Il n'y a que le Père
«Mais en ces jours-là, après cette affliction, le soleil s'obscurcira, et la lune ne donnera pas sa clarté et les astres se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées. Et alors on verra le Fils de l'homme venir dans les nuées avec beaucoup de puissance et de gloire. Et alors il enverra les anges, et il rassemblera ses élus des quatre vents, de l'extrémité de la terre à l'extrémité du ciel. Du figuier apprenez cette parabole. Dès que sa branche devient tendre et qu'elle pousse ses feuilles, vous comprenez que l'été est proche. Ainsi de vous : lorsque vous verrez cela arriver, comprenez qu'Il est proche, aux portes. En vérité, je vous dis que cette génération ne passera pas avant que tout cela ne soit arrivé. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. Quant à ce jour ou à cette heure-là, personne ne les sait, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils ; il n'y a que le Père.»
Pour nous introduire au travail que nous allons faire, je voudrais m'arrêter sur une petite phrase que vous pouvez trouver sur le tract d'invitation : "de ton livre, fais de la foi".
Cela signifie : y croire, y adhérer, en faire, non pas un texte dans lequel on se retrouve, encore moins un texte dans lequel on se recherche, mais un texte auquel on se livre, auquel on s'abandonne et qui, par l'abandon même que l'on fait de soi, paradoxalement, devient nôtre.
Si j'ai choisi de revenir sur cette phrase c'est parce que elle m'a paru tout à fait appropriée pour entrer dans le travail de ce soir. Je voudrais en effet, que nous commencions par répondre à cette question : que devenons-nous donc, lorsque nous faisons nôtre, au sens que je viens de dire, le passage que nous allons travailler ? Autrement dit, que devenons-nous en faisant de ce passage ce que nous sommes, puisque nous lui donnons notre foi, puisque nous y adhérons, puisque, selon des intensités très variables pour les uns et pour les autres, nous cherchons à coller à ce texte ?
D'abord, me semble-t-il, en faisant nôtre ce passage, nous devenons quelqu'un qui dit d'avance ce qui sera.
Ce n'est pas tout, nous ne sommes pas seulement le personnage qui prédit : en outre, nous annonçons ce qui sera à qui nous écoute, car il n'y a pas de parole qui ne soit adressée à quelqu'un. Aussi bien d'ailleurs, quand nous prenons un peu d'écart par rapport à ce que nous venons de lire, nous découvrons que nous en sommes le récepteur, le destinataire.
Autre aspect encore du personnage que nous devenons. Puisque ce texte, à un moment, nous fait dire «je» - «en vérité, je vous dis que cette génération ne passera pas» -, puisque ce texte nous fait, à un autre moment, nous adresser à d'autres - «apprenez cette parabole» -, par un côté, nous sommes celui qui parle mais, par un autre côté, nous ne sommes pas celui qui parle. Pourquoi ? Parce que, dans ce texte, nous parlons de quelqu'un que nous sommes et nous parlons de quelqu'un qui est un autre que nous. Ainsi quand nous disons : «alors, on verra le Fils de l'homme», ou encore, quand nous disons à la fin : «pas même le Fils ; il n'y a que le Père», dans ces moments, celui qui parle et qui dit «je» est aussi quelqu'un qui prend ses distances, qui parle de soi comme d'un autre.
Enfin, dernier rôle que nous jouons : nous invitons quiconque nous écoute, et nous-mêmes - puisque nous sommes les premiers auditeurs - à reconnaître les signes de l'approche d'un futur.
Voilà les différents aspects du personnage que nous endossons, lorsque nous lisons pour de bon ce texte, quand nous en faisons de la foi, au sens le plus simple de ce mot, qui de lui-même dit, avant tout l'adhésion.
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Ce texte nous fait prononcer d'abord la décomposition du monde. «En ces jours-là, après cette affliction, le soleil s'obscurcira, et la lune ne donnera pas sa clarté, et les astres se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées». Le soleil, la lune, les astres, les puissances, nous disons que tout cela se défera. Et si, dans ce texte, il y a quelques phrases qui sont présentées comme des citations, c'est que nous les disons comme une vérité héritée, comme quelque chose que nous recevons : nous n'inventons rien !
«Et alors on verra le Fils de l'homme venir dans les nuées avec beaucoup de puissance et de gloire.» Sur cette ruine du monde, nous voyons quelqu'un venir. Etrange, n'est-ce pas, car, pour venir, il faut qu'il y ait un espace, un monde, quelque chose qui reste après la décomposition générale. Il reste des nuées. Et qui vient ? Quelqu'un qui est appelé «le Fils de l'homme», le né de l'homme. Il vient «dans les nuées», il ne vient pas de la terre, et il vient «avec beaucoup de puissance et de gloire».
«Et alors il enverra les anges». Troisième événement. A ce moment-là, ce Fils de l'homme, en venant, va envoyer des spécialistes de la communication (rappelons-nous en effet que les anges portent des messages).
Ça n'est pas fini : «et il rassemblera ses élus des quatre vents, de l'extrémité de la terre à l'extrémité du ciel». Jusqu'alors, on nous avait parlé, à propos du monde, du soleil, de la lune, des astres, des puissances. On avait bien évoqué le ciel, mais voilà que ça recommence, comme s'il y avait encore quelque chose du monde : le vent, l'extrémité de la terre, l'extrémité du ciel. Or l'effacement du monde s'intensifie mais, cette fois-ci, au bénéfice d'une extraction, d'une élection. On ne nous dit pas si tout le monde est élu, ou s'il y a des élus et d'autres, qui ne sont pas élus. Ce qui est sûr c'est que ceux qui sont pris sont arrachés aux quatre vents, aux extrémités de la terre, et aux extrémités du ciel.
