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« Je te fiancerai à moi »

« (16) C’est pourquoi, voici, moi-même je la séduis, je la fais aller au désert et je parle à son cœur. (17)De là je lui donnerai ses vignes et la vallée d’Akhor en ouverture d’espoir. Là elle répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme au jour de sa montée de la terre d’Egypte.(18) Et c’est en ce jour-là - oracle de IHVH - que tu m’appelleras ‘mon homme’, et tu ne m’appelleras plus ‘mon Baal’. (19) Et j’écarterai les noms des Baals de sa bouche et ils ne se souviendront plus de leurs noms. (20) Et je trancherai pour eux une alliance, en ce jour-là, avec l’animal des champs, avec l’oiseau des cieux et la bestiole du sol. L’arc, l’épée, la guerre, je les briserai de la terre, et je les ferai coucher en sécurité. (21) Je te fiancerai à moi pour toujours. Je te fiancerai à moi dans la justice et dans le droit, dans la bonté et dans la compassion. (22) Et je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu pénétreras IHVH. (23) Et c’est en ce jour-là que je répondrai - oracle de IHVH -, je répondrai aux cieux, et eux répondront à la terre. (24) Et la terre répondra au blé et au moût et à l’huile fraîche. Et eux, ils répondront à Jizréel. (25) Et je la sèmerai pour moi sur la terre et j’aurai compassion de Celle-dont-on-n’a-pas-compassion et je dirai à Pas-mon-peuple ‘Toi, mon peuple’ et lui dira ‘Mon Dieu’ ».



Osée II, 16-25

C’est pourquoi, voici, moi-même je la séduis, je la fais aller au désert et je parle à son cœur.

Séduire, c’est détourner quelqu’un du chemin qu’il suivait, c’est aussi l’égarer, lui ouvrir un espace qui n’était pas le sien jusqu’alors. Aussi bien peut-on comprendre que la conduite au désert, ce lieu de l’errance, sans repères fixes, devienne ici une figure de la séduction. Pour éviter d’être perdu, parler, et aussi écouter, est la seule ressource qui reste, puisque, même si l’on est à l’écart de toute société, néanmoins on est avec quelqu’un. Ainsi du moins une route peut-elle être frayée par le séducteur, non pas dans l’étendue extérieure, mais dans la profondeur, et elle ira jusqu’au cœur.

De là je lui donnerai ses vignes et la vallée d’Akhor en ouverture d’espoir.

Le cœur ou, comme on voudra, le désert, le cœur dans le désert, est semblable à un site. C’est de là, de cet endroit, qui est dans l’intime, qu’un don sera fait par IHVH à la femme. Retrouvera-t-elle ces mêmes vignes qu’elle avait perdues mais qui étaient siennes, qui lui appartenaient déjà ? Peut-être. Mais, ce qui est certain, c’est que ses vignes lui seront données : si elle les possède, c’est à la suite d’un don et le fait même de ce don changera la façon selon laquelle elle pouvait préalablement en être propriétaire. En effet, la vallée d’Akhor - c’est-à-dire ‘la vallée du malheur’ - lui sera donnée, elle aussi, mais maintenant en ouverture d’espoir : elle fera donc mentir son nom. La séduction n’ouvrira pas sur un horizon d’affliction décevante. Tout au contraire, la femme verra sa condition se transformer heureusement par suite d’une parole que IHVH aura adressée à son cœur.

Là elle répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme au jour de sa montée de la terre d’Égypte.

Ni le cœur ni le désert, en dépit du qui les rappelle, ne sont vraiment des lieux dans l’espace. Pour les entendre dans leur vérité, il faut plutôt les comparer à des moments dans le temps : là…comme aux jours de sa jeunesse, comme au jour de sa montée… Et ces moments eux-mêmes sont significatifs. Non seulement leur évocation invite le lecteur à se retirer du présent, à se reporter au passé mais de ce passé n’est retenu que ce qu’il y eut en lui de commencement - la jeunesse - ou ce qui s’y produisit de rupture libératrice - la montée de la terre d’Egypte.

Et c’est en ce jour-là - oracle de IHVH - que tu m’appelleras ''mon homme'', et tu ne m’appelleras plus ''mon Baal''. Et j’écarterai les noms des Baals de sa bouche et ils ne se souviendront plus de leurs noms.

