Transportés dans le royaume du Fils
«Rendant grâce au Père, qui vous a faits capables d'avoir part au lot des saints dans la lumière, Lui qui nous a délivrés de la puissance de la ténèbre et nous a transportés dans le royaume du Fils de Son amour, en qui nous avons le rachat, la rémission des péchés. Lui qui est l'image du Dieu invisible, premier-né de toute création, parce qu'en Lui tout a été créé, dans les cieux et sur la terre, le visible et l'invisible, soit les Trônes, soit les Seigneuries, soit les Principautés, soit les Puissances. Tout est (à l'état) créé par Lui et en direction de Lui. Et Il est, Lui, la Tête du Corps, de l'Eglise, Lui qui est Principe, Premier-né d'entre les morts, afin qu'Il ait en tout, Lui, le premier rang, parce qu'en Lui il (Lui) a plu de faire habiter toute la Plénitude et par Lui de réconcilier tout en direction de Lui, ayant pacifié par le sang de Sa croix soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux.»
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Il est sans doute bien difficile de contester que ce texte nous parle de tout. Le mot revient avec une extrême fréquence : "premier-né de toute création", "en Lui tout a été créé", "Tout est (à l'état) créé", "afin qu'Il ait en tout, Lui, le premier rang,... en Lui il (Lui) a plu de faire habiter toute la Plénitude et par Lui de réconcilier tout" Sans cesse, nous sommes placés devant "tout".
Mais, presque autant que de "tout", ce texte nous parle de "Lui". Il est d'abord fait état d'un Lui qui, manifestement, renvoie au Père. Or, ce Père semble, d'une certaine façon, être oublié, avant de réapparaître vers la fin du texte : "parce qu'en Lui il (Lui) a plu de faire habiter toute la Plénitude". On aurait pu traduire : parce qu'en Lui Il a décidé, au sens où l'on dit "tel est mon bon plaisir".
Tous les autres "Lui" sont des reprises du Fils du Père "Lui qui est l'image du Dieu invisible... en Lui tout a été créé... Tout est (à l'état) créé par Lui et en direction de Lui... Il est, Lui, la Tête du Corps, ... Lui qui est Principe... afin qu'Il ait en tout, Lui, le premier rang... parce qu'en Lui il (Lui) a plu... et par Lui de réconcilier tout en direction de Lui", et ce "Lui" apparaît bien sûr aussi dans le "par le sang de Sa croix".
Qu'est-ce qui va faire que ce discours sur tout et sur Lui devient vrai pour nous ? Voilà la question à laquelle je voudrais répondre.
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Concentrons-nous sur les quatre premières lignes : "Rendant grâce au Père, qui vous a faits capables d'avoir part au lot des saints dans la lumière, Lui qui nous a délivrés de la puissance de la ténèbre et nous a transportés dans le royaume du Fils de Son amour, en qui nous avons le rachat, la rémission des péchés."
Supposons que nous ne sachions pas ce que veut dire "être racheté". Supposons que l'expression "rémission des péchés" n'ait pas de sens pour nous. Que comprendrions-nous à ce passage en son début ?
Ce passage fait appel à une forme que prend la foi. Ce n'est pas la seule, il y en aura deux autres. Première forme que prend la foi : celle d'une liberté donnée. Quiconque resterait attaché à une quelconque captivité et, surtout, resterait prisonnier de ce qu'on appelle une culpabilité, celui-là, quel qu'il soit, ne peut pas porter, supporter ce qui est dit du Père.
Nous supposons donc que ce texte est dit par des gens qui sont devenus libres. Supposez que nous ne pensions pas être délivrés, que nous ne pensions pas être rachetés, que nous ne pensions pas que nos péchés, on les a envoyé promener. Alors, ce nom de Père n'aura pas de sens. Ainsi, ces quelques lignes nous donnent accès à l'intelligence vive de ce nom de Père.
Et avant d'entendre ce nom avec la majuscule qu'il a ici, demandons-nous si, dans cette phrase, n'est pas marquée expressément ce qu'est la fonction de toute paternité. Le père est un passeur. Le père, c'est celui qui fait passer quelqu'un, qu'il appelle son fils, à l'état de fils.
"Lui qui nous a délivrés de la puissance de la ténèbre et nous a transportés dans le royaume du Fils de Son amour". La fonction de tout père consiste à faire passer quelqu'un qui n'est que né à l'état de fils. Car nous savons bien qu'il ne suffit pas de naître pour être fils.
C'est sur fond de cette expérience libératrice que la foi prend forme. Elle nous conduit à reconnaître à notre tour quelqu'un qui a fait un geste, à notre égard, un geste analogue à celui que fait tout père qui délivre et qui transporte ailleurs.
Nous voyons bien que s'oppose "la puissance de la ténèbre" et "le royaume du Fils de Son amour". Cet accès à la liberté est inséparable de l'entrée dans un autre monde, dans le monde où existe un Fils.
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Il y a une deuxième forme que prend notre foi. "Lui qui est l'image du Dieu invisible, premier-né de toute création, parce qu'en Lui tout a été créé, dans les cieux et sur la terre, le visible et l'invisible, soit les Trônes, soit les Seigneuries, soit les Principautés, soit les Puissances. Tout est (à l'état) créé par Lui et en direction de Lui."
Prêtons attention à quelques mots qui reviennent et qui donc, pour cette raison, se signalent à nous. Bien sûr, il y a le visible qui apparaît deux fois et, aussi, l'invisible, et, dans la même ligne de la visibilité, nous trouvons l'image.
