L'espérance ne confond pas
«Ayant donc été justifiés par suite de foi, nous avons paix à l'égard de Dieu à cause de notre Seigneur Jésus Christ, par l'intermédiaire de qui nous avons eu l'accès par la foi à cette grâce dans laquelle nous sommes établis, et nous nous vantons, fondés sur espérance de la gloire de Dieu. Non seulement, mais nous nous vantons aussi dans les tribulations, sachant que la tribulation parvient à produire constance, la constance, vertu éprouvée, et la vertu éprouvée, espérance. Or l'espérance ne confond pas, parce que l'amour de Dieu a été versé dans nos coeurs par un souffle saint qui nous a été donné.»
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Beaucoup plus qu'il ne paraît à première lecture, le texte que nous lisons ce soir est travaillé par une grave inquiétude. Je voudrais vous y rendre sensible, en commençant. Je veux croire qu'ensuite, la lecture que nous allons faire nous permettra d'une part de reconnaître, en effet, la présence de cette inquiétude, et aussi comment cette inquiétude est finalement dissipée.
Dans ce passage, on dirait que l'espérance a besoin d'être défendue, qu'il faut la protéger contre des soupçons qui peuvent se dresser contre elle.
Comment formuler cette inquiétude ? Je crois que le mieux est encore de former les questions qui sont présentes comme en sourdine dans ce passage. Au fond, est-ce qu'il ne suffit pas de croire ? Vous avez pu remarquer, en effet, que la foi est mentionnée : "Ayant donc été justifiés par suite de foi... nous avons eu l'accès par la foi" Est-ce que la foi n'est pas suffisante ?
Autre manière de formuler la question : à quoi bon espérer quand on a la foi, quand on est déjà en paix ? Est-ce que l'espérance n'est pas de trop, comme quelque chose qui serait une illusion dont nous pouvons nous passer, parce que déjà notre ancrage est assuré, notamment dans la foi ?
Autre façon encore de formuler la question : l'espérance va-t-elle de soi, toujours, lorsque l'on croit ? Est-ce que l'espérance découle de la foi ?
Pour nous autoriser à aborder ce passage par ce biais, soyons attentifs à une attitude qui est mentionnée par deux fois. "Nous nous vantons fondés sur espérance de la gloire de Dieu" ou encore : "Non seulement" - j'ai tenu à garder le mouvement du texte original, très maladroitement, je vous l'accorde ; il aurait mieux valu écrire : mais il y a plus, plus encore - "Non seulement, mais nous nous vantons aussi dans les tribulations". J'entends la présence et le retour de cette expression comme quelque chose qui doit nous alerter. Car se vanter, c'est peut-être une conduite à laquelle on cède, parce que, justement, on ne possède pas ce dont on se vante. On se vante de quelque chose d'inexistant et qui ne conduit à rien. Se vanter est une sorte de façon de s'en tirer, mais cette attitude, en définitive, révèle la faiblesse du vantard. Mais aussi, c'est vrai, cette expression peut laisser entendre quelque chose de tout à fait droit. Nous sentons bien que nous pouvons aussi entendre : nous sommes fiers, nous mettons notre fierté dans. Et cette fois-ci, il s'agit d'une sorte de légitime satisfaction.
Ce texte se présente, en somme, comme habité par une équivoque. Je voudrais que la lecture que nous allons en faire nous permette, à la fois, de saisir cette équivoque, encore mieux que je ne viens de le suggérer et d'en sortir.
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Tout commence par un certain nombre de termes qui relèvent tous du judiciaire. "Ayant donc été justifiés". Si l'on est justifié, c'est qu'une sorte d'arrêt a été prononcé qui nous innocente ou nous acquitte d'une faute.
Et qu'a-t-il fallu pour que cet arrêt soit prononcé sur nous ? Il nous a fallu faire une mise de foi : "Ayant donc été justifiés par suite de foi". Quoi qu'il en soit de la signification de ce terme de foi, ce que nous pouvons comprendre, c'est qu'il a fallu et qu'il a suffi de croire pour que nous soyons rendus justes.
De ce fait, nous voilà en paix : "Nous avons paix à l'égard de Dieu". Dieu, dans cette situation que je qualifiais de judiciaire est, soit le juge, soit l'adversaire, comme on voudra. En tout cas, au terme de la procédure, nous voilà tranquilles.
"A cause de notre Seigneur Jésus Christ, par l'intermédiaire de qui nous avons eu l'accès par la foi à cette grâce dans laquelle nous sommes établis". Nous voyons se constituer les intervenants du procès : il y a nous autres, qui sommes en cause ; il y a ce que nous pouvions produire comme attitude, croire ; il y a le juge, ou l'adversaire, Dieu ; et puis, il y a celui qui s'est entremis, notre Seigneur Jésus Christ. Tout cela a conduit à une justification qui peut aussi s'entendre comme un geste de grâce. L'accès était interdit. Maintenant nous voilà libres d'entrer dans un état de grâce et d'y rester.
