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 Vous connaîtrez, oui, moi, IHVH 

«Aussi, prophétise, et tu leur diras : Ainsi parle le Seigneur IHVH : "Voici, moi, j'ouvre vos sépulcres, je vous fais monter de vos sépulcres, mon peuple ; je vous fais aller à la glèbe d'Israël. Vous connaîtrez, oui, moi, IHVH, quand j'ouvrirai vos sépulcres et quand je vous ferai monter de vos sépulcres, mon peuple. Je donnerai mon souffle en vous, et vous vivrez. Je vous poserai sur votre glèbe. Et vous connaîtrez, oui, moi, IHVH. Je parle et j'agis - oracle de IHVH."»


Ezechiel XXXVII, 12-14

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"Aussi, prophétise, et tu leur diras". Ces quelques mots, si nous les examinons de près, nous permettent d'entendre ce que "prophétiser" veut dire. Prophétiser, c'est parler en lieu et place d'un autre.

Mais, par un autre côté, on peut aussi comprendre que prophétiser, ce n'est pas représenter quelqu'un, comme un intermédiaire ou un délégué, c'est parler en lieu et place de quelqu'un qui habite la voix de celui qui parle et qui est sommé de parler. "Prophétise, et tu leur diras : Ainsi parle le Seigneur IHVH : "Voici, moi, j'ouvre vos sépulcres"." Prophétiser, c'est être envahi par quelqu'un à qui le prophète prête sa voix. Mais ça va si loin que ce qu'il va dire apparaîtra comme si c'était lui qui le disait en son propre nom puisque aussi bien nous verrons avec quelle insistance celui qui l'envahit ne va pas se gêner pour dire "moi". Le prophète est à ce point investi par le Seigneur que le "moi", qui est le sien, à lui, est en quelque sorte délogé, et qu'à sa place, il va dire "moi, je", sans qu'il s'agisse de lui mais d'un autre.

La parole prophétique est une parole qui se reconnaît comme habitée, et non sans qu'il y ait eu quelque chose qui ressemble à une effraction. IHVH, le Seigneur, celui dont le nom ne peut pas être prononcé ne se gène pas pour parler et occupe, comme on occupe un territoire, la parole de celui en qui il entre, en qui il pénètre.

Quant à ce redoublement : "le Seigneur IHVH", je vous invite à l'entendre comme une sorte de renchérissement sur la souveraineté de celui qui parle. Il exerce cette souveraineté en pénétrant la voix de celui à qui il s'adresse, lui qui, sans cela, peut-être, serait sans voix, en tout cas, lui qui est sans nom prononçable.

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Que dit-il ? Que dit-il de dire ? "Voici, moi, j'ouvre vos sépulcres, je vous fais monter de vos sépulcres, mon peuple ; je vous fais aller à la glèbe d'Israël." Tout ceci est au présent. Celui qui parle dit, non pas ce qu'il fera mais ce qu'il est en train de faire.

Maintenant nous apprenons ce que parler signifie. En envahissant la voix d'un autre, en s'ouvrant un chemin qui le conduit à habiter la voix du prophète, le Seigneur a ouvert, quoi donc ? Un sépulcre. Le sépulcre de qui ? Non pas directement de celui qu'il envahit de sa parole, mais le sépulcre de ceux auxquels le prophète va parler. Car ils sont enterrés, ils sont morts et ensevelis.

La parole du Seigneur, la parole de l'Autre dont on ne peut pas prononcer le nom, quand elle rencontre un prête-voix, et un prête-voix qu'elle somme de lui donner sa voix, est en position d'opérer une autre ouverture encore : l'ouverture de ceux à qui la parole sera portée, "tu leur diras... "Voici, moi, j'ouvre vos sépulcres"." Je les ouvre en ayant ouvert la bouche du prophète pour y mettre ma parole.

