Le souffle est celui qui témoigne
«Quiconque a foi que Jésus est le Christ est engendré de Dieu, et quiconque aime celui qui a engendré aime celui qui est engendré de lui. En ceci nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu : c'est quand nous aimons Dieu et que nous faisons ses commandements. En effet, ceci est l'amour de Dieu, que nous gardions ses commandements. Et ses commandements ne sont pas lourds, parce que tout ce qui est engendré de Dieu vainc le monde. Et ceci est la victoire qui a vaincu le monde : notre foi. Quel est celui qui vainc le monde, sinon celui qui a foi que Jésus est le Fils de Dieu ? Celui-ci est celui qui est venu par eau et par sang, Jésus Christ : non dans l'eau seulement, mais dans l'eau et dans le sang. Et le souffle est celui qui témoigne, parce que le souffle est la vérité, parce qu'ils sont trois, ceux qui témoignent, le souffle, l'eau et le sang, et les trois sont en un. Si nous avons reçu le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand, parce que ceci est le témoignage de Dieu : qu'il a témoigné au sujet de son Fils. Celui qui a foi dans le Fils de Dieu a le témoignage en lui. Celui qui n'a pas foi à Dieu a fait de lui un menteur, parce qu'il n'a pas eu foi dans le témoignage que Dieu a témoigné au sujet de son Fils. Ceci est le témoignage : que Dieu nous a donné une vie éternelle, et cette vie est en son Fils. Celui qui a le Fils a la vie. Celui qui n'a pas le Fils de Dieu n'a pas la vie.»
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"Quiconque a foi que Jésus est le Christ est engendré de Dieu". Tout au long de ce texte, nous rencontrerons l'expression "avoir foi" et non pas "croire". J'ai tenu à vous proposer cette traduction parce que lorsque nous lisons "croire", nous n'entendons pas un mot qui, par lui-même, renverrait à "foi". Le radical de foi ne produit pas de verbe, du moins dans notre langue. Mais dans la langue originale, le substantif foi se retrouve dans le verbe que nous, nous traduisons par croire. C'est pourquoi, ce verbe, je l'ai traduit par "avoir foi" et non pas par "croire".
Quoi qu'il en soit de cette particularité, nous sommes devant une proposition ambiguë. En effet, si nous essayons de préciser la force des verbes qui sont présents ici, nous nous demandons s'ils renvoient à des actes ou s’ils expriment des situations, des états. Avoir foi, c'est l'état dans lequel on se trouve, mais ce n'est pas non plus étranger à l'acte que l'on pose en s'engageant. Pareillement, quand nous lisons "engendré de Dieu", bien entendu, cette expression renvoie à l'acte de faire naître, mais c'est le résultat plutôt que l’acte de cet engendrement qui est directement marqué.
Ajoutons encore un trait. La foi, qu'elle soit un acte ou qu'elle soit un état, se termine dans une proposition (croire quelque chose concernant Jésus et concernant le caractère messianique de Jésus puisque aussi bien nous pourrions traduire Christ par Messie). Or, avec ce trait nouveau, l'ambiguïté se complique encore, si l’on peut dire. En effet, cette foi en l'identité messianique de Jésus produit-elle un effet sur celui qui la professe et l'engagement dans cette foi a-t-il pour résultat de faire que celui qui s'engage en elle est, du fait même, engendré par Dieu ? Est-ce que nous allons de l'acte ou de l'état de foi à une transformation de l'identité de celui qui a foi ? Ou bien, cette foi est-elle l'effet ou la révélation d'un engendrement par Dieu de celui qui s'engage dans cette foi ?
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"Et quiconque aime celui qui a engendré aime celui qui est engendré de lui." Ne manquons pas d'être étonnés par l'apparition du verbe aimer. Nous ne nous y attendions pas. Tout se passe comme si celui qui a engendré, Dieu, devait être objet d'amour, comme si cela ne se discutait pas. Pourquoi ce lien entre celui qui a engendré et l'amour ? Est-ce parce qu'il va de soi qu'on aime celui qui engendre, qu'on aime le père ? Une chose est sûre, c'est que l'amour s'attache au fait de la génération. On dirait qu'il y a comme une affinité entre aimer et engendrer ou être engendré. Il n'est pas possible en tout cas de choisir de n'aimer que celui qui engendre : "quiconque aime celui qui a engendré, nous dit-on, aime celui qui est engendré de lui." Bref, l'amour pour l'engendré suit l'amour pour l'engendrant et, encore une fois, cet amour pour l'engendrant n'est pas objet de discussion, il va de soi.
