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 Mis à mort dans la chair, mais fait vivant par le souffle 

«Oui, mieux vaut souffrir, si la volonté de Dieu le veut, en faisant le bien qu'en faisant le mal, puisque le Christ aussi est mort une fois pour nos péchés, juste en faveur d'injustes, afin de nous conduire à Dieu, mis à mort dans la chair, mais fait vivant par le souffle. C'est en celui-ci que, s'en étant allé, il a proclamé aussi aux souffles en prison, qui désobéirent jadis, quand la longanimité de Dieu attendait, aux jours de Noé, tandis qu'une arche était construite, dans laquelle peu, soit huit âmes, parvinrent à être sauvées à travers l'eau. C'est sa réplique qui maintenant vous sauve, le baptême : non pas un enlèvement d'une saleté de chair, mais une demande à Dieu d'une conscience bonne, à travers la résurrection de Jésus Christ, qui est à la droite de Dieu, après s'en être allé au ciel, après s'être soumis anges et pouvoirs et puissances.»


1 Pierre II, 17-22

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Comme il arrive souvent, il suffit de prêter attention aux toute premières phrases d'un passage pour découvrir la question que ce passage nous suggère. Aujourd'hui, nous sommes servis et bien servis. Nous lisons, en effet, d'entrée de jeu : "Oui, mieux vaut souffrir, si la volonté de Dieu le veut, en faisant le bien qu'en faisant le mal".

Il nous suffit, comme on le fait pour un gant, de retourner cette phrase pour que surgisse un tourment, qui hante toute conscience humaine.

Pour chacun d'entre nous, il y a le mal, dont nous souffrons, dont nous pâtissons. Il y a aussi, pour chacun d'entre nous, le mal que nous faisons. Mais il y a aussi le bien que nous faisons.

L'énigme devant laquelle nous sommes sans cesse placés consiste en ceci : comment se fait-il que nous puissions souffrir quand nous faisons le bien ? Car nous constatons que la bonté n'est pas victorieuse. La bonté est défaite et elle ne nous fait pas échapper à la souffrance.

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Nous apprenons que "mieux vaut souffrir, si la volonté de Dieu le veut, en faisant le bien qu'en faisant le mal".

Si cette affirmation est posée d'emblée, c'est parce que, comme nous le lisons, "le Christ aussi est mort une fois pour nos péchés, juste en faveur d'injustes". Ce n'est pas arrivé qu'à nous. Vous sentez l'importance de ce "aussi". Il nous arrive de souffrir en faisant le bien. Or, cela vaut mieux, puisque c'est arrivé aussi à un autre, à celui qui est appelé ici le Christ, le Messie. "Puisque, le Messie, le Christ aussi est mort une fois". Le Christ aussi est mort, en faisant le bien, juste qu'il était "en faveur d'injustes". Ainsi, la situation de quiconque souffre, jusqu'à mourir en étant innocent, le Christ ne l'a pas inventée  : la souffrance du juste n'est pas arrivée dans l'histoire avec le Christ. Cependant, le Christ, en mourant pour nos péchés, juste en faveur d'injustes, a renouvelé cette situation. Il l'a épousée, il l'a habitée. De ce fait, cette situation s'est transformée. Aussi, maintenant, quand nous souffrons en faisant du bien, nous ne sommes pas dans une geôle, enfermés dans la souffrance qui accompagne le bien que nous avons accompli. Quand nous souffrons en faisant du bien, un chemin s'ouvre.

A ce moment-là, en effet, quand nous souffrons en faisant du bien, du fait que le Christ lui aussi a souffert et même est mort en faisant du bien, un chemin s'ouvre vers Dieu, c'est-à-dire, vers la vie : "afin de nous conduire à Dieu, mis à mort dans la chair, mais fait vivant par le souffle." Ainsi, le chemin vers Dieu et vers la vie a été ouvert par quelqu’un qui n'a pas supprimé la souffrance, mais qui a disqualifié son pouvoir de nous faire mourir. Voilà devant quoi nous sommes placés lorsque nous prenons le Christ au sérieux, lorsque nous croyons en lui. Nous ne pensons pas qu'il nous a délivrés de la souffrance, pas plus qu'il ne s'en est délivré lui-même, mais qu’il a détruit le pouvoir qu'elle aurait de nous détruire. Or, de ce fait, rien, même la souffrance que nous éprouvons quand nous faisons du mal, même la souffrance que nous pouvons infliger, rien, désormais, ne peut nous empêcher d'aller jusqu'à Dieu et de vivre.

