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Tous vous, vous êtes un dans Christ

«Car tous vous êtes fils de Dieu[,] par l'intermédiaire de la foi[,] dans Christ Jésus. Car aussi nombreux que vous avez été immergés en Christ, c'est Christ que vous avez revêtu. Il n'y a pas de Juif ni de Grec, il n'y a pas d'esclave ni de libre, il n'y a pas d'homme et de femme. Car tous, vous, vous êtes un dans Christ Jésus. Mais si [vous êtes] vous, du Christ, alors vous êtes semence d'Abraham, héritiers selon promesse.»


Galates III, 26-29

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Disons d'emblée que l'enjeu de ce texte est incontestablement de caractère religieux. Que ce soit dit, et même dit d'abord !

Si je tiens à commencer par là, c'est parce que, aussitôt, je veux attirer votre attention sur un certain nombre de traits qui nous invitent à reconnaître un véritable remaniement social. C'est trop clair, lorsque nous lisons : "Il n'y a pas de Juif ni de Grec, il n'y a pas d'esclave ni de libre, il n'y a pas d'homme et de femme."

Bien sûr, c'est cette série de négations qui nous révèle qu'il y va d'un remaniement social. Mais ce n'est pas le seul trait qui dirige vers la considération du social. Lorsque nous lisons les derniers mots de ce passage, nous sommes encore en plein dans la société. Quoi de plus important pour la société que le fonctionnement de l'héritage ? "héritiers selon promesse".

Mais, puisque j'ai commencé par dire tout à l'heure qu'il y va d'un enjeu religieux, je peux aussi vous faire observer que par le terme de foi, que nous lisons très tôt, l'attention est dirigée vers quelque chose de religieux. Mais n'oublions pas que la foi, c'est aussi ce que nous nous donnons les uns aux autres. La foi c'est aussi ce qui nous lie. C'est aussi ce que nous échangeons les uns avec les autres et qui, en étant donné et reçu, fait que nous sommes unis, liés. Vous voyez bien comment nous sommes en quelque sorte dirigés par la lecture de ce texte vers des considérations inséparablement religieuses et sociales. Non pas que l'un limiterait l'autre, mais tout se passe comme si, pour comprendre un ordre, nous ne pouvions pas nous séparer de l'autre.

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D'entrée de jeu, un mot est lâché, ou plutôt deux : "tous vous". L'auteur s'adresse à un groupe, et ce groupe, il le considère comme un ensemble, comme un tout dans lequel aucune distinction ne peut apparaître.

Donc, la question qui va être traitée dans ce texte est celle de l'unité d'un ensemble. Tout à l'heure, dans les observations que je faisais pour relever les termes qui nous renvoient inséparablement à l'ordre social et à l'ordre religieux, j'ai omis cette expression, je vous prie de m'en excuser. Car qu'y a-t-il de plus social que le fait d'être le fils de quelqu'un ? Qu'en l'occurrence, cette filiation soit attribuée à Dieu, ne change rien à l'affaire. C'est bien d'une réalité sociale qu'il est question, comme aussi bien d'ailleurs vers la fin du passage, lorsqu'il s'agira de la semence et de l'héritage.

La foi, c'est ce qui vous fait fils de Dieu, la foi tout court, le fait de croire. En d'autres mots, nous avons à entendre : vous êtes fils de Dieu par l'intermédiaire de la foi, et vous l'êtes tous, sans exception. Ce qui empêche de dire qu'il y en aurait parmi vous qui ne seraient pas fils de Dieu, c'est que vous l'êtes, nous le sommes, dans Christ Jésus. Christ Jésus est là comme le sceau qui sauvegarde la cohérence de cette totalité que nous formons. Mais cet ensemble, qui est un ensemble de fils de Dieu, il s'est formé par le passage de l'événement de la foi. Par le fait de croire une communauté s'est créée, qui est une communauté de fils de Dieu. Autrement dit, la foi, qui lie cet ensemble, non seulement affirme l'union des uns avec les autres, mais, inséparablement, elle affirme l'union de ceux qui sont ensemble réunis avec ce Dieu qui les reconnaît comme fils. Le Christ Jésus est là comme ce qui empêche que cet ensemble cohérent, se dissolve. Christ Jésus tient solidement l'ensemble comme un ensemble. Ceci correspond tout à fait à l'emploi de la préposition "dans" : elle ne marque pas, dans le texte original, la direction, la foi que l'on aurait donnée  en allant vers Christ Jésus, mais la foi en Christ Jésus, comme dans un réceptacle, comme si Christ Jésus était un contenant.

