« Votre bonté, comme la nuée du matin »
(1) Allez, retournons vers IHVH !
Oui, lui, il a déchiré et il nous guérira,
Il a frappé, et il nous bandera.
(2) Il nous fera vivre après deux jours,
Le troisième il nous fera lever
Et nous vivrons en face de lui.
(3) Pénétrons, cherchons à pénétrer IHVH !
Comme une aurore, solide sa sortie,
Et il viendra pour nous comme l’averse,
Comme la pluie de printemps qui arrose la terre.
(4) Que te ferai-je, Ephraïm ?
Que te ferai-je, Juda ?
Votre bonté, comme la nuée du matin,
Comme la rosée, très tôt, s’en va.
(5) C’est pourquoi j’ai frappé dans les prophètes,
Je les ai tués dans les dires de ma bouche,
Et ton jugement sortira lumière.
(6) Oui, bonté je désire et non pas sacrifice,
Et pénétration de Dieu plus que des holocaustes.
Nous parlons, et Lui aussi Il parle, et nous lui prêtons non pas seulement notre langue mais notre parole pour qu’Il puisse parler et que nous L’entendions. Dès lors, comment démêler de notre parole la parole que nous Lui prêtons ? Parlerait-Il encore si nous parvenions à faire ce partage ? Car notre parole, quand nous la Lui prêtons, n’est pas un vecteur indifférent. Elle est encore nôtre. Et à supposer que nous puissions en dégager une qui nous soit propre, celle-ci, puisqu’elle peut aussi porter la Sienne, n’en est-elle pas déjà prégnante ? Au moins est-elle disponible pour l’accueillir et l’exprimer. En tout cas, elle n’explosera pas, elle ne se dissoudra pas quand la Sienne en sortira. Mais en sortira-t-elle vraiment ? Si elle y parvenait, parlerait-Il encore ?
Voilà qui met en cause et paraît même disqualifier les notions d’adresse, d’appel, de question et de réponse. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, dans notre parole, la seule dont nous fassions l’expérience immédiate, il y a une distinction entre Lui et nous. C’est du moins ce que nous admettons ou, plutôt, ce que nous croyons, ou alors tout ne serait plus qu’illusion. Mais qu’est-ce qui est de nous ? Qu’est-ce qui est de Lui ? Et que signifient ces questions, si nous devions les entendre comme une tentative pour parvenir à une attribution qui, enfin, serait certaine ?
Entre la sécurité et l’espérance
Allez, retournons vers IHVH !
Oui, lui, il a déchiré et il nous guérira,
Il a frappé, et il nous bandera.
Il nous fera vivre après deux jours,
Le troisième il nous fera lever
Et nous vivrons en face de lui.
Qui parle ici ? Manifestement, c’est nous. Nous prenons la parole pour nous adresser à nous-mêmes, chacun à soi et à tous, et nous exhorter à nous retourner vers Lui, vers IHVH. Mais que disons-nous exactement ?
Nous Lui attribuons la responsabilité de notre blessure et nous affirmons que ce sera Lui encore qui nous rendra la santé. Mais est-il possible de discerner ce que nous pensons vraiment en nous exprimant comme nous le faisons ? Plus précisément encore, quel rapport établissons-nous entre notre retour et la vie qui nous sera rendue par IHVH ? Ce retour est-il, sinon la cause, du moins la condition de cette vie guérie ? Ou bien celle-ci est-elle assurée, quoi qu’il en soit de notre retour, de quelque façon qu’il se produise ? Si tel est le cas, alors pourquoi ne pas retourner vers IHVH, peu importe comment ? Mais aussi à quoi bon retourner vers Lui, puisque de toute façon il nous guérira, il nous bandera, il nous fera vivre, il nous fera lever ?
Si nous pouvons soulever ces questions et exprimer notre incertitude sur la réponse qu’on peut leur donner, c’est parce que l’hommage que nous rendons ici à la conduite de IHVH n’est pas sans ambiguïté. Certes, nous célébrons Sa puissance mais aussi nous laissons entendre qu’Il se conduit de telle façon qu’Il revient sur ce qu’Il a fait et que c’est toujours en notre faveur. Il suffit d’attendre :
Il nous fera vivre après deux jours,
Le troisième il nous fera lever…
Il y aurait une constante dans le comportement de IHVH. Ne serait-ce pas cette constante que nous devons nous rappeler, parce que nous en aurions perdu le souvenir ? En bref, nous n’aurions pas été assez avant dans la connaissance des mœurs de IHVH. Appliquons-nous à les connaître à fond. N’en restons pas où nous en sommes :
Pénétrons, cherchons à pénétrer IHVH !