"En ceci nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu : c'est quand nous aimons Dieu et que nous faisons ses commandements." Au point où nous en sommes maintenant, nous avons compris qu'il y a de l'amour à manifester et que cet amour ne pourra porter sur l'engendrant, disons le père, que s'il s'attache à l'engendré, à ceux qui sont engendrés. Nous ne sommes donc pas étonnés par ce que nous venons de lire maintenant. "En ceci nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu". Toute la question se réduit à reconnaître le critère qui nous permet de dire que nous aimons ceux qui sont à aimer, à savoir les enfantés de Dieu. Bref, quand connaîtrons-nous que notre amour s'applique à la génération dont on vient de parler et remonte de l'engendré à l'engendrant ?
"En ceci nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu : c'est quand nous aimons Dieu et que nous faisons ses commandements." La perplexité est grande, quand nous lisons cette phrase. D’abord, quand nous entendons amour, aussitôt quelque chose de l'ordre de l'affectivité surgit dans notre pensée. Mais laissons cela de côté. La difficulté majeure que nous rencontrons consiste en ce lien entre un amour de Dieu, tenu pour le critère permettant de savoir si nous aimons les enfants de Dieu, et, d'autre part, la pratique des commandements de ce Dieu. L'amour pour les enfants de Dieu serait donc connu de nous dans l'amour que nous avons pour Dieu, et cet amour pour Dieu irait avec l'obéissance à Dieu, avec la pratique de ses commandements.
En d'autres mots, c'est bien de savoir si nous aimons les enfants de Dieu qu'il s'agit. Là est la question. Mais, pour pouvoir trancher cette question, nous apprenons que l'amour pour Dieu est un amour pratique, et un amour soumis : la pratique de cet amour soumis, bref, la pratique d'un amour qui n'exclut pas la loi, nous permettra de dire si nous aimons ceux que Dieu a engendrés, ses enfants.
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Nous nous demandons pourquoi ce caractère pratique et soumis de l'amour de Dieu apparaît maintenant, alors qu'il est question de décider si nous aimons les enfants de Dieu. Or, pour peu que nous réfléchissions, nous pouvons avancer l'hypothèse suivante : l'amour va avec le respect de quelqu'un d'autre ; pas d'amour sans la soumission du respect. Pas d'amour sans l'acceptation d'une altérité. Or, cette acceptation de l'altérité, nous pouvons penser qu'elle est portée à son maximum lorsqu’il s’agit d'aimer Dieu : "c'est quand nous aimons Dieu et que nous faisons ses commandements."
"En effet, ceci est l'amour de Dieu, que nous gardions ses commandements." Retour sur ce qui vient d'être déjà avancé, mais un retour qui en rajoute, si je puis dire, puisque aussi bien l'amour de Dieu est identiquement la garde des commandements. Vous voyez que nous avions bien raison d’écarter toute confusion de l'amour avec l’affectivité.
Or, voici que nous lisons : "Et ses commandements ne sont pas lourds". Pourquoi ne sont-ils pas lourds ? On sent qu'il y a comme une réponse à une objection souterraine : qui dit commandement estime d’emblée que le terme jure avec l'amour. Or, qui dit commandement de Dieu risque de se trouver comme écrasé. En effet, tout commandement introduit une altérité entre celui qui commande et celui qui est commandé. Mais, quand c'est le commandement de Dieu qui est en cause, l’altérité n’est-elle pas ressentie comme un poids insupportable ? Réponse à l'objection : "Et ses commandements ne sont pas lourds, parce que tout ce qui est engendré de Dieu vainc le monde".
