« Ces paroles sont de foi et de vérité »
(1) Et je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés, et la mer n’est plus. (2) Et la cité, la sainte, Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête comme une fiancée parée pour son homme. (3) Et j’entendis une grande voix, du trône, qui disait : « Voici la tente de Dieu avec les humains, et il dressera sa tente avec eux et eux, ils seront ses peuples, et lui, il sera le Dieu avec eux. (4) Et il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, ni deuil, ni cri, ni peine ne sera plus, parce que les premiers s’en étaient allés. » (5) Et celui qui était assis sur le trône dit : « Voici, je fais tout nouveau. Et de dire : « Mets-toi à écrire, parce que ces paroles sont de foi et de vérité. » (6) Et il me dit : « C’est arrivé ! Moi, l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin. Moi, à qui a soif je donnerai de la source de l’eau de la vie, gratuitement. (7) Le vainqueur héritera de cela, et je serai pour lui un Dieu et lui, il sera pour moi un fils. (8) Mais pour les peureux, les sans-foi, les dégoûtants, les meurtriers, les putains, les empoisonneurs, les idolâtres et tous les menteurs, leur part dans le lac brûlant de feu et de soufre, ce qui est la mort, la seconde. »
Cette traduction a été retenue en raison de son extrême littéralisme. Elle permet notamment de faire apparaître non seulement la teneur des énoncés mais encore le mouvement même de l'énonciation.
Le temps en question
Le narrateur s’exprime toujours au passé, à une exception près, lorsque nous lisons Et de dire, qui traduit en français un présent grec. Sinon, les différents moments du récit sont marqués par des verbes qui, tous, peuvent être rendus par des passés simples : Et je vis…Et la cité…je la vis…Et j’entendis...Et celui qui était assis sur le trône dit…Et il me dit…
Le narrateur, par deux fois consécutives, intervient d’abord à la première personne pour mentionner l’expérience qu’il a faite : Et je vis…Et j’entendis…Ensuite, son rôle se réduit à introduire les propos d’un autre : Et celui qui était assis sur le trône dit…Et de dire…Et il me dit…Dans cette dernière formule il apparaît explicitement, puisqu’il note que c’est à lui que le discours s’adresse.
Par deux fois le narrateur affirme qu’il a vu. Et je vis, écrit-il d’abord. Et, un peu plus loin : je la vis. Il s’agit toujours de la même vision. Mais il la présente la première fois en mentionnant le changement qu’elle apporte : Et je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et la mer n’est plus. La seconde fois la vision est évoquée en elle-même, sans qu’intervienne une comparaison avec ce qui précédait : Et la cité, la sainte, Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, préparée comme une fiancée parée pour son homme. Il ne s’agit plus du ciel nouveau et de la terre nouvelle mais de Jérusalem nouvelle. Celle-ci est saisie dans un mouvement de descente à partir du ciel, où elle était auprès de Dieu, et le narrateur, à voir sa parure, la perçoit comme si elle allait s’unir, telle une fiancée, à son homme.
Quant à la grande voix que le narrateur entendit, elle vient du trône, et elle porte avec elle un discours qu’il transcrit. Or, après avoir désigné et aussi caractérisé le spectacle comme présent - Voici la tente de Dieu avec les humains…- la grande voix poursuit dans un discours qui est tout entier au futur : et il dressera sa tente avec eux et eux, ils seront ses peuples, et lui, il sera le Dieu avec eux. Et il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, ni deuil, ni cri, ni peine ne sera plus. Enfin, comme tout à l’heure à propos de la vision, une explication est avancée, et presque dans les mêmes termes : parce que les premiers s’en étaient allés. On se souvient qu’on avait lu d’abord : car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés.
On peut retenir que la vision maintient le narrateur dans le présent. L’audition, en revanche, le dirige vers le futur. Mais, dans les deux cas, ce qu’il voit ou ce qu’il écoute a sa raison d’être en un événement qui s’est produit dans le passé et qui a transformé celui-ci. Que l’on considère le présent ou le futur, quelque chose qui était là, qui était premier, est parti, s’en est allé, et n’est ou ne sera plus. En bref, qu’il soit présent ou futur, du nouveau est là.
