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 Comme une nourrice… tel un père… 

«Nous sommes devenus doux au milieu de vous. Comme une nourrice réchauffe ses propres enfants, ainsi, dans le désir que nous avions de vous, nous nous plaisions à vous faire don non seulement de l'évangile de Dieu, mais encore du souffle de notre propre vie, parce que pour nous vous étiez devenus (des) aimés. Vous avez en effet en mémoire, frères, notre labeur et fatigue. C'est en travaillant nuit et jour, pour ne faire peser de charge sur aucun de vous, que nous avons dirigé vers vous le message de l'évangile de Dieu. Vous, et Dieu aussi, êtes témoins combien saintement et justement et irréprochablement nous sommes devenus pour vous, les croyants. Ainsi que vous le savez, c'est chacun de vous que, tel un père ses propres enfants, nous vous exhortions en encourageant et en témoignant, pour que vous marchiez dignes du Dieu qui vous appelle à son royaume et gloire. Et à cause de cela nous aussi nous rendons grâce à Dieu sans cesse de ce que, ayant reçu de notre écoute la parole de Dieu, vous avez accueilli non seulement une parole d'hommes mais, comme elle est vraiment, une parole d'un Dieu, qui aussi fait du travail en vous, les croyants.»


1 Thessaloniciens II, 7b-13

J'attire tout de suite votre attention sur un retournement.

Dès le début, nous lisons : "dans le désir que nous avions de vous, nous nous plaisions à vous faire don non seulement de l'évangile de Dieu, mais encore du souffle de notre propre vie, parce que pour nous vous étiez devenus (des) aimés." Ce qui est ajouté au don de l'évangile de Dieu, c'est quelque chose de ceux qui écrivent : le souffle de leur propre vie. L'évangile de Dieu faisait l'objet d'un don, mais il y avait mieux encore ou, en tout cas, plus, et autre chose. Ce qui venait en plus, c'est le "souffle de notre propre vie", en raison de l'amour dont les destinataires de cette lettre étaient l'objet. Bref, le don de l'évangile de Dieu paraît, certes, une chose bonne, mais en quelque sorte insuffisante.

Maintenant, lisons les dernières lignes de notre passage : "vous avez accueilli non seulement une parole d'hommes mais, comme elle est vraiment, une parole d'un Dieu, qui aussi fait du travail en vous, les croyants." J'évoquais tout à l'heure un retournement. Peut-être faut-il tempérer cette expression. En tout cas, il y a un infléchissement. Ce qui est écarté comme insuffisant, c'est la parole d'hommes, et ce qui est présenté comme quelque chose de meilleur, c'est la parole d'un Dieu "qui, aussi, fait du travail en vous, les croyants". Il semblait d'abord qu'il fallait ajouter de l'amour à l'évangile de Dieu, l'amour que nous pouvons donner. A la fin, il est dit que les destinataires de la lettre ont reçu la parole de Dieu. Mais ils ne l'ont pas accueillie comme une parole d'hommes : si chargée de tendresse qu'ait été cette parole d'hommes, ils l'ont accueillie "comme elle est vraiment, une parole d'un Dieu, qui aussi fait du travail en vous, les croyants."

Je pense que ces deux observations dessinent les lignes d'une difficulté. Je marquerai, vers la fin de notre rencontre, que cette difficulté tient sans doute à l'annonce de l'évangile de Dieu, ou de la parole de Dieu mais, comme nous le suggère le texte, elle tient aussi à la difficulté d'accueillir toute parole, quelle qu'elle soit.

Pour confirmer cette première impression, je vous ferai observer que nous passons, dans ce texte, d'une affirmation concernant la "nourrice qui réchauffe ses propres enfants", la nourrice-mère, à une autre affirmation, qui porte sur le père : "Ainsi que vous le savez, c'est chacun de vous que, tel un père ses propres enfants, nous vous exhortions en encourageant et en témoignant". Nous passons d'une fonction maternelle à une fonction paternelle.

Nous voilà suffisamment avertis. Vous pressentez déjà que ce passage est plus difficile qu'il ne paraît, et qu'il ne suffit pas de retenir qu'il exalte la tendresse. Mais n'en concluons pas trop vite qu'il mettrait la tendresse au second plan, voire qu'il l'écarterait.

