Quiconque demande reçoit
«Et il leur dit: «Qui de vous aura un ami et s’en ira vers lui au milieu de la nuit et qu’il dise: «Ami, prête-moi trois pains, parce qu’un ami à moi est arrivé de voyage chez moi et je n’ai rien à lui offrir, et que celui-ci, du dedans, ayant répondu, dise: « ‘Ne me cause pas de tracas. Maintenant la porte est fermée et mes enfants avec moi sont au lit. Je ne peux pas, m’étant levé, te donner?’ Je vous dis, même s’il ne lui donne pas, s’étant levé, parce qu’il est son ami, à cause du moins de son impudence, s’étant réveillé, il lui donnera tout ce dont il a besoin. Et moi je vous dis: « ‘Demandez, et il vous sera donné. Cherchez, et vous trouverez. Frappez, et il vous sera ouvert. En effet, quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et à celui qui frappe il est ouvert. A quel père parmi vous le fils demandera un poisson et qui, à la place du poisson, lui fera don d’une pierre? Ou aussi demande-t-il un œuf, et lui fera-t-il don d’un scorpion? Si donc, vous, tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bons dons à vos enfants, combien plus le Père des cieux donnera-t-il un souffle saint à ceux qui lui demandent.»
Lorsque nous considérons que nous parlons, il nous arrive souvent de penser que nous parlons, par exemple, pour raconter ce qui s’est passé, des histoires, vraies ou fausses. Des événements se sont produits, extérieurs à nous-mêmes, auxquels nous avons pu être associés, et nous en parlons. Nous parlons d’eux.
Pareillement, il nous arrive souvent d’estimer que la parole sert à décrire. Pas seulement à raconter ce qui s’est passé, mais à faire un tableau plus ou moins détaillé de ce qui est en face de nous, qu’il s’agisse de personnes ou qu’il s’agisse de choses.
Parfois encore, il nous arrive d’estimer que nous parlons par exemple pour poser des questions. Il y a quelque chose que nous ne connaissions pas, qui était en dehors de nous, qui n’était pas encore emmagasiné dans notre esprit, et nous posons une question afin de le faire entrer en nous.
Il y a un trait commun à ces différentes façons de parler. Chaque fois, nous cherchons à absorber, à faire entrer en nous ce qu’on peut convenir d’appeler un objet qui est en dehors de nous. C’est vrai de l’histoire: les événements étaient extérieurs. C’est vrai des choses que l’on décrit, c’est vrai du savoir qui n’était pas encore possédé.
*
Pour entrer dans le passage que nous allons traverser ce soir, il est important de se rappeler qu’il y a aussi une autre manière de parler, qui est très fréquente. Nous parlons aussi non pas pour questionner mais pour demander.
Nous demandons, bien sûr, quelque chose. Là encore, il semble qu’il y ait un objet. Nous demandons, par exemple du pain. Mais nous pouvons aussi observer que c’est alors le fait demander qui importe. On nous donnera peut-être quelque chose, nous cherchons à avoir et nous disons ce que nous voulons avoir. Tout cela est vrai. Mais, si nous analysons ce qui se passe à ce moment-là, nous reconnaissons que c’est la demande elle-même qui nous affecte. Bref, dans la demande, ce qui est révélé, ce n’est pas seulement l’objet que nous demandons, et sur lequel d’ailleurs nous pouvons nous tromper, mais c’est la situation dans laquelle nous sommes, et c’est une situation de besoin.
Face à cette situation de besoin, nous sommes portés à avoir des jugements très variés. Certains par exemple trouveront inconvenant, humiliant, éventuellement, de demander. «Oh! je ne demande rien à personne!». D’autres, au contraire, trouveront peut-être que la situation de demande, quoi que l’on demande, est révélatrice d’un état dans lequel nous serions. Cet état, on pourrait le définir ainsi: la demande nous enseigne que nous ne pouvons rien faire sans les autres.
Vous voyez comment on peut réfléchir sur la demande. Cette réflexion nous amène à reconnaître que, si nous demandons, c’est que nous sommes dépendants, liés, plus ou moins, et liés à d’autres. Et les choses, les objets, comme vous voudrez, que nous demandons, sont là, bien sûr, mais comme des supports. Il faut bien que nous demandions quelque chose mais l’important, c’est de demander.
Vous avez certainement discerné que ces brefs développements ne sont pas tout à fait étrangers au passage dans lequel maintenant nous allons entrer.
*
D’un bout à l’autre de ce passage, un mot revient, avec une insistance très marquée, qu’il s’agisse du verbe ou qu’il s’agisse du substantif. C’est le verbe «donner» ou le substantif «don». «Je ne peux pas… te donner?’ Je vous dis, même s’il ne lui donne pas» Vous observerez que donner, dans le texte que vous avez sous les yeux, est présenté absolument. Je veux dire: il n’y a pas de complément. Quand nous trouvons un complément, il est très vague: «il lui donnera tout ce dont il a besoin».
«Demandez, et il vous sera donné». La tournure est belle. Il n’est pas dit que quelqu’un donnera. Si l’on voulait presser la traduction, il faudrait dire: «et don il y aura pour vous».