Quand le narrateur ne rapporte plus expressément son expérience de spectateur ou d’auditeur, quand il n’intervient que pour rapporter ce que celui qui était sur le trône dit, c’est pour affirmer la production, au présent, d’une universelle nouveauté : Voici, je fais tout nouveau. L’attention porte maintenant non plus sur l’état, présent ou futur, de ce qui peut être vu ou entendu ni même sur la nouveauté qui affecte ou affectera cet état mais sur l’acte même qui fait advenir cette nouveauté. Or, cet acte est énoncé au présent. Il est l’acte de celui qui s’affirme maintenant responsable de ce qui a été précédemment vu et entendu.
Or, c’est en ce point du récit que le narrateur lui-même recourt au présent, un présent qui a été traduit ici par de dire, pour éviter toute confusion avec les il dit. Tout se passe comme si le présent introduisait une césure dans la narration elle-même. En s’introduisant en elle, il y ouvre un temps qui n’avait pas encore été rendu manifeste, un temps durable, mémorable, celui auquel l’écriture seule peut donner consistance, temps vrai, auquel on peut se fier, comme à la parole qui est en train d’être proférée : Et de dire : « Mets-toi à écrire, parce que ces paroles sont de foi et de vérité. » On a cherché à rendre l’aspect de l’impératif, l’aoriste en grec, par une tournure française qui lui fût appropriée. Cet impératif signifie à lui seul que quelque chose commence, qu’un seuil a été franchi. Du coup, comme on vient de le constater, la parole elle-même n’est plus prononcée à la cantonade : elle est expressément adressée à quelqu’un : Mets-toi à écrire…Il en sera ainsi jusqu’à la fin, puisque les derniers propos sont introduits par Et il me dit : « C’est arrivé !... » Le parfait grec laisse ici clairement entendre qu’un événement décisif s’est produit.
Voilà de quoi nous alerter sur la valeur qu’il convient d’attribuer à la série des verbes au futur qui scandent la dernière intervention du locuteur : …je donnerai…le vainqueur héritera…et je serai pour lui…et il sera pour moi. Formellement, ils sont semblables aux verbes au futur qu’on a déjà rencontrés : comme tels ils parlent d’un avenir. Mais on ne peut négliger le fait qu’ils viennent après trois interventions qui, chacune à sa manière, dirigent l’attention sur le présent.
En outre, quant aux propos qui sont tenus, même s’ils sont grammaticalement formulés au futur, certains d’entre eux tendent à relativiser, voire à supprimer, la notion de délai qu’implique normalement tout usage de ce temps verbal. N’est-ce pas ce qui se dégage, par exemple, de cette déclaration où le moi du locuteur, emphatiquement souligné, affirme que se rencontrent en lui le plus lointain passé et le plus lointain avenir ? Moi, l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin…En tout cas, l’identité qu’il s’attribue laisse entendre que les interventions qu’il annonce pour le temps à venir font de celui-ci un autre temps ou un temps tout autre que celui qui précédait des déclarations comme « Voici, je fais tout nouveau » ou encore « C’est arrivé ! »
La ligne de partage du temps
Il y a deux façons de traiter le nouveau. On peut le présenter soit en le reliant à autre chose que lui soit en l’introduisant dans le discours de façon en quelque sorte absolue. Dans le premier cas, le nouveau se distingue de ce qui est premier, et qui n’est plus. Dans le second cas, le nouveau est le terme d’une action : Voici, je fais tout nouveau. Dans le premier cas, la nouveauté affecte des entités, le ciel, la terre et même, semble-t-il, Jérusalem, qui avaient été d’abord dans un premier état. Mais le tout que je fais nouveau a-t-il été, lui, dans un premier état ? La nouveauté est-elle même pour lui un état, tellement elle adhère à l’acte qui la produit et cet acte est au présent, il n’est limité par aucun passé ni par aucun futur, il est un présent continu. S’il y a des différences de temps, elles concernent l’état des choses non pas l’acte qui consiste à faire tout nouveau.