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Avançons encore un peu plus. «Du figuier, apprenez cette parabole. Dès que sa branche devient tendre et qu'elle pousse ses feuilles, vous comprenez que l'été est proche. Ainsi de vous : lorsque vous verrez cela arriver, comprenez qu'Il est proche, aux portes». Pour qui nous écoute, et pour nous qui sommes nos premiers auditeurs, nous insistons sur ce fait qu'il y a de la venue, si je puis dire. Tout à l'heure, nous avions entendu : «et alors on verra le Fils de l'homme venir sur les nuées». Maintenant l'insistance est portée sur le fait même d'une venue. Et cette venue, elle nous est signifiée de façon très réaliste, à la fois, et très poétique «apprenez cette parabole. Dès que sa branche devient tendre et pousse ses feuilles, vous comprenez que l'été est proche». Voilà un phénomène qui se produit régulièrement, aussi régulièrement que les saisons.
«Ainsi de vous : lorsque vous verrez cela arriver, comprenez qu'Il est proche, aux portes.» Qui donc est cet «Il» ? Le Fils de l'homme ? pourquoi pas ? Mais il y a aussi une sorte d'indétermination, comme si ce que nous étions en train de dire, c'était surtout qu'il y a de l'arrivée, de l'approche, «Il est proche, aux portes».
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«En vérité, je vous dis que cette génération ne passera pas avant que tout cela ne soit arrivé». Ça va se faire, oui, mais de manière imminente, et, d'une certaine façon, c'est déjà fait puisque nous ne mourrons pas avant que ça ne se produise. Extraordinaire, en effet, cette déclaration que nous sommes amenés à faire : «en vérité je vous dis que cette génération ne passera pas avant que tout cela ne soit arrivé». On ne peut ni dire que c'est arrivé, ni dire que ça n'est pas arrivé. En tout cas, on peut dire que ça nous est arrivé, ou que ça nous arrive, ou que ça nous arrivera (observez comment, après la dislocation de l'espace, c'est le temps qui est mis en miettes).
«Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas». Le ciel et la terre passeront, nous nous en doutions bien, puisque c'est par ça que nous avons commencé, c'est cela qui a été de plus en plus affirmé. Maintenant nous sommes même convaincus que non seulement c'est l'espace qui passera, mais même le temps. Qu'est-ce donc qui va demeurer ? Quelque chose qui était déjà évoqué par les anges, à savoir les paroles que dit celui qui parle. Ce qui demeure, c'est la communication, la parole envoyée, la parole reçue, voilà ce qui prend la relève, et de l'espace, et du temps.
Puisque le temps était supprimé, nous ne pouvons pas mettre l'événement sur un calendrier. «Quant à ce jour ou à cette heure-là, personne ne les sait». Et voilà que nous retrouvons nos anges, et que le Fils réapparaît. Ainsi ceux qui sont pris par cet événement, ne peuvent pas le dater, non point parce que ça n'est pas arrivé, non point parce que ça n'arrivera pas, mais parce que, comme nous l'avions entendu tout à l'heure, ça arrivera et que c'est déjà arrivé avant que nous ne mourrions, depuis que nous sommes nés, depuis que nous pouvons dire : «Père». Le dernier mot est lâché. «Il n'y a que le Père» qui le sache.
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Résumons nous. L'espace s'efface. D'abord, il s'efface au bénéfice du temps : le soleil, la lune, les astres, les puissances du ciel, tout cela se transforme et disparaît. L'événement se produit, et puis le temps lui-même s'efface, et au bénéfice de quoi ? D'une communication permanente, d'une conversation qui n'en finira pas, qui ne passe pas. Ainsi l'espace est dans le temps, puis le temps triomphe de l'espace, et, finalement, c'est la parole échangée et reçue qui l'emporte sur l'espace comme sur le temps. Disparition de l'espace, substitution du temps à l'espace (nous percevons intuitivement qu'en effet, le temps, c'est quelque chose de plus spirituel que l'espace, de moins opaque, de moins résistant, de plus fragile, aussi). Mais, si le temps se substitue à l'espace, le temps s'évanouit lui aussi, non pas pour qu'il n'y ait rien : pour qu'il n'y ait plus que des anges, pour qu'il n'y ait plus que de la parole, donnée, reçue.
Ne discutons pas pour savoir si le monde est ou non un décor (ce n'est pas dit). Retenons simplement ce qui nous est dit : dans la décomposition du monde, dans son effacement, surgit quelqu'un qui envoie une parole. Ainsi, non seulement nous échappons à tout ce qui nous contient, mais nous sommes pris par la parole qui nous est adressée : «le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas». L'élément dans lequel nous sommes, ce n'est plus ni l'espace ni le temps. L'élément, si encore ce mot convient, c'est la parole de celui qui nous parle.
Qu'est-ce qui reste ? Il n'y a plus que nous et, heureusement, un insaisissable qui reçoit le nom de Père. Il n'est assimilable à rien, ni à l'espace, ni au temps, ni même à la parole, ni au Fils : il est nommé le Père.
Mais il suffit qu'il soit là, comme le dernier mot que ce passage nous fait prononcer, pour que nous puissions dire que, quand tout disparaît ou disparaîtra, nous sommes encore. Quelque part ? Non ! En un moment donné ? Non plus ! Avec quelqu'un ? Oui, avec celui qui nous fait quelqu'un, en nous reconnaissant : il n'y a que le Père.