Voici, nouvelles je fais toutes choses
«Et je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés, et la mer n’est plus. Et la cité, la sainte, Jérusalem nouvelle, je vis descendre à partir du ciel, d’auprès de Dieu, prête comme une épouse parée pour son homme. Et j’entendis une grande voix à partir du trône, disant: «Voici la tente de Dieu avec les humains, et il dressera tente avec eux, et eux seront ses peuples, et lui, Dieu, avec eux, sera leur dieu. Et il essuiera toute larme à partir de leurs yeux, et la mort ne sera plus, ni deuil ni cri ni peine ne seront plus, parce que les premières choses s’en sont allées.» Et dit celui qui était assis sur le trône: «Voici, nouvelles je fais toutes choses.»»
Si nous sommes fondés à nous donner cet objectif, c’est parce que la nouveauté est placée, dès le début, comme quelque chose qui saisit le voyant. C’est encore sur la nouveauté que nous quittons la lecture de ce passage. Nous lisons en effet : «Et je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle.» Un peu plus loin: «Et la cité, la sainte, Jérusalem nouvelle, je vis descendre». Enfin, le texte s’achève par cette déclaration de « celui qui était assis sur le trône: "Voici, nouvelles je fais toutes choses."» En quoi consiste donc cette nouveauté ?
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Le passage que nous venons de lire commence par une vision. «Et je vis un ciel nouveau». Ensuite, nous lisons: «je vis descendre».
La vision est accompagnée d’un discours écouté: «Et j’entendis une grande voix à partir du trône, disant».
Pour finir, ce n’est pas sur la réception du message que le texte insiste, mais sur la profération de ce message «Et dit celui qui était assis sur le trône: "Voici, nouvelles je fais toutes choses."»
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La vision est celle d’un univers transformé. Le monde physique est déclaré nouveau parce que le ciel, le premier ciel, la terre, la première terre, sont partis. Il y a nouveauté parce que ce qui était là d’abord n’est plus.
Mais la nouveauté se signale encore par un autre trait. D’une certaine façon, il y a encore du ciel et il y a encore de la terre. En revanche, nous apprenons que la mer n’est plus. Ainsi, la nouveauté consiste en un renouvellement, sans doute, mais aussi en une disparition.
Il y a autre chose encore qui tombe sous le regard. Mais cette chose n’a rien de commun avec le ciel, la terre, et pas davantage avec la mer. La vision se continue par l’apparition d’une cité. C’est une réalité d’un autre ordre que le ciel, que la terre et que la mer. Une cité est de l’ordre de la vie humaine socialisée, alors que le ciel, la terre et la mer appartiennent à l’ordre physique. Donc la nouveauté consiste dans le passage d’un ordre physique à un ordre social, humain.
«Et la cité, la sainte, Jérusalem nouvelle, je vis descendre à partir du ciel, d’auprès de Dieu, prête comme une épouse parée pour son homme». Ce n’est pas pour donner dans la familiarité, que j'ai traduit par «parée pour son homme». Il importait que nous distinguions l’homme en tant qu’il est masculin, et c’est de lui qu’il s’agit ici, de l’homme en tant qu’il est un être humain, dont il sera fait état un peu plus loin. J’aurais pu, bien sûr, traduirepar «parée pour son mari» et, quand un peu plus loin je vous propose ''«Voici la tente de Dieu avec les humains» ''j’aurais pu dire «avec les hommes». Mais j’ai conscience que, par cette traduction, je nous invite à mieux comprendre la fameuse nouveauté que nous cherchons à définir.
«La cité, la sainte, Jérusalem nouvelle». Nous pouvons penser que cette cité, si sainte qu’elle soit, est encore une cité humaine, puisqu’elle porte un nom repérable dans l’histoire et sur la carte. Mais nous apprenons aussitôt que cette cité sainte, Jérusalem nouvelle, le voyant la regarde qui descend à partir du ciel. Elle quitte le ciel. Elle ne monte pas vers lui, elle en vient: «je vis descendre à partir du ciel, d’auprès de Dieu». Il est donc suggéré assez clairement, que du lieu de Dieu, qui est censé être le ciel, provient un ensemble socialement organisé, saint, et qui porte le nom d’une ville déjà existante. Celle-ci, de ce fait, se trouve renouvelée. La nouveauté de Jérusalem consiste en ce qu’elle vient d’ailleurs que de l’endroit où elle est située en ce monde.
Il est remarquable que cette Jérusalem soit féminine. Pas féminine de n’importe quelle façon! Elle est «prête comme une épouse parée pour son homme». Il s’agit d’un événement qui concerne une cité. Or, une cité est un espace social à l’intérieur duquel des êtres humains vivent ensemble. Ils y sont régis par la loi d’alliance interne qui constitue cette cité. Ainsi, la vision atteint son moment suprême dans le spectacle d’une alliance. Cette cité, devenue femme, est en fait une épouse, et une épouse parée pour son homme. Bref, la nouveauté consiste en l’avènement d’une alliance: alliance préparée par la mention de la cité, distincte du monde physique, alliance qui culmine dans la transformation de la cité en une épouse parée pour son homme. Nous sommes parvenus à un moment nuptial.
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«J’entendis une grande voix à partir du trône, disant». C’est la voix de celui qui règne. Elle part du lieu où il préside à toutes choses.