Or, pour atteindre à cette meilleure pénétration de IHVH, il suffit d’observer le retour qui se manifeste dans la nature : après la nuit, le jour, après la sécheresse, la pluie :
Comme une aurore, solide sa sortie,
Et il viendra pour nous comme l’averse,
Comme la pluie de printemps qui arrose la terre.
Mais, en parlant ainsi de IHVH, est-ce que nous ne sommes pas dans l’erreur ? Car, à supposer qu’en effet Il soit fidèle et qu’Il ne se satisfasse pas de nous déchirer, de nous frapper, en vient-Il comme automatiquement, comme par suite d’une régularité naturelle, à nous faire vivre ?
Ne serait-ce pas plutôt dans notre propre retour vers IHVH que nous pouvons découvrir qu’Il vient pour nous ? Si donc il est si important que nous retournions vers Lui, ne serait-ce point parce que c’est là, et là seulement, dans notre retour, que nous accueillerons son propre retour ? Car, Lui aussi, Il retourne, et alors en effet Il fait vivre, Il fait lever. Mais s’il est vrai que Sa sortie est solide, sûre, certaine, comme une aurore, elle ne procède pas néanmoins de la pérennité des cycles de la nature mais d’une initiative à laquelle nous ne sommes pas étrangers, même si nous n’en sommes pas la cause. C’est pourquoi il nous appartient de dire et de nous dire les uns aux autres :
Allez, retournons vers IHVH !
L’initiative d’un commun retour, le nôtre et le Sien, d’un retour que nous effectuons ensemble, est tout à fait singulière. Elle n’est pas à l’origine d’un nouveau déterminisme solide, qui doublerait en parallèle celui de la nature : elle est le commencement et la poursuite ininterrompue d’un entretien gratuit tout au long duquel nous sommes avec Lui et Lui est avec nous. Pénétrer dit, en effet, tout autre chose que seulement connaître. Gardons ce verbe, car il ne s’agit pas de savoir et d’en être satisfait mais d’aller toujours plus avant, toujours plus loin. Au cours de ce dialogue on ne passe pas de la sécurité à son contraire, à l’insécurité, mais à une espérance confiante, tout autre que une certitude qui compterait sur la venue de l’aurore après la nuit ou de l’averse après la sécheresse.
L’attente de la fidélité
Dès lors nous pouvons entendre, portée et gravée en des paroles que nous prononçons nous-mêmes, et qui sont les Siennes, l’interrogation de IHVH en personne :
Que te ferai-je, Ephraïm,
Que te ferai-je, Juda ?
On dirait qu’Il ne sait plus comment s’y prendre ni quoi inventer pour que nous continuions à nous entretenir avec Lui. La nature est là pour Lui offrir une métaphore qui nous permette de l’entendre. Il évoque, Lui aussi, la nuée du matin, mais c’est pour signifier notre bonté qui, comme la rosée, très tôt s’en va. Nous autres, nous mettions notre assurance dans l’infaillible répétition des phénomènes atmosphériques. Lui, Il ne retient de ces mêmes manifestations que leur fugacité, leur inconsistance : notre bonté est vraiment légère !
Votre bonté, comme la nuée du matin,
Comme la rosée, très tôt s’en va.
Tout se passe comme s’Il voulait nous communiquer la fermeté dont nous le créditons. Mais notre bonté ne tient pas plus que l’humidité de l’air dans les près lorsque pointe le jour. À peine venue, elle disparaît ! Comment peut-Il lui assurer la même durée, la même permanence que nous attribuons à sa propre fidélité au point que nous en sommes venus, comme on l’a observé, à nous reposer paresseusement sur elle ?
Tel est le débat qui s’instaure en IHVH lui-même et auquel nous donnons l’hospitalité de notre propre parole. Nous imaginons qu’Il est dans l’attente d’une bonté qu’il souhaite voir sourdre en nous, de nous. Passe-t-il vraiment par de tels sentiments ? Qui le dira ? Ce qui est sûr, c’est qu’ils se répercutent en nous, dans les mots et les phrases de notre langue, que nous les faisons nôtres dans notre parole comme l’expression de ce que nous pouvons à bon droit nous figurer se passer en Lui, si du moins nous persistons à croire en Lui. Ainsi Lui prêtons-nous une obstination à produire en nous, par tous les moyens, une bonté et une pénétration de Lui-même qu’Il désire plus que tout.
Le désir de Dieu
C’est pourquoi j’ai frappé dans les prophètes,
Je les ai tués dans les dires de ma bouche,
Et ton jugement sortira lumière.
Oui, bonté je désire et non pas sacrifice,
Et pénétration de Dieu plus que des holocaustes.
