«Le Miserere»
Traverser le Miserere comme un passage
Votre assemblée est une assemblée composite. Vous savez que, bien loin de regretter la diversité d'un auditoire, je la regarde comme une heureuse condition. En effet, obligation est faite à celui qui parle de s'adresser à tous, de trouver les mots, s'il le peut, qui rejoignent chacun là où il est. Mais aussi obligation est faite à chacun de ceux qui constituent l'auditoire, de réaliser que d'autres que lui entendent ce qui est dit, même s'ils l'entendent autrement. Ce sera une des vertus de cet exercice que de nous faire découvrir comment une même parole prononcée reçoit une écoute différente.
J'entre aussitôt dans le travail, je dis bien le travail, puisqu'il s'agit d'un exercice. Il va s'agir, jusqu'à la fin de la journée, de traverser et de retraverser, d'aller un peu en tous sens, je dirais volontiers de labourer, de creuser, de fouiller, de bêcher, de ne laisser nulle place où la main ne passe et repasse, pour reprendre les mots de La Fontaine sur un territoire qui est ce que, dans notre culture, on appelle le Miserere.
Tel d'entre vous, à ce mot, avant même de songer à son utilisation dans la liturgie, évoque les nombreux Miserere dont il dispose peut-être dans sa discothèque. Le Miserere, c'est d'abord un chant, c'est d'abord un poème, soutenu par une musique, comme on dit le De profundis, ou comme on dit le Te deum, ou le Magnificat ou le Nunc dimitis. Voilà le statut de ce texte dans notre culture, outre, bien entendu, sa situation dans la Bible, et son usage dans la liturgie.
C'est donc sur le Miserere que nous allons travailler. Or il me semble important de ne pas supposer que nous l'avons déjà lu. Aussi bien je considère que ce n'est pas un geste protocolaire, au début d'une réunion comme celle-ci, que de le lire effectivement.
Nous ne lisons pas ce psaume dans le texte original. Peut-être que nous serions tous un peu embarrassés si nous le lisions en hébreu ! De toute façon, vous le savez bien, même si nous le lisions en hébreu, nous le traduirions en le lisant, puisque, que je sache, nous ne pratiquons pas l'hébreu comme la langue de tous les jours de nos conversations. Il y aurait donc inévitablement traduction. Celle que vous avez sous les yeux, vous la retrouverez dans les éditions de la Bible Osty-Trinquet.
J'ai proposé un texte qui est dégagé des premiers versets. Je peux vous les lire, si vous le souhaitez. Le verset premier et le deuxième verset ont la teneur suivante . "Du maître de chant. Psaume. De David. Quand Natan le prophète, vint à lui parce qu'il était allé vers Bethsabée". Vraies ou fausses, ces indications ont pour effet de situer le psaume, mais dans son origine.
(3) Aie pitié de moi, Dieu, selon ta fidélité
selon l'abondance de ta miséricorde efface mon forfait.
(4) Lave-moi, lave-moi de ma faute,
de mon péché purifie-moi.
(5) Car mon forfait, moi je le connais,
et mon péché est devant moi constamment.
(6) Contre toi, toi seul, j'ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait,
afin que tu aies raison quand tu parles,
que tu sois sans reproche quand tu juges.
(7) Vois; dans la faute je fus, enfanté,
dans le péché ma mère m’a conçu
(8) Vois; c’est la vérité que tu veux au fond de l'être,
dans le secret tu me fais connaître la sagesse.
(9) Ote mon péché avec l'hysope, et je serai pur,
lave-moi, et je serai plus blanc que neige
(10) Fais-moi entendre l'allégresse et la joie,
que jubilent les os que tu as broyés.
(11) Détourne ta Face de mes péchés,
toutes mes fautes, efface-les.
(12) Crée pour moi, Dieu, un cœur pur,
renouvelle en mon sein un esprit affermi.
(13) Ne me rejette pas de devant ta Face,
ton esprit saint ne me l'enlève pas.
(14) Rends-moi l'allégresse de ton salut,
d'un esprit généreux soutiens-moi.
(15) Aux rebelles j'enseignerai tes voies
et vers toi les pécheurs reviendront
(16) Délivre-moi du sang, ô Dieu, Dieu de mon salut,
que ma langue acclame ta justice.
(17) Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche publiera ta louange.
(18) Car tu ne veux pas de sacrifice
si j'offre un holocauste, tu ne l'agréeras pas.
(19) Mon sacrifice à Dieu, c'est un esprit brisé ;
d'un cœur brisé, contrit, Dieu, tu n'as point de mépris.
(20) Dans ta faveur, fais du bien à Sion,
bâtis les murs de Jérusalem.
(21) Alors tu te plairas aux justes sacrifices,
holocauste, offrande totale ;
alors sur ton autel monteront des taureaux.
Nous venons de traverser le psaume et j'emploie ce terme de traverser au sens le plus simple. J'aime répéter que lorsque nous lisons un texte, il n'est plus seulement un texte, il est un passage. Et je donne ici à ce mot le sens qu'il prend lorsque nous identifions une artère d'une ville et que nous disons : c'est un passage. J'entends par là qu'un texte, nous y entrons, nous le traversons, nous y avançons. Considérant chacun des mots, chacune des phrases, comme autant de chicanes, un peu, peut-être, comme dans un labyrinthe nous les franchissons et pis, le moment venu, voilà que le dernier obstacle a été franchi, nous en sortons.
Et que s'est-il passé ? L'un des objectifs de ce travail, est de nous faire reconnaître ce que nous avons fait sans bien le savoir. Je m'explique. Peut-être qu'après avoir entendu une fois de plus la lecture de ce psaume, vous êtes attentifs à ce qu'on peut appeler son thème, ce qu'il ose là entre nous comme objet dont nous pouvons parler. Peut-être que plusieurs d'entre vous, non sans raison, d'ailleurs, sont portés à dire que le Miserere parle du péché, et sans attendre l'objection qui leur viendrait de leur voisin qui dira peut-être mais non, ce n'est pas du péché, lis bien le texte, il s'agit de la faute, ce qui n'est peut-être pas la même chose, il s’agit du forfait, il s'agit du mal. Et encore le voisin ou ce voisin que nous avons en nous-mêmes - car, grâce à Dieu, nous ne sommes pas monolithiques ! - chacun d'entre nous peut aussi se dire : mais non, ce n’est pas de tout cela, c'est du pardon du péché. Et puis, cherchant dans le texte, où est le mot pardon, chacun d'entre nous éprouvera une grave déception, voire une humiliation parce que, cherchez bien, vous n'y trouverez pas le mot pardon.