Il y a un autre terme important : "parce qu'en Lui tout a été créé". L'expression revient, mais avec une autre tournure, que je crois n'avoir pas trahie en vous la proposant comme je le fais ici : "Tout est (à l'état) créé par Lui".
La deuxième forme que prend la foi, on pourrait l'approcher de la manière suivante : c'est l'expérience de se voir comme créé. "Lui qui est l'image du Dieu invisible, premier-né de toute création". C'est assez étrange car, s'il y a quelque chose qui ne peut pas se voir, c'est bien cette propriété d'être créé, d'être dans l'état de créé.
L'expérience indiquée est celle-ci : regardez-vous, oui ! mais regardez-vous comme fils. N'oublions pas que tous ces "Lui", cette série de "Lui", renvoient au Fils. Regardez-vous ou, plutôt, regardez-Le car Il nous fait voir, comme une image, le geste d'être créé, qui est gravé en Lui. Cette marque est inscrite en Lui, le Fils de Son amour, en tant que celui ci est, comme nous, né, et même en tant qu'Il est, comme nous et comme tout ce qui existe, créé. Car Il est aussi créé. Ainsi, être le Fils de Son amour est compatible avec être au commencement de la création. Impossible de l'approcher, ce Fils de Son amour, sans le prendre aussi comme ce qui est au commencement de tout. Tout porte trace filiale. Tout ce qui existe, existe filialement, puisque c'est en Lui que tout a été créé.
Voilà donc une deuxième forme de la foi : se voir filialement solidaire de tout ce qui existe et qui est créé. Or, pour faire cette expérience, il n'y a qu'à regarder vers un autre : "Lui qui est l'image du Dieu invisible". Se regarder, mais en un autre, et un autre auquel nous appartenons, un autre dont nous sommes membres.
Vous voyez quelle torsion extraordinaire nous est demandée. Nous devons nous voir en quelqu'un, comme on voit une image, en quelqu'un dont nous sommes membres, nous et tout ce qui peut exister.
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Voici maintenant la dernière forme que va prendre notre foi dans ce passage. "Il est, Lui, la Tête du Corps, de l'Eglise, Lui qui est Principe, Premier-né d'entre les morts, afin qu'Il ait en tout, Lui, le premier rang, parce qu'en Lui Il (Lui) a plu de faire habiter toute la Plénitude et par Lui de réconcilier tout en direction de Lui, ayant pacifié par le sang de Sa croix soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux."
La fin de ce passage nous rappelle le début. Maintenant, le Père réapparaît : "parce qu'en Lui il (Lui) a plu de faire habiter".
Il y a autre chose qui réapparaît, c'est ce que j'appellerai l'histoire, ce qui s'est passé. "Premier-né d'entre les morts," et puis, la finale : "ayant pacifié par le sang de Sa croix soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux". "Il est, Lui, la Tête du Corps". Quoi de plus physique qu'un corps ? Quoi de plus sensible qu'un corps, et qu'une tête. Or, nous voilà pourvus d'une tête et dans un corps, puisque aussi bien "Il est, Lui, la Tête du Corps". Notre corps n'est pas seulement ce complexe de chair, d'os et de membres auquel nous donnons ce nom : "Il est, Lui, la Tête du Corps, de l'Eglise, Lui qui est Principe, Premier-né d'entre les morts". Cette fois-ci, il s'agit bien encore et toujours de tout mais, c'est un tout pris sous un autre aspect que précédemment. C'est le tout de la société humaine, ce qui n'est pas la même chose que la création, le visible, l'invisible, les Trônes, les Seigneuries, les Puissances et les Principautés. C'est le tout d'une société historique dans laquelle nous nous trouvons et où il y a quelqu'un qui accomplit une certaine oeuvre : il travaille à rétablir une alliance brisée.
En effet, s'il a plu au Père de faire habiter en Lui toute la plénitude, tout ce qui peut remplir ce qu'il y a à remplir, c'est pourquoi ? C'est pour que quelque chose qui était brisé soit restauré. "Et par Lui de réconcilier tout en direction de Lui, ayant pacifié par le sang de Sa croix soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux".
Cette charge de mettre de la paix dans ce qui existe dans l'histoire, le Père l'a confiée à son Fils, et celui-ci a accompli sa tâche.
Nous pouvons maintenant rabattre la fin de ce passage sur son début. Oui, c'est Lui qui a introduit, par la volonté du Père, la paix dans tout ce qui est sur la terre et dans tout ce qui est dans les cieux. Or, nous avions commencé par dire que nous avions été transportés dans le domaine de souveraineté du Fils de Son amour. Relisons le début : "Lui qui nous a délivrés de la puissance de la ténèbre et nous a transportés dans le royaume", là où le Fils de Son amour exerce son pouvoir.
En d'autres mots, c'est Lui, en effet, qui a, par le sang de Sa croix, introduit de la paix dans ce monde et pas seulement dans le monde des choses qui sont, mais dans le monde des hommes qui vivent. Or, ce Lui peut aussi recevoir une autre désignation : ce Lui, si présent tout au long de ce texte, on peut l'appeler "vous", on peut l'appeler "nous". "Rendant grâce au Père, qui vous a faits capables d'avoir part au lot des saints dans la lumière, Lui qui nous a délivrés de la puissance de la ténèbre et nous a transportés dans le royaume du Fils de Son amour, en qui nous avons le rachat, la rémission des péchés."
En définitive, de quoi parle ce texte ? Nous sommes peut-être moins sûrs qu'il parle seulement de "tout" et de "Lui". Nous ne sommes pas oubliés : il parle aussi de nous.