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Il se taira dans son amour


«Crie de joie, fille de Sion,
Faites du bruit, Israël.
Sois dans l'allégresse
Et exulte de tout coeur, fille de Jérusalem.
IHVH a écarté tes condamnations,
Il a déblayé ton ennemi.
Le roi d'Israël IHVH dans tes entrailles !
Tu ne verras plus le malheur.
En ce jour-là on dira à Jérusalem :
"Ne crains pas, Sion,
Que tes mains ne tombent pas
IHVH, ton Dieu, dans tes entrailles, héros sauveur !
Il se réjouira dans l'allégresse à cause de toi."
Il se taira dans son amour.
Il s'égaiera en cris de joie à cause de toi.
Les affligés, loin des célébrations, je les rassemblerai.
Ils étaient loin de toi.»


Sophonie III, 14-18a

*

Plusieurs voix interviennent. Nous sentons qu'il n'y en a pas un seul à prendre la parole. Mais il nous est bien difficile d'identifier qui parle. Tout au plus pouvons-nous dire qu'au début de ce passage quelqu'un s'adresse à la fille de Sion, à Israël, à la fille de Jérusalem. Cette voix lui porte des nouvelles sur ce qui s'est fait sur le passé. "IHVH a écarté tes condamnations, Il a déblayé ton ennemi." Après avoir parlé ainsi, celui qui s'adresse à ces destinataires que je viens de nommer laisse entendre qu'un temps nouveau commencera : "Tu ne verras plus le malheur".

Ensuite la parole est passée à quelqu'un : "En ce jour-là on dira à Jérusalem". Quelqu'un d'autre maintenant va parler. Cette deuxième voix s'adresse aussi à Sion, à Jérusalem mais c'est pour l'entretenir de ce qui va arriver. "Il se réjouira dans l'allégresse à cause de toi. Il se taira dans son amour."

Enfin, dans les deux dernières lignes de ce passage, quelqu'un parle en disant "je" : "Les affligés, loin des célébrations, je les rassemblerai. Ils étaient loin de toi."

Voilà donc un texte polyphonique. Nous allons devoir nous y faire, en le lisant très attentivement.

"Crie de joie, fille de Sion, Faites du bruit, Israël. Sois dans l'allégresse Et exulte de tout coeur, fille de Jérusalem." Avec des termes chaque fois différents, c'est à la joie que celui qui parle convoque ses auditeurs. Les destinataires de cette parole sont qualifiés à la fois géographiquement, mais surtout politiquement : Sion, Jérusalem, Israël. Mais dans le même temps, ces destinataires sont qualifiés par leur naissance : fille de Sion, fille de Jérusalem.

*

Quelle nouvelle annonce celui qui parle ? Il y a eu un combat dans lequel Sion, Israël, Jérusalem étaient mal partis, si je puis dire. Il y avait des condamnations dirigées contre tous ces destinataires, il y avait un ennemi, et le Seigneur l'a fait partir, comme on déblaie des gravats pour nettoyer un espace.  

"Le roi d'Israël, IHVH, dans tes entrailles !" Quel est le sens de cette phrase ? La victoire remportée par le roi d'Israël, le Seigneur, vient de l'intérieur même de Sion, de Jérusalem, d'Israël. Le roi d'Israël a désormais son siège au plus intime de cette réalité charnelle qu'est une fille, une ville, un peuple.

"Tu ne verras plus le malheur." Il y avait quelque chose à extirper, qu'il fallait éjecter. C'est fini ! Un temps nouveau commence. Et puisque c'est un temps nouveau qui commence, aussitôt nous pouvons lire : "En ce jour-là on dira à Jérusalem". On s'adresse à elle comme à une personne.

On lui dira qu'elle a, à son tour, à envoyer promener quelque chose qui l'assiège peut-être beaucoup plus que ses ennemis, sa peur : ""Ne crains pas, Sion". A la place de cette crainte, c'est la joie, et la joie exubérante.

Le destinataire de ces paroles doit prendre conscience qu'il a quelque chose à faire : "Que tes mains ne tombent pas". Ayant été libéré, un temps nouveau étant venu, tu n'as plus à craindre, et n'ayant plus à craindre, tu peux faire, tu peux agir.

