Qu'ils soient tranquilles ceux qui t'aiment !
«Je me suis réjoui de ceux qui m'ont dit :
"Nous irons à la Maison de IHVH !"
Nos pieds se sont arrêtés
Dans tes portes, Jérusalem,
Jérusalem, bâtie comme une ville
Dont l'assemblage est en un.
C'est là que montent les tribus,
Les tribus de IH.
C'est une Charte pour Israël
De louer le Nom de IHVH.
Car c'est là que sont établis des sièges pour le jugement,
Des sièges pour la Maison de David.
Demandez la paix de Jérusalem.
Qu'ils soient tranquilles ceux qui t'aiment !
Que la paix soit dans tes murs,
La tranquillité dans tes palais !
A cause de mes frères et de mes compagnons
Oui, je dis : Paix en toi !
A cause de la Maison de IHVH, notre Dieu,
Je recherche pour toi le bonheur.»
*
Quand nous lisons ce psaume, nous lisons une conversation.
Mais, cette observation risque de nous fourvoyer. Nous sommes portés aussitôt à demander quel est le sujet de la conversation, ce qui est posé dans l'entretien, quel en est le thème. Il est vrai qu'il est difficile de parler sans parler de quelque chose ou de quelqu'un.
Cependant, si je dis que nous risquons de nous fourvoyer, c'est parce que dans un psaume comme celui-ci, il convient d'abord de prêter attention à la forme que prend cette conversation. Plutôt que d'aborder tout de suite les thèmes de la conversation, il est plus important de reconnaître entre qui se déploie cet entretien.
*
"Je me suis réjoui quand on m'a dit : "Allons à la Maison de IHVH !" Dès le début, la conversation est d'abord entre celui qui s'exprime et lui-même. Il se parle à lui-même. Il est celui qui parle et celui qui écoute : "Je me suis réjoui quand on m'a dit". Mais cette conversation intérieure est suscitée par une parole qu'il a entendue et qu'il reprend pour lui-même : "de ceux qui m'ont dit : nous irons à la Maison de IHVH".
La conversation avec soi, c'est sur elle que nous quitterons ce psaume. Celui qui chante se parle à lui-même encore à la fin, comme pour s'affermir dans le propos qui est le sien : "A cause de mes frères et de mes compagnons oui, je dis : Paix en toi ! A cause de la Maison de IHVH, notre Dieu, je recherche pour toi le bonheur." Mais bien du chemin a été parcouru entre le début et la fin. Certes, c'est encore lui qui se parle à lui-même, mais, cette fois-ci, il n'écoute plus une parole pour la reprendre comme nous avons pu le lire au début. C'est lui maintenant qui adresse la parole. De ce monologue a donc jailli quelque chose comme une adresse, des voeux et il y a quelqu'un à qui, maintenant, il parle : "oui, je dis : Paix en toi !" Et il terminera en disant : "je recherche pour toi le bonheur."
*
Que s'est-il passé entre le début et la fin de ce chant ?
Très vite, le récitant avait quitté sa subjectivité singulière. Très vite, il avait parlé au pluriel pour dire "nos pieds se sont arrêtés". Il avait adressé la parole à quelqu'un, qui n'est autre que Jérusalem : "dans tes portes, Jérusalem".
Arrêt aussi de la conversation explicite. Celui qui chante continue, bien sûr, à parler en son propre nom, mais on ne distingue plus celui auquel elle est adressée. Au beau milieu de ce passage, il y a toute une série de propos dans lesquels seules sont mentionnées quelques affirmations. Il s'agit moins d'une conversation que d'une confession, adressée en quelque sorte à la cantonade.
Cette confession commence très tôt : "Jérusalem, bâtie comme une ville dont l'assemblage est en un." On s'arrête dans cette confession : "C'est là que montent les tribus, les tribus de IH. C'est une Charte pour Israël de louer le Nom de IHVH. Car c'est là que sont établis des sièges pour le jugement, des sièges pour la Maison de David." Tout à l'heure, j'observais que la conversation s'interrompait, s'arrêtait, un peu comme la marche. C'est le lieu lui-même, le lieu où l'on s'est arrêté, qui devient le sujet de la conversation, le thème de l'entretien : "C'est là... et c'est là que sont établis des sièges pour le jugement, des sièges pour la Maison de David".