Heureuse et féconde ambivalence! Le désir de Dieu est, inséparablement, le désir que nous avons de Lui et celui qu’Il a de nous, ce que nous souhaitons qu’Il soit pour nous et ce qu’Il souhaite que nous soyons pour Lui. En effet, pour peu que nous gardions présentes à l’esprit cette rencontre et cette union, dans notre parole, de ces deux mouvements bien distincts et, apparemment, opposés, nous pourrons supporter, quoi qu’il nous en coûte, les propos que nous venons de lire. Oui, nous les supporterons mais aussi nous les clarifierons.
Car, enfin, qui parle ici ? C’est IHVH, il est impossible d’en douter. Mais Il parle dans notre parole, et même Il nous y parle en des termes et d’une façon qui ressemble à ce que nous pourrions faire nous-mêmes. Et c’est pourquoi, en raison même du crédit que nous Lui accordons, il nous faut démêler ce qui vient de Lui et ce qui vient de nous.
Quelque motif que nous accordions à la violence et au meurtre dont IHVH revendique la responsabilité - C’est pourquoi j’ai frappé dans les prophètes, / Je les ai tués dans les dires de ma bouche -, quelque profit qui nous en revienne comme au terme d’un procès - Et ton jugement sortira lumière - nous ne pouvons pas supposer qu’en réalité Il pense et Il se conduit de cette façon. Pourquoi ? Mais parce qu’Il parle ici comme nous ferions nous-mêmes et, surtout, Il est en contradiction avec ce qu’Il déclare expressément Lui-même aussitôt :
Oui, bonté je désire et non pas sacrifice,
Et pénétration de Dieu plus que des holocaustes.
Ceci exclut cela. En effet, comment IHVH peut-Il avoir un tel désir de bonté, nous signifier qu’Il attend de nous que nous l’ayons, nous aussi, et, dans le même temps, Se glorifier d’avoir cherché à nous anéantir, d’avoir semé la mort ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. La contradiction est donc flagrante, elle est intolérable. Nous ne pouvons pas la mettre réellement au compte de IHVH, ou alors c’est notre foi en Lui qui succombe. Dans ces conditions, il ne reste plus qu’à estimer qu’en fréquentant notre parole, la Sienne s’est trouvée contaminée par la nôtre, par celle-là même qu’Il pourrait nous reprocher si nous parlions comme nous Le faisons parler ici.
C’est entendu, le désir de Dieu n’est pas le nôtre mais, sauf précisément à les confondre, nous ne pouvons pas concevoir que Son désir Le conduise à vouloir contre nous le sacrifice et les holocaustes, c’est-à-dire la destruction totale, puisqu’Il nous en détourne. Ainsi donc s’il est vrai que nous n’avons pas à prendre notre désir pour le Sien, du moins avons-nous à être à l’unisson avec Lui.
Il reste que nous lisons : C’est pourquoi j’ai frappé…En appellera-t-on alors à la vertu éducative de la souffrance, au pouvoir miraculeux que possèderait Dieu de faire sortir le bien du mal ? Qui sommes-nous pour nous autoriser de cette alchimie ? Plus simplement, comme d’ailleurs nous le disons ici même, pénétrons, cherchons à pénétrer IHVH et, n’en doutons pas, nous ferons alors l’expérience de Son propre désir de bonté en dehors duquel il n’y a rien qui vaille, et surtout pas le sacrifice ni les holocaustes.
Ainsi, dès le départ, nous étions dans le vrai, mais nous méconnaissions ce vrai, nous en parlions mal, quand nous disions : Allez, retournons vers IHVH ! / Oui, il a déchiré et il nous guérira…Notre méconnaissance consistait alors en la facilité de notre assurance et aussi en notre légèreté. Nous ignorions encore quel retournement, en effet, nous devions opérer dans notre parole sur IHVH et dans la parole que nous Lui prêtons quand Il emprunte la nôtre pour nous parler. Nous avions à nous retourner vers la bonté ou, comme on dit plus couramment, à nous y convertir. Or comment le ferions-nous si nous en détournions IHVH, si nous imaginions qu’Il échange notre santé contre nos blessures comme le beau temps succède à la pluie ? Il y a un mystère, celui d’une conversion, d’un retournement, dans lequel nous nous rencontrons avec Lui, qui Se retourne, Lui aussi ou, plutôt, qui nous apparaît alors animé par le seul désir de la bonté. C’est jusque-là que nous avons à pénétrer.
NOTE CONJOINTE SUR LA DISTINCTION DE LA LANGUE ET DE LA
PAROLE OU DE L’ÉNONCÉ ET DU DISCOURS
Te totum applica ad textum : rem totam applica ad te.
J. A Bengel.
Le lecteur l’a compris et, pourtant, il n’est pas indifférent de le marquer expressément : toute la lecture précédente suppose admise la distinction de la langue et de la parole ou de l’énoncé et du discours.
Rappelons en quoi consiste cette distinction, au risque de paraître sommaire, puisqu’on ne discutera pas les différentes définitions que chaque école peut apporter dans le débat.