 

Le commencement et la rupture libératrice sont consommés, mais dans l’avenir, dans un avenir qui révoquera l’état d’aujourd’hui : ce qui est encore ne sera plus. Entre IHVH qui parle - oracle de IHVH - et la femme la proximité est telle, dès maintenant, que le discours devient une adresse : on passe à la deuxième personne du singulier - tu m’appelleras…tu ne m’appelleras plus…- pour dire, pour lui dire à elle-même ce qu’elle fera alors.

Qu’est-ce donc qui sera changé ? Rien d’autre - mais tout est là et il n’en faut pas davantage - que le nom dont elle désignera celui qui parle ici, et qui lui parle, IHVH. Elle l’appellera d’un nom qui, sans être un nom propre, - à la différence de Baal ? - ne peut convenir qu’à un seul : mon homme, lui dira-t-elle, ou, si l’’on préfère, mon mari. Mais cette adresse n’est que passagère. En revenant à la forme objective du récit sans destinataire marqué, en cessant de prendre la femme pour interlocutrice, IHVH proclame l’événement comme une vérité dont tous auront à connaître :

Et j’écarterai les noms des Baals de sa bouche et ils ne se souviendront plus de leurs noms.

Toujours les noms ! La nomination ou, plus exactement encore, l’appellation est si peu indifférente pour transformer la réalité qu’il convient d’écarter de la bouche et du souvenir, du corps et de l’esprit, jusqu’à la trace de certains noms, qui n’auront plus, littéralement, de raison d’être. Mais de cette annulation qui peut être l’auteur ou l’acteur, sinon IHVH lui-même ?

Et je trancherai pour eux une alliance, en ce jour-là, avec l’animal des champs, avec l’oiseau des cieux et la bestiole du sol. L’arc, l’épée, la guerre, je les briserai de la terre, et je les ferai coucher en sécurité

Pour eux. De qui s’agit-il ? Ce pluriel surprend. A moins qu’il ne suggère que l’identité de la femme est un ensemble et non pas une individualité. Or, c’est bien cette suggestion qu’il faut suivre, si du moins on veut comprendre en quoi consiste l’alliance qui est annoncée.

Il s’agit d’une alliance. On reste dans l’ordre de la conjugalité mais on ne s’y confine pas. En effet, le lien restauré entre IHVH et celle qu’il séduit s’exprime et se manifeste réellement dans une amitié entre elle et la nature et l’histoire : dans l’une comme dans l’autre, l’accord et la paix règneront. Dès lors, elle n’est plus une femme, mais un être pluriel, son identité se définit par rapport à l’ensemble des vivants des champs, des cieux et du sol et par rapport à l’ensemble des vivants humains, ceux de la terre : pour elle, devenue un ensemble, une communauté plurielle mais singulière, aucun d’eux ne sera un ennemi, tous seront des alliés en vertu d’une alliance qui se confond avec celle que IHVH tranchera pour elle, ou plutôt, en rigueur de termes, pour eux , puisqu’elle est devenue l’humanité tout entière.

Je te fiancerai à moi pour toujours. Je te fiancerai à moi dans la justice et dans le droit, dans la bonté et dans la compassion. Et je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu pénétreras IHVH.

De nouveau, mais avec insistance cette fois, IHVH parle à quelqu’un. Il s’adresse à celle qui est devenue l’humanité, qui ne cesse pas cependant d’être traitée comme une femme avec qui une alliance qui soit des fiançailles est possible.

Deux traits caractérisent ces fiançailles, dont l’événement est affirmé par trois fois. D’une part, elles sont à venir mais, quand elles viendront, elles seront pour toujours. D’autre part, elles institueront entre les fiancés une relation dont la marque essentielle sera la fidélité, à laquelle s’ajoutent la justice, le droit et la compassion. En bref, ces fiançailles s’inscrivent dans une éthique, celle de la bonté et de la fidélité, non dépourvue de légalité - la justice, le droit - ni d’affectivité - la compassion.

C’est IHVH qui a l’initiative des fiançailles. C’est lui aussi qui peut seul en prévoir la fécondité en celle avec qui il aura choisi de faire alliance. Le fruit de celle-ci ne se distinguera pas d’elle-même, il consistera en une intimité qui tiendra tout ensemble d’une connaissance comme par intuition et de l’union charnelle. Tel est le sens qu’il convient d’attribuer à la déclaration qui résonne comme un cri de victoire : et tu pénétreras IHVH. On dirait que le rôle actif dans leur union appartiendra alors à celle-là même dont IHVH aura fait sa fiancée. Remarquons en outre que IHVH ne dit pas ‘Tu me pénétreras’ mais se désigne lui-même comme s’il était un autre que celui qui parle et recourt au nom propre, singulier entre tous, IHVH.