Je veux simplement, par cette première approche, vous signifier que nous n'arrivons pas indifférents en face de ce texte. Nous avons eu beau le lire, ou aussi l'entendre lire, nous projetons comme sur un écran - écran aux deux sens du terme : un écran sur lequel on projette une image, mais un écran qui aussi cache et qu'il faudrait crever - nous projetons comme sur un écran qu’il parle du péché, de la faute, du pardon. Certes, tout cela n'est pas à exclure. Mais vous sentez bien que, pour autant que nous lirions ainsi ce psaume, nous oublierions que nous l'avions traversé, qu'il avait été un passage et que nous étions entrés en lui, comme lorsqu'on traverse un filet. Or, quand on traverse un filet, on est pris aux mailles du filet et on se débat dans le filet et, si ce filet n'est pas une nasse, mais un passage, on en sort, et on n'en sort pas le même qu'on y était entré.
Expliquer le mal que nous avons fait ?
Ces considérations sont à la fois de méthode et de fond. Je prends prétexte, en effet, de ce que je viens de dire pour exprimer tout de suite trois positions que nous pourrions adopter, face à tout ce qu'il y a en fait de contenu, pour autant que le contenu ce serait, ici, soit le péché, soit le pardon, soit autre chose.
Face au péché, par exemple, nous pouvons, disais-je, occuper trois positions au moins.
Première position : Ah, je n'aurais pas dû le faire, et l'ayant fait, quelle catastrophe ! Je suis vraiment tombé de haut, car j'étais très haut et patatras, me voilà tout en bas. Je vous signale que cette façon de se situer par rapport à ce que l'on peut avoir fait de mal n'est pas une position qui aurait, dans notre culture, des titres médiocres. Elle se réclame, entre autres, de quelqu'un qui a marqué notre culture à un point que nous mesurons peut-être mal, je veux dire saint Augustin.
Deuxième position : Et bien oui, j'ai commis quelque chose qui n'est pas bien, qui est mal, et que j'appelle faute, péché, rébellion ou forfait, peu importe. Oui, mais faible comme se trouve l'humanité, débile, au sens propre du mot, comme est la condition charnelle, il était inévitable que je chute. Il allait de soi qu'un être fragile se brise ; dans cette chute, je vois attesté le peu de résistance de l'être humain.
En suivant ces deux directions nous allons dans deux sens, tout à fait différents. Pour esquisser la méditation qu'on pourrait prolonger, je dirai: la première tend à nous condamner, la deuxième tend à nous excuser. Je vous signale que la deuxième a ses titres, elle aussi, dans notre tradition chrétienne. Vous trouveriez chez un écrivain comme saint Irénée, une pensée qui va dans le sens que je viens maintenant de dessiner. L'homme a été créé petit enfant, il n'a pas été créé équipé, doté de toute la puissance d'agir et de ne pas tomber qu'on prétend lui accorder d'emblée. Il a été créé enfant, comme nous voyons d'ailleurs que nous commençons à être lorsque nous naissons, et ce qu'il y a d'enfant chez un être humain est fragile, n'est pas encore parvenu à une stature adulte.
J'en viens à une troisième position que je formule de cette manière très familière : mais finalement à quelque chose malheur est bon ! Oui, il est sûr que j'ai fait du mal, j'ai péché, j'ai fauté, je me suis rebellé, j'ai commis un forfait, oui, mais grâce à ce que j'ai commis, à ce que j'ai fait, je connais la possibilité et peut-être, d'ailleurs, la réalisation d'un relèvement qui va au-delà de ce que j'étais, même avant de faillir, avant de tomber. Cette pensée, d'abord formulée d'une façon presque triviale, a, elle aussi, ses titres de noblesse dans notre tradition. Nous entendons dans la liturgie du Samedi Saint : o felix culpa, ô heureuse faute qui nous a valu un tel et si grand rédempteur ! Sauf le respect que je dois à une si belle formule, n'ayons pas peur de la rabattre sur l'adage familier par lequel j’ai commencé à présenter cette position : à quelque chose malheur est bon ! N'est-il pas vrai qu'il y a comme une sorte de plus grand amour reçu de ceux qui nous le donnent lorsque nous avons prodigué et perdu ce qu'ils nous avaient initialement offert ?
Je voudrais vous inviter à découvrir ce qu'ont de commun ces trois positions. Au-delà de leurs différences manifestes, dans chacune, la même démarche se produit : chacune relève de ce que j'appelle le discours qui explique.
- Parce que j'étais si haut, c'est vraiment une catastrophe irrémédiable que d'être tombé...
- que je sois tombé, ça s'explique, puisque je suis faible...
- heureusement que je suis tombé, car sans cela, je n'aurais pas connu l'excès d'amour en quoi consiste le salut accordé au pécheur.
Oui, diversement chaque fois, chaque position est une position de savant ; la position de quelqu'un qui sait - c'est ça le savant ! - et qui, parce qu'il est savant, sachant, explique. Or le propre d'une position explicative, c'est de supposer que celui qui explique se met tant soit peu, d'une certaine façon, à distance de ce qu'il explique, en dehors, en face. D'ailleurs, si vous revenez sur la façon dont j'ai présenté les choses, j'ai tantôt dit : "nous" étions faibles, ou "nous" étions placés très haut et tantôt "l'homme", "l’humanité", "la chair", "la condition humaine". Bref sans bien nous en rendre compte, nous sommes sortis du jeu ; nous avons occupé le point de vue de Sirius, de cette étoile très lointaine, de laquelle on pourrait, en s'imaginant n'en pas faire partie, regarder le reste du monde... Nous avons fait de tout cela un problème et vous savez que le propre d'un problème, c'est que l'on jette devant soi un certain nombre de données, dont évidemment nous ne faisons pas partie. Le propre d'un problème, c'est de ne pas inclure parmi les données celui qui doit les combiner et, éventuellement, trouver une solution.
