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 Un prophète de ton sein, de tes frères 

«C'est un prophète de ton sein, de tes frères, comme moi, que fera lever pour toi IHVH, ton Dieu. Lui, vous l'écouterez, selon ce que tu as demandé à IHVH, ton Dieu, à Horeb, au jour de l'assemblée, pour dire : "Je ne continuerai pas d'écouter la voix de IHVH, mon Dieu ; ce grand feu, je ne le verrai plus, et je ne mourrai pas." IHVH m'a dit : "Ils ont bien parlé. C'est un prophète que je ferai lever pour eux du sein de leurs frères, comme toi, et je donnerai ma parole dans sa bouche, et il leur parlera tout ce que j'ordonnerai. Et ce sera : l'homme qui n'écoutera pas mes paroles, ce qu'il parlera en mon nom, je requerrai contre lui. Mais le prophète qui s'échauffera jusqu'à parler une parole en mon nom, ce que je ne lui aurai pas ordonné de parler, et qui parlera au nom d'autres dieux, il mourra, ce prophète-là.»


Deutéronome XVIII, 15-20

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Dans ce passage, par deux fois, nous sommes conduits à une limite. En effet, par deux fois, la mort est mentionnée. La première fois, nous sommes encore dans les parages du début : ""Je ne continuerai pas d'écouter la voix de IHVH, mon Dieu ; ce grand feu, je ne le verrai plus, et je ne mourrai pas."" La seconde fois, c'est au moment où nous sortons de ce passage : "le prophète qui s'échauffera jusqu'à parler une parole en mon nom, ce que je ne lui aurai pas ordonné de parler, et qui parlera au nom d'autres dieux, il mourra, ce prophète-là."

Nous pouvons supposer que ce passage nous indique comment éviter de mourir.

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"C'est un prophète de ton sein, de tes frères, comme moi, que fera lever pour toi IHVH, ton Dieu." Celui qui parle s'adresse à quelqu'un très personnellement, à la deuxième personne du singulier. "C'est un prophète de ton sein, de tes frères". Il s'engage lui-même, se prend comme référence : "comme moi, que fera lever pour toi IHVH, ton Dieu."

"De ton sein, de tes frères". De ton sein : entendons l’expression au sens le plus réel. Je ne vous cache  pas que j'ai hésité à traduire : c'est un prophète de tes entrailles, issu de ce qu'il y a en toi de plus intérieur à ta chair. Ce sein, ce plus intérieur, est aussitôt commenté par "de tes frères". Nous aurons à revenir sur ce rapprochement.

"Lui, vous l'écouterez". Ecouter revient encore dans le texte. Un peu plus bas, nous lisons : "Je ne continuerai pas d'écouter la voix de IHVH". Et un peu plus bas encore : "l'homme qui n'écoutera pas mes paroles". Nous observons qu'écouter n'est pas suivi, chaque fois, de ce que nous pourrions appeler le même complément. Lui, vous l'écouterez, ce prophète. Ensuite écouter est complété par la voix du Seigneur. Enfin,  écouter a pour complément  les paroles du Seigneur : "l'homme qui n'écoutera pas mes paroles".

Une transformation est certainement à l'œuvre. Est-ce la même chose d'écouter  quelqu'un, d'écouter une voix et d'écouter des paroles ? Restons avec cette question et continuons.

"Lui, vous l'écouterez, selon ce que tu as demandé à IHVH, ton Dieu, à Horeb, au jour de l'assemblée". Il s'adressait à quelqu'un, au singulier. Maintenant, "vous l'écouterez" signifie que ce quelqu'un est multipliable. C'est bien une personne, mais elle est composée de plusieurs. Elle fait même un groupe. Nous lisons ensuite : "aux jours de l'assemblée". Mais ce "vous l'écouterez" est la suite, la conséquence d'une demande qui a été faite. Cette écoute que vous ferez de lui est conforme au désir que vous avez adressé au Seigneur, que tu as adressé au Seigneur. En d'autres termes, si vous l'écouterez, c'est parce que vous avez demandé quelque chose au Seigneur, à Horeb, au jour de l'assemblée.

Et quelle est cette chose que vous avez demandée ?