Une confirmation de la singularité absolue de ce présent est donnée par l’identité de celui qui agit. Pour lui, les différences dans le temps n’existent pas : il est l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin. En revanche, ces différences existent bel et bien pour les choses et pour les humains : pour eux passé et futur ne sont pas irréels. Les différences temporelles précédaient le moment - mais est-ce un moment ? - où celui qui était assis sur le trône dit : Voici, je fais tout nouveau. Elles persistent au-delà de cette déclaration. Il a beau dire « C’est arrivé ! » Il y a encore du futur.
Il reste que le temps n’est plus le même après qu’avant le moment du partage du temps. On peut même saisir en quoi consiste la nouveauté surgie de l’acte posé par celui qui était assis sur le trône. Elle apparaît dans l’ordre qui est donné et dans la raison qui en est avancée : « Mets-toi à écrire, parce que ces paroles sont de foi et de vérité! »
Si celui qui a vu et entendu doit encore écrire, c’est parce que ce qui est arrivé n’est pas fragile comme peut l’être ce qui arrive par les yeux ou par les oreilles : ce qui est arrivé est sûr, de sorte qu’on peut accorder foi à cet événement comme à ce qui est vrai. Le contenu de ce qui avait été vu et entendu n’est pas supprimé. Il demeure. Mais il en est parlé autrement, comme de quelque chose, comme d’un message assuré de la pérennité de ce qui et gravé, écrit. On peut s’en assurer en comparant avec la dernière déclaration ce qui avait été d’abord vu et entendu.
Le présent, temps de la foi et de la vérité
La ligne de partage du temps est le présent lui-même dans lequel nous sommes sans cesse. Elle est comparable à une frontière en laquelle se limitent et s’excluent réciproquement et aussi se rencontrent deux territoires. Ce présent est le temps de la foi et de la vérité. Deux expériences s’y rejoignent, chacune restant intacte, aucune des deux ne supprimant l’autre. Elles ont ceci cependant de commun qu’elles sont l’une et l’autre définies par rapport au futur. Mais ce futur n’est pas le même ici et là.
En deçà de la ligne de partage du temps, avant le présent et jusqu’à lui inclusivement, nous avons foi en la vérité d’un futur lors duquel ne sera plus ce qui est encore. Au-delà de cette même ligne, à partir du présent et déjà en lui, nous avons foi en la vérité d’un futur lors duquel sera ce qui n’est pas encore.
Ces deux futurs ont quelque chose en commun : c’est la mort. En effet, c’est elle qui est encore et qui ne sera plus. C’est elle aussi qui n’est pas encore mais qui sera, la mort, la seconde. Mais cette seconde mort a-t-elle encore lieu d’être ? Si elle est, n’est-elle pas de trop. Mais alors pourquoi en fait-on mention ? D’ailleurs elle n’échoit pas à tous mais seulement aux peureux, aux sans-foi, aux horribles, aux meurtriers, aux putains, aux empoisonneurs, aux idolâtres et à tous les menteurs, bref, à tous ceux qui n’ont pas foi en la vérité et qui, comme tels, ont leur part dans le lac brûlant de feu et de souffre, se détruisent eux-mêmes.
Cette mort, la seconde, ne serait-elle pas la figure inversée d’un excès, d’un débordement qui vient combler et même dépasser l’attente de celui qui a soif ? Moi, à qui a soif je donnerai de la source de l’eau de la vie, gratuitement. Tel est le futur lors duquel sera ce qui n’est pas encore. Mais exister dans son attente suppose qu’on soit sorti vainqueur d’un combat au terme duquel, comme un fils, on hérite de ce que Dieu donnera gratuitement : Le vainqueur héritera de cela, et je serai pour lui un Dieu, et il sera pour moi un fils.
Mais quand donc la victoire est-elle remportée ?