Mais, ce moment, dont nous aurons tout à l'heure à dégager toute la portée, est relevé par un autre. Maintenant le récitant ne parle plus à lui-même, ni de ce que lui, avec d'autres, peuvent faire. Très clairement, il s'adresse à d'autres : "Demandez la paix de Jérusalem."
Aussitôt, le propos devient un voeu : "Qu'ils soient tranquilles ceux qui t'aiment ! Que la paix soit dans tes murs, la tranquillité dans tes palais !" L'interlocuteur n'était pas seul, puisque nous lisons : "demandez la paix". Or tout est dirigé ensuite vers un interlocuteur unique, interlocuteur dont on avait parlé ("Jérusalem, bâtie comme une ville") et à qui, de nouveau, on s'adresse, comme on l'avait fait au commencement ("tes portes, Jérusalem,"). Maintenant il s'agit de "tes murs,... de tes palais". Et puis vient cette affirmation, comme pour se convaincre : "oui, je dis : Paix en toi !", comme si on l'avait sommé de dire quelque chose. Il répond : c'est entendu, d'accord, bien sûr ! "je dis : Paix en toi !"
*
Si nous avons commencé par repérer les méandres de cette conversation, ce n'est pas pour en négliger le sujet. S'il était si important de reconnaître comment cette conversation se nouait, quelles étaient ses modulations, c'est pour que nous puissions maintenant mieux entendre le rapport qui existe entre les variations de la conversation et son thème.
Le récitant s'est réjoui de ce qu'il était invité avec d'autres à se déplacer. Il était appelé à se rendre quelque part, en un lieu qui est désigné comme "la Maison de IHVH". La maison, c'est l'endroit bâti, la construction, l'abri où l'on demeure. Sa joie lui vient de ce qu'on l'a invité à se rendre en un lieu où réside celui qui est nommé le Seigneur. Il y a donc un espace, quelque part, en ce monde, où le Seigneur habite.
A peine a-t-il entendu cet appel, à peine l'a-t-il lui-même répété, répercuté, que c'est pour dire : la route est terminée. "Nos pieds se sont arrêtés dans tes portes, Jérusalem". A peine a-t-il entendu l'invitation à y aller qu'il s'y trouve. C'est chose faite. Et il se trouve, non pas dans l'intérieur de Jérusalem, mais à l'endroit où l'on y entre, à l'endroit où un accès est ouvert.
L'aspect sous lequel apparaît Jérusalem est indiqué. Très vite, l'essentiel en est dit. "Jérusalem, bâtie comme une ville dont l'assemblage est en un." Tournure très étrange. Jérusalem, soit, c'est une ville mais l'important n'est pas que ce soit une ville : c'est une ville où règne la cohésion. Ce qui a d'abord été appelé "Maison de IHVH", puis "Jérusalem", puis "ville" est entendu comme le lieu d'un rassemblement cohérent, d'une communauté unie.
"C'est là que montent les tribus, les tribus de IH". Ce qui manquerait à ces tribus, c'est de n'avoir pas trouvé le lieu où elles puissent honorer leur appartenance. Puisque ces tribus sont les tribus du Seigneur, le lieu qui leur est assigné et auquel elles sont invitées à se rendre, c'est identiquement la "Maison de IHVH", dont elles relèvent. C'est pourquoi ces tribus se déplacent et s'arrêtent au lieu qui est celui du Seigneur et le leur, en propre. "Nos pieds se sont arrêtés... C'est là que montent les tribus, les tribus de IH."
Il y a comme une sorte de loi constitutive de ces tribus. "C'est une Charte pour Israël de louer le Nom de IHVH." C'est un ordre donné à Israël en vertu d'un accord immémorial, d'une charte qui constitue le peuple lui-même : il célèbre le nom de celui dont il relève dans un assemblage où tout ne fait qu'un.