"J'ai fait le mal. Et alors ?"
Il y a peut-être aussi une autre manière de se situer. Elle consiste à parler de ce dont nous avons à parler, sans jamais oublier que nous sommes dedans, et donc à renoncer - et c'est humiliant ! croyez-moi - à la position explicative. Donc, non pas se taire, mais essayer d'un discours qui n'oublie qu'il que celui qui le tient est pris par ce qu'il dit, dans ce qu'il dit. Cette attitude, bien différente des trois positions que j'ai esquissées, consiste à dire ceci : j'ai péché, j'ai fauté, je me suis rebellé, j'ai commis un forfait, et alors ? Et alors ? On s'interdit l'explication ou on ne retient l'explication (surtout quand elle a les titres que je lui ai donnés : Augustin, Irénée, la liturgie...) que pour convertir le discours explicatif en un autre, qui est à la fois le type de discours que ce texte nous propose, et aussi le type de discours que je vous invite à adopter lorsque nous lisons quelque texte que ce soit.
Un discours où l'impératif donne le ton.
Décidément, l'impératif donne le ton à ce chant. Nombreux sont les verbes, à commencer par le premier, qui portent la marque de l'impératif, de façon expresse ou de façon atténuée. Je vais sûrement en laisser passer de ces impératifs, mais faire l'effort de les retrouver nous convaincra effectivement que ce texte est écrit à l'impératif comme on dit qu'une musique est en clé de sol, par exemple.
Allons-y :"aie pitié", "efface", "lave-moi, lave-moi", "purifie-moi", "vois", "vois", je suis au verset 8 ; "ôte", "lave-moi", "fais-moi", "détourne ta Face", "crée pour moi", je suis au verset 12. Vous conviendrez que, non seulement il y a des impératifs, mais qu'il y a des moments où les impératifs deviennent moins fréquents : c'est vers la fin du texte. Sans doute en 17, il y a encore "ouvre", sans doute en 20 il y a "bâtis", mais il y en a de moins en moins.
Autrement dit, quand nous lisons ce texte, nous commençons par être très impérieux. L'impératif ne nous gêne pas. Il y a même, à partir du verset 9 et jusque vers le verset 13 ou 14, une sorte d'amoncellement très dense d'impératifs, surtout si vous y ajoutez (je sais bien que ce ne sont pas des impératifs au sens grammatical du terme) des phrases en que : "que je", "que jubilent les os que tu as broyés". Il est clair que l’impératif donne le ton. Et même que les actions annoncées comme futures, par exemple : "j'enseignerai tes voies", "vers toi les pécheurs reviendront", même à celles-là, je leur sens une odeur d'ordre, je leur sens un parfum d'injonction, l'injonction que l'on s'adresserait à soi-même. Voilà autant d'actions qui sont à faire, que d'une certaine façon je m'impose de faire en parlant comme je fais, que je ferai, tu peux me croire, je m'en impose le devoir.
Celui qui parle n'entretient celui à qui il parle que de ce qu'il doit accomplir, lui l'allocutaire, et aussi ne l'entretient que de ce à quoi il s'engage à accomplir, lui, l'intervenant, le suppliant. Toujours ou fréquemment, comme si c'était une sorte de cantus firmus qui est là au fond de tout ce chant, toujours ou souvent la parole est proférée comme un ordre, ou du moins comme une demande que l'on adresse avec autorité. Car ne l'oublions pas, même quand il semble que l'on prie, quelle que soit l'humilité qui habite l'esprit, c'est à l'impératif que l'on prie.
Quand on a fait ce premier examen (et vous le ferez vous-mêmes avec plus de soin que je ne l'ai fait) on en vient à se dire : mais, est-ce que tout ne se passerait pas comme si celui qui parle avait des titres à parler comme il le fait et, corrélativement, est-ce que tout ne se passe pas comme si celui auquel il s'adresse était statutairement, constitutionnellement, établi dans une position où finalement, il va de soi qu'il entende des discours de ce genre ? Est-ce que tout ne se passe pas comme si l'intervenant était fondé à parler comme il parle et son interlocuteur, à entendre ce qui lui est dit et à obtempérer ? Oui, à obtempérer, à s'incliner devant ces discours impératifs et éventuellement impérieux, insistants. Voilà l'hypothèse que je vous propose d'accepter.
Dans un texte, tout est dit tout de suite. Un peu comme lorsqu'on prend la route, on sait tout de suite si l'on va vers le Sud ou vers le Nord. Oui, donc, tout est dit tout de suite, mais pour savoir que tout était dit tout de suite, et quel était ce tout, il faut avoir fait tout le parcours. Toujours est-il que nous pouvons, en vertu de ce principe de méthode, regarder à la loupe ce qui est dit tout de suite dès le départ. Qu’est-ce que nous voyons qui est dit tout de suite ? "Aie pitié de moi, selon ta fidélité, selon l'abondance de ta miséricorde efface mon forfait". Je m'arrête là. Ce qui est dit tout de suite, j'observe d'abord que ce sont des mots qui ne reviendront plus ; il ne sera plus jamais question de la fidélité, ni de l'abondance de la miséricorde de celui à qui on continue de s'adresser. Alors là, deux hypothèses : ou bien on n'en parle plus, parce que ce n'est pas important, ou bien on n'en parle plus, parce qu'on en a parlé assez. On en a parlé comme de ce qui est la loi constitutive, la règle d'après laquelle fonctionne le rapport entre celui qui parle et celui à qui on s'adresse. Quand vous dites, "selon" vous pourriez dire : conformément à, en vertu de, d'après. "Aie pitié de moi, Dieu, selon ta fidélité, selon l'abondance de ta miséricorde efface mon" péché. J'en appelle aux quasi clauses d'un contrat. Allez, je lâche le mot, mais nous y mettrons le plus petit "a" que nous pourrons – ne mettez pas un grand "A" - J'en appelle à l'alliance qui nous régit. Dès le début, celui qui parle invoque les titres qu'il a à parler à celui à qui il parle comme il lui parle. Alors, sans doute, ceci l'amène à lui dire: "Aie pitié de moi", à lui dire "efface mon forfait", à lui dire, en bégayant presque, en se répétant "lave-moi, lave-moi de ma faute, de mon péché purifie-moi", c'est vrai, mais l'attendu de ce discours c'est que statutairement, l'arc qui unit celui qui parle à celui à qui il s'adresse, c'est ce que notre texte traduit par fidélité, par abondance de la miséricorde.
