Celui qui croit en lui
«Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi doit être élevé le fils de l'homme, afin que quiconque croit ait en lui une vie éternelle. En effet ainsi Dieu aima le monde au point qu'il donna le fils, l'unique engendré, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait une vie éternelle. En effet Dieu n'envoya pas le fils dans le monde afin qu'il juge le monde mais afin que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n'est pas jugé. Mais qui ne croirait pas en lui déjà a été jugé, parce qu'il n'aurait pas cru au nom du fils, unique engendré, de Dieu. Et voici le jugement, c'est que la lumière est venue dans le monde et les hommes aimèrent mieux la ténèbre que la lumière. En effet mauvaises étaient leurs oeuvres. En effet quiconque agit vilainement hait la lumière et ne va pas vers la lumière, afin que ses oeuvres ne soient pas réprouvées. Mais celui qui fait la vérité va vers la lumière, afin qu'il soit clair que ses oeuvres ont été oeuvrées en Dieu.»
Il ne vous a pas échappé, à la lecture de ce texte, que des mots apparaissent, restent un certain temps, et puis s'en vont. D'autres prennent la relève, restent un certain temps, et puis s'en vont eux aussi.
Que ce soit pour nous l'occasion de reparcourir ce texte. «Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi doit être élevé le fils de l'homme». On ne parlera plus de cette élévation.
«Afin que quiconque croit en lui... ait une vie éternelle.» La vie éternelle est aussitôt associée à la foi. Deux lignes plus loin, on retrouve cette association : «afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait une vie éternelle.»
Entre temps était arrivée la phrase : «Dieu aima le monde au point qu'il donna le fils, l'unique engendré». Un peu plus tôt, nous avions lu «le fils de l'homme», cette fois-ci c'est «le fils», souligné comme «l'unique engendré». Dieu est arrivé : «Dieu aima le monde» ; Dieu persiste, si j'ose dire : «En effet Dieu n'envoya pas le fils dans le monde...».
Et puis, surgit un nouveau terme : «afin qu'il juge le monde mais afin que le monde soit sauvé par lui.»
Croire revient : «Celui qui croit en lui n'est pas jugé.» Il semble qu'à ce moment-là, il y ait comme une exploitation du verbe croire : «Mais qui ne croirait pas en lui déjà a été jugé».
Le jugement, apparu il y a quelques mots, revient : «parce qu'il n'aurait pas cru au nom du fils». Le fils revient «unique engendré, de Dieu». «Et voici le jugement» «Celui qui croit en lui n'est pas jugé». Le jugement est souligné. «Et voici le jugement, c'est que la lumière est venue dans le monde».
«Et les hommes aimèrent mieux la ténèbre que la lumière. En effet mauvaises étaient leurs oeuvres.» Ce n'est plus croire qui est mis en avant, ce sont les oeuvres, ce que font les hommes. «En effet quiconque agit vilainement hait la lumière et ne va pas vers la lumière, afin que ses oeuvres ne soient pas réprouvées.» Plus rien de ce que nous avions vu au début n'apparaît ici. Non seulement, on ne parle pas du serpent ni de son élévation, mais pas davantage de vie éternelle, encore moins de croire, et du jugement lui-même, il n'est plus fait état.
«Celui qui fait la vérité va vers la lumière» : cette lumière, qui est apparue quelques lignes plus haut, revient avec insistance, avec une telle insistance même qu'elle se laisse percevoir encore dans : «afin qu'il soit clair que ses oeuvres ont été oeuvrées en Dieu.»
Le seul terme qui soit présent partout, disséminé tout au long de ces quelques lignes, c'est le nom de Dieu. «En effet ainsi Dieu aima le monde... En effet Dieu n'envoya pas le fils dans le monde... fils, unique engendré, de Dieu... » C'est le dernier mot du texte : «afin qu'il soit clair que ses oeuvres ont été oeuvrées en Dieu.»
Voilà une première série de remarques.