C'est là que se dit la vérité. C'est là que sont prononcés les jugements qui disent le vrai. "Car c'est là que sont établis des sièges pour le jugement, des sièges pour la Maison de David." La maison revient. C'était tout à l'heure "la Maison de IHVH". Maintenant cette maison du Seigneur est devenue la maison occupée par les successeurs de David.
Dans cette maison, il y a de la place pour tout le monde, si je puis dire : il y a de la place pour le Seigneur, et il y a de la place pour les tribus du Seigneur, et de la place pour les héritiers de David. On dirait que le Seigneur et le peuple ne font pas nombre. Ils sont bien distincts, l'un n'est pas l'autre mais, dans la maison, il y a place pour l'un et pour l'autre.
*
Après ce moment, la conversation reprend : "Demandez la paix de Jérusalem. Qu'ils soient tranquilles ceux qui t'aiment ! Que la paix soit dans tes murs, la tranquillité dans tes palais !" Tout à l'heure, nous avions compris qu'il fallait y aller, qu'on n'y était pas d'emblée : "Nous irons à la Maison de IHVH !", "C'est là que montent les tribus". Voilà une autre version de ce déplacement. D'abord, ce déplacement était présenté dans l'espace : il faut mettre un pied devant l'autre pour aller à ce lieu, jusqu'à Jérusalem. Maintenant, ce lieu a beau exister sur la carte : étant donné ce qu'il représente, il n'est pas acquis une fois pour toutes.
Ce que représente ce lieu est le produit d'un désir, du désir de la paix. Car la paix doit être souhaitée, "Demandez la paix de Jérusalem. Qu'ils soient tranquilles ceux qui t'aiment !" Cette paix n'est pas un donné que l'on constaterait. C'est quelque chose qui est le fruit d'un désir. "Que la paix soit dans tes murs, la tranquillité dans tes palais !"
Et c'est encore la paix sur laquelle le récitant du psaume s'arrête pour finir : "Oui, je dis : Paix en toi !" "Nos pieds se sont arrêtés dans tes portes, Jérusalem". Non plus physiquement, mais par la démarche même de son désir, il en vient à dire : "Oui, je dis : Paix en toi !"
L'équivalence, que nous avions pressentie, est affirmée, à la fin, une équivalence qui invite à une longue méditation. Equivalence entre quoi et quoi ? Entre ceux qu'il appelle "mes frères", "mes compagnons", d'un côté, et, d'autre part, celui qu'il appelle le Seigneur. Les deux termes "frères et… compagnons" et, d'autre part, le Seigneur sont introduits par la même formule "à cause de".
*
Je vous avais invités à lire ce texte comme une conversation. Je tiens beaucoup à ce mot. Pourquoi ? La conversation, c'est la parole, quand elle est engagée entre plusieurs personnes. Nous conversons, nous parlons ensemble. Mais, plus radicalement, la conversation, c'est le fait d'être ensemble. Nous entendons dans le préfixe quelque chose qui évoque la compagnie.
Je vous disais que nous aurions à appliquer, à rabattre, en quelque sorte, la forme que prend ce passage sur le contenu de ce passage. Faisons-le maintenant.
Ce psaume est bâti, construit à l'accord, en quelque sorte, de ce dont il traite. La façon de parler dans ce psaume est en harmonie avec ce dont on y parle. Il est fait d'une conversation qui ne peut pas être seulement la conversation de soi-même avec soi-même. Elle amène celui qui s'y trouve plongé à s'adresser à d'autres. C'est une conversation qui traite de cette réalité qu'est une ville mais, très vite, cette ville est regardée comme ville que parce qu'il y a en elle l'assemblage d'une multitude qui fait communauté.
Qu'est-ce donc qui est célébré ? C'est, inséparablement, une rencontre d'une multitude et, en même temps, la rencontre de celui dont il est interdit de prononcer le nom, la rencontre du Seigneur. L'assemblage dont il est fait état à un moment, c'est, bien sûr, l'assemblage de tous les membres du peuple, des diverses tribus, mais c'est aussi, du même mouvement, l'union de toutes ces tribus avec le Seigneur. Bref, c'est l'alliance qui est exaltée.