Une traversée onéreuse, imparfaite, suggestive.
Je ne reviens pas sur l'abondance des impératifs. Je remarque simplement que "aie pitié" ne reviendra pas, tandis que "Dieu" (c’est le nom de l'interlocuteur auquel il s'adresse) reviendra. Pas très souvent, pas aussi souvent que "tu", "toi" . "Dieu" reviendra au verset 16 ; "Dieu" revient en 12 et "Dieu" revient en 16. "Dieu" revient mais on ne s'adresse plus à lui, en 19, "mon sacrifice à Dieu" : il se parle à lui-même ou à qui veut bien l'entendre et dans ce même verset de nouveau se rencontre "Dieu" comme celui à qui l'on parle. "Efface mon forfait", "efface", nous le retrouvons au verset 11 : "toutes mes fautes, efface-les". Quant au "forfait", il revient en 5, mais nous ne le trouverons plus ensuite. "Lave-moi, lave-moi", au verset 4, revient au verset 9 et ne reviendra plus. La "faute", elle va revenir au verset 7 : "vois ; dans la faute je fus enfanté", et puis la "faute" revient en 11 : "toutes mes fautes efface-les". On a l'impression qu'il a dit "forfait", qu'il a dit "faute" pour enfin mettre comme sur une rampe de lancement, le mot qui, lui, va revenir "et mon péché", "de mon péché purifie-moi". Le "péché", ça va revenir, en 4, en 5, en 6, en 7, en 9, en 11 "détourne ta Face de mes péchés" (ils sont même au pluriel), et puis dans le mot "pécheur", au verset 15. Cherchez, à partir de 16, vous ne trouvez plus "péché", il a disparu !
Tout se passe comme si d'avoir ainsi parlé comme il l'a fait en mettant dans ses mots, dans ses phrases, le mot péché et les autres, ça avait pour effet d'expédier le péché, de le faire sortir, de le mettre hors piste. Si, d' aventure, il fallait en parler pour que en en parlant, et surtout avec ces phrases à l'impératif, ça permettait de l'envoyer promener ? Vous réfléchirez à cela.
Maintenant, nous reprenons la charrue, la bêche et nous continuons à faire sortir, comme des mottes de cette terre, les mots. "Purifie-moi", il faut que je lui fasse un sort parce que ça revient au moins sous la forme "et je serai pur", au verset 9, et puis "un cœur pur", au verset 12. "Mon forfait" : j'observe au passage qu'il y a un "car", vous l'avez noté. Il y en aura d'autres, ça va revenir, je n'en dis pas plus. Il y a aussi le verbe connaître. "Car mon forfait, moi je le connais", comme au verset 8, "dans le secret tu me fais connaître la sagesse". "et mon péché est devant moi constamment. Contre toi, toi seul j’ai péché", je n'insiste pas sur le retour de ce "toi", j'en ai déjà fait état ; "ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait".
Ici, je veux vous avouer une faiblesse que j'ai commise : elle va vous amuser. Vous pensez bien que, quand j'ai vu "mal", je me suis dit : oh tu peux souligner le mot, car sûrement il va revenir. Or je me trompais, car je n'ai pas retrouvé le mot "mal". Si vous êtes obsédé par le souci que ce texte ait pour thème le mal, le forfait, le péché, et bien nous sommes ensemble. Donc, ne soulignez pas le mot "mal", il ne reviendra pas. Les "yeux", il faut que je le souligne ? Les "yeux" vont-ils revenir ? Non, non, sinon qu'il y aura "vois", ce qui pourrait nous conduire à retenir de ce passage l'importance des "yeux". N'en retenons que l'insistance sur 1a vision. "Vois", revient au verset 8, "vois, c'est la vérité que tu veux", et aussi "car tu ne veux pas", au verset 18.
Au point où j'en suis je peux faire une observation sur tous ces impératifs que nous avons lus. Je peux dire que efface, lave, ôte, lave, sont des impératifs pris à des verbes privatifs. Ils ne disent pas tous la même chose, mais enfin tous ces verbes signifient que l'on doit enlever, prendre à celui qui parle, ce sont des impératifs d'ablation. Vous voyez pourquoi je vous dis cela ? Parce qu'il va y avoir d'autres impératifs, mais qui auront une autre tonalité. "Fais-moi entendre l'allégresse et la joie", ce n'est pas tout à fait pareil. Il ne s'agit plus d'ablation, il s'agit de don, peut-être de restitution, je n’en sais rien. Et puis, même lorsqu'un impératif d'ablation revient, ce n'est plus pour que l'action envisagée m'arrache quelque chose, mais c'est pour que celui auquel je m'adresse se détourne, "détourne ta Face de mes péchés" : c'est sa Face qui a à se priver du spectacle de mes péchés.
Ici on arrive vers une zone sensible. Mais pour nous en convaincre, rappelons un principe de lecture, presque une lapalissade. Quand on entre dans un passage, on est encore loin de la sortie ; plus on y avance, plus on se rapproche de la sortie. Donc il doit y avoir un moment (comme dans un labyrinthe, ce moment n'est pas forcément au milieu) à partir duquel on va cavaler vers la fin. Depuis que je travaille comme je le fais là, je n’ai pas réussi à me fixer sur un mot qui désigne ce moment. Je vous indique le dernier que j'ai trouvé. Il y a un moment où l'on passe par un échangeur, un moment où le texte tourne.