La langue est constituée par l’ensemble des moyens dont on dispose, dans une société donnée, pour établir et maintenir la communication. La parole est la mise en œuvre, chaque fois singulière, de cet ensemble. Elle peut aussi être nommée discours. Alors l’énoncé, composé à partir d’éléments de la langue, est comparable à l’acte même d’un discours dont on aurait supprimé l’actualité même, l’aspect d’événement singulier qu’il présente dans l’effectivité d’une communication en acte.
Venons-en à notre lecture.
On a observé très tôt, mais comme en passant et sans insister, que IHVH parlait non seulement dans notre langue mais dans notre parole elle-même. Il faut revenir sur cette remarque. Elle a décidé de toute la suite de notre lecture.
Il va de soi que, si l’on admet que IHVH parle, Il use d’une langue et que, pour que nous puissions communiquer avec Lui, il faut que cette langue nous soit commune à Lui et à nous. Mais, une fois cette supposition admise, il reste que la parole qu’Il adresse est reçue de nous comme est reçue de Lui celle qu’éventuellement nous Lui adressons. Car Lui, comme nous, a la capacité de former des énoncés. Cependant, Son discours, ou Sa parole, n’est pas le nôtre, et réciproquement.
Oui, sans doute. Ajoutons même que le partage entre Son discours et le nôtre serait relativement facile à établir si, comme c’est le cas lorsque nous parlons entre nous, le discours de l’un était aisément discernable du discours de l’autre. Encore que quelquefois, même entre nous, il arrive qu’on ne distingue plus qui parle, de toi ou de moi, quand je parle…Or, dans le cas de la parole de IHVH, puisqu’elle passe par une langue qui est nôtre, elle ne prend pas seulement notre vocabulaire et notre syntaxe, mais c’est nous qui la parlons, elle est inséparable de notre discours. Tous les guillemets que nous pourrons utiliser pour isoler ce qu’Il dit n’y feront rien !
Et, pourtant, Il parle, et Sa parole, incarnée en la nôtre, ne se confond pas avec elle Telle est, en tout cas, la conviction qui nous habite, ne serait-ce que parce que nous Lui parlons. En effet, à la racine et constamment, il y a ce qu’on pourrait nommer cette foi d’avant la foi, cette foi liminaire. Dès lors, nous avons pour tâche de distinguer sans cesse dans notre parole ce qui Lui revient, à Lui en propre, sans jamais cependant pouvoir parvenir à l’extraire de notre parole, l’isoler de notre discours.
Comment donc nous y prendre pour réaliser une distinction qui ne peut pas être un isolement par extraction ?
Il ne suffit pas de recourir à de prétendus bons sentiments, à ce que nous supposons ne pas pouvoir convenir à IHVH. À partir de quoi d’ailleurs formerions-nous nos hypothèses ? Nous ne pouvons donc que nous livrer à un examen très attentif des énoncés eux-mêmes que nous lisons, que ces énoncés soient attribués dans notre discours à IHVH ou à nous-mêmes.
Ainsi avons-nous été surpris d’apprendre que IHVH faisait œuvre d’anéantissement. Même si, par la suite, il devait rétablir ce qu’Il avait d’abord détruit, notre sens moral s’en trouvait heurté. Fallait-il néanmoins en rester là ? Non. Nous devions entendre ce qui est gravé dans la lettre même de ce texte : Pénétrons, cherchons à pénétrer IHVH.
En scrutant le mouvement du discours dans le texte, en devenant sensibles à la parole elle-même, telle qu’elle apparaît dans les énoncés successifs qu’elle se donne, nous avons vu poindre une contradiction entre la violence de IHVH et son désir de bonté et son rejet du sacrifice et des holocaustes. Mais comment cette contradiction pouvait-elle être dépassée ? Suffisait-il que nous la reconnaissions et qu’ensuite nous confessions notre perplexité sur son éventuel dépassement ?
Nous pouvions sans doute rester ainsi sur le seuil de l’incompréhensible. Mais nous ne banalisions pas le mystère quand nous allions plus loin encore. En effet, nous avions aussi à reconnaître, dans le discours de IHVH enté sur le nôtre, l’appel qui nous était adressé à faire nôtre, à désirer, nous aussi, la bonté qu’il désire. C’est là que s’achève ou, plutôt, que se poursuit interminablement la rencontre de Sa parole dans et avec la nôtre.
On le pressent, notre façon de procéder ici a valeur de méthode. Il suffit de l’adapter chaque fois à la singularité du passage textuel qu’on traverse. Car, même lorsqu’il n’y paraît pas aussi clairement qu’ici, la parole de IHVH est toujours implantée dans la nôtre et même, devrait-on dire, c’est là qu’elle se manifeste comme une parole pour nous, pour que nous L’entendions, Lui, et Lui répondions, à Lui.