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""Je ne continuerai pas d'écouter la voix de IHVH, mon Dieu ; ce grand feu, je ne le verrai plus, et je ne mourrai pas."" Je voudrais attirer votre attention sur l'ambiguïté de cette demande. Une chose est sûre : "je ne mourrai pas". Mais qu'est-ce qui fera que je ne mourrai pas ? Est-ce parce que je ne verrai plus ce grand feu ? Est-ce parce que je n'écouterai pas la voix du Seigneur, mon Dieu ? Ou bien, est-ce parce que l'ayant écoutée, l'ayant vu, ce grand feu, sans mourir, je cesserai de le voir et d'écouter ? Bref, est-ce que écouter la voix, voir le feu empêche de mourir ou est-ce que cela conduit à mourir ? En d'autres mots, est-ce que ce qui est demandé, ici, ne serait pas une vie dont la mort ne serait plus la limite, une-vie-sans-la-mort ?

Or, Moïse dit qu'il y a un moyen d'instituer une vie sans la mort, si curieux que cela nous paraisse. Tu veux une vie qui ne connaisse pas la mort. Soit ! Cette vie va t'être accordée puisque je vais te donner à écouter un prophète du sein de tes frères, quelqu’un comme moi. En conformité à ce que tu as demandé, je t'accorde quelque chose qui te permettra de ne pas mourir. Voilà ce que déclare Moïse.

Il renchérit. "IHVH m'a dit : "Ils ont bien parlé." Phrase extrêmement importante. Ils ont eu raison de demander cela. Oui, à continuer d'écouter ma voix, à voir le grand feu, ils en seraient mort. J'approuve cette demande de ne pas mourir.

Revient encore, mais cette fois-ci attribuée au Seigneur lui-même, la déclaration : "C'est un prophète que je ferai lever pour eux du sein de leurs frères, comme toi". Reprise de ce qu'avait dit tout à l'heure Moïse, à ceci près, que le sein est cette fois-ci la communauté. Les entrailles sont cette assemblée qui a été mentionnée tout à l'heure.

"C'est un prophète que je ferai lever pour eux du sein de leurs frères, comme toi, et je donnerai ma parole". Au risque de paraître exagérément subtil, je vous invite à ne pas confondre la voix et la parole.

La voix est ce qu'il fallait cesser d'écouter. La voix était sur la même ligne que le grand feu. La voix est ce qui aurait détruit. Or, il fallait cesser d'écouter la voix, comme aussi bien il fallait cesser de voir le grand feu, à moins de mourir.

Mais, à la place de cela et pour permettre de vivre, arrive une parole.  "Et je donnerai", je ferai don, "de ma parole". Non pas seulement je mettrai ma parole, mais je ferai cadeau de ma parole : "dans sa bouche, et il leur parlera, non pas de tout ce que j'ordonnerai, mais il leur parlera tout ce que j'ordonnerai." La parole se substitue à la voix et, bien plus, substituée qu'elle est à la voix, elle va, si j'ose dire, prendre bouche, "je donnerai ma parole dans sa bouche". Ce que j'ordonnerai, les commandements que j'énoncerai deviendront des paroles, "il leur parlera tout ce que j'ordonnerai." Ce que j'ordonnerai sera, comme l'est toute parole, un lien. Un lien entre eux et moi, mais un lien qui utilise comme support la bouche du frère. Or, le frère, c'est celui qui est lié à ceux auxquels il s'adresse. C'est dans la bouche du frère que la voix, devenue parole, créera un lien entre le Seigneur et les autres.

Nous connaissons des paroles qui racontent. Nous connaissons des paroles qui décrivent. La parole ici mentionnée oriente, ordonne, commande. Or, cette parole ne sera pas une parole qui écrase. La voix et le feu détruisaient. La parole qui est dans la bouche du prophète, en donnant des ordres, lie, associe, unit, établit un lien.

Nous pressentons que le contraire de la mort, sans doute, c'est la vie, mais pas n'importe quelle vie : c'est la vie en liaison, la vie, pour autant que par la parole une association se produit : quelque chose comme une alliance. Ainsi, la parole de la loi, c'est ce qui lie, qui associe, avant d'être, comme nous le pensons trop souvent, ce qui écrase.