*
J'en ferai une deuxième. Peut-être avez-vous été surpris par la façon dont certains verbes ont été traduits. Je veux dire par là que nous avons pris l'habitude de dire : «en effet ainsi Dieu a aimé le monde au point qu'il a donné le fils», et aussi «En effet Dieu n'a pas envoyé le fils dans le monde afin...» Or vous avez sous les yeux une traduction au passé simple.
Pourquoi attirer votre attention sur ce trait ? Parce que nous sommes là au plus près peut-être du secret de ce texte. Il est vrai que plus nous avançons, plus nous voyons, comme je le disais tout à l'heure, des termes venir, rester et disparaître et nous avons l'impression que cette succession a pour raison d'être de nous présenter chaque fois une explication de ce qu'on a avancé précédemment. Des mots sont lancés et, comme si l'on voulait signifier, à la manière d'un dictionnaire, ce que signifie le mot, d'autres viennent et expliquent. Peut-être, c'est à cela qu'il faut attribuer ces nombreux «en effet» : «En effet ainsi Dieu aima le monde... En effet Dieu n'envoya pas le fils dans le monde... En effet mauvaises étaient leurs oeuvres. En effet quiconque agit vilainement».
Par quoi donc sont expliqués les mots ? Par des événements. On dirait que, pour comprendre le sens des mots, il faut se situer à l'intérieur d'une histoire, dans ce qui s'est passé. C'est pourquoi j'ai tenu à traduire par le verbe qui, dans notre langue, exprime l'événement tel qu'il s'est passé, c'est-à-dire fait notre passé brut, simple, le bien-nommé.
*
«Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi doit être élevé le fils de l'homme, afin que quiconque croit ait en lui une vie éternelle.»
Deux mots, d'abord, sur la traduction, notamment la traduction de la dernière partie de cette phrase : «afin que quiconque croit ait en lui une vie éternelle.» J'ai tenu à traduire de cette manière parce que «en lui», vient bien dans le texte après «quiconque croit en lui ait une vie éternelle», mais il est tourné de telle façon, dans la langue originale, qu'il est bien évident qu'il s'agit ici de l'indication d'un lieu où l'on réside et non pas du but vers lequel on se rend. En revanche, un peu plus bas, je n'ai pas hésité à traduire : «afin que quiconque croit en lui», parce que, ici, dans le texte, la tournure manifestait le but vers lequel on allait et non pas le lieu dans lequel on se trouvait.
Après cette explication, revenons sur cette phrase : «et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi doit être élevé le fils de l'homme». Il faut manifestement que nous nous reportions à une histoire antérieure. Une allusion est faite à un événement, du chapitre XXIème du livre des Nombres, à partir du verset 4ème.
«Ils partirent de Hor-la-Montagne en direction de la mer des Joncs, pour contourner le pays d'Edom. Mais le peuple perdit patience en chemin, et le peuple parla contre Dieu et contre Moïse : "Pourquoi nous avez-vous fait monter d'Egypte pour mourir dans le désert ? Car il n'y a ni pain ni eau, et notre gosier est dégoûté de ce maigre aliment." Le Seigneur envoya contre le peuple des serpents brûlants, qui mordirent le peuple ; et il en mourut beaucoup du peuple d'Israël. Le peuple vint à Moïse, et ils dirent : "Nous avons péché, car nous avons parlé contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu'il écarte de nous les serpents." Moïse intercéda pour le peuple, et le Seigneur dit à Moïse : "Fais-toi un serpent brûlant et mets-le sur une hampe ; quiconque aura été mordu et le regardera, restera en vie." Moïse fit un serpent de bronze et le mit sur la hampe ; et alors, si quelqu'un était mordu par l'un des serpents et regardait le serpent de bronze, il restait en vie».
Il n'est sans doute pas indifférent de connaître l'épisode que nous venons de lire. Cependant, les deux premières lignes de notre texte permettaient déjà d'elles-mêmes de déchiffrer la portée du rapprochement établi entre l'élévation du serpent et l'élévation du fils de l'homme. Ce qui apparaît dans les deux cas, c'est que, si Moïse éleva le serpent dans le désert, et si le fils de l'homme doit être élevé, c'est «afin que quiconque croit ait en lui une vie éternelle.» Nous comprenons que le serpent élevé et le fils de l'homme élevé sont des sources de vie, de vie éternelle, pour peu que l'on croie.