Et c’est en ce jour-là que je répondrai - oracle de IHVH -, je répondrai aux cieux, et eux répondront à la terre. Et la terre répondra au blé et au moût et à l’huile fraîche. Et eux, ils répondront à Jizréel. Et je la sèmerai pour moi sur la terre et j’aurai compassion de Lô-Roukhamma (Celle-dont-on-n’a-pas-compassion) et je dirai à Lô-Ammi (Pas-mon-peuple) ''Toi, mon peuple'' et lui dira ''Mon Dieu''.

 

Répondre vient cinq fois dans les propos de IHVH et fait écho à ce qu’on avait lu, dans ces mêmes propos, un peu plus haut : Là elle répondra…

 

Répondre, c’est corre, c’est être accordé, se tenir au même niveau. Sans doute. Mais, plus radicalement encore, c’est parler à son tour, c’est transformer ainsi une adresse en un ensemble formé de l’adresse initiale elle-même et de cette autre adresse qui, justement, lui fait face et la relance ou la termine. En un mot, répondre, c’est ce qui change une parole dirigée vers quelqu’un en un entretien.

Ici, en tout cas, la réponse ne viendra pas à la suite d’une question : elle succèdera à un appel que constituait une situation antérieure, elle est un changement survenu dans cette situation, un changement qui lui-même modifie la conversation qu’avait établie cette situation entre les deux interlocuteurs.

Bien plus encore, la réponse est absolue : rien d’autre qu’elle ne s’ajoutera à elle. En un certain sens il n’y a que IHVH qui réponde : Et c’est en ce jour-là que je répondrai - oracle de IHVH. C’est lui qui a ouvert le premier la série des réponses, toutes celles qui suivront la sienne l’imiteront ou la déploieront dans la nature et dans l’histoire. Puisque IHVH répond, tout se passe comme si toutes choses, les cieux, la terre, le blé, le moût, l’huile pure et aussi le lieu nommé Jizréel, c’est-à-dire ‘Dieu sème’, appartenaient à cette modalité d’être qu’est la réponse.

Qui, du reste, répondra à Jizréel ? On lit : Et eux, ils répondront à Jizréel ? Qui est désigné par eux ? S’agit-il des divers éléments et produits naturels qui viennent d’être mentionnés ? Ne faut-il pas entendre plutôt que ce pluriel est un collectif, qui lui-même se substitue à elle, à la femme, comme on l’avait vu plus haut, quand on lisait : Et je trancherai pour eux une alliance ? Ce qui est certain, c’est que le féminin singulier revient aussitôt - Et je la sèmerai pour moi sur la terre…

Quoi qu’il en soit, par les termes de semence et de réponse, deux registres, celui de la vie et celui de la parole, sont utilisés et rapprochés l’un de l’autre pour signifier le retournement dont IHVH prendra l’initiative.

Ainsi donc sans autre motif que sa propre décision, IHVH passera de la non-compassion à la compassion. Dans l’un comme dans l’autre de ces deux comportements, lui seul sera actif. Or, dans le même mouvement - mais cette fois il y aura une certaine réciprocité - IHVH cessera de nier que son peuple soit sien, tandis que son peuple dira ‘Mon Dieu’. Dans le cas de la compassion c’est donc la souveraineté qui se manifestera, unilatéralement. En revanche, quand interviendra la réciprocité, les deux agents parleront à égalité mais diversement toutefois, puisque IHVH passera de la négation à l’affirmation de son peuple, tandis que celui-ci, comme s’il n’avait jamais parlé autrement, dira ‘Mon Dieu’. Et à qui le dira-t-il ? On peut estimer qu’il s’adressera à IHVH mais rien ne le signifie expressément, alors que IHVH le prendra directement pour interlocuteur : et je dirai à Pas-mon-peuple‘Toi, mon peuple’.

