Cette écriture est accomplie dans vos oreilles.
«Et Jésus, dans la puissance du Souffle, retourna en Galilée, et une rumeur sortit par tout le pays d'alentour autour de lui. Et il enseignait dans leurs synagogues, glorifié par tous. Et il vint à Nazara, où il avait été nourri, et il entra selon son habitude, le jour du sabbat, dans la synagogue, et il se leva pour lire. Et on lui donna un livre du prophète Isaïe et, ayant déplié le livre, il trouva le lieu où il était écrit :
"Un Souffle du Seigneur (est venu) sur moi,
parce qu'il m'a oint
pour annoncer une bonne nouvelle à des pauvres,
a fait de moi un envoyé
pour proclamer à des prisonniers : libération !
et à des aveugles : vue recouvrée !
pour envoyer des opprimés : en liberté !
pour proclamer une année-faveur du Seigneur."
Et, ayant replié le livre, l'ayant redonné au servant, il s'assit. Et les yeux de tous dans la synagogue étaient tendus sur lui. Il commença à dire envers eux : "Aujourd'hui cette écriture est accomplie dans vos oreilles".»
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Je vous invite à suivre, comme on ferait d'un fil rouge qui tient tout le texte, tous les termes qui, dans ce passage, de près ou de loin, ont trait à la communication.
"Jésus, dans la puissance du Souffle, retourna en Galilée, et une rumeur sortit...". D'emblée, voilà un mot qui évoque, plus que le bruit, déjà un propos, en tout cas la diffusion d'un bruit qui signifie quelque chose.
"... et une rumeur sortit par tout le pays d'alentour autour de lui. Et il enseignait dans leurs synagogues..." Si enseigner ne signifie pas la communication de quelqu'un à quelqu'un d'autre, alors, nous n'entendons plus les mots.
"... Et il enseignait dans leurs synagogues, glorifié par tous". Je vous invite aussi à entendre dans "glorifié" quelque chose qui a trait à l'inscription de quelqu'un dans une vie sociale où l'on est reconnu.
"Et il vint à Nazara, où il avait été nourri, et il entra selon son habitude, le jour du sabbat, dans la synagogue, et il se leva pour lire". Nous savons d'expérience que lire est une expérience de communication.
"Et on lui donna un livre du prophète Isaïe..." Un livre : ce qui permet de lire. Le prophète, rapproché du livre, n'est pas tant l'homme du livre que l'homme de la parole. Le prophète est celui qui parle à la place de quelqu'un.
"... et, ayant déplié le livre, il trouva le lieu où il était écrit". De nouveau, un mot de la communication : l'écriture.
"Un Souffle du Seigneur (est venu) sur moi, par ce qu'il m'a oint pour annoncer une bonne nouvelle à des pauvres". L'annonce, la bonne nouvelle, voilà qui touche encore à la communication.
"a fait de moi un envoyé...". Envoyé : le mot évoque aussi la rencontre de la communication.
"... pour proclamer...", de nouveau nous rencontrons un terme appartenant au registre de la parole
"... à des prisonniers : libération ! et à des aveugles : vue recouvrée !..." Si nous acceptons d'entendre les mots au sens large, l'aveugle, c'est celui qui manque de la communication par les yeux, et voir, ce n'est pas simplement être impressionné par la lumière, mais c'est déjà, d'une certaine façon, sinon comprendre, du moins recevoir et apprendre. Quant aux prisonniers, leur liberté de communiquer est réduite, sinon supprimée.
"pour envoyer- déjà nommé ! - des opprimés : en liberté ! pour proclamer..." Une fois de plus arrive un mot, mais déjà rencontré, qui, lui aussi, est à verser au registre de la communication.
"... Et, ayant replié le livre - déjà rencontré -,l'ayant redonné au servant, il s'assit. Et les yeux de tous dans la synagogue étaient tendus sur lui". Les yeux, ici surtout, sont éloquents !
"Il commença à dire". Dire, c'est bien sûr quelque chose qui relève du même registre.
""Aujourd'hui cette écriture est accomplie dans vos oreilles."" L'écrit revient et, étrangement, c'est une écriture qui est accomplie... dans les oreilles.