"Ta face" va revenir "ne me rejette pas de devant ta Face", en 13. Avec "toutes mes fautes efface-les", il s'agit encore d'un impératif d'ablation, mais avec "crée pour moi", l'impératif est d'institution. "Crée pour moi Dieu, un cœur pur", et encore au verset 19, le cœur, "d'un cœur brisé". "Renouvelle en mon sein un esprit", et puis "ton esprit saint", et en 13, "d'un esprit généreux", enfin en 14 et puis en 19 "un esprit brisé". "Ne me l'enlève pas" : il y a encore des petits restes de l'impératif d'ablation. "Rends-moi l'allégresse de ton salut. D'un esprit généreux soutiens-moi". "Les rebelles", une seule fois nommés : on n'en parlera plus. "J'enseignerai tes voies et vers toi les pécheurs reviendront". Au revoir "péché" ! (ou adieu !) A partir de 15 c'en est fini. "Délivre-moi du sang". Il n'en sera pas question par la suite. "Dieu, Dieu de mon salut" : "salut", j'aurais dû le signaler tout à l'heure, au verset 14 : "l'allégresse de ton salut". Vous voyez au fond, on n'a jamais trouvé d'autres moyens pour avoir des idées que de faire attention aux mots.
Je voudrais vous faire observer que, pendant tout le début, il parlait de choses qui sont à lui. Qu'est-ce que c'était ? C'était "mon péché", c'était "mon forfait" , c'était "ma faute", c'était "ma mère". Il était présent, il en avait des choses à lui, à croire qu'il n'avait pas de corps à lui, mais, voilà que maintenant le corps, le sien, commence, si je puis oser cette image, à poindre dans le texte : "Que ma langue acclame ta justice, Seigneur ouvre mes lèvres et ma bouche publiera ta louange", et je rattache cela au "cœur", je n'oublie pas que le cœur, c'est aussi, c'est d'abord, que je sache, un élément du corps. "Tu ne veux pas de sacrifice". Le péché est parti, mais le sacrifice vient en force : 18, 19, "mon sacrifice", et puis "les justes sacrifices" , "la justice", "les justes sacrifices". "Si j'offre un holocauste", l"'holocauste" va revenir en 21, "tu ne l'agréeras pas. Mon sacrifice à Dieu, c'est un esprit brisé ; d'un cœur brisé, contrit, Dieu tu n'as point de mépris. Dans ta faveur, fais du bien à Sion". Voilà, il n'y a plus beaucoup de mots qu'on ait vus déjà.
"Bâtis les murs de Jérusalem", qu'est-ce que ça vient faire, "Sion", "Jérusalem" ? Si vous avez une édition annotée de la Bible, vous apprenez que ce texte a été trafiqué, qu'il n'allait pas si loin : on y a ajouté la fin. Il est vrai, très probablement, que ce texte a d’abord existé sous une forme plus brève jusqu'au verset 19. La mention qui y est faite de Sion, de Jérusalem est d'une autre main. Si nous considérons la genèse du texte, c'est très probable. Mais ce n'est pas la genèse que nous envisageons, c'est le texte tel qu'il est, tel qu'il nous arrive, tel que nous le recevons.
Nous trouvons enfin cette phrase bizarre, "alors sur ton autel monteront des taureaux". Et nous nous disons : qu'est-ce que viennent faire ces bêtes ?
Un texte qui a trop de sens.
Je suppose que le texte que nous avions lu, à travers lequel nous étions passés tout à heure, n'est plus tout à fait le même pour vous.
Peut-être même êtes-vous dans un moment d'incertitude, parce que vous vous dites : décidément, en effet, ce texte, nous risquions de le simplifier outrageusement au départ, à la première lecture. Or, maintenant, il s'en va dans tous les sens. Si vous avez cette impression, j'en suis très content, parce qu'elle me permet maintenant de vous rappeler un des principes de cette lecture . c'est de nous aider à découvrir, on s'en doutait, qu'un texte a toujours du sens, mais qu'un texte n'a pas un seul sens, qu'un texte n'a pas non plus seulement plusieurs sens : il a du sens, il n'en a pas un seul, il n'en a pas non plus seulement plusieurs, mais il en a trop.
Quand on passe du premier à ce dernier propos, et qu'on dit qu'un texte a trop de sens, on dit quelque chose qui est d'un autre ordre que quand on dit qu'il a du sens, un sens ou
à
plusieurs. Cela signifie que le texte, puisqu'il a trop de sens, est ressenti comme immaîtrisable. Quand on dit qu'il a trop de sens, on ne se met pas au point de vue de Sirius, mais on se place au-dedans de lui... On voudrait le dominer, comme si on le voyait, comme si on était en face de lui. Mais on n'y arrive pas. C'est une expérience prodigieuse, parce que nous sommes tous tant soit peu portés à maîtriser. Pourquoi sommes-nous portés à maîtriser, à vouloir maîtriser ? Mais parce que devant un texte, nous voulons répondre à la question : mais qu'est-ce qu'il signifie ? Qu'est-ce qu'il veut dire ? Au fond, il ne suffit pas que nous le lisions, il ne suffit même pas de l’avoir remué en tous sens. Nous voulons pouvoir en faire un objet de communication entre nous. Nous voulons pouvoir en parler entre nous, en discuter et, pour pouvoir en discuter entre nous, il faut que nous arrivions a nous entendre, au moins provisoirement, sur ce qu'il veut dire et que nous puissions dire : - Mais tu vois bien qu'il veut dire ça, ce texte, tiens, regarde... Et puis l'interlocuteur nous dira : - Mais non, il veut dire autre chose ! - Il veut dire autre chose ? Prouve-le moi ! - Tiens, regarde !
Quand nous arriverons à dire : ce n'est pas impossible qu'il veuille dire ça, nous le dirons à la fois avec assurance et avec beaucoup d'humilité. Nous dirons : il veut dire ça, il peut vouloir dire cela, ou plus exactement, il peut nous amener à dire cela, il nous le fait dire, même, quand nous le lisons mais il y a encore certainement beaucoup d'autres choses qu'il nous fait dire, qu'il nous permet de dire, et que nous n'avons pas encore découvertes !
