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Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures

«Je vous fais connaître, frères, l’heureuse annonce que je vous ai heureusement annoncée, que vous avez reçue aussi, en laquelle vous tenez aussi, par laquelle vous êtes sauvés aussi, si vous retenez par quelle parole je vous ai heureusement annoncé, hors le cas où vous avez cru pour rien. En effet, je vous ai livré en premier ce que j’ai aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures, qu’il a été mis au tombeau, et qu’il s’est réveillé le troisième jour, selon les Ecritures, et qu’il a été vu par Képha, puis par les Douze. Ensuite, il a été vu par plus de cinq cents frères en une fois, dont la plupart demeurent jusqu’à maintenant, mais certains ont été étendus. Ensuite, il a été vu par Jacques, puis par tous les Apôtres. En tout dernier lieu, comme à l’avorton, il a été vu par moi aussi. Moi, en effet, je suis le moindre des Apôtres, qui ne suis pas capable d’être appelé Apôtre, puisque j’ai poursuivi l’Eglise de Dieu. Mais c’est par une grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce, celle envers moi, n’a pas été vide, mais, supérieurement à eux tous, j’ai peiné, non pas moi, mais la grâce de Dieu, celle avec moi. Donc, soit moi, soit ceux-là, c’est ainsi que nous proclamons, et c’est ainsi que vous avez cru.»


1 Corinthiens XV, 1-11

Nous pouvons considérer qu’il y a deux verbes particulièrement importants. Le premier est le verbe croire. Il est présent dès les premières lignes: «hors le cas où vous avez cru pour rien». C’est avec ce verbe que le texte se termine: «et c’est ainsi que vous avez cru». Nous pouvons aussi relever la présence, encore plus insistante, d’un autre verbe: voir. C’est vers le milieu de ce passage qu’il revient fréquemment: «il a été vu par Képha,… il a été vu par plus de cinq cents frères…il a été vu par Jacques,… il a été vu par moi aussi.» Nous pouvons nous dire: il y a une opposition entre ceux auxquels s’adresse l’auteur, qu’il désigne comme des gens qui ont cru et, d’autre part, un certain nombre d’autres personnages, qui ont été les bénéficiaires d’apparitions.

Donc, certains croient, d’autres voient. Ce ne sont pas les mêmes. Nous pouvons partir sur l’hypothèse suivante: il y a des personnages qui n’ont pas eu à croire, parce qu’ils ont vu; d’autres qui ont à croire, parce qu’ils n’ont pas vu, et c’est pour cette raison qu’ils croient.

Or, un raisonnement de ce genre nous empêcherait d’entrer dans le texte. Nous allons donc prendre un tout autre chemin.

*

Travaillons d’abord sur un petit fragment, depuis le début jusque vers les mots suivants: «il s’est réveillé le troisième jour, selon les Ecritures».

«Je vous fais connaître, frères, l’heureuse annonce que je vous ai heureusement annoncée». «Je vous fais connaître». On traduit souvent: je vous rappelle. Mais, du coup, on met de côté ce verbe connaître, qui est bien présent dans l’original. Car il ne s’agit pas tellement de rappeler, mais de faire réaliser, de faire reconnaître ce qui s’est passé quand l’annonce a été transmise.

«Je vous fais connaître, frères, l’heureuse annonce que je vous ai heureusement annoncée». Quelle lourdeur dans la traduction! Une lourdeur dont je n’ai pas honte. J’aurais préféré, en effet, vous proposer le texte suivant: «je vous fais reconnaître, frères, l’Evangile que je vous ai annoncé». Mais vous voyez bien ce qui tombe dans cette traduction, incontestablement plus élégante. Ce qui tombe, c’est d’abord qu’il s’agit d’une annonce. Or, dans notre façon d’entendre le mot «Evangile», nous sommes portés à oublier l’annonce. Nous pensons plutôt au contenu de ce message, à supposer que nous gardions encore en tête la pensée d’un message, c’est-à-dire de ce que l’on passe à d’autres. En outre, on laisse de côté ce que j’ai très lourdement traduit par «heureux».