Pourquoi les commandements de Dieu ne sont-ils pas lourds ? Il y a bien, en effet, quelque chose qui écrase, il y a bien, en effet, un poids qui pèse sur nous. Ce poids vient de ce qui est appelé ici le monde. Si les commandements de Dieu ne sont pas lourds, c'est parce que ces commandements permettent, tout en restant dans le monde, d'y vivre. Mais, assurément, le monde, si on le déleste de la présence de ces commandements, est un monde qui, lui, serait lourd. Ainsi, l’engendrement par Dieu, qui conduit à pratiquer les commandements, est une véritable victoire. En effet, il nous fait triompher d'une appartenance au monde qui nous y ferait périr. Etre dans le monde sans commandements, et sans commandements qui nous viennent de Dieu, c'est être écrasé sous le poids du monde.
Il y a bien là une victoire. "Tout ce qui est engendré de Dieu" - entendez : tout ce qui est engendré de Dieu croit, a foi - "vainc le monde. Et ceci est la victoire qui a vaincu le monde : notre foi." Nous serions complètement détruits si nous existions dans un monde sans commandements de Dieu, si venait à manquer cet engendrement par Dieu, que manifeste notre foi.
"Quel est celui qui vainc le monde, sinon celui qui a foi que Jésus est le Fils de Dieu ?" Ainsi, la foi, l'engendrement par Dieu, ne viennent pas ajouter une vie à la vie qui est déjà là, mais ils sauvent de son engloutissement dans le monde et par le monde celui qui vit en ce monde. Et la foi est liée au fait que ce Jésus, déclaré Messie, est Fils. Vous observerez le progrès qui s'est produit dans la démarche. Nous avions commencé par "Quiconque a foi que Jésus est le Christ", est le Messie. Maintenant nous disons : "Quel est celui qui vainc le monde, sinon celui qui a foi que Jésus est le Fils de Dieu ?" Fils, pas seulement produit (car tout engendré n'est qu'un produit d'un engendrant), pas seulement engendré, mais reconnu par Dieu, comme un père reconnaît un fils.
Nous touchons ici à ce que je vous propose d'appeler, comme en passant, une définition de la foi : la foi reconnaît que nous sommes reconnus. La foi est la reconnaissance de notre reconnaissance et pas seulement de notre production, pas seulement de notre génération, de notre engendrement, pas seulement du fait que nous sommes des petits, j'entends des enfants, mais que nous sommes des fils. La foi de celui qui croit que Jésus est Messie ne fait donc pas seulement de lui un engendré : elle est l'affirmation victorieuse de sa propre filiation par Dieu. Et il n'y a pas d'autre filiation. Car le monde ne fait pas des fils.
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Nous pouvons maintenant avancer encore. "Celui-ci est celui qui est venu par eau et par sang, Jésus Christ : non dans l'eau seulement, mais dans l'eau et dans le sang. Et le souffle est celui qui témoigne, parce que le souffle est la vérité, parce qu'ils sont trois, ceux qui témoignent, le souffle, l'eau et le sang, et les trois sont en un". Venir par eau et par sang, c'est quelque chose de très simple. Nous, qui sommes là, nous sommes tous déjà venus par eau et par sang. Nous avons été portés par des eaux au sens le plus matériel, le plus physiologique du terme. Venir par eau et par sang, c'est entrer dans une existence où l'on naît (voilà pour l'eau), et dans une existence où l'on meurt (voilà pour le sang). Venir par eau est par sang, c'est appartenir pour de bon, réellement, à l'existence humaine.
Or, venir par eau et par sang ne suffirait pas à témoigner que la filiation par Dieu est inscrite dans l'existence humaine. Il faut encore que quelqu'un parle pour dire cette filiation. Et celui qui dit cette filiation, c'est celui qui a assez de souffle pour le dire, c'est celui qui peut prononcer : il est le Fils de Dieu. Ainsi, l'eau est le sang deviennent, du fait du souffle, le signe d'une génération venue de Dieu, d'une filiation par Dieu.
