Voici qu’il y a du nouveau
«Ainsi, quelqu’un (est-il) en Christ, (c’est) une nouvelle création. L’ancien a passé. Voici qu’il y a du nouveau. Tout (provient) du Dieu qui nous a réconciliés avec Lui par l’intermédiaire de Christ et qui nous a donné le service de la réconciliation, au motif que Dieu était en Christ en train de se réconcilier avec lui le monde, ne leur comptant pas leurs faux pas et ayant mis en nous la parole de la réconciliation. Pour Christ donc nous sommes en ambassade, pour autant que c’est Dieu qui exhorte par notre intermédiaire. Nous demandons pour Christ: réconciliez-vous avec Dieu. Celui qui n’a pas connu de péché, il l’a fait pour nous péché, afin que nous, nous devenions justice de Dieu en lui.»
Je veux vous présenter une deuxième remarque. Il y a une équivoque dans le texte concernant l’emploi de la première personne du pluriel. Arrêtons-nous aux endroits où nous la rencontrons: «Tout (provient) du Dieu qui nous a réconciliés avec Lui», et, aussitôt après,'' «'et qui nous '''a donné le service de la réconciliation''». D’emblée, nous pensons que le «nous» utilisé la deuxième fois désigne un autre groupe que le «nous» précédent. «Tout (provient) du Dieu qui nous a réconciliés avec Lui»: nous, c’est-à-dire, moi, qui vous écris, et vous, à qui j’écris. En revanche, quand nous lisons: «et qui nous a donné le service de la réconciliation» il s’agit, cette fois, uniquement, de celui qui écrit, ou du groupe auquel il appartient. Voilà en tout cas comment nous sommes portés à penser. Or, il n’est pas sûr qu’il faille se ranger à cet avis.
Continuons: «au motif que Dieu était en Christ en train de réconcilier avec lui le monde, ne leur comptant pas leurs faux pas et ayant mis en nous la parole de la réconciliation». S’agit-il de nous qui sommes en train d’écrire, de vous écrire? Est-ce sûr?
Continuonsencore. «Pour Christ donc nous sommes en ambassade,'pour autant que c’est Dieu qui exhorte par notre intermédiaire. Nous demandons pour Christ: réconciliez-vous avec Dieu». Ici, bien entendu, il y a une distinction entre le destinateur et les destinataires. Et puis, nous revenons au «nous»: «il l’a fait pour nous '''péché, afin que, nous, nous devenions justice de Dieu en lui». Qui est ce «nous»? Nous tous, sans doute, vous et nous.
Enfin, je voudrais attirer votre attention sur une tournure assez étrange dont nous aurons très vite à dégager la portée: «Ainsi, quelqu’un (est-il) en Christ». Cette tournure revient un peu plus bas: «au motif que Dieu était en Christ en train de réconcilier avec lui le monde». Christ, ici, est traité comme une sorte de lieu, dans lequel on se trouve situé, comme une sorte de contenant: «quelqu’un (est-il) en Christ» et «Dieu était en Christ». Le Christ peut recevoir, comme un réceptacle, aussi bien l’un de nous que Dieu lui-même. On est d’autant plus porté à relever cette expression singulière que le Christ est mentionné ailleurs, tout à fait autrement: «a réconciliés avec Lui par l’intermédiaire de Christ», lisons-nous d’abord. Cette même tournure, «par l’intermédiaire», nous la rencontrerons un peu plus bas: «c’est Dieu qui exhorte par notre intermédiaire».
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«Ainsi, quelqu’un (est-il) en Christ, (c’est) une nouvelle création. L’ancien a passé. Voici qu’il y a du nouveau.» Nous nous demandons: mais qu’est-ce donc qu’être en Christ? Une réponse minimale, mais qui va déjà très loin, est aussitôt apportée. C’est être créé d’une nouvelle façon, une nouvelle fois. En effet, il ne faut pas traduire par «c’est une nouvelle créature» car le terme grec porte la marque des substantifs dans lesquels s’exprime non pas le résultat d’une action, mais l’action elle-même. Donc, quelqu’un est-il en Christ, il est en train de passer à un état créé nouveau, comme si l’effet de création dans lequel il était avant d’être en Christ était dépassé.