Il reste qu'il est de grande importance de se rapporter à un événement arrivé il y a longtemps, du temps de Moïse. En lisant : «comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi doit être élevé le fils de l'homme», nous apprenons que cette élévation du fils de l'homme poursuit un but qui déjà, dans le passé, a été poursuivi.
Qui dit «serpent», qui dit «fils» se prépare à dire «vie» car dans les deux cas, nous sommes dans l'ordre de la vie, à ceci près toutefois, et ce n'est pas sans importance, que le serpent nous renvoie vers la pure animalité, alors que le fils désigne quelque chose qui est d'un autre ordre que la vie. Un fils n'est pas seulement un vivant. Un fils, c'est un nom donné à quelqu'un quand on dit de lui, par exemple : «tu es mon fils».
*
«En effet ainsi Dieu aima le monde au point qu'il donna le fils, l'unique engendré, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait une vie éternelle.» Nous lisons, et comprenons que «en effet», nous ne pouvons pas saisir ce qui vient d'être énoncé si nous ne lisons pas ce qui est dit maintenant.
Que s'est-il donc passé ?
«Dieu aima le monde». Il y a eu un événement qui a été l'amour de Dieu pour le monde. Dieu aima le monde «au point qu'il donna le fils, l'unique engendré». Il ne s'est pas contenté de donner le serpent, la bête, et d'élever cet animal rampant. Mais il a poussé son amour jusqu'à donner le fils. Il avait déjà donné, par l'élévation du serpent. Mais, s'il y a du nouveau, c'est qu'il a aimé au point de donner le fils, l'unique engendré.
«Afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait une vie éternelle.» Il s'agit cette fois-ci, non pas de croire et, du fait de cette foi, d'avoir une vie éternelle, mais de croire en lui. Nous aurons tout à l'heure à nous demander quelle est la différence entre croire, croire en lui et croire au nom du fils. Restons, si vous le voulez, en attente. «Afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait une vie éternelle.» Pourquoi mentionne-t-on «ne périsse pas» ? C'est qu'en regardant vers le serpent, on était encore dans une certaine indétermination. Si le fils de l'homme vient, est élevé, à la place du serpent, c'est que, par sa venue, il écarte un péril. On dirait que le serpent était porteur d'une vie équivoque, d'une vie qui pourrait faire périr. Avec le fils de l'homme, pas question de périr, mais seulement de vie éternelle.
«En effet Dieu n'envoya pas le fils dans le monde afin qu'il juge le monde mais afin que le monde soit sauvé par lui.» Qu'est-ce qui manquait aussi longtemps que le fils n'était pas dans le monde ? C'était que le monde soit sauvé. Il pouvait encore être jugé. Maintenant que le fils a été envoyé, tout ce qu'il pourrait y avoir de jugement, et de jugement qui condamne le monde, qui l'empêche d'être sauvé, tout cela est fini. Nous sommes dans un monde renouvelé : dès maintenant le monde est autrement.
*
A présent, c'est croire qui est développé, le fait de croire.
«Celui qui croit en lui n'est pas jugé. Mais qui ne croirait pas en lui déjà a été jugé, parce qu'il n'aurait pas cru au nom du fils, unique engendré, de Dieu.» C'est le fait même de croire au fils qui supprime le jugement. Car le fils n'est pas venu pour juger, il est venu pour sauver. Juger n'est pas une action qui relève du fils.
«Celui qui croit en lui n'est pas jugé. Mais qui ne croirait pas en lui déjà a été jugé». Pourquoi ? «parce qu'il n'aurait pas cru au nom du fils, unique engendré, de Dieu.» En d'autres termes, croire, c'est prendre le nom du fils. C'est pour ça que c'est vivre, et c'est pour ça que c'est ne pas périr. On ne peut croire qu'en se reconnaissant fils, c'est-à-dire comme quelqu'un qui est reconnu par un père !