*

Nous en sommes à un moment où la surprise nous saisit nous-mêmes. Que lisons-nous en effet ? "IHVH, ton Dieu, dans tes entrailles, héros sauveur !" Nous étions préparés à lire cette déclaration puisque aussi bien déjà nous avions lu un peu plus haut : "Le roi d'Israël IHVH dans tes entrailles !" Tout à l'heure c'était le roi, maintenant c'est le guerrier, et le guerrier qui va trouver son repos dans ses destinataires : la fille de Sion, la fille de Jérusalem et Israël.

A ce moment de notre parcours, nous avons l'impression que ce qui servait à qualifier les destinataires de ce message, au début, maintenant caractérise le Seigneur Dieu. "Sois dans l'allégresse", avions-nous lu tout à l'heure. Maintenant : "il se réjouira dans l'allégresse". "Crie de joie", c'est ainsi que commençait le texte. Maintenant : "il s'égaiera en cris de joie". La nouveauté, c'est que cette joie vient au Seigneur Dieu à cause de Sion, d'Israël, de Jérusalem.

Le Seigneur Dieu se conduit aussi comme un amant. "Il se taira dans son amour". La phrase est merveilleuse. C'est le moment le plus intime de l'étreinte. Il n'y a plus rien à dire, il n'y a qu'à se replier en quelque sorte, se lover sur l'amour que l'on donne. C'est le moment où les paroles cessent. La seule communication qui peut exister est celle de l'amour. Et voilà quelque chose que nous allons peut-être juger incohérent. "Il se réjouira dans l'allégresse... Il s'égaiera en cris de joie..." Alors quoi ? Il parle, il crie, il chante ou il se tait ? Vous sentez bien que nous sommes ici au moment le plus passionné de ce passage, au moment de la plus intense proximité du Seigneur dans les entrailles de la fille de Sion, de la fille de Jérusalem.

*

"Les affligés, loin des célébrations, je les rassemblerai. Ils étaient loin de toi." Heureuse indétermination de ce "je". Je vous suggère de l'entendre à la fois comme une parole du Seigneur Dieu, du roi d'Israël, du héros sauveur, c'est lui qui rassemblera les affligés, parce qu'ils étaient loin de toi, ces personnages auxquels, depuis le début, on s'adresse. Mais aussi, pourquoi ne pas attribuer ces paroles à Jérusalem même ? Jusqu'à présent on a parlé à l'adresse de Jérusalem, on a parlé de Jérusalem, à son sujet. Pourquoi maintenant, au moment où nous quittons ce passage, la parole ne serait pas prise par Jérusalem, par la fille de Sion, par Israël ? Et, du coup, le toi, dans "Ils étaient loin de toi" désignerait le Seigneur Dieu.

Pourquoi pouvons-nous hésiter ? Mais à cause de ce qui s'est passé dans les lignes précédentes. Nous avons vu qu'il y a comme une sorte de communication des caractéristiques de Sion, de Jérusalem, d'Israël au Seigneur Dieu. A quelques-uns près, les mêmes mots sont employés qui étaient adressés à Sion, à Jérusalem, à Israël.

En d'autres termes, juste avant de quitter ce passage, nous voyons que se produit un admirable échange. Ce qui est dit de ces réalités terrestres, charnelles que sont Israël, Jérusalem et Sion mérite aussi d'être dit du Seigneur Dieu, roi d'Israël. Nous pouvons parler de la même façon des uns et de l'autre. Et vous sentez bien pourquoi il est important de souligner le trait proprement nuptial : "Il se taira dans son amour". C'est le moment où il n'y a même plus à annoncer en parole que le Seigneur sera dans les entrailles : c'est le moment où  il y est.  Les ébats du Seigneur Dieu sont évoqués : tantôt il se réjouit d'allégresse, tantôt il crie de joie, du fait même de sa rencontre amoureuse. Et puis, au moment le plus intime de la rencontre, il se tait. "Il se taira dans son amour".

*

Maintenant, les toutes dernières lignes de ce passage, nous pouvons les entendre comme le fruit de cette union très intime. Ce fruit consiste à créer un monde qui se réunit, qui se rassemble. Cette proximité du Seigneur Dieu sera ouvrière d'un rassemblement. L'intimité entre le Seigneur Dieu et Jérusalem, est féconde. A la limite, il est peu important de décider qui est le "je" de la fin. Lequel des deux du couple vient de parler ? Est-ce elle, la fille de Sion, qui avait des affligés loin d'elle ? Est-ce lui, qui avait, lui aussi, toute une population d'affligés qui était loin de lui ? Au point où nous sommes de cette extrême intimité, l'un peut parler pour l'autre.

11 décembre 1997

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