humain est sans commune mesure avec l'humain lui-même quand il est habité par le féminin. Elle n'en est qu'une spécification parmi d'autres. Qu'elle se réalise ou non ne ruine pas l'humain. Il demeure. Et quand se réalise l'union de l'homme et de la femme pour ne faire qu'une seule chair, alors encore le féminin, tel que nous l'avons compris ici, comme fonction de l'humain lui-même, comme marque de son infinité, caractérise toujours et l'homme et la femme et leur union.
Une deuxième lecture
IHVH Dieu s'était donc proposé de mettre un terme à la solitude du glébeux, c'est-à-dire de l'être humain, parce qu'il jugeait que celle-ci n'était pas bonne pour lui. C'est donc l'Homme dans son humanité, quel qu'il soit, homme ou femme, qui est en cause. Mais IHVH Dieu n'a pas l'intention de faire sortir l'Homme de son état à n'importe quel prix. L'Homme accèdera à l'état de compagnie si quelqu'un d'autre vient l'aider comme un vis-à-vis. En somme, il s'agit de procurer un autre à l'Homme, à l'être humain, non pas une partenaire à l'individu masculin.
Or, en façonnant tout le monde des vivants à partir de la glèbe, du même élément dont est fait le glébeux, IHVH Dieu n'est pas parvenu à trouver ce qu'il recherchait. Le glébeux a bien exercé le pouvoir qui lui avait été reconnu par IHVH Dieu: il a donné lui-même des noms aux divers animaux qui sont sous le ciel et sur la terre. Mais la fin que IHVH Dieu poursuivait n'a pas été atteinte.
Le monde des vivants, en tant qu'ils sont extérieurs au glébeux, ne peut pas procurer à celui-ci ce que IHVH Dieu veut pour lui. Il lui faut donc s'y prendre autrement. Il se tourne, non plus vers la glèbe, mais vers le glébeux lui-même. Pourquoi endort-il celui-ci en faisant tomber sur lui une torpeur ? Sans doute pour qu'il ne puisse rien voir de ce qu'il allait faire, pour qu'il n'en soit pas même le spectateur. Et que fait-il ? D'une certaine façon, il mutile le glébeux, puisqu'il le prive d'une côte. Mais il fait en sorte que rien n'y paraisse sur son corps. On ne peut y discerner aucune place vide, aucun trou. Bien plus, de cet os il fait un être en le travaillant, et un être qui, semble-t-il, aurait déjà un nom, puisque d'emblée, sans l'avoir appris du glébeux, nous pouvons lire son nom : c'est l'hommée, la femme.
Sans doute le glébeux, l’Homme, a-t-il dû se réveiller, puisqu'il se met à parler. Il déclare, ce que, nous autres, nous savions, que ce qui lui est présenté est extrait de sa propre personne, de ses os, de sa chair. Nous ne saurons pas d'où lui vient un tel savoir. En revanche, nous l'entendons dire quelque chose que nous ne savions pas encore ou n'aurions pas pu savoir si le narrateur ne nous l'avait communiqué.
Comme il l'avait fait pour tous les vivants, le glébeux donne un nom à cette nouvelle production. Elle appartient donc, elle aussi, à l'ordre du vivant, comme nous pouvions nous en douter. Mais l'important est ailleurs. Nous l'entendons prononcer sur ce vivant le même nom que nous avions déjà appris du narrateur sans bien savoir alors nous-mêmes de qui, de quoi il pouvait bien s'agir: c'est une hommée, c'est une femme. Bien plus, comme pour faire la preuve que lui seul a le pouvoir de nommer, il avance la raison du choix qu'il vient de faire d'un tel nom. En effet, comme s'il avait assisté à ce qui s'était passé pensant son sommeil, il fait état de l'événement tel qu'il s'est produit en effet, ainsi que nous le savons. Du coup, il explique ou justifie ce nom d'hommée à partir d'un autre, que nous n'avions pas encore lu, qu'il invente proprement, le nom d'homme. Ainsi reconnaît-il, lui, le glébeux, l'Homme, que la distinction du masculin et du féminin existe désormais en humanité.
