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La vie du juste viendra de croire


Non, en effet, je n'ai pas honte de l'Heureux-Message.
En effet, il est la puissance de Dieu allant à sauver,
Pour tout croyant,
A commencer par le Juif aussi bien que le Grec.
En effet, la justice de Dieu se révèle en lui,
Venant de croire, allant à croire,
Selon qu'il est écrit : "La vie du juste viendra de croire".


Romains I, 16-17

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Avant d'entrer dans la traversée de ce passage, je vous dois quelques explications sur la traduction que vous avez sous les yeux. Pour m'expliquer, le meilleur chemin est de vous lire une traduction parmi d'autres. Voici donc comment, ordinairement, on traduit.  

«Car je n'ai point honte de l'Evangile : c'est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, et puis du Grec. Parce qu'en lui est révélée la justice de Dieu, par la foi et pour la foi, selon qu'il est écrit : 'le juste vivra par la foi'.»

Voilà une traduction limpide, qui ne présente pas d'aspérités. Pourquoi vous ai-je proposé le texte rébarbatif que vous avez sous les yeux ?

"Non, en effet". Ce "en effet" revient encore deux fois. Vous pouvez observer que dans la traduction que je vous ai lue il est adouci. Il y a d'abord un "car je n'ai point honte" et puis, deux points "c'est une puissance de Dieu". Quand on arrive à la suite, nous lisons : "parce qu'en lui est révélée". Très lourdement, j'ai tenu à manifester la présence de ce même mot "en effet", puisqu'il y est.

"Je n'ai pas honte  de l'Heureux-Message"  au lieu de : "Je n'ai point honte de l'Evangile". Si j'ai tenu à réveiller ce mot, Evangile, c'est pour faire entendre ce qui, peut-être, n'apparaît pas souvent. Vous savez bien que très souvent, quand on dit "Evangile", on éprouve le besoin d'ajouter : la Bonne Nouvelle. J'ai voulu encore aller plus loin pour que l'on entende mieux que cette bonne nouvelle n'est pas banale. ça donne cet "Heureux-Message".

"En effet, il est la puissance de Dieu". Dans la traduction que je vous ai lue, nous avons : "c'est une puissance de Dieu". D'autres traductions disent : il est puissance de Dieu. Je me suis souvenu que dans la langue originale, c'est-à-dire le grec, l'article n'est jamais placé devant l'attribut. Donc il est difficile de traduire : "il est puissance de Dieu", sous prétexte qu'il n'y a pas d'article. J'ai donc traduit : "il est la puissance de Dieu".

"Allant à sauver". Vous devinez pourquoi j'ai tenu à traduire ainsi. Il suffit que nous lisions un peu plus loin : "allant à croire". C'est un même mot qui précède "sauver" et "croire". Pour faire apparaître qu'il y avait une même préposition, marquant le mouvement, la direction, l'élan, je m'en suis tiré par ce "allant à sauver" et un peu plus bas par "allant à croire".

"C'est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, et puis du Grec". Et puis nous lisons : "la justice de Dieu par la foi et pour la foi." Je vous invite à faire une petite réflexion sur une disgrâce de notre langue. Nous n'avons pas de verbe qui corresponde à "foi". En effet, en passant de foi à croire, nous changeons de radical.

Je m'en suis tiré en traduisant, ce qui est assez ordinaire, "pour tout croyant" et, quand ensuite vient le substantif foi, j'ai traduit par un infinitif qui est à la frontière du substantif. On en vient ainsi à cette traduction : "Venant de croire, allant à croire" et "La vie du juste viendra de croire".

Vous avez entendu tout à l'heure : "pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec". Or, je vous propose de lire "A commencer par le Juif aussi bien que le Grec". Les commentateurs, croyez-moi, sont très embarrassés. Ils disent : en suivant ce qui est écrit dans le texte original, il faut traduire : "A commencer par le Juif aussi bien que le Grec" et non pas "à commencer par le Juif et, ensuite, en passant au Grec". Les commentateurs sont bien d'accord. Mais, après avoir reconnu cela, ils raisonnent ainsi : comme la plupart du temps S. Paul distingue les Juifs et les Grecs, traduisons : "pour le Juif d'abord et ensuite pour le Grec".

Maintenant, à nous de lire ce texte.

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"Non, en effet, je n'ai pas honte". On dirait que Paul, se sentant accusé,  rebondit sur cette accusation même.  S'il dit : "je n'ai pas honte", c'est qu'il pourrait avoir honte, se sentir confondu et, de ce fait, affaibli en raison de ce qu'il annonce. Donc, il n'a pas honte, et c'est une façon de dire "je suis plutôt fier".

"Je n'ai pas honte de l'Heureux-Message." Pourquoi pourrait-il avoir honte ? Les raisons de cette honte peuvent tenir à ce qu'il s'agit d'un message, et qu'il ne s'agit que d'un message, ou encore à ce qu'il s'agit d'un message de bonheur. Or, quel que soit le motif de honte qu'il pourrait avoir, Paul l'écarte. Il n'y a pas de honte à proposer quelque chose qui tient en des mots. Il n'y a pas de honte à s'entendre dire : quoi de plus faible que des mots ? Et le bonheur qui est joint à ces mots, l'heureuse nouvelle qu'ils portent, n'ajoute rien à la faiblesse qui est attachée à des mots!