Maintenant, dans le temps présent, quand on a foi en la vérité d’un futur lors duquel ne sera plus ce qui est encore, parce que le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et que la mer n’est plus. Car c’est maintenant, à présent, que chacun peut lire ces paroles qui sont écrites : Et la cité, la sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, préparée comme une fiancée parée pour son homme. Et j’entendis une grande voix, du trône, qui disait : « Voici la tente de Dieu avec les humains, et il dressera sa tente avec eux et eux, ils seront ses peuples, et lui, il sera le Dieu avec eux. Et il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, ni deuil, ni cri, ni peine ne sera plus, parce que les premiers s’en étaient allés. »
Il s’agit, remarquons-le, de la tente de Dieu avec les humains : non pas avec les uns et pas avec les autres, non pas avec les uns sans les autres, mais avec tous. Pour qu’ils soient, sans distinction aucune, les peuples de Dieu et que lui soit le Dieu avec eux, il faut et il suffit qu’ils aient connu larme, mort, deuil, cri, peine. Ainsi avoir foi en la vérité de la suppression future de ce qui est encore là, tel est le chemin qui conduit à la foi en la vérité de l’excès, lui aussi futur, de ce qui n’est pas encore là.
Ces paroles sont de foi et de vérité. Sans doute. Mais qui a foi en la vérité ? Qui a soif ? Telles sont les questions qui sont adressées à quiconque lit ces paroles, qui sont à jamais écrites. En tout cas, tous, tant que nous sommes, nous sommes dans un temps, le présent, cette mince et dense frontière entre deux expériences du futur, et ce moment est interminablement, aujourd’hui comme hier et comme demain, le temps de la foi et de la vérité.
Il est d’ailleurs possible, sinon de définir, du moins de pressentir en quoi consiste le franchissement de la ligne du temps par la foi donnée à la vérité.
Du temps des fiançailles au temps de l’héritage
Il y a une nouveauté propre au futur lors duquel ne sera plus ce qui est encore. Comme on l’a noté, la nouveauté ne concerne même, à parler strictement, que ce futur-là, précisément parce qu’elle supprime ce qui est encore là, qu’on peut identifier, nommer, et dont on pâtit.
Or, cette nouveauté n’affecte pas seulement les éléments dont l’univers est composé, le ciel et la terre. Elle atteint jusqu’à l’existence sociale : Et la cité, la sainte, Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, préparée comme une fiancée parée pour son homme. Mais la résidence annoncée de Dieu avec les humains a le caractère d’une alliance qui ne se limite pas au seul couple mais s’étend à beaucoup : « Voici la tente de Dieu avec les humains, et il dressera sa tente avec eux et eux, ils seront ses peuples, et lui, il sera le Dieu avec eux. » Aussi bien les afflictions de toute sorte et la mort même, qui ne seront plus, doivent-elles être entendues non seulement comme des maux physiques mais comme des atteintes portées à l’humanité même, en tant que celle-ci constitue une communauté spécifique.
Qu’en est-il de l’autre futur, du futur lors duquel sera ce qui n’est pas encore, le futur dont on ne peut pas même se faire une idée par comparaison avec ce qu’on connaît déjà ?
La vie, quelque sens qu’on accorde à ce concept, y sera dispensée sans qu’on ait à donner quoi que ce soit en échange : gratuitement. Mais l’alliance ne s’exprime plus par la métaphore des fiançailles. C’est la filiation, non l’alliance nuptiale, qui est accordée au vainqueur. L’homme, certes, n’avait en rien mérité sa fiancée. Qui a soif ne mérite pas davantage l’eau de la source de la vie. Cependant un combat a eu lieu, une victoire a été remportée, il y a un vainqueur. Ainsi le combat et la victoire font-ils la différence entre les fiançailles et le statut de fils : Le vainqueur héritera de cela, et je serai pour lui un Dieu et lui, il sera pour moi un fils.
Que pouvons-nous conclure de ces observations ?
Qu’on se rappelle la différence qu’on a reconnue entre les deux futurs, entre celui lors duquel ne sera plus ce qui est encore et celui lors duquel sera ce qui n’est pas encore, la différence entre la suppression de ce qui afflige encore, des maux qu’on ressent, et l’excès, proprement inimaginable, irreprésentable, qui non seulement donnera la vie mais la donnera gratuitement, non toutefois sans qu’un combat se soit produit, couronné par une victoire, mais sans qu’on ait mérité cette vie par un effort, puisqu’on hérite. En effet, un héritier n’a rien fait lui-même pour recevoir ce qui lui échoit. Il reçoit donc toujours gratuitement, du seul fait du statut de fils qui lui est reconnu.