Mais cette distinction des genres, voire des sexes, était-ce là le but que poursuivait IHVH Dieu pour délivrer l'Homme de sa solitude ? De cela nous ne savons rien. A moins que nous n'admettions que le glébeux, l'être humain en tant que tel, soit délivré de sa solitude quand il quitte ceux qui l'on fait naître, quand il ne fait qu'un avec son hommée, avec sa femme. Mais ce n'est pas cela que nous lisons, puisque ce n'est pas le glébeux qui quitte son père et sa mère mais l'homme!
En effet, l'hommée, la femme, nous le savons, nous autres, n'a pas été prise de l'homme mais du glébeux, de l'être humain. En outre, celui-ci n'a personne avec lui qu'il puisse quitter, pas même un père, pas même une mère. Enfin, c'est l'homme, l'individu masculin, qui ne fait qu'un avec sa femme, et non pas le glébeux, l'Homme. Cependant, celui-ci, comme nous le lisons, a une femme, une hommée. Mais cette femme, cette hommée, est-elle pour lui, l'Homme, le glébeux, ce qu'elle est pour l'homme, pour l'individu masculin ? Il ne semble pas.
Rappelons-nous que IHVH Dieu se proposait de mettre un terme à la solitude du glébeux, de l'Homme, non à celle de l'homme, distinct de la femme, de l'individu humain masculin, qui n'existait pas encore. IHVH Dieu aurait-il alors échoué dans son projet et dans tout ce qu'il a effectivement entrepris pour et sur l'Homme, sur le glébeux ? Non pas. En effet, l'hommée, la femme, est venue s'ajouter à celui-ci, mais sans que, pour autant, ils ne fassent qu'un, elle est venue comme une présence qui leur permet, à l'un et à l'autre, en tant qu'ils sont des humains, de supporter sans honte leur nudité respective, celle de l'Homme et celle de sa femme. Car l'Homme, l'être humain, le glébeux, a bien une femme, mais cette femme n'est pas celle de l'individu masculin qui ne fait qu'un avec elle.
Qu'est-ce donc alors que cette nudité qui n'inspire pas de honte, comme lorsqu'on regrette ou se reproche quelque chose, ce que l'on a fait ou même ce que l'on est ?
Si paradoxal qu'il paraisse d'abord, cette nudité est le secours même qui, par l'action de IHVH Dieu; est donné à l'Homme jusque dans sa nouvelle condition, où sont advenus le masculin et le féminin, puisque l'Homme a une femme. Étrange secours, dira-t-on, que la nudité. Sans doute. Mais, puisque l'Homme et sa femme n'en sont pas honteux, c'est probablement que cette nudité n'a rien de commun avec ce qui pourrait intervenir dans la relation entre l'homme et l'hommée, entre l'individu masculin et l'individu féminin. Aussi proposons-nous d'entendre cette nudité comme un heureux dénuement, comme une disponibilité, comme une ouverture. A quoi, demande-t-on ? On répondra: pas seulement à un autre individu, qu'il soit masculin ou féminin. Oui, sans doute, c'est bien clair, après le récit que nous venons de lire. Mais, à parler positivement, à quoi donc, l'Homme, devenu masculin et féminin, est-il ouvert, disponible, en vue de quoi est-il dénué, nu ? A cette question il n'est pas donné de réponse.
Si nous proposons d'entendre ici le féminin, et non pas la femme, comme le secours à la faveur duquel l'Homme n'est plus seul, c'est parce que ce secours ne vient pas sans la femme mais ne s'identifie pas avec elle en tant qu'elle se distingue de l'individu humain masculin. En effet, la femme elle-même, la femme, elle aussi, parce qu'elle est humaine, est délivrée de sa solitude d'humanité, et ce n'est pas par elle-même qu'elle peut l'être ni non plus par l'individu masculin quand bien même ils ne feraient qu'un ensemble. Ne risqueraient-ils pas plutôt alors de reproduire, à deux, la solitude dont IHVH Dieu entendait libérer l'Homme ? Le féminin est donc une modalité, une façon d'être, qui, pour notre bonheur, nous affecte tous et chacun, hommes et femmes, dans notre humanité même.