Bref, nous voyons s'esquisser une équivalence entre l'invasion de la voix du prophète par la parole du Seigneur et, d'autre part, l'ouverture du sépulcre, la sortie même du sépulcre qui, elle, concerne les destinataires de cette parole. D'une certaine façon, ce n'est pas au prophète que le Seigneur s'adresse, sauf pour lui ordonner de parler. Mais, c'est les autres, ceux qui sont ensevelis, l'ouverture de la bouche du prophète va les délier de l'ensevelissement dans lequel ils sont. Bref, la parole enchaîne le prophète, et elle libère ceux auxquels le prophète va s'adresser.

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"Je vous fais monter de vos sépulcres, mon peuple". Cette appellation n'est pas négligeable. Ceux auxquels s'adresse le prophète sont qualifiés de peuple, de peuple dont le Seigneur s'affirme souverain, sans doute. Mais il faut aller plus loin. Quand nous disons "mon peuple", s'agissant de quelqu'un qui a souveraineté, sans doute nous désignons le peuple sur lequel il règne. Mais du fait même qu'il s'adresse à eux, il s'associe à eux, il les associe en un peuple : il en est le maître souverain, et, en même temps, il est associé lui-même à ce peuple.

Bref, cette parole qui ouvre, est une parole qui élève : "je vous fais monter". Elle fait passer à l'air libre. Le sépulcre est sous la glèbe, sous le sol. L'action du Seigneur a pour effet de faire passer à l'air libre. "Je vous fais aller à la glèbe d'Israël". Je vous fais passer quelque part en ce monde. Le Seigneur les libère de la mort, il les fait aller quelque part, en un lieu qui porte son nom, et pas n'importe lequel.

Il est très important de traduire par "glèbe", ou par "sol" le terme qui est dans le texte original et non pas par "terre", en raison de l'ambigu‹té du mot terre dans notre langue. Dans notre langue, le mot terre a au moins deux significations. Il peut désigner le territoire ou il peut désigner l'élément. Or, le terme qui est employé ici, dans le texte, désigne l'élément. Pour désigner le territoire, la circonscription géographique, on aurait employé un autre mot.

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Qu'est-ce que les destinataires de cette parole ont à attendre du fait que le Seigneur est en train de faire ce qu'il fait ?

"Vous connaîtrez, oui, moi, IHVH, quand j'ouvrirai vos sépulcres et quand je vous ferai monter de vos sépulcres, mon peuple." Incontestablement, nous sommes maintenant dans un futur. C'est le futur qu'ont à réaliser ceux qui sont l'objet de l'événement qui vient d'être énoncé et accompli. La balle maintenant est dans le camp de ceux qui viennent d'être libérés de leurs sépulcres, qui en remontent et qui accèdent à l'air libre. Vous connaîtrez mais, en même temps, à vous de réaliser que vous connaîtrez, à vous d'entendre que par l'extraction que le Seigneur fait de vous-mêmes, hors de vos sépulcres, vous entrez dans une intimité autre. Vous n'êtes plus dans l'intimité du sépulcre, vous êtes, en effet, à l'air libre, sur une terre qui a un nom, et là, vous voilà engagés à connaître.

Beaucoup de traductions proposent : "vous connaîtrez que moi, je suis le Seigneur". J'ai préféré rendre l'abrupt du texte initial : "vous connaîtrez, oui, moi, IHVH." Vous entrerez en intimité avec moi. Mais moi, qu'est-ce que j'ai fait ? Je suis entré dans l'intimité de votre sépulcre. Autrement dit, il y a un échange d'intimité. La pénétration qui exhume, qui fait sortir du sol ceux qui étaient ensevelis,  établit une sorte de connivence entre celui qui a agi et ceux sur qui, en qui, pour qui il a agi.

Et maintenant est proposée comme une relecture de tout ce qui vient de se faire. Ce que nous lisons, c'est presque littéralement  ce qui a été dit précédemment : "quand j'ouvrirai vos sépulcres", "Voici, moi, j'ouvre vos sépulcres" ; "et quand je vous ferai monter de vos sépulcres", "je vous fais monter de vos sépulcres" avions-nous lu, et aussi "mon peuple", "mon peuple". Mais plus que d'une répétition, il s'agit ici d'une nouvelle lecture car, dans l'événement du sépulcre ouvert, de la sortie du sépulcre, se réalise une intimité entre vous et moi, le Seigneur.

