Voyez le figuier et tous les arbres…
«"Et il y aura des signes dans le soleil et la lune et les étoiles, et sur la terre angoisse des nations, embarrassées du fracas de la mer et de son agitation, des hommes expirant sous l'effet de la peur et de l'attente de ce qui survient à (la terre) habitée, car les puissances des cieux seront ébranlées. Et alors on verra le Fils de l'homme venir dans une nuée avec puissance et beaucoup de gloire. Quand cela commencera de se produire, redressez-vous et relevez votre tête, parce que votre délivrance approche." Et il leur dit une parabole : "Voyez le figuier et tous les arbres. Dès qu'ils lancent déjà des pousses, en les regardant, vous comprenez de vous-mêmes que déjà l'été est proche. Ainsi de vous : lorsque vous verrez cela se produire, comprenez que le royaume de Dieu est proche. En vérité, je vous dis que cette génération ne passera pas que tout ne se soit produit. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles, non, elles ne passeront pas. Prenez garde à vous-mêmes, que vos coeurs ne s'alourdissent dans la crapulerie, l'ivrognerie, les soucis de la vie, et que ce jour-là ne fonde soudain sur vous comme un filet, car il surviendra sur tous ceux qui sont assis sur la face de toute la terre. Soyez sans sommeil en tout temps, en priant, afin que vous ayez la force d'échapper à tout ce qui va se produire, et de tenir debout devant le Fils de l'homme."»
Nous ne pourrons pas traverser ce passage si nous sommes habités par un préjugé qui le récuse et le déprécie ; par exemple, si nous nous disons : c'est inadmissible, comment se peut-il que dans l'Evangile il y ait des propos de ce genre ?
Autre précaution à prendre : faire taire en nous la curiosité. Je veux dire pas là que nous ne pourrons pas entrer dans ce passage si, sans cesse, nous nous disons : mais à quoi donc tout cela fait allusion ? quand donc ça s'est ou ça va se produire ?
Pourquoi, le préjugé autant que la curiosité nous empêchent-ils d'avancer ? Parce qu'ils nous retiennent, ils nous fixent sur eux-mêmes et nous feraient oublier que nous sommes ici pour marcher, pour aller dans le texte comme sur un chemin.
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Premier moment par lequel nous passons. Nous passons par l'expérience de l'ébranlement de ce qui est solide et fixe et qui, en outre, nous enveloppe, nous protège. «Il y aura des signes dans le soleil et la lune et les étoiles, et sur la terre angoisse des nations, embarrassées du fracas de la mer et de son agitation.» Au-dessus de nous et en dessous, ce qui nous surplombe comme ce qui nous soutient, le ciel et la terre, nous disons que tout cela bougera.
Nous disons encore autre chose. Nous disons que, de ce fait, en raison de cet ébranlement, une forte angoisse s'ensuivra. Pour qui ? Pour des gens dont nous parlons. Oui ! «Et sur la terre angoisse des nations, embarrassées du fracas de la mer et de son agitation». Etrangement, ce texte nous fait parler d'abord des autres, mais vient un moment où le texte que nous lisons nous fait dire ceci : «Quand cela commencera de se produire, redressez-vous et relevez votre tête». Jusqu'à la fin de passage, sans cesse, c'est à nous que le discours s'adressera.
Allons plus loin. Nous disons qu'il y aura des hommes qui rendront souffle. Toujours le phénomène physique. D'abord, les signes dans le soleil, le fracas de la mer et son agitation, mais accompagnés de leurs effets, de leurs effets humains : angoisse des nations. Maintenant, c'est la mort sous l'effet de la peur et de l'attente de ce qui survient à la terre habitée, la mort produite par l'incertitude en ce qui concerne l'avenir. Autrement dit, nous sommes placés devant un ensemble de phénomènes qui sont comme autant de signes.
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Nous apprenons que cet immense dérangement est le signe avant-coureur d'une venue. «Et alors on verra le Fils de l'homme venir dans une nuée avec puissance et beaucoup de gloire.» On nous parlait tout à l'heure des hommes qui expirent sous l'effet de la peur et de l'attente. Or voilà que dans ce même monde, de ce même monde, des hauteurs de ce monde, «dans une nuée, on verra le Fils de l'homme» et, lui aussi, il a sa puissance et il a même beaucoup de gloire. Ainsi, une autre puissance, humaine celle-là, celle du Fils de l'homme, prend la relève du monde qui se disloque. Cette autre puissance n'est plus celle du monde, mais elle est attribuée à quelqu'un auquel on donne un nom humain, un nom d'homme, le Fils de l'homme. Or, avec ce Fils de l'homme qui vient, qu'est-ce qui arrive ?
Notre délivrance. Du coup, nous découvrons ce que peut-être nous ne savions pas, ce que peut-être nous ne réalisions pas, c'est que nous avions à être délivrés. Cette venue nous signifie que, le sachant ou non, nous étions esclaves et que notre frayeur, ou la frayeur des autres devant les bouleversements qui se produisent, sont pour nous le signe de notre libération : «Redressez-vous et relevez votre tête parce que votre délivrance approche».
«Et il leur dit une parabole : "Voyez le figuier et tous les arbres. Dès qu'ils lancent déjà des pousses"» Jésus prend une comparaison qui n'a rien d'effrayant, une comparaison qui est tirée de la nature. Il est vrai que nous pouvons nous dire : si nous étions figuier, si nous étions arbre, lorsque nous sentons en nous les pousses qui s'élancent, il y aurait beaucoup de douleurs. Mais à peine avons-nous fait cette hypothèse, que nous sommes ramenés à la réalité. Nous nous disons : mais il est bien normal que le figuier, et même, tous les arbres, lancent des pousses !