Nous avons, dans un passage comme celui-ci, un double mouvement. D'abord le mouvement dont Dieu est le sujet. «Dieu aima le monde au point qu'il donna le fils... Dieu n'envoya pas le fils dans le monde». Voilà une sorte de première manière de raconter l'histoire : on fait de Dieu le sujet, celui qui a l'initiative. Mais il y a une autre manière, tout aussi exacte, de raconter cette histoire : c'est l'histoire dont le sujet sera le croyant : «afin que quiconque croit... ait une vie éternelle... afin que quiconque croit ne périsse pas... Celui qui croit en lui n'est pas jugé.» On passe du sujet Dieu, au sujet qui croit.
Croire, c'est prendre la place du fils. Croire, c'est se reconnaître soi-même dans le nom du fils. C'est une manière de lire l'histoire en partant du côté des gens que nous sommes. Quand je crois, Dieu envoie son fils. Aussi bien d'ailleurs ce fils est-il à la fois le fils unique engendré et, le bien nommé, le fils de l'homme. Voilà un trait que nous n'avions pas encore souligné. Tout à l'heure, tout commençait par le fils de l'homme, ce qui naît de l'humain, c'est-à-dire vous et moi. Ensuite, c'est le fils. Il a envoyé le fils, l'unique engendré. Sans doute. Mais quand quelqu'un croit, c'est lui le croyant qui prend le nom du fils.
*
Le jugement a disparu, puisque le fils n'a rien de commun avec le jugement.
Car le jugement le voici : «c'est que la lumière est venue dans le monde». Ainsi, le fils est venu dans le monde, oui, mais aussi la lumière est venue dans le monde, en montant du fond de ce que nous faisons. Du fond des actes que nous posons. «La lumière est venue dans le monde et les hommes aimèrent mieux la ténèbre que la lumière. En effet mauvaises étaient leurs oeuvres.» Donc, si la lumière qui venait dans le monde a été offusquée, c'est à cause de ce qui montait de nos oeuvres.
«En effet quiconque agit vilainement hait la lumière et ne va pas vers la lumière,» ne monte pas vers la lumière, ne s'élève pas vers elle. Le serpent est élevé, le fils de l'homme est élevé. Or, de nouveau, il s'agit d'un mouvement, d'un mouvement qui d'ailleurs n'avait jamais cessé («Dieu envoya le fils»), mais, maintenant, ce mouvement se fait à partir de quiconque : «quiconque agit vilainement hait la lumière et ne vas pas vers la lumière afin que ses oeuvres ne soient pas réprouvées». Il a peur de la lumière qui vient vers lui, en face de lui, et aussi qui monte de lui. Cette lumière va faire apparaître le caractère vil, sans prix, de ce qu'il a fait. Il veut, dérisoirement, garder ses oeuvres. Pourtant, la lumière, le fait d'être fils et de se croire tel, aurait dissous ses oeuvres.
«Mais celui qui fait la vérité va vers la lumière, afin qu'il soit clair que ses oeuvres ont été oeuvrées en Dieu.» Celui qui fait la vérité, celui-là, dans ce qu'il oeuvre, marche vers la lumière. Pourquoi ? Parce qu'il poursuit un but : «afin qu'il soit clair que ses oeuvres ont été oeuvrées en Dieu». Au début, il n'y en avait que pour Dieu qui oeuvrait. «Dieu aima le monde..., Dieu envoya le fils dans le monde». Voilà ce qu'étaient les oeuvres de Dieu. Où sont-elles maintenant les oeuvres de Dieu ? Elles sont côté de chacun d'entre nous : «afin qu'il soit clair que ses oeuvres ont été oeuvrées en Dieu.» De même que croire, c'est prendre le nom du fils, de même, l'oeuvre de Dieu, ce que fait Dieu se réalise (aimer le monde, envoyer le fils), dans les oeuvres de chacun d'entre nous.
En définitive, il n'y en a que pour Dieu et, inséparablement, il n'y en a que pour nous. Pourquoi ? Parce qu'à la jonction entre Dieu et nous, il y a le fils ou, si vous préférez, il y a la foi en notre nom de fils.