En somme, nous voulons ajouter des phrases à des mots et nous dire entre nous ce que ça veut dire, parce qu'il y a une sorte d'esprit dans le texte, dans la lettre du texte, qui veut sortir. Alors, nous allons dire : ça veut dire ça, mais en même temps nous dirons : ça veut aussi dire autre chose. Mais, comme nous ne pouvons dire qu'une chose à la fois, nous allons en dire une, nous allons essayer de découvrir qu'en effet, ça se justifie, ce que nous disons qu'il nous fait dire, et puis nous dirons : que d'autres fois encore on le lise, et puis on découvrira autre chose, qui ne contredira sûrement pas, pas du tout, ce que l'on a dit et qui sera pourtant autre chose encore !
De la succession dans le texte à la logique du texte.
Alors, comment s'y prendre ? Et bien, une des façons de s'y prendre c'est de se rappeler que, si un texte nous permet de ne pas faire du sur-place, si nous ne restons pas sur le seuil, si nous arrivons jusqu’à cet autre seuil qu'est la sortie, bref, si nous avançons dans le texte, c'est parce qu'il y a dans le texte des mots spécialisés dans l'avancement, dans la promotion si je puis dire, des mots dont c'est la fonction de faire mouvoir le texte. C'est Baudelaire qui avait décerné ce titre d’"anges du mouvement" aux verbes. Les verbes, c'est ce qui, dans un texte, empêche de rester sur-place. Le substantif, lui, il nous fait faire du sur-place. L'adjectif, il n'est pas sans importance, mais il met du badigeon sur la statue.
Il y a des verbes qui sont peu mouvants : le verbe être, par exemple, et aussi paraître, sembler, devenir... Tout ça ne fait pas beaucoup mouvoir, c'est plutôt statique. Et puis, il y en a d'autres au contraire, quel que soit leur sens, qui apportent de la pulsion, qui meuvent le texte. Action, ça veut dire pousser. Une action, c'est une poussée. L'action, on va la trouver dans certains verbes, plus que dans d'autres. Pas du tout dans le verbe être ou dans le verbe avoir, ni sembler, ni devenir, mais beaucoup dans le verbe revenir, par exemple, dans le verbe monter, ou bien même dans les verbes dont le sens est moral.
Il y a encore d'autres choses à dire à propos des verbes. Il y a des verbes qui sont de bons et braves verbes, par exemple, lave-moi, lave-moi, vois, efface. Sans doute. Mais ils sont à l'impératif. Oh, si tous les textes que je traverse, au lieu d'être des jets, comme ces impératifs, racontaient des histoires ! Alors, là, on serait à l'aise. Mais, et c'est un fait, tous les textes ne racontent pas des histoires. C' est très intéressant, quand un texte dit "Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu". Là, on a une histoire rapide. Mais ça n'est pas comme "Viens, vois, vaincs". Autrement dit, il y a des textes mélangés : on y trouve tout, on y trouve des impératifs, et puis aussi des verbes, qu'on verrait bien dans un récit.
Et puis, un récit, même s'il est horrible, est rassurant, parce qu un récit vous dit ce qui s'est passé. Il peut vous raconter des histoires abominables, tristes, lamentables. Mais que c'est reposant. Et pourquoi est-ce reposant ? Parce c'est fait, ce n'est plus à faire, c'est chose faite. Alors, pour chercher ce qu'un texte fait dire quand on le traverse, je vais vous donner un tuyau : essayez de voir dans un texte tout ce qui, de près ou de loin, le rapproche d'un récit, essayez de détecter, comme si vous aviez un radar, dans le texte, tout ce qui peut permettre une sorte de transformation en récit parce que, à ce moment là, il y a eu ceci, puis il y a eu cela, et puis il y a eu cela encore. Après cela, au lieu de vous contenter de mettre les actions à la queue leu leu, vous allez poser la question : qu'est-ce que cela veut dire ? Vous comprendrez alors que vous ne pouvez pas vous contenter de les mettre à la queue leu leu. Vous allez vous dire : quel est le rapport entre un et deux, lequel n'est pas seulement de succession. Dans le récit, le rapport est de succession mais la simple phrase "qu'est-ce que cela veut dire ?" amène à arracher les deux moments à l'ordre de simple succession. Et puis après, nous reposerons la question : quel est le rapport entre deux et trois, et le rapport entre trois et quatre, etc. Autrement dit, on est obligé de passer de la chronologie à la logique.
On ne se rend pas compte de ce qui arrive quand on pose cette petite question "qu'est-ce que cela signifie ?". De lecteur qu'on était, on devient un intellectuel. A Saint-Philippe, ce soir je vais lire l'Évangile. Supposez que, après avoir fermé le livre de l'Évangile, je vous raconte encore l'histoire, vous direz : On attend de lui, non pas qu'il nous raconte autrement ce qu'il vient de nous raconter, on attend qu'il nous dise ce que cela veut dire et, si je me mets à raconter de nouveau, le contrat n'est pas tenu. Songez ainsi à toutes les histoires que vous pouvez vous raconter, que vous pouvez entendre raconter. Quand vous dites : mais qu’est-ce que ça veut dire ?, vous passez de la situation de narrateur à la situation d'intellectuel, de quelqu'un qui cherche à comprendre ce que ça veut dire.
Le texte "réduit".
Mais trêve de généralités. Revenons au Miserere.