Quoi qu'il en soit, nous voyons dans cette comparaison une image de ce qui nous arrive et de ce qui nous concerne. Nous sommes mis devant le caractère inévitable de la transformation. Et l'étonnant, c'est que de cette transformation, quand nous regardons le monde, nous ne nous étonnons pas : «en les regardant vous comprenez de vous-mêmes...» Et donnons à cette expression très simple sa force native. Nous comprenons de nous-mêmes, sans aller chercher ailleurs, nous comprenons à partir de ce qui se passe en nous. Nous comprenons de nous-mêmes quoi donc ? Que la catastrophe arrive ? non ! Que déjà l'été est proche !
«Ainsi de vous : lorsque vous verrez cela se produire, comprenez que le royaume de Dieu est proche». Tout se passe comme si le royaume de Dieu - gardons les mots mêmes du texte ! -, comme si le moment où Dieu est roi ne pouvait pas arriver sans qu'en nous, pour parler simplement, ça craque. Ça ne veut pas dire que Dieu est allergique à l'humain ou que l'humain est allergique à Dieu. Ça veut dire simplement que c'est le royaume de Dieu qui vient en nous. S'il vient, c'est qu'il peut être reçu, mais c'est lui qui vient, c'est l'été, et c'est le royaume de Dieu.
«En vérité, je vous dis que cette génération ne passera pas que tout ne se soit produit». Comprenons : personne de nous, ici, ne mourra sans avoir expérimenté cela. Et qu'est-ce qui nous permet de n'en pas douter ? C'est le crédit que nous accordons aux paroles de celui qui nous en parle, c'est tout ! «Le ciel et la terre passeront mais mes paroles, non, elles ne passeront pas». La présence actuelle des paroles de celui qui parle - et ces paroles nous les épousons, d'une certaine façon, en les prononçant ! -, nous assure de la permanence de cet événement pour bientôt, pour tout de suite.
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Ça n'est pas fini. «Prenez garde à vous-mêmes, que vos coeurs ne s'alourdissent dans la crapulerie, l'ivrognerie, les soucis de la vie.» Apparemment nous sommes bien loin du soleil, de la lune, des étoiles, du fracas de la mer et de son agitation. Pourtant, voilà une autre manière de nous parler de tout cela, mais d'une façon inversée, si je puis dire. Tout à l'heure, ce qui était fixe bougeait. Eh bien ! maintenant celui qui parle dit : «méfiez-vous de ce qui vous empêche de bouger». Or rien n'empêche plus de bouger que ce qui alourdit. La puissance solidifiante, la puissance qui fixe, elle n'est pas dans les éléments du monde, elle est dans notre propre coeur, c'est là qu'il y a des soleils, des lunes à faire bouger.
«Et que ce jour-là ne fonde soudain sur vous comme un filet, car il surviendra sur tous ceux qui sont assis sur la face de toute la terre». Nous avons fait, nous pouvons faire de notre vie un filet, un filet qui immobilise. De l'arrivée elle-même, de l'événement lui-même, nous sommes capables de faire du solide, mais un solide dans lequel nous sommes empêtrés. Etrange, cette image : «que ce jour-là ne fonde soudain sur vous comme un filet». Car il ne vient pas comme un filet. Nous avions appris tout à l'heure que ce qui approchait c'était au contraire notre délivrance. Comment se fait-il que notre délivrance devienne un piège, dans lequel nous nous empêtrons ?
Quoi qu'il en soit, c'est quelque chose qui peut arriver à tout le monde «car il surviendra sur tous ceux qui sont assis sur la face de toute la terre.» Tout à l'heure nous lisions «redressez-vous et relevez votre tête». Maintenant le registre change, mais comme ça se ressemble ! «Soyez sans sommeil en tout temps, en priant». En définitive, cet éveil, c'est l'autre nom de la liberté.
Mais allons plus loin. Cette liberté sera désirante, suppliante, attendante. Soyez sans sommeil en tout temps, en priant. Quel va être, sinon l'objet de la prière, du moins son résultat, qu'est-ce qu'on va attendre de cette prière ? D'échapper à tout ce qui va se produire. Mais pourquoi ? Pour qu'il ne soit pas tout seul, pour qu'il ait à qui parler, celui qui va venir «Afin que vous ayez la force d'échapper à tout ce qui va se produire, et de tenir debout devant le Fils de l'homme». Car le Fils de l'homme n'est pas un chasseur qui tend un filet, il n'est pas un braconnier. Le Fils de l'homme est un partenaire, quelqu'un avec qui, éventuellement, nous aurons à nous battre : nous avons à nous tenir debout devant lui !
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L'ébranlement du monde fait lever en nous la question suivante : Y a-t-il dans le monde autre chose que le monde ? Or la réponse, la voici : dans le monde il y a quelqu'un qui vient et sa venue nous libère de la peur ; qu'il y ait de l'avenir, qu'il y ait quelque chose à attendre, bien loin que ce soit notre malheur, c'est notre chance. Mais pour que l'avenir soit notre chance, encore faut-il que nous restions sans sommeil en tout temps. Et ne voyons pas dans cette insomnie je ne sais quelle prouesse à laquelle nous parviendrions à force d'énergie. Car cette insomnie prolongée sera tout entière pétrie de ce qui est le contraire de la suffisance : de notre prière. «Soyez sans sommeil en tout temps, en priant» !