Qu’est-ce que c’est qu’être en Christ? Une précision supplémentaire est donnée: être en Christ, c’est une certaine façon d’éprouver le temps. «L’ancien a passé. Voici qu’il y a du nouveau.» Etre en Christ, c’est expérimenter le passage à quelque chose qui advient, et qui éloigne d’une situation révolue. «L’ancien a passé. Voici qu’il y a du nouveau.»
Ainsi, ce terme que nous avons traduit par réconciliation, se trouve commenté dans sa teneur originelle. Je vous disais tout à l’heure qu’à la place de «réconciliation» il fallait lire «changement complet». C’est cela la réconciliation. Il s’agit du passage à une manière d’être autre, nouvelle.
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Alors, d’où vient cette création? Nous ne sommes pas tellement étonnés d’apprendre qu’elle vient de Dieu, s’il est vrai que c’est à Dieu que l’on attribue la création. J’ai mis entre parenthèses le verbe qui est indispensable pour lire la phrase, pour ne pas rendre celle-ci incompréhensible. Comprenons : tout sort, tout provientdu Dieu qui nous a réconciliés avec Lui par l’intermédiaire de Christ, qui nous a établis dans un nouvel état par rapport à Lui. Or, cette nouvelle condition procède du fait que nous sommes en Christ: c’est le Christ qui a servi, non seulement de lieu, mais de moyen.
Nous lisons: «qui nous a réconciliés avec Lui par l’intermédiaire de Christ et qui nous a donné le service de la réconciliation». Nous rencontrons l’équivoque qui porte sur la première personne du pluriel. Je vous rappelle comment nous sommes portés à lever un peu vite cette équivoque. Nous comprenonsle début de la phrase : il nous a tous, tant que nous sommes, ou au minimum, vous auxquels nous nous adressons et nous aussi avec vous, voilà pour le sens du premier «nous». Et, ensuite, pour la fin de cette même phrase: nous qui parlons, nous avons reçu, comme un don, le service de la réconciliation.
Est-ce qu’il n’y a pas à s’arrêter sur cette équivoque du «nous»? car enfin, ce passage a un nouvel état, cet abandon du passé et cette arrivée à du nouveau, à quoi les reconnaît-on? Qu’est-ce qui manifeste cette transformation ? Eh bien! c’est que je vous le dise! C’est par l’effet de la parole qui vous en parle que vous savez que vous êtes transformés. De cette transformation vous ne sauriez rien si je ne vous disais pas que vous êtes transformés.
La réconciliation avec Christ ne se sépare pas de l’annonce de la réconciliation dont on se reconnaît le serviteur. Dieu nous a réconciliés avec lui et, pour manifester cette réconciliation, Il nous a donné d’en assurer le service. Nous touchons là à quelque chose de très important. Sans doute peut-on admettre que tout le monde a été réconcilié, ou, en tout cas, celui qui parle et ceux auxquels il s’adresse. Mais il y a, parmi cet ensemble, certaines personnes qui ont la mission plus particulière d’annoncer cette réconciliation. Cependant, ces serviteurs patentés de la réconciliation appartiennent à la même collectivité, au même «nous» que ceux qui sont réconciliés. Ils ne sont pas d’une autre espèce. Le service de la réconciliation révèle que la réconciliation est là, qui court, qui court, comme le furet. En vous servant, comme il sera dit tout à l’heure (le «vous» apparaîtra), en vous faisant le service de la réconciliation, nous ne faisons que faire apparaître une situation, mais celle-ci ne serait pas dans le monde sans ce service. Ceci va se confirmer par la suite, lorsque Paul se situera en position d’ambassadeur.
«Tout (provient) du Dieu qui nous a réconciliés avec Lui par l’intermédiaire de Christ et qui nous a donné le service de la réconciliation, au motif que Dieu était en Christ en train de se réconcilier avec lui le monde». Cette réconciliation, dont nous sommes les messagers, les desservants, était en train de s’opérer. C’est un processus dans lequel nous nous trouvons, et que nous faisons apparaître, dont nous témoignons.