Je vais tracer la série des verbes par lesquels nous passons. Vous allez voir qu'il va suffire de la figurer, cette série, au tableau, pour qu'aussitôt nous ayons des idées qui nous monteront à la tête. Je laisse provisoirement de côté les impératifs et je retiens pour le premier moment "Je le connais" : "mon forfait, moi je le connais". Le verbe qui vient aussitôt après c'est : ce qui est mal à tes yeux "je l'ai fait". Déjà j'observe une différence : il y a un présent, "je le connais", et puis "je l'ai fait". Je reprends, j'en ai oublié un : après "je le connais" , c'est "J’ai péché", "Je l’ai fait", et puis je passe à "je fus enfanté" et ensuite à "ma mère m'a conçu". Alors, si vous permettez, je vais décrocher cette phrase par rapport aux précédentes. Pourquoi ? Parce qu'il ne s'agit plus de moi, ou du moins de moi acteur, de moi sujet. C'est "ma mère" qui est le sujet. Et puis, nous en venons à "c'est la vérité que tu veux", et enfin, "tu me fais connaître".
| je le connais | ||||||
| j'ai péché | ||||||
| je l'ai fait | ||||||
| je fus enfanté | ||||||
| ma mère m'a conçu | ||||||
| tu veux | ||||||
| tu me fais connaître | ||||||
Nous observons qu'il y a une série en "je" et une série plus courte en "tu". Dans cette série en "je" , j’observe qu'il y a "j’ai péché", "je l’ai fait" et "Je fus enfanté". "Ma mère m'a conçu" est un verbe qui me met, autrement que les précédents, à l'intérieur d'un récit. Quand je dis cette phrase, je ne m’exclus pas, puisque je parle de moi, d’une certaine façon, en disant "ma" mère. Mais "ma mère", c'est quelqu'un dont je parle et je ne suis pas dans la même position de parole que lorsque je dis "je le connais", "j’ai péché" qui sont autant de propos dans lesquels c'est moi qui parle de moi. Ici, je parle d'une mère qui se trouve être la mienne, sans doute, mais il y a une sorte d'objectivation plus grande que dans les phrases précédentes.
Peut-être que des observations de ce genre vous font comprendre ce que je proposais de façon encore un peu abstraite lorsque je vous disais tout à l'heure : il s'agit sans doute de faire attention au contenu de chaque propos, mais surtout d'observer les relations que chaque énoncé entretient avec les autres.
Qu'est-ce que nous rencontrons ensuite ? Puisqu'il est convenu que je laisse tomber - mais je ne les oublie pas - tous les impératifs ou assimilés, je passe du "tu me fais connaître" qui est au verset 8, jusqu’au verset 15 "aux rebelles j'enseignerai". C'est encore "je", mais j'ai abandonné le "tu". "Vers toi les pécheurs reviendront", je mets cette phrase en décroché par rapport aux précédentes, un peu pour la même raison que pour "ma mère m'a conçu". Je vous dis pourquoi : parce que ici, bien que ce soit un futur, je me trouve devant un énoncé dans lequel ma subjectivité n'intervient pas. Au fond, je suis moins présent ici, du moins en apparence, que je ne le suis encore là. Mais il y a quelque chose de commun entre ces deux énoncés. Je parle de quelqu'un : d'abord de ma mère, mais ici, je parle des pécheurs.
Ensuite, j'ai une phrase qui est un peu du même type que "ma mère m'a conçu" : "ma bouche publiera ta louange". Ici, bouche est à la place de mère, mais il s'agit de ma bouche, comme là il s'agit de ma mère.
Venons-en au verset 18 et à la suite : "tu ne veux pas de sacrifices, si j'offre un holocauste, tu ne l'agréeras pas", "tu n'as point de mépris", "tu te plairas" (je reviendrai sur cette série en "tu"), et enfin, "alors sur ton autel monteront des taureaux". Bien sur, je vais retenir comme remarquable "monteront des taureaux". Pourquoi ? Parce que "monteront des taureaux", si étrange que son contenu me paraisse être, est une phrase aussi objective que celle que j'avais rencontrée ici :"les pécheurs reviendront". Je m'explique : dans ces deux phrases, je ne suis pas présent, alors que dans les autres, objectives, elles aussi, je suis encore tant soit peu impliqué "ma" bouche, "ma" mère.
| j'enseignerai | |||||
| les pécheurs reviendront | |||||
| ma bouche publiera | |||||
| tu ne veux pas | |||||
| tu ne l'agréeras pas | |||||
| tu n'as point de mépris | |||||
| tu te plairas | |||||
| monteront des taureaux | |||||
Quelles observations peuvent encore être faites sur cette série ?
Je peux observer que j'ai de nouveau une série en "tu", mais une étrange série en "tu". Pourquoi étrange ? Parce que dans cette série en "tu", à la différence de tous les autres moments, j'ai trois phrases négatives. Or je vous invite à réfléchir sur ce qui se passe lorsque, dans un discours, j'introduis une phrase négative. Je parle pour dire quelque chose qui n'est pas. Parler avec une phrase négative, n’a rien à voir avec une phrase qui ne comporte pas la négation. Car lorsque je dis, par exemple, "monteront des taureaux", ou "ma bouche publiera" ou "les pécheurs reviendront", je parle en étant censé dire ce qui se produit, s'est produit ou se produira. Quand je parle sans négation, c'est comme si je faisais arriver dans mes paroles un événement que j'enregistre, pour le présent, pour le passé ou pour le futur tandis que toute phrase négative, bien qu'il n'y ait pas "je" ou "me" , est une phrase très subjective. C'est moi qui le dis, ce n'est pas forcément faux, mais si vous voulez, on pourrait commenter ainsi ces phrases : tu ne veux pas, tu n’agréeras pas, tu n'as point de mépris, je le sais bien.
Donc, dire "tu ne veux pas, tu n'agréeras pas, tu n'as point de mépris ", ce sont des propos hautement subjectifs. Non seulement ils n'enregistrent pas un fait, que celui-ci soit réel ou fictif, mais ils sont là, comme la mention que je fais de quelque chose que je tiens à dire et que je choisis parmi d'autres choses éventuellement. Ils marquent fortement l'intervention de celui qui parle.
Vous voyez représenté sur ce tableau ce que j'appelais la succession des différents moments. C'est donc là-dessus que je vais avoir à travailler pour répondre à la question "qu'est-ce que ça veut dire?" C'est cette succession que je vais avoir à transférer d'un discours où des propositions sont à la suite les unes des autres, à un discours où je vais essayer de décrypter le rapport qu'il y a entre les différents moments. Et très particulièrement, c'est sur ces quatre moments encadrés que je vais travailler pour répondre à cette question, parce que là, j'ai quelque chose qui s'apparente à un récit où l'objectivité l’emporte : "Ma mère m'a conçu... les pécheurs reviendront... ma bouche publiera... et... alors monteront des taureaux".