"Parce qu'ils sont trois, ceux qui témoignent, le souffle, l'eau et le sang, et les trois sont en un". Oui, ils sont trois, mais les trois sont en un, ramassés en un, et de cet un on a commencé par dire que c'est lui qui témoigne. "Et le souffle est celui qui témoigne, parce que le souffle est la vérité". Face à une existence faite de naissance et de mort, faite d'eau et de sang, nous ne pouvons rien dire sinon qu'elle est une existence où il y a naissance et mort, où il y a eau et sang. Si nous en disons autre chose, c'est qu'une parole s'y ajoute, c'est qu'on nous souffle quelque chose d'autre sur cette existence. Or, ce qui est dit dans ce souffle, c'est que cette existence est une existence filialisée.
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"Si nous avons reçu le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand, parce que ceci est le témoignage de Dieu : qu'il a témoigné au sujet de son Fils". Maintenant, toute la réflexion se concentre sur ce témoignage, sur cette parole soufflée, acceptée ou refusée. Nous recevons bien le témoignage des hommes. Or, "le témoignage de Dieu est plus grand". Pourquoi est-il plus grand ? Non pas parce que Dieu est plus puissant, non pas parce que Dieu aurait davantage de crédit. Le témoignage de Dieu est plus grand parce qu’il manifeste sa grandeur dans l’objet sur lequel il porte. Le témoignage de Dieu est un témoignage qui porte sur son Fils. C'est cela qui fait la grandeur du témoignage de Dieu. C'est d'introduire de la filiation, ou de la filialité, comme vous voudrez, là où il n'y a qu'eau et sang, là où il n'y a que produit, là où il n'y a qu'enfant, là où il n'y a qu'engendrant et engendré.
"Celui qui a foi dans le Fils de Dieu a le témoignage en lui". Phrase tellement insupportable que beaucoup de manuscrits ont voulu la corriger et, notamment, en ajoutant : celui qui a foi dans le Fils de Dieu a le témoignage de Dieu en lui. Prenons le texte tel que les meilleures éditions nous invitent à le lire, et nous saisirons qu’une lumière est jetée sur ce qu’est la foi.
Nous disons volontiers que la foi est la réponse que nous donnons à un témoignage porté. Nous disons volontiers que la foi est notre adhésion à ce témoignage. Or, ce qui est dit ici va infiniment plus loin : la foi est le fruit du témoignage lui-même. La foi est ce que devient en nous le témoignage porté par le souffle. Ainsi, dans le cas du témoignage de Dieu, la foi en son témoignage ne se distingue pas du témoignage lui-même.
"Celui qui a foi dans le Fils de Dieu a le témoignage en lui. Celui qui n'a pas foi à Dieu a fait de lui un menteur, parce qu'il n'a pas eu foi dans le témoignage que Dieu a témoigné au sujet de son Fils". La foi au témoignage ne fait qu'un avec ce témoignage, sauf à faire de Dieu quelqu'un qui ne dit pas la vérité. Or, rappelez-vous, nous avons lu tout à l'heure : "le souffle est la vérité". Sauf à faire de Dieu quelqu'un qui est menteur. Alors, nous serions fondés à n'avoir pas foi en lui. Au contraire, en acceptant, par le fait de la foi que nous donnons, le témoignage qu'est cette foi elle-même, tandis que nous sommes dans le monde, avant même de le quitter, nous sommes dans une vie appelée à bon droit éternelle. Cette vie est dans le Fils de Dieu lui-même comme en sa source, mais elle réside aussi en nous, en notre foi en Jésus Messie, Fils de Dieu.
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Comme il arrive souvent, à la fin, on revient sur le début. Nous lisions tout à l’heure "Quiconque a foi que Jésus est le Christ est engendré‚ de Dieu, et quiconque aime celui qui a engendré aime celui qui est engendré de lui". Or, nous lisons maintenant : "Celui qui a le Fils a la vie. Celui qui n'a pas le Fils de Dieu n'a pas la vie". Toute la différence est entre le vocabulaire de l'engendrement et le vocabulaire de la filiation. Nous avons découvert que l'engendrement ne fait de l'engendré un fils que si quelqu'un lui souffle qu'il est fils.