Donc, nous allons entrer dans un effort pour reconnaître ce qui a eu lieu lorsqu’une bonne nouvelle a été transmise. Vous l’avez reçue, c’est chose faite. Réfléchissons, revenons sur cette heureuse annonce dont j’ai été le porteur, pour que vous réalisiez la puissance de cette réalité, sa portée, sa signification.

«L’heureuse annonce que je vous ai heureusement annoncée, que vous avez reçue aussi, en laquelle vous tenez aussi». Etrange manière de parler d’une annonce. L’annonce a été accueillie, reçue. Il y avait un expéditeur, il y avait des destinataires. Or, ces destinataires «se tiennent dans» cette annonce. Elle est comme un terrain sur lequel ils se trouvent maintenant établis. Ce n’est pas tout: «par laquelle vous êtes sauvés aussi». Cette annonce a la force de les sauver! Et d’ajouter: «si vous retenez par quelle parole je vous ai heureusement annoncé», étant exclu le cas où vous avez cru pour rien. Car je mets hors jeu le cas où vous avez cru pour rien. Non pas si vous retenez ce que je vous ai annoncé. Mais si vous retenez par quel type de parole je vous ai transmis le message. Nous aurons à revenir sur ces mots: «par quelle parole».

Au point où nous en sommes, nous nous disons: mais en quoi consiste ce message? Et pourquoi faut-il retenir par quelle parole il est venu?

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«En effet (je m’explique, tel est le sens du "''en effet''"»), je vous ai livré en premier ce que j’ai aussi reçu». Moi, je vous ai fait passer quelque chose qu’on m’avait fait passer à moi aussi. Je suis dans la situation d’un passeur, mais on l’a été aussi à mon égard.

Je n’ai pas réussi à rendre présent, dans les deux verbes, ce qui est pourtant dans le texte original. Je n’ai pas réussi, j’ai traduit tout simplement par «je vous ai livré ce que j’ai aussi reçu», mais il aurait fallu que je trouve un verbe français qui révèle que dans livrer et dans recevoir il y avait un indice, un préverbe, qui signifie faire passer.

Qu’est-ce qu’on m’avait fait passer? Nous en venons à ce contenu du message. «Que Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures, qu’il a été mis au tombeau, et qu’il s’est réveillé le troisième jour, selon les Ecritures». Je vous ai fait passer l’annonce d’un fait - Christ est mort, il a été mis au tombeau, il s’est réveillé le troisième jour - et aussi, inséparable du fait dont je vous transmettais la nouvelle, il y avait le sens de ce fait. Annoncer que le Christ est mort, c’est annoncer quelque chose qui est arrivé, comme aussi d’ailleurs sa sépulture, comme aussi son réveil. Mais, ce que je vous ai annoncé, ce n’est pas cela. C’est, indissolublement, le fait et son sens. Ceci apparaît très tôt dans la phrase: «Christ est mort pour nos péchés». On peut voir quelqu’un mourir, on ne peut pas voir quelqu’un mourir pour nos péchés. Or, c’est bien ce qui est dit. Allons plus loin. Je vous ai annoncé «que Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures». Ce fait n’est pas isolable d’un contexte au sens le plus précis de ce mot, puisque des écrits sont mentionnés: «selon les Ecritures». En vous faisant passer le message «Christ est mort pour nos péchés», je parlais comme parlent les Ecritures que vous connaissez, que je connais moi aussi. Je parle la langue des Ecritures. Ensuite, quand j’ai ajouté «qu’il a été mis au tombeau», j’insiste sur le fait de sa sépulture. En revanche, quand je dis: «et qu’il s’est réveillé le troisième jour, selon les Ecritures», de nouveau, je parle en utilisant la langue des Ecritures.