Vers la fin, dans les dernières lignes, nous retrouvons, non pas seulement le verbe mais le substantif: «Quel père… fera don d’une pierre?… fera-t-il don d’un scorpion?» Et puis, comme si tout se concentrait sur donner, nous avons à lire cette phrase: «vous savez donner de bons dons à vos enfants». Je vous accorde qu’en français ce n’est pas joli. Mais vous savez que je ne cherche pas à faire des traductions jolies. Je vous soumets des textes de travail, pour que nous puissions faire comme si nous lisions le grec en français! Telle est la gageure que j’essaie de tenir. Mais allons jusqu’au bout: «combien plus le Père des cieux donnera-t-il».Nous nous demandons pourquoi il s’agit à la fin d’un souffle, «un souffle saint».
Ainsi, d’un bout à l’autre de ce passage, il y va de donner.
*
Tout commence par un don qui semble aller de soi. Pourquoi? parce que l’amitié est invoquée comme le motif du don. On va donner parce qu’on s’aime. Quoi de plus humain, sinon de plus naturel, de plus humain, que de donner lorsqu’un ami demande? «Qui de vous aura un ami et s’en ira vers lui au milieu de la nuit et qu’il dise: "Ami"» Nous sommes d’emblée dans une sorte de chaîne d’amitié. Il ne lui demande pas pour lui-même. «Ami, prête-moi trois pains, parce qu’un ami à moi est arrivé». Bref, il semble que donner s’explique par le cœur. J’y insiste car, à la fin, je vous tiendrai un tout autre discours. Mais le texte que nous lisons commence de cette façon.
Précisons encore que ce qui est demandé, à titre de prêt, d’ailleurs, c’est quelque chose qui est nécessaire à l’entretien de l’existence: «prête-moi trois pains, parce qu’un ami à moi est arrivé de voyage chez moi et je n’ai rien à lui offrir». Donc, on demande au titre de l’amitié et on demande pour subvenir à la vie. Le don que l’on attend est une affaire de vie ou de mort. Si l’on ne mange pas, on en vient à périr, on ne peut plus respirer; si on ne mange pas, on n’a plus de souffle.
Supposons donc que quelqu’un soit dans cette situation de demande et se trouve en face d’un autre qui, «du dedans, ayant répondu, dise: ‘Ne me cause pas de tracas». On ne parle plus d’amitié, c’est fini! Cherchez bien, vous ne retrouverez plus le mot d’amitié. Celui qui répond s’exprime comme quelqu’un qu’on embarrasse et qu’on dérange. «‘Ne me cause pas de tracas. Maintenant», il n’y a pas moyen de donner. Les conditions pour donner, fût-ce pour prêter, les conditions matérielles, physiques n’existent pas. Maintenant, la porte est fermée et, qui plus est, toute la famille repose. Je ne peux pas, après m’être levé, te donner. Par rapport à donner, je suis dans une situation d’impuissance, presque dans une situation de mort. Donner est une affaire du jour, pas une affaire de la nuit. La nuit on dort, la nuit on est étendu, on ne surgit pas, «Je ne peux pas, m’étant levé, te donner?’»
*
Celui qui parle ici, Jésus, déclare: «Je vous dis». Ceci est tout à fait important. L’expression reviendra. C’est comme s’il disait : c’est moi qui vous le dis, croyez-moi, croyez m’en. Or, il écarte toute considération affective.Le don n’a pas pour racine la tendresse de cœur. Non, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Moi je vous dis que «même s’il ne lui donne pas, s’étant levé, parce qu’il est son ami, à cause du moins de son impudence, s’étant réveillé, il lui donnera tout ce dont il a besoin.» On dirait que cette petite scène nous place devant une situation fondamentale d’humanité, qu’elle nous rappelle que l’humanité fonctionne au don. Si humanité il y a, don il y a, et un don qui porte sur tout ce dont on a besoin.
*
La suite de ce passage, nous pouvons la lire comme une amplification, comme un approfondissement aussi, de ce qui vient d’être évoqué.
De nouveau nous retrouvons: «Et moi je vous dis: " ‘Demandez, et il vous sera donné"». Je vous fais remarquer que dans le passage que nous lisons, vers le milieu de ce texte, il y a un curieux changement de ton. «Demandez, et il vous sera donné. Cherchez, et vous trouverez. Frappez, et il vous sera ouvert». Tout commence par un impératif et un impératif que j’ai hésité à traduire par «continuez à demander». Pourtant, c’est bien ainsi qu’il faut entendre cet impératif. Non pas «mettez-vous à demander», mais «soyez en demande», si j’ose dire. De même, «continuez à chercher, n’arrêtez pas de frapper». Et puis, chaque fois, le futur arrive: «il vous sera donné… vous trouverez… il vous sera ouvert».