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Il y a aussi un autre fil, qui révèle la présence d'un autre ordre, celui de l'espace. Dans la puissance du Souffle, Jésus retourne "en Galilée, et une rumeur sortit par tout le pays d'alentour". Ensuite, plutôt que "à son sujet", il est plus exact de traduire par "autour de lui". La Galilée, le pays tout entier se réduit à "leurs synagogues", les lieux où l'on se rassemble - tel est en effet le sens du mot synagogue -. L'espace se restreint encore plus : "Et il vint à Nazara, où il avait été nourri, et il entra selon son habitude, le jour du sabbat, dans la synagogue, et il se leva pour lire. Et on lui donna un livre du prophète Isaïe et, ayant déplié le livre". Le livre est une sorte de lieu concentré, qu'il s'agit de déployer. Jésus trouve "le lieu où il était écrit".
Plus nous avons progressé dans ce texte en étant attentifs à la localisation, plus précis était le lieu. Nous lisons : "le lieu où il était écrit : "Un Souffle du Seigneur ... sur moi". Le lieu est maintenant identifié avec celui qui l'occupe. "parce qu'il m'a oint pour annoncer une bonne nouvelle à des pauvres, a fait de moi un envoyé". Le lieu est encore très présent quand nous lisons "à des prisonniers" : ils sont retenus par ce lieu qu'est la prison. Le lieu va devenir encore de plus en plus précis : "ayant replié le livre, l'ayant redonné au servant, il s'assit" : le lieu est investi par la présence de Jésus, il l'occupe. "Et les yeux de tous dans la synagogue étaient tendus sur lui". Il est devenu une sorte de point de mire, le lieu où convergent les regards. "«Il commença à dire envers eux : "Aujourd'hui cette écriture est accomplie dans vos oreilles".» Les oreilles sont le dernier lieu mentionné.
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Tout commence par un pays investi par quelqu'un autour de qui il n'y a qu'une rumeur. "Une rumeur sortit par tout le pays d'alentour autour de lui". Mais cette rumeur est suffisante pour que tous le reconnaissent. "Et il enseignait dans leurs synagogues, glorifié par tous".
Dès le début, en quelque sorte, nous avons la position du problème et sa solution. Jésus est là, porté par quelque chose de très léger, un souffle, presque rien, mais qui est aussitôt reconnu comme puissant. J'ai hésité, tout à l'heure, en suivant le fil rouge de la parole, à verser le Souffle au registre de la communication. "La puissance du Souffle" n'est pas sans rapport, pourtant, ni avec la rumeur (il faut toujours du souffle pour le moindre bruit) ni avec les paroles de reconnaissance, de glorification, qui convergent sur Jésus.
Je donne d'emblée la réponse avant de la prouver. Jésus va parler, non pas n'importe où mais là où il est né, de là d'où il est sorti, de là où il a grandi, où il a été élevé et nourri. Il parle du lieu spirituel, religieux, institué, qui est le sien, et ce n'est pas pour faire une démarche exceptionnelle. Il avait l'habitude de fréquenter ce lieu, la synagogue.
Il se lève pour lire, car ce que l'on fait dans ce lieu, c'est lire. Or, lire, pardonnez ce truisme, c'est toujours s'appuyer sur quelque chose qui est déjà écrit. Il ne va rien lire de nouveau. C'est déjà là. Toutefois, pour lire, il fait le geste d'ouvrir le lieu où c'est écrit. On insiste sur le déploiement du livre. Or, dans ce livre, il plonge dans le lieu occupé par une écriture.
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Ce qui est lu par Jésus est un passage du prophète Isaïe qui évoque un coup de vent du Seigneur : "Un Souffle du Seigneur (est venu)" - j'ai mis le verbe entre parenthèse parce qu'il n'est pas dans le texte. Ce qui est dans le texte, c'est l'évocation d'une irruption par l'intermédiaire d'une préposition. Le sens est le suivant : le Souffle du Seigneur a fondu sur moi - "parce qu'il m'a oint", parce qu'il a fait de moi un Messie. Il m'a oint pour ouvrir, pour annoncer une bonne nouvelle à des pauvres. La parole qui est écrite porte en elle l'appel à libérer ceux qui la reçoivent.