Et que dit cette voix? Nouveau changement d’image. «Voici la tente de Dieu avec les humains». Bien sûr, on pourrait édulcorer le texte et dire voici la «résidence», voici la «demeure» de Dieu. Mais le texte évoque la demeure dressée dans le désert. Son habitant est nommé Dieu. C’est la tente de ce Dieu d’où venait la Jérusalem nouvelle! Après l’image nuptiale, voici une image sociale: «Voici la tente de Dieu avec les humains». (Peut-être percevons-nous qu’il était important de lire «humain», et non pas «homme», non pas «individu masculin»!)
La voix qui se fait entendre commente ce qui est vu en le transformant. En effet, ce qui était vu, c’était la Jérusalem nouvelle, parée comme pour une cérémonie matrimoniale. Nous pouvons nous demander si la voix commente en nous faisant régresser par rapport à cette intimité nuptiale ou en nous faisant avancer, aller plus loin. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que cette voix est autorisée. Elle est puissante. Surtout, elle a l’autorité de celui qui règne. «Voici la tente de Dieu avec les humains». Nouvelle définition de cette nouveauté. Cette désignation condense le caractère transcendant et, en même temps, l’aspect social de la nouveauté.
Or, de cette tente de Dieu avec les humains, il nous est dit qu’ «il la dressera avec eux». Un événement est donné comme à venir. La voix ajoute, par son commentaire, l’avènement d’un événement. Ainsi, la voix ne se contente pas de parler autrement que n’avait pu le faire le voyant, lorsqu’il racontait sa vision.
L’événement grossit, s’amplifie: «et eux seront ses peuples, et lui, Dieu, avec eux, sera leur dieu». C’est en s’associant à eux que Dieu devient leur dieu. L’événement de la tente dressée avec les humains change, changera - nous reviendrons tout à l’heure sur ce futur - le lien de Dieu avec les humains. Jusqu’alors, nous pressentions qu’il devait y avoir un rapport entre Dieu et les humains, puisqu’on nous disait: «Voici la tente de Dieu avec les humains, et il dressera tente avec eux». Mais le type de relation entre les humains et ce dieu n’était pas mentionné. Il l’est maintenant. «Eux seront ses peuples». Les humains apparaissent comme une pluralité d’ensembles déjà organisés, comme des peuples. Ils resteront plusieurs. «Eux seront ses peuples». Mais ils seront les peuples de ce Dieu qui dresse sa «tente avec eux». «Et lui, Dieu,''
Nous serions peut-être tentés de dire qu’il y a ici, de la part de Dieu, comme un geste d’effraction. Il n’en est rien. Du divin arrive à l’intérieur de l’espace humain, mais il y vient en compagnon. On ne saurait trop souligner l’importance des «avec»: ««Voici la tente de Dieu avec les humains, et il dressera tente avec eux, et eux seront ses peuples, et lui, Dieu, avec eux, sera leur dieu».
Quel sera l’effet sensible de cette occupation par Dieu du territoire de l’humanité dans un compagnonnage nuptial?
«Il essuiera toute larme à partir de leurs yeux». Peut-être tout à l’heure nous étions-nous demandé pourquoi l’élément marin, aquatique, avait disparu. Eh bien! la réponse, nous l’avons. Il essuiera toute larme de leurs yeux! S’il n’y a plus de mer visible, c’est parce qu’il n’y a plus de pleurs. Et l’absence de toute mer, de toute larme s’amplifie, pour ainsi dire, dans les traits qui suivent : «et la mort ne sera plus». Nous avions lu tout à l’heure «et la mer n’est plus». Maintenant, nous lisons: «et la mort ne sera plus», ni non plus ce qui accompagne la mort: «la mort ne sera plus, ni deuil ni cri ni peine ne seront plus». Et pourquoi? Toujours l’événement de la nouveauté: «parce que les premières choses s’en sont allées».
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«Et dit celui qui était assis sur le trône». La parole qui vient du lieu de la puissance est présentée comme une parole qu’on peut dire absolue. Elle est proférée indépendamment de l’oreille qui peut l’écouter ««Voici, nouvelles je fais toutes choses.»''Nous avions déjà rencontré un présent, tout à l’heure: «''et la mer n’est plus». Celui qui parle maintenant est un créateur- «je fais» - mais un créateur qui est en train de faire, un créateur qui ne dit pas «j’ai fait», qui ne dit pas «je ferai»: il énonce ce qu’il fait au présent. «Nouvelles je fais toutes choses.»
En quoi consiste finalement la nouveauté? Sans doute dans le fait que celui qui parle fait du nouveau. Mais il y a beaucoup plus. La nouveauté, c’est qu’il le dise. Aussi attire-t-il lui-même notre attention sur lui-même, qui innove.
Si nous prêtons attention à la portée de cette déclaration, alors, nous pouvons peut-être regarder comme assez vaine la question de savoir si ce qui nous est raconté ici comme vision ou comme message est du passé, du présent ou pour plus tard. Cette question est remplacée par une autre. Tout va dépendre maintenant du crédit que nous accordons à celui qui parle. Nous n’allons plus avoir à discuter à perte de vue pour savoir si c’est déjà fait, si c’est en train de se faire, ou si cela va se faire. La question, ultimement posée sur la véritable nouveauté, est la suivante: quelle confiance faisons-nous à celui qui dit : «Voici, nouvelles je fais toutes choses»?