*

"Nous sommes devenus doux au milieu de vous." Nous, vous : d'un bout à l'autre, nous allons de la reconnaissance de ceux qui écrivent à la reconnaissance de ceux auxquels ils s'adressent. Nous, vous : c'est le battement intérieur à tout ce passage.

Or, que disent ceux qui écrivent ? Ils se sont transformés. Ils sont devenus doux, au milieu des destinataires de cette lettre.

Cette douceur se présente aussitôt sous des traits charnels, comme une continuité vitale : "Comme une nourrice réchauffe ses propres enfants".  

Continuité vitale qui est aussitôt commentée comme l'expression d'un désir : "ainsi, dans le désir que nous avions de vous, nous nous plaisions". De cette proximité, de cette continuité de la vie, nous passons au désir et au plaisir : "dans le désir que nous avions de vous, nous nous plaisions", il nous plaisait de nous montrer généreux envers vous.

De "vous faire don ... [de plus que] l'évangile de Dieu". Il s'agissait d'un don qui, de notre fait, du fait du désir que nous avions de vous, appelait un autre don, le "souffle de notre propre vie". "Notre âme même", comme certaines traductions le proposent. "Notre être vivant", comme aussi on pourrait traduire.

Pourquoi les choses se passaient-elles ainsi ?

Parce que quelque chose s'était passé. "Nous sommes devenus doux au milieu de vous" parce que, vous aussi, vous aviez changé : "pour nous vous étiez devenus aimés". C'était devenu entre nous et vous, entre vous et nous une affaire d'amour. Voilà comment tout a commencé. Or, nous allons le voir, la situation s'est modifiée.

*

"Vous avez en effet en mémoire, frères, notre labeur et fatigue." Sans prévenir davantage, par une sorte de brusque rupture, voici que se trouvent évoqués le labeur et la fatigue, qui sont restés dans le souvenir des destinataires. Ces derniers sont nommés "frères". Jusqu'alors, il s'agissait de la nourrice qui réchauffe ses propres enfants. Maintenant apparaît un lien d'un autre ordre, celui de l'alliance fraternelle.

Ce lien est mentionné en même temps que la peine qu'on a prise. Tout à l'heure, nous étions dans le continu. Maintenant, de la peine s'est ajoutée. Le régime d'une continuité douce commence à se modifier. Ce qui d'ailleurs attire notre attention sur la portée qu'il faut donner au "en effet". C'est un "en effet" tout à fait paradoxal. Il marque une rupture, et non pas une explication.

"Vous avez en effet en mémoire, frères, notre labeur et fatigue. C'est en travaillant nuit et jour, pour ne faire peser de charge sur aucun de vous, que nous avons dirigé vers vous le message de l'évangile de Dieu." Nous ne sommes plus du tout dans le climat des premières phrases. "L'évangile de Dieu", déjà nommé précédemment, paraissait presque insuffisant, il y avait mieux que lui : le don du souffle de notre propre vie, le don de notre amour. Au contraire, voici qu'une crainte apparaît, crainte de faire peser une charge sur ceux au milieu desquels ils se trouvent. Ne s'agirait-il pas du caractère onéreux et pesant du désir et de l'amour ?  

"C'est en travaillant nuit et jour, pour ne faire peser de charge sur aucun de vous, que nous avons dirigé vers vous le message de l'évangile de Dieu." Tout se passe comme s'il fallait purifier ce message de l'évangile de Dieu de  ce qui a été nommé tout à l'heure désir, amour. Le travail assainit l'atmosphère !

*

Nous voici au point culminant de ce texte : "Vous, et Dieu aussi, êtes témoins combien saintement et justement et irréprochablement nous sommes devenus pour vous, les croyants".

Comment donc ? Il y aurait donc eu quelque injustice, quelque manque de droiture, quelque manque de pureté (de sainteté) dans notre manière spontanée  de nous conduire envers vous,  "les croyants" ?

Croire appelle, non pas un oubli de l'amour, mais autre chose encore. La foi donnée doit s'accommoder d'un certain traitement de la tendresse, du désir et de l'amour. Ce qui fait le lien entre nous et vous, ce n'est pas l'amour ressenti, c'est la foi donnée et reçue, comme c'est le cas quand un homme épouse une femme. Que cette foi donnée et cette foi reçue aient quelque rapport avec la tendresse, le désir et l'amour, ce n'est pas contestable. Mais ce qui fait le lien et son indissolubilité même, c'est le fait que je crois en toi, que tu crois en moi : je te donne ma foi, je reçois la tienne, il y a de la foi entre nous, comme l'arche d'un pont.