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"Car aussi nombreux que vous avez été immergés en Christ". J'ai tenu à tourner la phrase ainsi au risque de frôler l'incorrection grammaticale. Il s'agit toujours, en effet, dans le texte, de sauvegarder la totalité, d'empêcher son effritement. Vous avez beau être nombreux, très nombreux même, le nombre ne fait rien à l'affaire. Soyez plus nombreux encore, puisque vous avez été plongés en Christ Jésus, c'est Christ que vous avez revêtu : il vous enserre, en quelque sorte, comme un vêtement, et ce vêtement ne risque pas de craquer, parce que vous seriez trop nombreux, comme un vêtement trop étroit risque toujours de montrer des défaillances. Non, aussi nombreux que vous avez été immergés en Christ, et  vous êtes nombreux, c'est Christ que vous avez revêtu. Voilà où finalement nous conduisaient tout à l'heure les considérations sur Christ Jésus conçu comme un contenant.

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La conséquence, l'auteur l'énonce sous la forme d'une suite de négations. "Il n'y a pas de Juif ni de Grec, il n'y a pas d'esclave ni de libre, il n'y a pas d'homme et de femme." De grâce, ne faisons pas dire à S. Paul une sottise, ce que nous ferions en prétendant qu'il a écrit : "il n'y a plus de Juif ni de Grec, il n'y a plus d'esclave ni de libre, il n'y a plus d'homme et de femme". Là-dedans, si j'ose dire (et ce dedans c'est cet ensemble qui est contenu dans Christ Jésus), il n'y a pas de Juif ni de Grec. La division à la fois ethnique, nationale et religieuse, entre Juif et Grec, la différence sociale entre l'esclave et l'être qui est libre, la différence sexuelle, naturelle, entre homme et femme, ont beau persister, elles ne régentent pas cette nouvelle société, cette nouvelle façon de lier les humains dont vous faîtes partie, les uns avec les autres. Ce n'est pas elle, cette triple division, qui peut intervenir car, si elle intervenait, alors, ce qu'il fallait écarter serait réintroduit, l'unité serait compromise, vous ne seriez plus un les uns avec les autres, et un comme un fils est un avec le Père dont il hérite et par lequel il est reconnu.

Donc, si l'auteur congédie les différences qui sont présentes dans l'histoire et dans la société, c'est pour sauvegarder un certain ensemble, et la cohérence de cet ensemble. Mais pourquoi  n'y a-t-il pas de Juif ni de Grec, etc... là, dans cet ensemble ? Il l'explique :

"Car tous", et voilà que nous revenons à ce tous, "vous, vous êtes un dans Christ Jésus." Maintenant, nous pouvons reconnaître que la pensée qui se déploie là, depuis le début de ce passage, en appelle sans cesse à quelqu'un, qui est d'ailleurs nommé : "Christ Jésus", "Christ", ensuite, et puis enfin, de nouveau, "Christ Jésus". Si donc la société que vous formez, vous, a connu une transformation, c'est parce que elle est tout entière posée, elle est soutenue et en même temps enveloppée dans  un certain événement. Cet événement, il reçoit un nom, Christ, c'est-à-dire, Messie, et même un nom historique, Christ Jésus. Cette transformation de la société, dans la société que vous formez, tient à un événement, qui a sa manifestation historique, un événement qui a été un avènement. Avant Christ Jésus, il n'y avait pas Christ Jésus et après, il est là, et telle est la signification que l'on peut reconnaître à l'événement "tous, vous, vous êtes un dans Christ Jésus."

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Mais cet événement, comme tout événement, ne se réduit pas à la survenue de Christ Jésus. Le propre d'un événement, c'est de ne pas arrêter de se produire. Parce que c'est un événement, il a un mode de répétition, et d'une répétition qui est un renouvellement de lui-même. Or, ce renouvellement, qui le répète, c'est l'immersion en Christ. Cette immersion, elle a eu lieu  dans votre vie, à vous tous à qui je parle. Vous avez été de fait, baptisés, plongés en Christ Jésus, réellement.

"Mais si [vous êtes] vous, du Christ", vous qui avez été baptisés, et qui, de ce fait, constituez un tout, "alors vous êtes semence d'Abraham, héritiers selon promesse". En devenant du Christ, parce que vous êtes contenus par lui comme un vêtement contient un corps, en étant vous du Christ, vous êtes les héritiers d'Abraham, héritiers selon promesse. Il n'y a rien de plus en vous qu'en Abraham et en ses fils. Il y a seulement, et c'est très important, l'apparition d'une communauté qui témoigne qu'effectivement, c'est par l'intermédiaire de la foi que l'on devient fils de Dieu. La nouveauté n'est pas que les croyants soient fils de Dieu, seulement quand et parce que le Christ est venu. Cette filiation est aussi ancienne qu'Abraham. La nouveauté n'est pas dans cette filiation, mais  dans celui qui à tout jamais, sauvegarde l'ensemble des croyants  comme un ensemble. Oui ! là il y a une nouveauté ! Car cette nouveauté est toujours exposée à la contestation, elle est toujours exposée au morcellement. Ce qui est arrivé de nouveau avec le Christ, c'est le salut de cette communauté qui, de façon indéchirable, indivisiblement, est unie ensemble et reconnue par Dieu. Tous peuvent y entrer, n'importe qui peut y entrer. Mais cette nouveauté vient confirmer quelque chose qui était déjà en Abraham, et qui était promis à sa semence.

18 juin 1998

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