IHVH notre justice.
«Voici, les jours viennent, oracle de IHVH, je ferai se lever la parole de bien que j'ai parlée à la maison d'Israël et sur la maison de Juda. En ces jours-là et cette époque-là je ferai germer pour David un germe de justice et il pratiquera droit et justice sur le pays. En ces jours-là Juda sera sauvé et Jérusalem demeurera en confiance, et voici ce qui sera crié en elle : IHVH notre justice.»
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Avant de traverser ce texte, quelques observations pour baliser le parcours que nous allons faire.
Vous avez observé, bien sûr, qu'un certain nombre de lieux sont nommés : "Israël", "la maison d'Israël", "la maison de Juda" et également "Jérusalem". Ces lieux, désignés par des noms propres, sont occupés par des collectivités, ils sont des espaces sociaux.
Deuxième remarque, portant cette fois-ci sur le temps. "Voici, les jours viennent" et puis "En ces jours-là", "ces jours-là et à cette époque-là", et encore "en ces jours-là". D'un côté, des jours qui viennent, de l'autre ces jours, présentés comme lointains.
Troisième remarque : par deux fois nous nous trouvons devant un verbe où l'action est attribuée à quelqu'un qui va agir en déclenchant un processus : "je ferai se lever la parole de bien", "je ferai germer pour David un germe de justice".
Vous observerez aussi qu'à deux reprises, l'action est très concentrée. Il y a comme une répercussion dans le complément d'objet : "je ferai se lever la parole de bien que j'ai parlée". Il serait en effet plus coulant de dire "que j'ai dite, que j'ai prononcée", mais puisque c'est la même racine que nous trouvons dans le verbe et dans le complément, j'ai tenu à le marquer comme aussi quand il s'agit de "je ferai germer pour David un germe".
Autre remarque encore. Le texte commence et s'achève par des termes qui évoquent la communication. "Je ferai se lever - quoi donc ? - la parole de bien que j'ai parlée" et c'est encore par une expression de même portée que nous terminons : "voici ce qui sera crié en elle : IHVH notre justice."
J'observe, pour finir, que viennent à plusieurs reprises des termes qui nous renvoient à un ordre juridique : "germe de justice" "il pratiquera droit et justice". C'est avec "justice" que se termine notre traversée de ce passage.
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Dans les observations que je viens de vous présenter, je retiens ce terme de jour : "les jours viennent" et "en ces jours-là". Dans les deux cas, nous sommes invités à prêter attention au temps. Mais, vous savez bien que dans notre langue, lorsque nous employons ce mot de temps, notre pensée peut aller dans deux directions. Pour simplifier les choses, nous pouvons parler du temps qui passe et nous pouvons parler aussi du temps qu'il fait. Quand nous envisageons le temps qui passe, c'est la succession des jours qui est envisagée. Quand nous parlons du temps qu'il fait, ce qui est en cause, c'est le contenu de ce temps : il fait beau ou il fait mauvais.
"Voici, les jours viennent" et "En ces jours-là et cette époque-là". Nous pouvons, dans les deux cas, envisager le temps comme quelque chose qui se déroule. Mais ce temps est qualifié, il est rempli. Dans les deux cas, sans doute il est question d'un temps, qui n'est pas arrivé, ou qui est en train d'arriver : le temps qui passe. Mais dans les deux cas, il est aussi question de ce qui remplit ou remplira ce temps. Par ce côté, il s'agit du temps qu'il fait. Le temps qu'il fera, c'est un temps qualifié par ce que fera le Seigneur, mais aussi ce que fera ou ce qui sera fait pour David, ce sera le temps où "David pratiquera droit et justice" ou encore le temps où "Juda sera sauvé, Jérusalem demeurera en confiance".
Essayons de réfléchir sur ces observations. Nous sommes volontiers portés à ne retenir que ce que j'appelle le temps qui passe. Or, il s'agit moins ici d'un temps qui n'est pas encore arrivé ou d'un temps qui est en train d'arriver que du temps de l'engagement du Seigneur. Le temps n'est pas tellement celui du délai que celui de la fidélité du Seigneur à sa parole, celui au cours duquel s'inscrira la réalisation d'une parole qui a déjà été non seulement prononcée mais donnée : "je ferai se lever la parole de bien que j'ai parlée à la maison d'Israël et sur la maison de Juda". Il s'agit de la parole donnée à laquelle il ne manque que d'être accomplie. Mais il suffit qu'elle ait été donnée. Car la parole donnée engage celui qui l'a prononcée. Alors, bien entendu, encore faudra-t-il que cette parole lève, se dresse dans l'histoire, qu'elle devienne un événement pour ceux auxquels elle a été donnée et dite. Mais celui qui l'a dite, comme nous disons en français, est pris aux mots.
Ainsi, dès le début de ce passage, nous découvrons que ce qui est premier, c'est une parole déjà dite par un autre, le Seigneur, et c'est lui-même qui est en train de la rappeler. Bien sûr, il manque quelque chose à cette parole et nous cherchons en quoi consistera ce que nous appelons son accomplissement. Or, la levée de la parole dans notre histoire consiste non pas dans ce qui arrive au Seigneur mais dans ce qui arrive à celui à qui elle a été dite. C'est pourquoi tout à l'heure j'ai attiré votre attention sur ces deux termes : "je ferai se lever la parole de bien que j'ai parlée" et d'autre part "je ferai germer pour David un germe de justice". Ce qui manque à la parole donnée par le Seigneur ne lui manque pas, à lui. Ce qui manque, c'est son inscription dans l'histoire, dans cette histoire de la maison d'Israël, de la maison de Juda, et cette inscription de la parole donnée consistera, côté Israël, côté Juda, côté David, en une conduite de justice et de droit.