Aussitôt, Paul ajoute : "il est la puissance de Dieu allant à sauver", en vue de sauver, pour sauver. Autrement dit, ce message est un acte, un événement fort. Dans cette parole, il y a quelque chose de puissant, de l'énergie qui se déploie. C'est vrai ! c'est une parole, portée par des mots, mais elle a beau être une parole, elle est la puissance, la force de Dieu qui se dépense pour faire un sauvetage. Un acte s'accomplit dans ce message, quand il est annoncé. C'est un acte accompli par Dieu, pour sauver.

Bien entendu, quand nous lisons "sauver", nous comprenons qu'il y avait détresse. Ceux qui reçoivent ce message sont tirés d'une situation qui les vouait à la perte.

"Pour tout croyant". Ce qui nous est signifié ici, c'est l'autre moitié du message. Car un message ne tient pas en soi. Un message n'est message que d'être complété par l'oreille qui le reçoit.

Vous réfléchirez à ce qu'est une lettre envoyée. D'une certaine façon, elle commence à être une lettre quand nous l'écrivons, quand nous la postons. Elle l'est pendant tout le trajet. Mais nous savons bien que le message sera complet non seulement lorsque le facteur aura porté la lettre à la maison, mais lorsque nous l'aurons ouverte et lorsque nous  l'aurons lue. Quand nous la lirons, même si nous ne lui donnons pas encore de réponse, déjà pointe la possibilité d'une réponse. La lettre, une fois ouverte et lue, le message une fois accueilli, déjà commence autre chose. La réponse que reçoit le message n'est autre que l'adhésion que lui donne celui qui l'entend et qui le reçoit.

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"Pour tout croyant, à commencer par le Juif aussi bien que le Grec." L'Heureux-Message commence par atteindre, dès son point de départ, des gens très différents. En effet, le Juif n'est pas le Grec. Cet Heureux-Message, dans son origine, est marqué par la diversité. Initialement, il est déjà  porté par une origine plurielle.

Pourquoi les choses se passent-elles ainsi ?  

Au point où nous sommes de la lecture de ce texte, nous ne savons pas le contenu du message, nous en connaissons la visée, la finalité : il est expédié pour sauver quiconque croit. Je suis donc invité à comprendre que ce message est envoyé parce qu'en lui se révèle la justice de Dieu pour autant qu'il s'adresse à quiconque croit.

La justice de Dieu est ici une manière d'évoquer la situation d'alliance qui existe entre Dieu et celui qui croit en lui. Dieu fait la mise : "venant de croire". Dieu se confie, Dieu s'abandonne à celui à qui est annoncé l'Heureux-Message. Or, que peut faire d'autre celui qui le reçoit sinon de répondre par une autre foi, par un autre geste de confiance ? Puisque depuis le début du texte nous voyons qu'il y a manifestement deux partenaires, l'un qui agit dans un message, en le faisant porter, et un autre qui est le destinataire de ce message, ce qui se révèle, c'est un Dieu qui croit dans le croyant et qui attend la foi du croyant. "Venant de croire, allant à croire".

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Paul dit en terminant : je ne vous annonce pas du nouveau. "Selon qu'il est écrit". Autrement dit, c'était ainsi programmé. Qu'est-ce qui était programmé ? "la vie du juste viendra de croire". Que vient faire la vie ici, à la fin ? Quand nous disons vie, son contraire n'est pas loin ! Ce contraire, nous l'avions presque entendu au début, quand nous lisions : "il est la puissance de Dieu allant à sauver". Je n'avais pas dit de quoi nous étions sauvés. Or, à la fin, Paul nous dit que celui qui répond par de la foi à la foi qui lui est faite, celui-là est vivant. C'est cela, vivre. Dans la foi il y a de la vie, et c'est une heureuse nouvelle, un Heureux-Message, un Evangile de salut. Pour peu que nous lui donnions l'adhésion de notre foi, nous échappons à mourir. Du seul fait de croire, nous échappons à la mort.

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En définitive, que se passe-t-il donc quand nous croyons ? A ce moment-là, nous existons selon l'alliance que Dieu a établie et que Dieu révèle. Nous sommes justes, comme Il l'est, conformes à cette loi d'alliance. Nous découvrons que nous ne pouvons vivre que si en nous s'exerce une puissance venue de Dieu, présente dans l'Evangile, mais qui évidemment attend en quelque sorte que nous lui donnions notre foi. C'est ce qui fait accéder à la vie, à une vie qui sauve de la mort. Pour cela il n'y a besoin que d'être quelqu'un, pas forcément Juif, pas forcément Grec : n'importe qui. Cet accès à la vie, à croire-vivre, est offert à n'importe qui pourvu qu'il croie. Si telle est la situation créée par l'expédition de cet Heureux-Message, celui qui l'envoie serait vraiment mal inspiré d'en avoir honte. S'il en avait honte, il choisirait non pas de vivre, mais de périr.

2 avril 1998

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