Autrement dit, il n’est pas possible de comprendre ce qui s’est passé, de réaliser le fait par la pensée si on ne joint pas à ce fait qu’on annonce sa signification. C’est cela le message que je vous ai annoncé. Un message qui lie la mort de quelqu’un, ici la mort du Christ, à nos péchés. Or, cela, c’est un langage traditionnel pour qui parle selon l’Ecriture, bref, pour qui croit.

Nous pourrions nous arrêter là et nous aurions l’expression même du message, d’un message qui porte sur un fait, mais un fait bien étrange, puisque aussi bien il est lié à quelque chose qui nous affecte (nos péchés) et qu’en outre, il est inséparable, pour son énonciation même, de la langue des Ecritures, qui est la langue de la foi. Autrement dit, je vous ai transmis un message qui vous dit que ce qui s’est passé vient remplir l’Ecriture - mais croyez-vous en l’Ecriture? - et, en même temps, vous touche. C’est d’ailleurs pour cela que je vous l’ai annoncé. Car il y a, bien entendu, un lien très étroit entre l’heureuse annonce que j’ai eu le bonheur de vous annoncer et le fait que cette mort vous débarrasse de vos péchés.

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Ensuite, il y a une accumulation du verbe voir. Elle a pour intention de souligner que cela s’est bien passé. C’est arrivé puisque le Christ a été vu. Mais attention! Qu’il ait été vu, c’est moi qui le dit. N’entendons pas ce «c’est moi qui vous le dit» comme une précision qui inviterait au soupçon : «c’est moi qui vous le dit, mais on peut en douter». Mais entendons seulement ceci: «vous avez aussi à accueillir que c’est arrivé, même s’il ne vous est pas arrivé à vous de voir». Cette insistance sur le verbe voir est une sorte de point d’orgue. Elle souligne que le fait s’est produit mais ce même fait relève maintenant de l’ordre de la parole: on ne peut pas éviter de le dire. Que le fait se soit produit, puisque aussi bien il a été vu, c’est encore quelque chose qu’on dit.

Je vous ai annoncé «qu’il a été vu par Képha, puis par les Douze.» Donc, il y a eu des gens qui n’ont pas eu à recevoir le message, puisque aussi bien ils ont vu.

«Ensuite, il a été vu par plus de cinq cents frères (le même mot que tout à l’heure: "''je vous fais connaître, frères''"») en une fois, dont la plupart demeurent jusqu’à maintenant, mais certains ont été étendus». Je vous accorde que la traduction est très disgracieuse. «Etre étendu» est pourtant le verbe qui reste encore présent dans notre mot cimetière: le lieu où l’on repose, étendu!

«Ensuite, il a été vu par Jacques, puis par tous les Apôtres», par tous ceux qui portent le message, qui sont envoyés pour transmettre. Il a été vu: c’est une façon de faire entendre que le fait a eu lieu. Mais ce passage par les yeux («il a été vu») est au service de ce que le messager avait commencé par faire. Il avait annoncé «que Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures, qu’il a été mis au tombeau, et qu’il s’est réveillé le troisième jour, selon les Ecritures». L’important, c’est, en effet, que l’on transmette le fait survenu, mais qu’on le transmette avec sa signification, pas sans elle.

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''En tout dernier lieu, comme à l’avorton, il a été vu par moi aussi.''» Pourquoi a-t-il dit «avorton»? Il s’en explique aussitôt. «Moi, en effet, je suis le moindre des Apôtres, - des envoyés - qui ne suis pas capable d’être appelé Apôtre, puisque j’ai poursuivi l’Eglise de Dieu».

Revenons sur cette finale de ce deuxième temps du passage. Je l’ai vu, oui, je l’ai vu, mais je ne l’ai vu que pour le faire savoir, que pour le transmettre, et pour le transmettre, non pas comme un fait qui se serait seulement produit, mais, si je puis dire, comme un fait-à-sens, et donc comme un fait à foi, un fait à croire.

