Une jeune fille fiancée à un homme
«Le sixième mois l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth, vers une jeune fille fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David, et le nom de la jeune fille [était] Marie. Et, étant entré vers elle, il dit : «Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur [est] avec toi.» Elle, à cette parole, fut toute troublée et elle se demandait ce qu'était cette salutation. Et l'ange lui dit : «Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Et voici que tu concevras au sein et tu enfanteras un fils, et tu appelleras son nom Jésus. Celui-ci sera grand et il sera appelé fils de Dieu, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il règnera sur la maison de Jacob pour les siècles, et de son règne il n'y aura pas de fin.» Marie dit à l'ange : «Comment y aura-t-il cela, puisque je ne connais pas d'homme.» Et, ayant répondu, l'ange lui dit : «Un esprit saint viendra sur toi et une puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre. C'est pourquoi [l'être] saint naissant de toi sera appelé fils de Dieu. Et voici qu'Elisabeth ta parente elle aussi a conçu un fils dans sa vieillesse, et c'est le sixième mois pour elle, qui est appelée stérile, car aucun dit ne sera, venant de Dieu, sans puissance. Marie dit : «Voici l'esclave du Seigneur. Qu'il m'arrive selon ton dit.» Et l'ange la quitta.»
Je voudrais que nous puissions circuler dans ce passage en prenant pour repères trois aspects qui s'y trouvent présents. Il s'agira de les associer de telle façon que la liaison entre ces trois aspects nous éclaire d'une façon nouvelle.
Quels sont ces trois aspects ? Dans ce texte il s'agit d'une parole portée et reçue. Dans ce texte, il s'agit d'alliance. Dans ce texte, il s'agit de vie et donc aussi, nous le savons bien, chaque fois qu'il s'agit de vie, il s'agit aussi de mort.
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Il y va d'une parole portée, reçue et acceptée. Je vous avoue que j'ai beaucoup hésité à employer le mot ange. J'aurais aimé utiliser le terme plus simple, plus commun aussi, de messager, ou encore celui de porte-parole. Si j'ai gardé celui d'ange, c'est parce que l'ange est le nom donné à un porte-parole ou à un messager quand celui-ci transmet un message venant de Dieu. Donc, par un côté, nous sommes renvoyés à un événement très fréquent, celui des messages qui sont transmis à l'intérieur de la vie de hommes. Mais, par un autre côté, le mot lui-même marque clairement que le message vient de celui auquel les hommes donnent le nom de Dieu.
Ainsi, la seule présence de ce mot nous met devant un événement auquel peut-être nous ne prêtons pas suffisamment attention. Non seulement il y a des messages qui circulent dans la société, mais certains de ces messages ont Dieu pour origine : «l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu... Et l'ange lui dit».
Dans les paroles de l'ange se trouve inscrit le nom de son expéditeur, le nom de Dieu : «Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu... et il sera appelé fils de Dieu... [l'être] saint naissant de toi sera appelé fils de Dieu». Et encore, comme pour signer tout ce qu'il vient de dire, avant de quitter Marie, l'ange dit lui-même : «aucun dit ne sera, venant de Dieu, sans puissance». Donc, d'un bout à l'autre, d'une certaine façon, il s'agit du fait que Dieu parle.
Mais, comme il arrive dans nos conversations les plus ordinaires, pour qu'il y ait parole et pour qu'il y ait message, il ne suffit pas que quelqu'un parle. Encore faut-il que cette parole et ce message soient écoutés, reçus et, si j'ose dire, incorporés.
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Ainsi, en prêtant attention à ce premier aspect, nous pouvons traverser ce texte comme un passage au cours duquel nous assistons à l'aventure d'une parole venant de Dieu. «Le sixième mois l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu... Et, étant entré vers elle, il dit».
Ces paroles, nous pouvons les lire : «Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur [est] avec toi.» Arrive un trouble du fait même de cette parole. «Elle, à cette parole, fut toute troublée et elle se demandait ce qu'était cette salutation.» Mais il y a plus encore : ce que nous venons d'entendre est aussitôt compris, entendu par celui qui nous raconte cette histoire comme une manière de saluer et, de ce fait, d'établir un contact.