Le consentement au féminin.
Que penser d'un secours qui nous est accordé, tel un bien dont nous manquions encore, par la suppression de notre suffisance, de notre plénitude, de notre intégrité ? Que penser de la venue, en face de nous, d'un autre qui ne nous aide que s'il est pris sur nous et laisse en nous un vide invisible ? Que penser de notre passage d'un stade, où nous étions achevés, finis, clos sur nous-mêmes comme un neuf, à un autre, où nous advenons, non pour notre malheur mais pour notre bonheur, à l'inachèvement, à l'infini ?
Convenir qu'un tel passage est bon pour nous, c'est, pour chacun de nous, que nous soyons un homme ou une femme, consentir au féminin. C'est vivre de l'assistance d'une absence qui, fidèlement, nous accompagne. Or, si nous tenons à nommer cette absence, à lui donner un nom propre, pourquoi ne l'appellerions-nous pas du nom, imprononçable, de Celui à qui nous attribuons la responsabilité de nous avoir engagés dans une telle histoire ? Mais alors nous deviendrions croyants ! IHVH Dieu représenterait le nom d'être du féminin, qui est une fonction. Et avec ce nom nous ne désignerions pas quelqu'un, qui serait considéré en lui-même, sans nous, mais l'infini, l'inachevé, toujours vulnérable, toujours secourable, d'une relation gratuite d'alliance à laquelle nous naissons sans cesse. Accordons que penser de cette façon exige de nous un singulier effort de l'esprit, tant nous sommes habitués à employer des noms pour désigner des êtres plutôt que des relations ! Mais n'est-ce point à cet effort que nous invite ici la lecture du texte biblique ?
En définitive, IHVH Dieu fait. S'Il parle, c'est pour dire qu'Il fera et ce qu'Il fera. L'Homme, le glébeux, ne fait rien. Il parle cependant, lui aussi. Mais, s'il parle, c'est pour donner leur nom aux êtres que IHVH Dieu a faits et, notamment, un nom à ce que IHVH Dieu a fait d'une de ses côtes. Or, aucun de ces noms ne lui est soufflé par IHVH Dieu, comme s'il existait déjà dans un livre. Il les invente tous librement. Quant à IHVH Dieu, Il ne confirme ni n'infirme le lexique ainsi constitué. Plus précisément encore, Il n'approuve ni ne désapprouve l'Homme, le glébeux, de désigner du nom d'hommée la côte qu'Il a bâtie ni de prétendre qu'elle tient ce nom de celui d'homme, instituant ainsi une distinction entre l'individu humain masculin et l'individu humain féminin.
Or, en agissant ainsi, en nommant comme il le fait, le glébeux, l'Homme arrête, il fixe, il détermine. C'est une telle capacité de délimiter, de spécifier, que nous avons tenté de faire apparaître en établissant une distinction entre le féminin et la femme. La femme, en effet, dans son individualité de femme, existe par décret de l'Homme, du glébeux. Certes, si l'on en croit le narrateur, IHVH Dieu avait bâti en hommée, en femme, la côte qu'Il avait extraite du corps de l'Homme, du glébeux. Toutefois, Il ne l'avait pas Lui-même nommée. Car IHVH Dieu ne nomme pas! Il avait produit le féminin, l'hommée, qui est l'hommée non pas de l'homme mais du glébeux, de l'Homme, de l'être humain. Bref, c'est le glébeux, l'Homme, et non pas IHVH Dieu, qui proprement discerne la femme, l'hommée de l'homme, et il la discerne en la nommant. Quant à IHVH Dieu, Lui, Il crée l'Homme avec, pour le secourir, comme un vis-à-vis, le féminin. Mais ce féminin est sans nom ou, si l'on veut, il peut recevoir tous les noms. Il est, pour le glébeux, pour l'Homme, le nom commun de l'Autre.