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"L'homme qui n' écoutera pas mes paroles". Maintenant, écouter s'applique aux paroles. Entendons : "ce qu'il parlera en mon nom". C'est bien lui qui parlera, puisque c'est sa bouche, mais il parlera en mon nom. "L'homme qui n'écoutera pas mes paroles", je ne le ferai pas mourir, comme nous pourrions le penser : "ce qu'il parlera, le prophète, en mon nom, je requerrai contre lui." Tel est le dernier recours de IHVH, quand la parole qu’il donne n'est pas entendue : l'accusation. Je lui intenterai un procès. Je ne le lâcherai pas, je ne me résignerai pas à ne pas lui parler.

En revanche, "le prophète qui s'échauffera jusqu'à parler une parole en mon nom, ce que je ne lui aurai pas ordonné de parler, et qui parlera au nom d'autres dieux, il mourra, ce prophète-là.". Non seulement celui qui écoute la parole du prophète, du frère prophète, échappe à la mort, mais le prophète lui-même n'échappe à la mort que s'il ne fait qu'un avec la parole qui est sur sa bouche. S'il s'en dissocie, s'il parle une parole en mon nom que je ne lui aurai pas ordonné de prononcer, il disparaît. Car la parole le faisait vivre, comme elle fait vivre ceux auxquels il l'adresse pour qu'ils écoutent ma parole. Mais si s'introduit une sorte de vide, si la parole n'est pas remplie par la présence entière de celui qui lui donne une bouche, celui-là, l’infidèle, s'effondre.

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Ecouter la voix du Seigneur, voir son grand feu, telle est en quelque sorte l'expérience première. Expérience qui suppose que nous soyons vivants, mais qui, en même temps, si elle était continuée, nous ferait mourir.

Or, nous sommes vivants. Donc, nous vivons de l'interruption de cette voix et de ce feu. Il se trouve même que, dans cette vie où nous sommes, notre désir de ne pas mourir a été entendu. Au lieu même de l'extrême aridité, à l'Horeb, qui est aussi le jour de l'assemblée, avec les frères, c'est à ce moment-là et à ce lieu-là que notre désir a été entendu. Nous pouvons donc dire : je ne mourrai pas car je cesserai d'écouter la voix du Seigneur et de voir son grand feu.

Quelqu'un d'autre, qui m'est proche, mais qui n'est pas moi, quelqu'un d'autre, qui est comme moi, se détache du plus intime et de moi-même et de nous tous rassemblés. Un frère se lève des entrailles. C'est lui que j'écouterai, et non pas la voix du Seigneur. Car, ce que je désire, c'est bien écouter, mais une écoute qui ne soit pas celle d'une voix, une écoute qui ne soit pas la vision d'un grand feu, une écoute qui ne me détruise pas. Le Seigneur cesse donc d'être voix et d'être feu. Il devient parole, et c'est bien ainsi, comme Il le dit. Ainsi ma demande est approuvée par celui à qui elle était adressée.

Mais Il ne me le dit pas à moi. Il le dit à celui qu'il institue comme un organe authentique de la parole qu'Il est devenu. Il le dit à son prophète, à celui qui parle à Sa place. Il se donne parole, dans sa bouche, dans la bouche du frère prophète. Le frère prophète, c'est l'autre, l'autre que lui, le Seigneur, l'autre que moi.

Il parle pour ordonner. La parole de l'ordre ne fait donc pas mourir, la loi ne tue pas, la loi fait vivre celui qui l'écoute, car elle parle au nom du Seigneur. Ecouter cette parole en la faisant, c'est donc vivre, c'est exister au nom du Seigneur. C'est être présent au lieu du nom du Seigneur, c'est être dans le nom du Seigneur, sans le prononcer.

Au contraire, ne pas écouter fait de moi un accusé. Le Seigneur requiert contre moi, pour que je vive, pour que je ne meure pas, selon que je l'ai d'ailleurs moi-même demandé.

Mais la mort pointe à l'horizon pour celui qui parle sans faire corps avec les ordres du Seigneur. Car le prophète frère n'est pas seulement celui qui parle à ses frères, comme un relais qui transmet : il est l'homme en qui le Seigneur devient parole. Il est d'abord celui qui ne fait qu'un avec la parole donnée dans sa bouche. S'il s'en disjoint, il meurt, il brûle en quelque sorte du feu destructeur qu'il a lui-même allumé par son infidélité.

27 janvier 2000

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