Qu’est-ce qu’un avorton? C’est quelqu’un qui a de la peine à naître, qui ne naît qu’avec difficulté, éventuellement en faisant du dégât avec sa naissance. Donc, ce n’est pas simplement le dernier né, mais celui qui aurait pu ne pas naître, ne pas exister.

J’ai voulu détruire, anéantir l’Eglise de Dieu, c’est-à-dire le groupe de ceux qui avaient vu. J’ai été à rebours de ce qu’était ce groupe, ce groupe récepteur d’une vision, la vision du Christ. Ainsi, ce qui est souligné vers le milieu de ce texte, c’est que c’est arrivé. Mais que ce soit arrivé, c’est encore quelque chose qui est dit, c’est encore quelque chose qui est transmis.

Il ne servirait à rien de voir seulement, si, en voyant, on n’était pas institué croyant. A cet égard, il n’y a pas de différence entre ceux qui ont vu et les autres, auxquels on annonce l’événement qui s’est produit et, en même temps, le sens de cet événement. Il n’y a pas de différence, car, ayant vu, ils ont été constitués messagers, envoyés, apôtres de l’événement. Car, s’il y a événement, il n’y a plus seulement fait: du sens est joint au fait. J’emploie maintenant ce mot d’événement, et non pas de fait. Ils ont été établis dans l’annonce de la réalité de la mort et de la résurrection du Christ pour les péchés. Or, c’est cela que j’avais moi-même voulu détruire, affirme Paul. C’est pourquoi je suis le moindre des Apôtres.

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J’ai laissé de côté un passage important dans ce texte: la mention de ces «cinq cents frères», et du fait que «la plupart demeurent jusqu’à maintenant, mais certains''''ont été étendus». Pendant le temps de leur vie, ils ont été croyants. Cette foi est une donnée de leur vie. Ils en ont vécu. Elle ne les a pas empêchés d’être ensuite étendus, d’aller sommeiller. Mais la foi dans laquelle ils ont vécu leur a donné déjà ce en quoi ils croyaient, comme aussi bien d’ailleurs à Képha, aux Douze et à lui-même, Paul. La foi porte sur la réalité de la mort et de la résurrection du Messie pour nos péchés. Or, puisqu’elle est foi en ce fait, qui a cette signification-là, elle est elle-même, en quelque sorte, résurrection. Car la foi est pour le temps, pour le temps de la vie, mais cette foi donne la vie à celui qui croit.

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Paul continue en disant: Je ne pourrais pas tenir la route moi-même si une grâce de Dieu ne m’avait fait être ce que je suis. «Mais c’est par une grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce, celle envers moi, n’a pas été vide». De quoi a-t-elle été remplie? Voici la réponse: «supérieurement à eux tous, j’ai peiné, non pas moi, mais la grâce de Dieu, celle avec moi.» En d’autres mots, je suis, moi aussi, dans un état de foi, qui est un état de grâce. Je l’ai rempli par une vie de labeur. Soit! D’ailleurs, ce n’est pas fini. Mais si j’ai peiné, ce n’est pas moi qui agissais tout seul, mais il y avait la grâce de Dieu: «celle avec moi». Pourquoi parle-t-il de la grâce de Dieu? Parce qu’il ne se contente pas de rappeler qu’il y a eu vision, mais vision de quelqu’un qui est mort pour nos péchés, qui nous en a fait grâce.

«Donc, soit moi, soit ceux-là, c’est ainsi que nous proclamons, et c’est ainsi que vous avez cru.» Retour au point de départ où l’insistance était mise sur l’heureuse annonce, la réception de l’annonce. Maintenant, ce n’est plus annonce, c’est proclamation: «c’est ainsi que nous proclamons, et c’est ainsi que vous avez cru.»

1er février 2001

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