Le théologal et l’éthique

Nous ne pouvons pas négliger le fait que l’annonce de la conduite que tiendra IHVH se présente comme une suite ou une conséquence de ce qui a précédé : C’est pourquoi, voici, moi-même je la séduis… Bien plus, en fidélité à la lettre du texte, on peut entendre cette annonce comme un message de IHVH - oracle de IHVH, lisons-nous par deux fois qui répond au message que constituait par elle-même la conduite adoptée par elle, par eux, par toi. Ainsi cette conduite à laquelle IHVH répond était-elle déjà une réponse, mais bien différente de celle qui avait été donnée autrefois : Là elle répondra comme aux jours de sa jeunesse…

 

En somme, le champ de l’entretien n’a pas été détruit. Sinon, comment l’entretien pourrait-il se poursuivre comme il le fait ici ? Mais, assurément, cet entretien, si l’on ose dire, a mal tourné. IHVH n’annonce donc pas son rétablissement mais en quoi, désormais, il consistera.

Il s’agira toujours d’une communication dont lui-même, IHVH, aura l’initiative, et d’une communication avec lui : Je te fiancerai à moi...On peut donc convenir de la nommer religieuse ou, mieux encore, théologale, puisque le peuple dira ‘Mon Dieu’. Quant au langage dans lequel IHVH et celui qu’il nomme mon peuple se parleront l’un à l’autre, il consistera en une certaine conduite. On peut donc, à le considérer dans son ensemble, le désigner par l’adjectif ‘éthique’. En effet, ils se rencontreront, pour s’entretenir, dans la justice et dans le droit, dans la bonté et dans la compassion, dans la fidélité.

Comme on l’a dit déjà, la rencontre atteindra à une extrême intimité. Mais celle-ci ne sera en rien atténuée de n’être pas seulement affective, comme il arrive à l’émotion qu’on nomme religieuse, mais de s’inscrire dans les comportements de la vie sociale. Or, ces derniers n’intéressent pas seulement les deux partenaires mais tous ceux avec lesquels le peuple et ses membres sont en relation. En bref, ce qui est théologal est éthique et ce qui est éthique est théologal.

Le présent et l’avenir

La fidélité résume à elle seule les conditions dans lesquelles se produiront les fiançailles annoncées par IHVH. Elle apparaît, en effet, comme le point culminant, dans le futur, d’une suite de déclarations sur cet événement et elle est mentionnée juste avant que ne soit évoqué le fruit qui sera porté par cet événement : Je te fiancerai à moi pour toujours. Je te fiancerai à moi dans la justice et dans le droit, dans la bonté et dans la compassion. Et je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu pénétreras IHVH.

Ainsi la fidélité est-elle la marque distinctive par excellence des fiançailles à venir. Dès lors, ne peut-on pas faire l’hypothèse que cette fidélité, qui marquera les fiançailles elles-mêmes, portera alors à sa plus haute actualité la même foi dont on doit dès à présent accompagner leur annonce et qu’on doit aussi accorder à l’accueil de cette annonce ? En d’autres termes, ces fiançailles ne commencent-elles pas dès maintenant dans le message lui-même qui en est publié ? Ce message n’est-il pas le germe porteur de leur pleine réalisation future ou même encore la très réelle anticipation actuelle de celle-ci ?

En vérité, si le message ne donnait pas dès à présent ce qu’il annonce, ou s’il n’était que la proposition d’une possibilité ou d’un projet et non pas l’avènement effectif dans l’histoire présente de la réalité qu’il énonce, serait-il encore un message de IHVH, un oracle de IHVH ? Non, bien entendu.

Car tout est là, tout est u à l’affirmation non tant de l’existence de IHVH que de sa parole. En tenant IHVH comme l’expéditeur d’un message, ceux qui le reçoivent, sans quitter le temps qui passe, en continuant à y séjourner, sans cesser d’y exister comme des humains, deviennent les partenaires d’un absolument autre qu’eux-mêmes qui les y rencontre effectivement et s’y entretient avec eux. Et le toujours, la justice, le droit, la bonté, la compassion ou, en un mot, la fidélité constituent le terrain ou, si l’on préfère, l’élément de cette rencontre et de cet entretien. Comment un tel terrain ou un tel élément pourrait-il être seulement dans l’avenir sans que du même coup soient rendues irréelles les fiançailles, abstraites les réponses et inconsistante l’alliance ? En définitive, tout se passe donc comme s’il fallait que de tels événements fussent actuellement présents, puisque - et c’est cela croire absolument, théologalement - IHVH parle en eux.

Pourquoi avons-nous de la peine à adhérer à une telle pensée de la foi ?