Or, dans ce futur lors duquel sera ce qui n’est pas encore, lors duquel la mort ne sera plus, comment comprendre que puisse néanmoins advenir quelque chose qu’on nommera encore la mort, même si elle est qualifiée de seconde ? Comment comprendre, en effet, que du fait de leurs conduites certains aient leur part dans le lac brûlant de feu et de soufre, ce qui est la mort, la seconde ?
Pour répondre à cette question, il nous faut prendre du champ.
Dans le présent, où nous sommes actuellement et où nous recevons l’annonce d’un futur d’où la mort sera absente, puisque ce qui est encore ne sera plus, avons-nous les moyens qui nous rendraient capables de dessiner la figure d’un futur où sera ce qui n’est pas encore ?
Inévitablement, à ce futur nous donnons les traits de ce qui est encore. Mais alors nous oublions ainsi, pas tout à fait cependant, que la mort a été supprimée. Et voilà pourquoi nous parlons d’une seconde mort. Mais autant dire qu’alors nous ne savons pas ce que nous disons. Et comment le saurions-nous, puisque nous ne pouvons pas nous le représenter, nous qui appartenons encore à un temps où existe ce qui ne sera plus, et notamment la mort ? En effet, puisqu’il y aura ce qui n’est pas encore, un excès encore inexpérimenté, nous ne pouvons en parler qu’en recourant au modèle de notre expérience présente et, par conséquent, en y mentionnant la mort. Mais comment celle-ci pourrait-elle être là vraiment, si elle a été, purement et simplement, supprimée ? C’est impossible. Alors, pourquoi donc persistons-nous à déclarer qu’elle est là, comme si elle était revenue ?
Reconnaissons que nous n’enregistrons pas un fait actuel. Pourtant, si nous ne savons pas ce que nous disons, nous ne parlons pas pour ne rien dire. En effet, notre façon de parler n’est pas sans signification pour nous, présentement : nous énonçons ce qui arriverait si nous n’écoutions pas maintenant, dans le moment présent, comme des paroles de foi et de vérité, l’annonce du renouvellement qui se sera produit et qui ne cessera de se produire, puisque la mort ne sera plus.
Mais on demandera : pourquoi accorder de la place à l’énoncé d’un impossible retour de la mort, s’il ne correspond à rien de réel ?
C’est sans doute le lieu de se rappeler que nous ne parlons pas seulement pour enregistrer des faits, pour décrire ou pour raconter. Nous parlons aussi pour maintenir toujours vif notre désir et pour l’augmenter et, notamment, pour entretenir en nous et entre nous la puissance d’une soif qui ne cesse de se renouveler à mesure même qu’elle est étanchée. Ainsi pour boire à la source de l’eau de la vie, gratuitement, encore faut-il ne pas avoir mis un terme à sa soif , n’être pas mort, et, pour cela, ne pas prétendre se désaltérer au lac brûlant de feu et de souffre.
En un mot, pour recourir à une distinction de Pascal qui ne concerne pas seulement le style, nous ne parlons pas seulement pour « instruire », mais aussi pour « échauffer.» On sait quelle portée l’auteur des Pensées accordait à cette distinction. Il écrivait notamment : « Jésus-Christ, saint Paul ont l’ordre de la charité, non de l’esprit ; car ils voulaient échauffer, non instruire. Saint Augustin de même. Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qu’on rapporte à la fin, pour la montrer toujours.»
Pour en rester au passage que nous lisons, pourquoi ne pas parler de telle façon qu’on se « rapporte à la fin, pour la montrer toujours », c’est-à-dire, ici, à la mort qui s’en est allée, à la nouveauté qui ne cesse de sourdre, ici et maintenant, donc déjà, dans l’alliance nuptiale comme dans la condition du fils qui, à tout moment, reçoit gratuitement, inépuisablement, l’eau de la vie ?
Clamart, le 22 octobre 2008