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Pour parler familièrement, que demander de plus, si nous avons réussi à faire sauter l'accusation ou la culpabilité ? Nous voilà libre de ce qui pouvait nous tourmenter.
Or, ce n'est pas cela qui se produit. Nous en rajoutons : "et nous nous vantons fondés sur espérance de la gloire de Dieu." Quelle est, signification de cette attitude de fierté ?
Nous pouvons légitiment nous vanter, c'est dans le droit fil de ce qui vient de nous arriver.
Si nous continuons à lire dans la ligne que je viens de proposer, nous reconnaîtrons qu'avec la suite, c'est la psychologie qui intervient. "Non seulement, mais nous nous vantons aussi dans les tribulations, sachant que la tribulation parvient à produire constance, la constance, vertu éprouvée, et la vertu éprouvée, espérance." Le soupçon que nous avions à l'égard de l'espérance que nous invoquons devient plus grave. Car ici se trouve démontée, comme on fait pour un mécanisme, la genèse de l'espérance. Nous n'en restons pas à cet acquittement ou à cette reconnaissance d'innocence, qui aurait dû suffire. Nous voulons, indépendamment de tout juge, à partir de ce qui nous arrive, à partir des événements qui marquent notre propre vie, reconnaître que l'espérance peut venir. Mais, en produisant cette généalogie de l'espérance, est-ce que celle-ci ne devient pas fragile ?
D'abord, on peut contester que les choses se passent avec cette régularité. Qui d'entre nous n'a connu la tribulation, sous quelque forme que ce soit ? Qui d'entre nous n'a pas aussi découvert que, bien loin de parvenir à produire de la constance, la tribulation contribuait à affaiblir, à démolir et à détruire ? Et nous pouvons continuer : même s'il y a une certaine constance, il n'est pas sûr que l'on aille jusqu'à faire preuve de vertu, à avoir une vertu à toute épreuve ou, en tout cas, si on y arrive, cette vertu éprouvée est le résultat de notre volonté tendue. Si la vertu éprouvée amène, en définitive, à faire espérer, qu'est-ce que cette espérance, cette espérance dont on avait dit un peu plus haut qu'elle portait sur la gloire de Dieu ?
Voilà, je crois, ce qui justifiait les questions par lesquelles j'avais commencé. Elles sont graves et elles nous détournent d'une lecture béate, irénique ! Acceptons, après ce que nous venons de dire, de reconnaître que cette généalogie de l'espérance ne va pas de soi.
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"Or l'espérance ne confond pas, parce que l'amour de Dieu a été versé dans nos coeurs par un souffle saint qui nous a été donné." S'il écrit "or l'espérance ne confond pas", c'est parce que, justement, tout ce qui vient d'être dit risque de nous faire penser que l'espérance nous amène à la confusion. Etre confondu : la situation judiciaire réapparaît ! Or l'espérance ne confond pas.
A partir de cette négation énergique, nous pouvons remonter tout le texte. L'espérance, nous n'avons pas eu tort de nous y donner. Vous vous souvenez que dès la première rencontre de l'espérance dans ce passage, j'avais soulevé une question concernant son bien-fondé, et le bien-fondé d'une fierté à son sujet : "et nous nous vantons fondés sur espérance de la gloire de Dieu". Ce qui était encore équivoque, tout à l'heure, est levé par cette déclaration. Mais nous allons voir que cette déclaration ne paraît pas suffire.
"L'espérance ne confond pas" : c'est aussi une manière de répondre à ce que j'avais présenté comme la généalogie de l'espérance par le biais de la psychologie. En d'autres mots, l'espérance ne confond pas, qu'elle passe ou non par les chicanes psychologiques que nous avons reconnues. Qu'elle passe par tribulation, qu'elle passe par constance, qu'elle passe par vertu éprouvée, en elle-même, l'espérance ne confond pas. Qu'importe le chemin qui aura été pris pour y conduire.
Vous pouvez comprendre que l'auteur ait eu besoin de soutenir la déclaration extraordinaire qu'il vient de faire. "Or l'espérance ne confond pas, parce que l'amour de Dieu a été versé dans nos coeurs par un souffle saint qui nous a été donné." Entendons : parce que c'est l'amour de Dieu, et rien d'autre, qui a été versé dans nos coeurs par un souffle saint qui nous a été donné. En définitive, si nous pouvons aller jusqu'à nous vanter, si nous pouvons arborer avec fierté notre espérance de la gloire de Dieu, c'est pour une raison très simple : "parce que l'amour de Dieu a été versé dans nos coeurs par un souffle saint qui nous a été donné." N'allez pas chercher une explication psychologique.
Oui, bien sûr, nous avons été justifiés. Oui, bien sûr, nous avons paix devant Dieu. Oui, bien sûr, Jésus Christ y a été pour quelque chose. Nous sommes dans un état qui n'est plus celui du coupable mais celui de l'homme à qui on a remis gracieusement ce qu'il pouvait avoir de répréhensible. Mais qu'est-ce qui s'est passé dans tout cela ? Qu'est-ce qui a été à l'oeuvre ? C'est "parce que l'amour de Dieu a été versé".