La difficulté provient de l’intelligence que nous prenons du temps. Nous sommes avant tout attentifs en lui à la succession de moments étanches l’un par rapport à l’autre. Nous oublions que ces moments ne sont que la contraction, comme en des points, d’un mouvement qui ne cesse pas et dans lequel ils s’interpénètrent entre eux. On sait quel parti Bergson a su tirer de sa méditation sur la durée. Nous devrions nous en inspirer pour comprendre qu’entre le présent et l’avenir il n’y a pas de frontière et que la nouveauté incessante qui surgit en chaque présent ne découpe pas dans le mouvement un territoire qui aurait ses limites. Imaginer qu’il en est ainsi, c’est confondre le temps avec l’espace.

Penser selon la durée et non selon un temps analogue à l’espace ne conduira certes pas à croire, au sens qu’on vient de donner à ce verbe. Du moins le devenir, d’abord paradoxal, d’une continuité sans césure du présent et de l’avenir, que suppose la foi, deviendra-t-il intelligible. En effet, ce devenir sera compris comme une modalité qui n’est pas étrangère à l’expérience que nous faisons tous du temps.

On ajoutera à cela que, dans ces conditions, de IHVH lui-même on n’affirmera ni non plus ne niera l’éternité. En effet, une telle notion ne pourrait être conçue que comme ce qui surplombe le temps ou comme ce qui lui est immanent. On se contentera de reconnaître que notre relation à IHVH se poursuit à l’intérieur d’une durée qui n’est pas morcelée en moments successifs, et cela bien que naisse, dans le mouvement de cette durée, la distinction du présent et de l’avenir. Car décréter la confusion de celui-ci et de celui-là dans la simultanéité que créerait l’instant reviendrait à méconnaître l’expérience que nous faisons de notre appartenance au mouvement lui-même.

Au-delà de la scission et de la compacité : l’ouverture

Qu’il s’agisse de l’alliance ou de la réponse, on avait pu remarquer, dans un cas comme dans l’autre, que l’action de IHVH tendait à restaurer ou à maintenir des différences et nullement à instituer des compacités. Ainsi quand nous dirions volontiers ‘conclure une alliance’, nous lisons et je trancherai une alliance. D’autre part, l’ordre de la culture est bien distinct des divers règnes qui se rencontrent dans la nature et chacun de ces derniers a son autonomie. Ainsi, dans chaque cas, l’alliance, instituée par IHVH, maintient ou rétablit la paix et elle ne brise de la terre que ce qui menace cette paix. Quant aux réponses, dont IHVH est la source, on l’a dit, elles composent comme une symphonie dans laquelle chaque voix s’accorderait à celle avec laquelle elle est appariée. La fécondité elle-même apparaît comme l’heureux fruit de toutes ces accordailles : Et je la sèmerai pour moi sur la terre… Quant à la compassion pour Celle-dont-on’a-pas-compassion et à l’union avec le peuple, elles viennent comme pour couronner, par un suprême retournement, toute cette suite de concordes.

Une même affirmation court au travers de toutes ces déclarations. Il ne suffit pas d’y reconnaître un double refus, celui de la scission et celui de la compacité. Un seul et même geste s’accomplit en tout cela. Il faut le nommer d’un terme positif. On proposera ici de l’approcher à partir d’une notion qui est présente dès le début de ce passage dans les vocables qui sont employés. Ainsi la séduction, en hébreu du moins, est-elle à entendre comme le résultat d’une certaine facilité à se laisser ‘ouvrir’. Or, c’est en ouverture d’espoir que se changera la vallée d’Akhor - et l’on sait que ce toponyme connote le trouble, l’affliction, le malheur.

Ainsi sommes-nous conduits à concevoir une ouverture, mais une ouverture pour ainsi dire absolue, sans retour possible de son contraire, la fermeture, bref, l’ouverture d’un temps et d’un libres. C’est elle qui se déploie à travers un discours scandé par l’alliance, les fiançailles et la réponse. Ces trois termes signifient, chacun à sa façon, la liaison en acte. Mais les liens n’y sont pas conçus comme des chaînes , comme si un réseau d’attaches entravait et immobilisait en lui celle ou ceux qui s’y trouveraient pris : ils sont les  ponctuations d’un mouvement devenu réellement immense mais nullement abstrait, nourri d’histoire, d’un trajet au désert pourtant, où tout manque, où rien n’arrête, mais ce désert est sur la terre, où sont semés pour toujours, pour un entretien sans fin, la justice, le droit, la bonté, la compassion.

Clamart, le 7 mars 2009


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