Autrement dit, l'effet de la parole est dans le sens, dans la direction qu'elle prend. Elle se dirige vers des pauvres, des prisonniers, des aveugles, des opprimés, pour que, eux aussi, soient, comme le livre, dépliés.
"Pour annoncer une bonne nouvelle à des pauvres, il a fait de moi un envoyé pour proclamer à des prisonniers : libération ! et à des aveugles : vue recouvrée ! pour envoyer des opprimés en disant : en liberté !".
Vous observerez que ce qu'il fait, il le communique aux autres. Nous avions lu tout à l'heure : "pour proclamer à des prisonniers : libération", après avoir lu "a fait de moi un envoyé". Or voilà que l'envoyé envoie : "pour envoyer des opprimés".
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Il y a le fil de la communication. Il y a le fil de la localisation. Il y a enfin un autre fil encore, celui du temps.
Puisque l'événement arrive, pardonnez, là encore, le truisme, il y a un temps où il n'est pas encore arrivé. Qu'il ne soit pas arrivé ne signifie pas qu'il n'arrivera pas. En tout cas c'est arrivé dans le lieu de l'écriture qui, lui-même, enferme une parole du prophète, une parole qui ouvre sur un avenir de liberté.
"Et, ayant replié le livre" : la parole qui vient d'être prononcée est en quelque sorte reconduite dans les archives. Le livre est replié, il est confié à qui en est le serviteur "l'ayant redonné au servant, il s'assit."
Au commencement, on parlait d'une rumeur. La rumeur est maintenant remplacée par une sorte de fascination. "Et les yeux de tous dans la synagogue étaient tendus sur lui."
Mais est-ce vraiment affaire de regard ? "Il commença à dire envers eux", qui sont fascinés par lui, qui fixent leurs yeux sur lui. Pourtant, il ne s'agit pas de ce qui arrive par les yeux. "Aujourd'hui cette écriture est accomplie dans vos oreilles." Le dernier lieu, ce n'est plus le livre, ouvert et refermé. Ce n'est pas non plus la parole de Jésus soutenue par un souffle, le Souffle du Seigneur. Le dernier lieu, ce sont les oreilles.
Qu'est-ce qui va se passer dans "vos oreilles" ? Les oreilles sont à la place du livre. Ce sont ces oreilles qui vont décider en dernière instance. La foi vient par l'écoute. Maintenant tout se passe dans le lieu qui a été touché, où ce qui est écrit est devenu parole (vous savez bien qu'une parole n'est pas seulement dans la bouche de celui qui parle, elle est inséparablement dans la bouche de celui qui parle et dans l'oreille de celui qui écoute). La parole dépend, pour son accomplissement, de l'écoute que vous allez lui donner.
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Si le Souffle du Seigneur était tombé sur Jésus pour le qualifier, pour l'oindre, c'était dans un but très précis : pour annoncer une bonne nouvelle à des pauvres, pour proclamer à des prisonniers libération, à des aveugles vue recouvrée et pour envoyer des opprimés en liberté.
Ce que nous appelons la communication avec les autres n'a de sens que de se diriger vers des gens, non pas tant pour leur faire du bien que pour les rendre libres. Pour les enrichir d'une liberté qu'ils n'ont pas. Quel est le sens de la parole, de l'entretien que les hommes nouent entre eux depuis que le monde est monde ? Il est ici découvert dans le livre que lit Jésus à la synagogue. Il n'y a de parole que pour libérer. Mais toute parole ne libère que qui l'entend et toute parole qui ne serait pas pour libérer n'est pas une parole. La fonction messianique de Jésus est de révéler la portée de la parole. Il est venu pour annoncer une bonne nouvelle à des pauvres qui en manquaient.
Nous sommes placés devant le miracle de la parole. La parole fait entendre. La liberté, c'est la prison niée. La prison ne peut pas recevoir la liberté. La liberté casse la prison, comme la parole ouvre l'oreille sourde et ainsi de suite. C'est cela que Jésus est en train de proclamer.