Autrement dit, cette violence qui apparaît déjà dans l'envahissement de la parole du prophète par le Seigneur, et qui se prolonge dans l'irruption du Seigneur dans la mort, maintenant, nous la déchiffrons comme une connivence, une intimité, une connaissance bien singulière : cette connaissance par agression et par violence qui se produit lorsque deux êtres se pénètrent.

Cette nuptialité sera telle que "Je donnerai mon souffle en vous". C'est mon souffle qui va soutenir la parole du prophète et qui va aussi soutenir la vie de ceux qui sont extraits du sépulcre. Je vous en ferai cadeau. Je vous en ferai don. C'est un don qui vous sera départi et voilà que "vous vivrez".

Il y a une existence qui est une mort et une autre existence, qui est d'association, une existence dans laquelle, non seulement on est arraché à la mort, mais où l'arrachement à la mort est entendu comme l'institution en un peuple. "Je donnerai mon souffle en vous, et vous vivrez."

"Je vous poserai sur votre glèbe." Il y a un lieu qui est à vous et il n'est pas moins à vous du fait que vous êtes devenus mon peuple. Il n'y a pas contradiction entre le fait que vous ayez votre lieu, et un lieu dont nous avons appris tout à l'heure qu'il a un nom sur la carte, et, d'autre part, le fait que je transforme votre existence morte, en une vie dont je suis l'haleine. "Je donnerai mon souffle en vous, et vous vivrez".

"Et vous connaîtrez, oui, moi, IHVH." C'est bien à cette présence simultanée de l'un à l'autre, que tout tendait : "Et vous connaîtrez, oui, moi, IHVH." Qu'est-ce que vous connaîtrez ? Vous connaîtrez que moi, le Seigneur, j'appartiens à un monde, où c'est tout un de parler et de faire, de dire et de transformer et non pas de faire n'importe quoi, non pas de transformer en n'importe quoi, mais de transformer en faisant passer de l'état de mort à l'état de vie, en association simultanément avec moi et vous tous ensemble, puisqu'aussi bien vous faites un peuple.

"Je parle et j'agis - oracle de IHVH." Voilà ce qui sort de ma bouche à moi ! C'est comme la signature finale : j'ai pris la bouche du prophète, je l'ai obligé à me prêter sa voix mais c'est ma bouche (et nous entendons encore le mot bouche dans oracle), c'est ma bouche qui parle, car j'ai une bouche qui parle et qui fait.

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Un autre usurpe la voix de quelqu'un, non pas pour s'adresser à d'autres, mais pour s'adresser à vous. Il parle par un prête-voix qu'il oblige à dire ce qu'il dit, lui. Lui, qui se nomme silencieusement et que vous nommez, vous auxquels je m'adresse et que je nomme, moi qui m'adresse à vous, vous aussi et moi aussi, silencieusement. Quand je fais émerger quelque chose de ce qu'il peut être, tout au plus puis-je dire : le Seigneur. Que dit-il ? Il dit qu'il vous délivrera du lieu où vous êtes enfermés dans la mort, qu'il vous en fera monter et que vous serez rassemblés, ensemble avec lui, formant en lui un peuple dont il est souverain, sans doute, mais dont il fait partie, un peuple qui est le sien. Il dit qu'il vous conduira en un lieu de ce monde, qui a un nom, Israël. C'est dans l'avènement même de ces gestes que se réalisera votre union ensemble et avec lui. Mais du coup vous passerez à un régime qui est un régime de don. Il vous donnera un souffle qui vous fera vivre, et ce souffle, c'est le sien. Quant au lieu où vous résiderez, vivants, et non plus morts (car vous résidiez dans le sépulcre), ce lieu sera vôtre et vous y serez chez vous avec lui. Ensemble, réunis en un peuple, le sien. N'oubliez pas que tout cela vient de sa bouche à lui, qui est autre que le prête-voix, et qui est autre aussi que vous.

18 mars 1999

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