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"C'est en celui-ci (le souffle) que, s'en étant allé, il a proclamé aussi aux souffles en prison, qui désobéirent jadis, quand la longanimité de Dieu attendait, aux jours de Noé, tandis qu'une arche était construite, dans laquelle peu, soit huit âmes, parvinrent à être sauvées à travers l'eau."

Il n'y a plus désormais de vie, plus de souffle qui soit en prison. Le Christ a été fait vivant par le souffle. Désormais, la désobéissance n'est pas plus puissante que ce que le Christ a fait. C'est pourquoi "il a proclamé aussi aux souffles en prison, qui désobéirent jadis, quand la longanimité de Dieu attendait, aux jours de Noé, tandis qu'une arche ‚tait construite". Désormais, quand nous pensons au départ du Christ, nous admettons qu'il n'y a plus de restriction à la grâce de la libération. Il n'y a plus personne qui soit en prison, puisqu'il est allé annoncer la libération à ceux que nous pourrions regarder comme en prison, à la différence des autres, qui, aux jours de Noé, avaient été sauvés, encore qu'avec parcimonie. Ainsi, déjà aux jours de Noé, il y avait eu salut, mais salut restreint : huit seulement "parvinrent à être sauvées à travers l'eau." Or, ce que le Christ a apporté de neuf, c'est de nous faire entendre que le salut désormais est à qui veut bien y croire.

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Au temps de Noé, l'eau emportait, submergeait, engloutissait. L'arche, elle, sauvait, protégeait.

Que se passe-t-il maintenant ?

Au temps de Noé, l'arche protégeait sans beaucoup de générosité, mais assez pour montrer que, finalement, Dieu attendait. Maintenant, ce n'est plus l'arche qui sauve, c'est l'eau elle-même. Oui, l'eau maintenant sauve. L'eau est une arche qui sauve. "C'est sa réplique qui maintenant vous sauve, le baptême". Dans le baptême, dans la plongée, l'eau et l'arche elle-même sont devenues quelque chose d'autre que tout ce que nous pouvons imaginer.

Aussitôt on écarte ce que nous pourrions imaginer : "non pas un enlèvement d'une saleté de chair, - vous allez continuer à souffrir, le baptême ne vous protège pas des coups de la vie. Rappelons-nous : "le Christ aussi est mort une fois pour nos péchés, juste en faveur d'injustes". Alors, dans le baptême, l'eau et l'arche sont devenues ce qui est appelé curieusement "une demande à Dieu d'une conscience bonne, à travers - non plus l'eau, mais la résurrection de Jésus Christ". Désormais, nous sommes dans l'arche, dans l'eau d'une demande, d'une demande que nous adressons à Dieu. Cette demande d'une bonne conscience a été accomplie et il lui a été répondu à travers cette dernière métamorphose de l'eau et de l’arche qu'est la résurrection de Jésus Christ. Par le baptême nous sommes plongés dans cette demande et dans l'exaucement de cette demande.

Si je parle de cette demande et de son exaucement, c'est parce que Jésus, le Christ, est désormais "à la droite de Dieu, après s'en être allé au ciel, après s'être soumis anges et pouvoirs et puissances." Le malheur de l'homme bon qui souffre, c'est d'être défait, dans sa souffrance, et malgré sa bonté. C'était le point dont nous partions. La situation a changé. Par le Baptême, dans lequel nous sommes plongés, le Christ vit en nous cette demande et nous place avec lui auprès de Dieu. Nous sommes déjà victorieux de tout ce qui pourrait nous empêcher d'être sauvés. Toutes ces forces qui sont appelées ici anges, pouvoirs, puissances, nous en sommes libérés. Alors, en effet, il vaut mieux souffrir, si la volonté de Dieu le veut, en faisant le bien qu'en faisant le mal, non pas toutefois parce que le bien est supérieur au mal, mais parce que Jésus, le Christ, a habité la souffrance. D’elle-même, cette souffrance n'est pas victorieuse. Mais, du fait du Christ, cette situation de souffrance dans la bonté est elle-même sauvée. Sinon, elle risquait d'être perdue.

Le Christ est la plus grande arche. En elle, non pas quelques-uns, mais tous entrent, quand ils passent à travers l'eau qui submerge, détruit, mais maintenant sauve. Non, nous ne sommes pas délivrés de la souffrance et pas même, surtout pas, de celle que nous faisons lorsque nous faisons bien, mais nous sommes délivrés de l'échec de cette souffrance.

9 mars 2000

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