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En quoi consistait le passage à l’état de création neuve? Ceci est maintenant davantage développé par ces mots: «en train de se réconcilier avec lui le monde, ne leur comptant pas leurs faux pas et ayant mis en nous la parole de la réconciliation».
La nouveauté est un acte. Un acte de qui? Un acte de Dieu qui ne tient pas compte des faux pas, au sens où on tient un livre de comptes. Ce que j’ai traduit par «faux pas» signifie très exactement ce qui fait tomber à côté. Ainsi, nous sommes dans un processus de reprise en main par Dieu. La réconciliation est en nous, qui vous l’annonçons, mais, maintenant, elle est aussi en vous. La parole de la réconciliation n’est donc pas un privilège ministériel, même si elle ne peut arriver que par des desservants qualifiés.
«Pour Christ donc nous sommes en ambassade». On est tenté de dire: nous ne sommes que des ambassadeurs. Qui sommes nous, nous? Le «donc» est ici le terme provisoire d’un raisonnement que j’essaie de faire apparaître depuis tout à l’heure. Nous parlons comme un ambassadeur, non pas comme quelqu’un qui serait à l’œuvre lui-même. «Pour Christ donc», à la place, en lieu et place du Christ, nous sommes en ambassade, «pour autant que c’est Dieu qui exhorte par notre intermédiaire.» Fonction déclarative, mais qui comporte en elle plus qu’une affirmation: un appel, et même, le mot va venir, quelque chose qui relève de la demande. Celle-ci est la transcription, dans l’ordre social, d’une situation qui est d’un autre ordre que l’ordre social.
Car, qu’est-ce que nous demandons, en lieu et place du Christ, comme ses émissaires ? C’est dit très simplement, et il faut nous étonner de la tournure devant laquelle nous nous trouvons: «réconciliez-vous avec Dieu.» Surprise! Surprise tellement forte que beaucoup de traducteurs achoppent et lisent: «laissez-vous réconcilier avec Dieu». Or, ce n’est pas cela du tout, mais bien: «réconciliez-vous avec Dieu» ou bien «changez-vous tout à fait pour Dieu». Maintenant, en effet, une nouvelle manière d’être est instituée du fait de Dieu. Dès lors, si j’ose employer cette expression un peu triviale, la balle est dans votre camp. Il vous reste à épouser une capacité établie dans le monde par Dieu: la capacité à devenir autre. Car, ce qu’a fait Dieu, il est seul à l’avoir fait. Vous ne lui enlèverez donc rien en en faisant autant. Oui! Dieu a tout fait, en Christ, et donc, maintenant, à vous de vous conduire conformément à ce que vous êtes devenus de son fait. Vous pouvez ne pas le faire. Mais, si vous le faites, vous ne ferez qu’adhérer à ce qui a été fait. «Nous demandons pour Christ: réconciliez-vous avec Dieu».
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Les deux dernières lignes nous font faire un pas de plus dans la compréhension de cette transformation totale. Qu’est-ce qui donc jusqu’alors empêchait que vous ne deveniez nouveaux? Nous avions pressenti que c’était d’adhérer à vos faux pas. Maintenant, la chose est dite en clair: «Celui qui n’a pas connu de péché, il l’a fait pour nous péché, afin que, nous, nous devenions justice de Dieu ''- et nous retrouvons le "en" - ''en lui.» Il y avait un obstacle à cette transformation. Il est enlevé, mais d’une étrange façon. Il n’est pas enlevé comme on écarte de la main une réalité qui serait là, et qui empêche d’avancer. Il est enlevé par le fait que celui qui l’enlève occupe le lieu, occupe la place. «Celui qui n’a pas connu de péché, il l’a fait pour nous péché». L’innocent a pris la place de celui qui, étant coupable, ne pouvait plus devenir nouveau.
En d’autres termes, il y a une vertu purificatrice et libératrice qui tient à l’innocence. L’innocent, celui qui n’a pas connu le péché, peut seul apporter du nouveau, ce fameux nouveau, présent dès le début de ce texte.