Nous avons là une sorte de déplacement de la parole donnée par le Seigneur. D'une certaine façon, la parole qu'il a donnée va appartenir au destinataire de cette parole. Pour cette parole, se lever, s'accomplir, ce sera prendre racine, germer du côté même du destinataire. IHVH a prononcé une parole qui ne peut désormais que pousser, comme pousse un germe, dans le destinataire même de cette parole. "Je ferai germer pour David un germe de justice et il pratiquera droit et justice sur le pays".
Ce traitement de la relation entre le Seigneur et le destinataire de sa parole mérite la plus grande attention. Quand nous prononçons une parole, bien sûr, elle vient de nous mais dès qu'elle est lâchée, elle ne nous appartient plus, elle appartient à celui en direction de qui elle a été dite. Or, ceci nous échappe aussi longtemps que nous ne retenons que le temps qui passe ou qui n'est pas encore arrivé ou qui est arrivé. En revanche, si nous faisons attention au contenu de ce temps, au temps qu'il fait, c'est un temps qui est aussi bien qualifié par ce que fait le Seigneur que par ce que David, la maison d'Israël, la maison de Juda feront.
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"Il fera se lever la parole de bien qu'il a parlée". Qu'est-ce que ce bien ? En quoi cette parole est-elle une parole de bien, ou de bonté ou de bonheur, comme vous voudrez, une bonne parole ? Elle est bonne parole parce qu'elle ne se réalise que dans une conduite qui est en David, parole de justice et de droit.
L'important, c'est que la parole dite, une fois livrée à son destinataire, devienne en lui justice, pratique du droit, justice sur le pays. La conversion en une conduite chez le destinataire exprime le contenu de la promesse. Vous sentez comment nous sommes embarrassés. Nous voulons avoir le contenu de la promesse. Et voilà que nous sommes devant un texte qui nous dit : le contenu de la promesse, c'est ce qui se passera dans une certaine communauté, et du fait même de celle-ci. Ainsi, cette communauté est à la fois sauvée par la parole qui lui a été donnée et, inséparablement, par la conduite à laquelle cette parole, en quelque sorte, l'astreint. "En ces jours-là Juda sera sauvé et Jérusalem demeurera en confiance". Dans ce terme de confiance s'exprime la rencontre de deux partenaires absolument inséparables : Jérusalem pourra se fier à une confiance qu'on lui a accordée qu'on lui a faite, Jérusalem retournera ce que Jérusalem a reçu.
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"Et voici ce qui sera crié en elle". Le texte commence par un geste de communication. C'est encore une parole adressée qui termine le texte. Qu'est-ce qui sera crié ? L'expression est merveilleuse : "IHVH notre justice." Sans même qu'il y ait le verbe être ! C'est le Seigneur qui nous rend justes, qui nous fait pratiquer la justice, et c'est aussi le Seigneur qui est juste envers nous en faisant lever la parole de bien qu'il avait déjà parlée, en faisant d'elle une parole concrète, sommes-nous tentés de dire, parce qu'elle devient une parole que nous avons la charge de réaliser, qui vient tout entière de chez nous, qui pousse de chez nous.
Le Seigneur s'engage, mais cet engagement du Seigneur, nous le déchiffrons, nous ne pouvons le reconnaître comme un engagement véritable qu'à travers notre engagement dans la justice et le droit. Il est le fruit de l'engagement du Seigneur dans sa parole, c'est vrai ! Mais si nous pouvons affirmer que cet engagement est un engagement pour de bon, c'est parce que, nous aussi, nous sommes pris aux mots.
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Nous pensons en termes d'efficience, nous pensons en termes de causalité. Est-ce Dieu qui agit ou est-ce moi ? Voilà le schéma qui nous habite, le schéma du rapport cause et effet.
Or il y a une toute autre façon de penser. Quand je vous parle, je ne suis pas la cause de votre réponse. Réfléchissez à cette simple situation : quand quelqu'un parle à un autre, la réponse qui va venir n'est pas causée par la question. Il y a un abîme entre ces deux façons de comprendre. D'un côté, c'est une relation quasi physique et, en définitive, il n'y a rien de plus dans l'effet que dans la cause. Dans l'autre cas, c'est une situation de parole. Alors, sans doute, il y en a un qui prend l'initiative, qui commence à parler, mais la réponse que va donner le partenaire fait partie de sa parole. La parole établit une situation de dialogue, nous disons d'alliance, qui n'a rien à voir avec la situation où toujours il s'agit d'un jeu de forces, où il est question de savoir qui en a plus. Quand le Seigneur Dieu donne sa parole, c'est sa parole qui fructifie, sans doute, mais il y a un moment où ce qui a été placé est tout entier du côté de celui qui a reçu. "En ces jours-là et cette époque-là je ferai germer pour David un germe de justice et (ça y est, c'est passé !) il pratiquera droit et justice sur la terre. Si bien qu'à la fin on dira, il sera crié : "Le Seigneur notre justice". Il n'est plus question de savoir si la réponse dépend de la parole donnée. La justice advient, ensemble et simultanément, du fait de celui qui, en effet, a fait la mise première, et de celui en qui elle pousse. Elle est tout entière sienne et tout entière nôtre.