Tout commence par cette déclaration d’autorité: «Moi je vous le dis», croyez-moi! N’allez pas vous fier à l’expérience que vous pouvez avoir de la déception, de la déconvenue. Moi, je vous dis. «Demandez, et il vous sera donné». Nous restons dans le temps, avec la succession qui scande le temps en passé, présent et futur. Soyez en permanence en situation de demande, dit Jésus et le futur vous comblera. Un don répondra à la demande. C’est pour plus tard. Pareillement en est-il de la recherche, pareillement aussi de celui qui frappe à la porte. Le don vous sera donné. Il est aussi la trouvaille que l’on fera: vous trouverez. Quand nous lisons: «il vous sera donné», nous considérons encore le don comme une réponse à la demande. Mais quand nous lisons: «cherchez et vous trouverez», la découverte - je préfère dire l’invention - est homogène à la recherche. Cherchez, et c’est vous, vous qui cherchez, qui trouverez. La métaphore du don se continue:frappez, et vous pourrez continuer, il vous sera ouvert, vous ne serez pas devant un mur, devant une porte clause.
*
Il fallait que nous soyons d’abord très attentifs au travail qui se fait sur ces quelques mots pour donner toute la force à ce que nous allons lire maintenant. En effet, il ne s’agit plus d’impératif, d’exhortation, ni même d’annonce. Il s’agit, cette fois, de constat. C’est comme si celui qui parle, Jésus, faisait un forage dans le geste de demander. En effet, quiconque demande, eh bien! il reçoit. Celui qui cherche, eh bien! il trouve. A celui qui frappe il est ouvert. Vous remarquerez d’ailleurs qu’on ne dit plus «donner» mais «recevoir». «Quiconque demande, on ne dit pas: il lui est donné mais il reçoit». Recevoir est contemporain de la demande. Recevoir est de même niveau que demander.
Je vous laisse réfléchir sur ce que nous sommes en train d’approcher. C’est assez extraordinaire! Il faut entendre que la demande est déjà un don. J’évoquais tout à l’heure ceux qui se refusent à demander quoi que ce soit. Ils se privent de quelque chose d’important. Car demander est un don qui est fait à celui qui demande. Avoir le don de la demande! Non pas avoir la satisfaction de la demande! Nous sommes là au point névralgique du texte, et «quiconque demande reçoit», est le sommet de ce passage. Quiconque demande ne recevra pas plus tard, mais «quiconque demande reçoit» dans sa demande même, car demander c’est déjà recevoir. Ensuite, nous reprenons le vocabulaire qui avait été employé dans les lignes qui précèdent: «celui qui cherche trouve, et à celui qui frappe il est ouvert».
*
Il s’agit maintenant non plus de l’ami mais du père. «A quel père parmi vous le fils demandera un poisson et qui, à la place du poisson, lui fera don d’une pierre?» C’est une interrogation, bien sûr, à laquelle on attend qu’on réponde: non! ce n’est pas possible. Il n’est pas possible qu’on donne autre chose que ce qui est demandé. Surtout, il n’est pas possible qu’on feigne de donner quelque chose qui ressemblerait à un poisson, mais qui serait autre chose, car une pierre peut être aussi grise que peut l’être un poisson. Quel père donc, pour la seule raison qu’il est père, quoi qu’il en soit des sentiments qu’il a pour son fils, à la place du poisson lui fera don d’une pierre? Non! ce n’est pas possible.
«Ou aussi demande-t-il un œuf, et lui fera-t-il don d’un scorpion?» L’œuf nourrit, le scorpion détruit. Le fils demande de quoi subsister, de quoi vivre. Le père est là pour le faire vivre et non pas pour qu’il soit détruit.
*
«Si donc, vous, tout mauvais que vous êtes». Vous êtes mauvais. Voilà, c’est dit! Or, malgré cette méchanceté native qui est la vôtre, vous trouvez le moyen de donner, et des dons qui sont bons. Pour cela, il suffit que la situation de demande soit maintenue. Car le don va avec la demande. Les deux se tiennent. «Donc, vous, tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bons dons à vos enfants». Vos enfants: ceux qui sont nés de vous. Tout à l’heure, la relation était celle du père au fils. Ici, il s’agit des enfants, c’est-à-dire de ceux qui sont nés de quelqu’un, pas même de ceux qui ont été reconnus: «vous savez donner de bons dons à vos enfants, combien plus le Père des cieux donnera-t-il un souffle saint à ceux, non pas qui le lui demandent, mais à ceux qui lui demandent.» Qu’est-ce qu’on peut demander à son père, sinon qu’il vous donner de pouvoir respirer, de pouvoir avoir un souffle?
*
Ainsi, en définitive, l’humanité fonctionne au don, et à un don qui est introduit par la situation de demande. Car, redisons-le encore une fois, donner et demander font système et font tellement système qu’à un moment, on peut dire que le don est dans la demande.
Allons plus loin. Moi, déclare Jésus, je vous dis que l’humanité fonctionne ainsi toujours. Vous pouvez ne pas me croire, c’est vrai, mais je suis là pour témoigner de cette vérité. Vous pouvez croire mon témoignage ou ne pas le croire: je vous dis ce qui fait ma propre vie, je parle d’expérience. Cette loi de la demande - don ou du don - demande, comme vous voudrez, est tellement fondamentale qu’elle régit la relation avec le Père des cieux. C’est une loi sainte, comme le souffle qui est donné.