"Ainsi que vous le savez, c'est chacun de vous que, tel un père ses propres enfants - non pas telle une nourrice ses propres enfants ! -, nous... exhortions en encourageant et en témoignant". La nourrice fait passer la chaleur de son corps dans le corps des enfants. Le père fait passer une parole et une loi. "Nous vous exhortions en encourageant et en témoignant, pour que vous marchiez dignes du Dieu qui vous appelle à son royaume et gloire." Nous ne sommes plus dans l'ordre de la continuité biologique, charnelle, affective. Nous sommes dans l'ordre du lien qu'institue une parole. Nous vous exhortions, donc nous parlions, et à chacun de vous, comme un père fait pour ses propres enfants, non pas pour vous brimer, mais pour vous soutenir. Cette parole donnait force. Nous n'aurions pas de force, si on ne nous parlait pas ! Nous n'aurions que le flux de la vitalité biologique.

Nous étions là pour vous montrer, par notre propre présence et conduite, que nous ne vous demandions que ce que nous faisions. Vous êtes, vous étiez, nous sommes dans un régime d'appel, de parole, non pas dans un régime où la vie serait seulement donnée en continuité avec le lieu d'où elle procède.

Voulez-vous entendre cette expression "son royaume et gloire" comme un écho de ce que nous avons lu tout à l'heure : "Vous avez en effet en mémoire, frères, notre labeur et fatigue " ? Labeur et fatigue : c'est ce que nous avons ajouté pour tempérer la continuité charnelle entre vous et nous, nous et vous. C'est qu'aussi bien Dieu vous appelle à son royaume et gloire, à quelque chose qui n'est pas du même ordre que la continuité charnelle. Le labeur et la fatigue que nous pouvons dépenser sont comme les signes ou les témoins de ce que Dieu appelle à créer entre nous, de l'alliance qui doit nous unir.

*

Nous arrivons vers la fin : "Et à cause de cela nous aussi nous rendons grâce à Dieu sans cesse". Il y a deux "aussi" dans cette fin de passage : "nous aussi nous rendons grâce à Dieu" et puis, tout à fait vers la fin, au moment de quitter le texte : "une parole d'un Dieu, qui aussi fait du travail en vous, les croyants".

"Nous aussi, nous rendons grâce à Dieu sans cesse". Qui donc peut aussi rendre grâce à Dieu  ? Sans doute déjà, ceux auxquels sont en train de s'adresser les rédacteurs de cette lettre. Mais il n'y a pas que vous à remercier Dieu : nous aussi ! Quant à l'autre  "aussi" comprenons-le ainsi : nous ne sommes pas les seuls à travailler. Ou plutôt, si nous nous sommes mis à l'ouvrage pour ne pas peser sur vous, c'est parce que l'indépendance que notre ouvrage nous donnait et vous donnait par rapport à nous, était le témoignage d'un autre travail : c'est la parole qui fait du travail en vous en faisant de vous des croyants.

Ainsi, "nous rendons grâce à Dieu sans cesse de ce que, ayant reçu de notre écoute la parole de Dieu". Il y a bien une continuité, mais non plus celle qui va de la mère nourricière à ses propres enfants, mais la continuité de la parole prononcée à l'oreille qui l'écoute : "ayant reçu de notre écoute la parole de Dieu". Bien que ce soit de notre écoute que vous ayez reçu la parole de Dieu, malgré cela, vous avez accueilli non une parole d'hommes, "mais, comme elle est vraiment, une parole d'un Dieu, qui aussi, fait du travail en vous".

*

J'en viens à la conclusion, que vous attendez. La pensée de ceux qui s'expriment ici oscille entre "malgré" et "non pas sans". Malgré et non pas sans notre désir et amour de vous. Il y a  un très fort amour de vous, et même un amour de désir, un amour qu'on ne peut comparer  qu'à ce lien très chaud  de la nourrice à ses enfants ! Mais il y a eu autre chose. Car ce qui nous lie les uns aux autres dans l'amour véritable, ce n'est pas d'abord la puissance du désir, même si le désir est premier dans le temps, mais la foi en une parole qui nous fait naître simultanément les uns aux autres et, du même coup, inséparablement, à Dieu.  

28 octobre 1999

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