On commençait par le judiciaire, on continuait par la psychologie. Maintenant, on évoque l'organe par lequel nous pouvons vivre, par les battements duquel nous pouvons respirer : notre coeur. L'espérance n'est pas le résultat d'une illusion ni même le fruit d'une méthode ou d'une ascèse psychologique à laquelle nous nous serions astreints. L'espérance est une autre manière encore de reconnaître l'amour de Dieu versé, répandu dans nos coeurs, et qui nous permet de respirer.
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Allons plus loin encore. Chaque fois que nous nous trouvons devant cette expression, l'amour de Dieu, nous sommes dans l'embarras. Je veux dire par là que nous nous demandons s'il s'agit de l'amour de Dieu pour nous ou de notre amour pour Dieu. Si nous mettons l'amour de Dieu dans la même ligne où nous avons rencontré la foi et l'espérance, nous serons portés à comprendre qu'il s'agit de l'amour que nous avons pour Dieu, puisque aussi bien la foi porte, pensons-nous, sur Dieu, est un geste qui vient de nous et qui va vers un autre. Nous pouvons en dire autant de l'espérance. D'ailleurs, c'est dit expressément, puisqu'il s'agit, à un certain moment, de "l'espérance de la gloire de Dieu". Mais, quand nous tombons sur cette expression, l'amour de Dieu, ici, après avoir fait le parcours que nous venons de faire, et sans oublier ce qui suit - "l'amour de Dieu ... versé dans nos coeurs par un souffle saint qui nous a été donné" -, nous saisissons que le problème est peut-être beaucoup plus complexe et que nous avons rationalisé les choses indûment en nous disant : est-ce que c'est l'amour que nous avons pour Dieu, ou l'amour que Dieu a pour nous ?
Qu'importe, en un sens, que ce soit l'amour que nous concevons pour Dieu ou l'amour que Dieu a pour nous. Car ce qui est avancé, c'est que cet amour de lui pour nous ou de nous pour lui est le résultat d'un don, et d'un don qui fait qu'on respire "par un souffle saint qui nous a été donné". Alors, plus radicalement encore que la question de savoir si Dieu nous aime, ou si nous aimons Dieu, il y a le souffle, qui, de toute façon, a été un don. On en parlait tout à l'heure d'ailleurs comme d'un état de grâce. "nous avons eu l'accès par la foi à cette grâce dans laquelle nous sommes établis".
Nous pouvons essayer peut-être de pressentir ce que signifie "espérance de la gloire de Dieu". Est-ce que cette gloire de Dieu ne serait pas, en définitive, ce don mais autrement reçu, ce don qu'il nous a fait, mais autrement accueilli qu'il ne l'est maintenant. Maintenant, malheureux que nous sommes, qui exprimons ce que nous vivons soit dans le langage du droit, soit dans le langage de la psychologie, nous disons ce que nous pouvons dire, et nous le disons maladroitement et dans l'équivoque. Mais, dès à présent, nous pouvons clarifier ce langage, ne pas rester dans l'incertitude, pourvu que nous acceptions ce que je vous propose d'appeler, une certaine réduction de toutes choses à l'amour. Il y a quelque humour à parler de réduction à l'amour, car vous sentez bien que ce n'est pas se vouer à une voie qui serait étroite.
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Le début de ce texte expose un état de fait sur un mode juridique. Nous avons à comprendre pourquoi nous avons la paix. Nous exprimons cet état de paix dans des termes juridiques, mais en vérité - et cette vérité n'apparaît qu'à la fin -, c'est parce que nous a été fait un don, le don du souffle saint qui nous permet de souffler, de respirer, de n'être pas accablés.
Pour être justifié, il faut avoir connu la condition du prévenu, être mis en examen. Est-ce que la faute commise serait de n'avoir pas reconnu cet amour de Dieu qui est versé dans nos coeurs ? En reconnaissant que nous avons été gratifiés d'un souffle saint, versé dans nos coeurs, non seulement la méconnaissance que nous avions pu en avoir est abolie, mais nous allons plus loin encore. C'est ce plus loin qui est exprimé par l'espérance, cette espérance dont, au départ, je vous avais dit : est-ce qu'elle n'est pas en trop ? Mais oui, elle est en trop d'une certaine façon, elle est un luxe, mais un luxe qui correspond à ce luxe qu'a été l'amour de Dieu versé dans nos coeurs par le souffle saint qui nous a été donné.
Cette espérance ne confond pas. Confondre, c'est tromper, tromper quelqu'un : elle ne confond pas en ce sens que nous n'en venons pas à reconnaître que nous avons été trompés par elle. Et puis, confondre quelqu'un, c'est aussi le décomposer, en quelque sorte, le démonter. Or l'espérance n'est pas là pour que nous soyons pleins de honte, de sorte que nous avions bien raison de nous vanter.
Quant à la réduction, j'entends ce terme comme on l'emploie en français. On réduit une chose qui tenait beaucoup de place pour qu'elle en tienne moins. La réduction est une concentration.