Que signifie un tel contact ? Nous pouvons le pressentir. Marie a été touchée, sinon heurtée, puisque l'ange, quand il reprend la parole, écarte la crainte que ces premiers mots avaient pu faire naître en elle. «Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.»
Marie, après ce nouveau message qu'elle reçoit, n'est pas pour autant convaincue ni même apaisée : «Comment y aura-t-il cela, puisque je ne connais pas d'homme.» En déclarant cela, Marie laisse entendre qu'elle accepte ce qui a été dit. Mais la réalité à laquelle renvoie le message qu'elle vient de recevoir lui paraît pour le moins impossible. Elle accueille donc la parole mais elle la prend tellement au sérieux que cette parole l'amène à douter de sa vérité.
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«Et, ayant répondu, l'ange lui dit». Arrive ce que j'appelais tout à l'heure la signature de l'ange : «car aucun dit ne sera, venant de Dieu, sans puissance.» La vérité ne serait donc pas à chercher dans la réalité extérieure. Elle est comme une semence dans la terre, comme une graine dans le fruit, elle est dans le propos même. Ce qui est en cause, c'est la foi qu'on donne au fait qu'un message, qu'une parole vient de Dieu. Si cette parole est accueillie, l'accueil de cette parole en révèle l'effet.
Une parole est faite, comme on l'a déjà observé, pour être entendue. Pareillement, la parole et le message qui viennent de Dieu trouvent leur fruit dans la foi qui leur est donnée, qui leur est répondue. La vérité n'est pas en dehors du message, elle est dans la ligne même du message, dans la réception que ce message voit s'ajouter en quelque sorte à lui-même et qui lui manquait encore. C'est déjà le cas de tout message que nous envoyons : une oreille le capte, le fait sien, l'incarne, ou plutôt se l'incorpore.
C'est là-dessus que va répondre Marie. «Marie dit : "Voici l'esclave du Seigneur. Qu'il m'arrive selon ton dit."» En rigueur de terme, d'ailleurs, il faudrait traduire «qu'il y ait», comme tout à l'heure nous avions lu : «comment y aura-t-il cela ?» Il faudrait donc traduire : «qu'il y ait pour moi selon ton dit». Que ton dit devienne d'une certaine manière moi-même s'il est vrai qu'une parole n'est pas complète aussi longtemps qu'elle n'a pas trouvé un destinataire qui la fait devenir lui-même.
Qu'il s'agisse bien de cela, d'une incorporation du message de la parole envoyée, nous en avons une confirmation en des signes incontestables. Je les relève : «Et voici que tu concevras au sein et tu enfanteras un fils, et tu appelleras son nom Jésus.» Il ne suffit pas qu'elle conçoive au sein, qu'elle enfante un fils. Devant ce qui lui arrive, et qui lui arrive - pardonnez-moi ce propos familier - au plus dedans d'elle-même, il faut qu'elle devienne elle-même une parole qui soit sa réponse à ce message envoyé : «... et tu appelleras son nom Jésus.» Elle deviendra personnellement cette réponse en donnant ce nom de Jésus au fruit de ses entrailles.
«Celui-ci sera grand et il sera appelé fils de Dieu». Lui donner un nom importe toujours, mais nous observons que ce n'est plus elle qui donne le nom : «il sera appelé fils de Dieu». Un peu plus bas encore : «C'est pourquoi [l'être] saint naissant de toi sera appelé fils de Dieu».
L'importance de nommer apparaît encore en ceci : «voici qu'Elisabeth ta parente elle aussi a conçu un fils dans sa vieillesse, et c'est le sixième mois pour elle, qui est appelée stérile».
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Le deuxième aspect, je l'ai ramassé autour d'un terme très simple : celui d'alliance. A qui l'ange Gabriel fut-il envoyé ? Ne répondons pas seulement : à Marie. Il «fut envoyé par Dieu... vers une jeune fille fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David, et le nom de la jeune fille [était] Marie.» En d'autres mots, l'ange a été envoyé à quelqu'un qui est en situation d'alliance. Cette jeune fille est fiancée. Le message n'est donc pas adressé à Marie tout court mais à l'alliance dans laquelle Marie se trouve déjà impliquée.
C'est un message envoyé à l'alliance qui règne déjà, qui court, qui court, comme le furet, à l'intérieur de la société humaine, message de Dieu à l'alliance qui circule déjà entre jeunes filles et jeunes gens. Ce qui est annoncé n'est pas la suppression de l'alliance, de l'alliance déjà là. Il vient pour l'approfondir, l'exalter, la porter à une dimension sans limite, qui n'aura pas de fin.
En somme, qu'apprenons-nous donc d'un passage comme celui-ci ? Que Dieu fait alliance avec et dans l'alliance humaine elle-même. Non pas avec Marie, non pas avec Joseph, mais avec Marie fiancée à Joseph. Dieu vient naître dans et de l'alliance des êtres humains qui est déjà là.
Reprenons maintenant les propos de l'ange : «Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.» Le terme qu'il avait employé un peu plus haut revient maintenant. En quoi consiste cette grâce ? En rien d'autre que ce qui arrive aux alliances humaines. Toute alliance humaine porte fruit. Pas seulement celle d'un homme et d'une femme, même si on peut regarder dans l'alliance d'un homme et d'une femme la figure la plus sensible de toute alliance. En vérité, toute alliance humaine est faite pour porter des fruits. Voici «tu concevras au sein et tu enfanteras un fils, et tu appelleras son nom Dieu sauve (= Jésus). Celui-ci sera grand et il sera appelé fils de Dieu». Il sera bien ton fils et ce fils, le tien, sera appelé fils de Dieu.
C'est un exhaussement, une élévation extrême de la fructification de toute alliance. C'est l'exaltation de l'alliance qui court déjà en humanité. Le fils de Dieu sera le fruit de l'humanité.
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«Et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père». Voilà un retournement considérable. Celui qui naît est le roi de son père, le roi des morts. J'aborde ici le troisième aspect. Il «lui donnera le trône de David son père, et il règnera sur la maison de Jacob pour les siècles». De David on remonte à Jacob et, si l'on regarde vers l'avenir, ce sera pour les siècles. L'alliance que je t'annonce, et qui s'accomplit dans l'accueil que tu lui fais, bouscule même la mort, puisque «de son règne il n'y aura pas de fin».
Marie continue : «Comment y aura-t-il cela, puisque je ne connais pas d'homme.» Marie, ici, avec une pudeur admirable, nous rappelle que si ça doit se faire avec la force d'un homme, ça ne pourra donc pas se faire parce qu'elle ne connaît pas d'homme, même si elle est fiancée à Joseph.
«Et, ayant répondu, l'ange lui dit : "Un esprit saint viendra sur toi et une puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre. C'est pourquoi [l'être] saint naissant de toi sera appelé fils de Dieu."» Nous entrons, en pleine humanité, dans un temps nouveau. Ce temps est déjà commencé : «Le sixième mois l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu... Et voici qu'Elisabeth ta parente elle aussi a conçu un fils dans sa vieillesse, et c'est le sixième mois pour elle, qui est appelée stérile». Le temps va continuer : après six il y aura sept, après sept, il y aura huit, après huit il y aura neuf, et puis ça continuera. Mais ça y est. Le temps n'est pas supprimé, tant s'en faut, pas plus que l'alliance humaine n'est supprimée, pas plus que ne sont supprimés les messages que s'envoient les gens les uns aux autres. Le temps continue autrement.
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«Marie dit : "Voici l'esclave du Seigneur. Qu'il m'arrive selon ton dit"». (Esclave, oui, comme invite à traduire le texte original, et non pas servante.) Pieds et poings liés, elle s'en remet à ce qui vient d'être dit, elle accepte que désormais ce message soit fait d'elle-même, de ce qu'elle est, pas seulement de son corps mais de son alliance avec Joseph, et de son alliance aussi avec sa cousine, et de son alliance avec tout le monde. Elle fait de toute sa chair la réalisation dernière de cette parole. C'est dans cette chair d'alliance que la parole désormais va continuer sa course.