Ce qui nous empêche de faire cela souvent, c'est notre volonté d'arriver très vite, sans trop travailler, à un sens. Parce que nous faisons attention au contenu, nous nous disons : mais quel rapport y a-t-il entre "ma mère m'a conçu", "les pécheurs reviendront", "ma bouche publiera", "monteront des taureaux". Le contenu de ces propositions est jugé, je le sens, et non sans raison, comme hétéroclite, donc, je répugne à les mettre à la suite. Pourtant, c'est là-dessus que je vais travailler.
Travail sur le texte "réduit".
En ce point, je me dis : il y a un début, il y a une fin dans la traversée du passage, et c'est assez pour me signifier qu'il y a trois moments essentiels dans une traversée. N'allez pas croire que pour des raisons mystérieuses ou mystiques je cherche à exalter le nombre trois. Non, si je parle de trois, c'est par commodité. Si je parle de trois c'est pour signifier : il y a une entrée, il y a une sortie, et il y a un espace entre l'entrée et la sortie. De même que lorsque je dis : il y a le Père, le Fils et le Saint Esprit, je peux faire l'addition et je peux dire trois, mais je sais bien que ça ne fait pas trois, je sais bien qu'il y a celui qu'on appelle le Père, qu'il y a celui qu'on appelle le Fils et qu'il y a celui qu'on appelle le Saint Esprit. Si je les additionne, je dis trois. Mais ce à quoi je m'attache, c'est à : il y a un Père, il y a un Fils, il y a un Esprit. Depuis toujours, les théologiens disent : ce qui importe quand il s'agit de ce Dieu -là, ce n'est pas le nombre, mais ce sont les noms. En réflexion trinitaire, on ne s'intéresse pas au nombre, on s'intéresse aux noms, c'est-à-dire aux positions. Pareillement ici : si je retiens un, deux, trois, ce n'est pas par culte du trois, c'est simplement parce que je me dis : il y a un moment qui commence, un moment intermédiaire et un moment qui termine. Ceci est très, très important.
Revenons donc à notre texte, et demandons-nous : dans ces propositions, quels sont les candidats à être un, à être deux et à être trois ? J’ai un candidat de trop ! Comment vais-je faire la sélection. Je vais la faire en fonction de l'objectivité la plus forte. C'est-à-dire qu'a priori je vais dire : "ma mère m'a conçu", est moins objectif que "monteront des taureaux". Pourquoi ? Parce qu'il y a "ma", parce qu'il y a "me". Mais, par un autre coté, c’est plus objectif. Pourquoi ? Ça a l'objectivité de la chose arrivée. Prenons d'autres exemples : "ma bouche publiera". Même appréciation que pour "ma mère m'a conçu". C'est moins objectif que "ma mère m'a conçu", ça y ressemble pourtant, car il y a "ma bouche", qui est comme "ma mère", mais c'est futur ! Prenons maintenant, "les pécheurs reviendront". C'est plus objectif et que "ma bouche publiera" et que "ma mère m’a conçu", plus objectif, parce qu’il n'y a pas "me", mais c'est au futur.
On peut contester ce principe d'objectivité maximale. On peut aussi reconnaître qu'en l'admettant, on décide de toute une philosophie de la lecture. Mais ce n'est pas le lieu aujourd'hui d'ouvrir ce débat. Ce qui est sûr c'est que si j'accepte ce principe, j'adopte la série suivante
- ma mère m'a conçu
- les pécheurs reviendront,
- monteront des taureaux,
Si j'écarte ma bouche publiera c'est à cause de "ma" et du futur, deux traits qui s'ajoutent pour rendre moins "objective" cette phrase en comparaison de celles que je retiens.
Continuons. Je vois que la première phrase se distingue des deux autres en ce qu'elle est au passé, et en ce qu'elle est la seule à porter référence au sujet qui parle. Je propose donc de la mettre à part et de considérer que les deux autres s'opposent à elle, d’une certaine façon. D’où le schéma suivant :
Où se trouve "ma mère m'a conçu" ? Cette phrase se trouve au verset 7. Les pécheurs reviendront forme la deuxième partie du verset 15 ; l'autre, constitue la deuxième partie du verset 21. Regardez ce qui se passe et n'oubliez jamais, que, quand je dis "ce qui se passe", je le dis au sens le plus fort du mot : par où nous passons, pas seulement ce qui arrive. Au verset 15, vous avais-je dit, c'est là qu'on en a fini avec le mot "péché" : le mot "pécheur" est la dernière mention de tout ce qui est, de près ou de loin, rattaché au péché. Après cela, il n'y en aura plus. Alors, je propose que nous arrêtions les deux premiers moments du texte à la fin du verset 15. Après vient le troisième moment.
J'observe que depuis le début, se trouve un fragment où "ma mère m'a conçu" est enclavé par le verbe connaître : "je le connais", "tu me fais connaître". Je propose que 3 – 8 constitue le premier moment. Maintenant je prête attention à tout ce que j'ai écarté provisoirement à partir du verset 9 jusqu'au verset 15 compris. J'ai un moment où, je le disais en passant tout à l'heure, il y a une extrême densité d'impératifs et surtout où les impératifs vont tourner de l'impératif d’ablation à l'impératif de position, d'affirmation. C'est là que je lis ces ordres positifs : "fais-moi entendre", "que jubilent les os". C'est vraiment un moment critique, c'est là que, même lorsqu'il y a des impératifs d'ablation, ils ne me concernent plus, ils concernent celui auquel je m'adresse "détourne ta Face de mes péchés, toutes mes fautes efface-les" , échos encore comme le "lave-moi" (au verset 9) du premier temps. Il y a comme une sorte de tresse entre ce qui a été dit au début et la nouveauté qui apparaît : "crée pour moi, Dieu, un cœur pur, renouvelle en mon sein un esprit affermi". Je vois apparaître, en outre, mon corps, discrètement d'abord : avec "les os que tu as broyés", pour autant que ces os, présentés d'une façon générale désignent les miens. Et s'il est vrai que nous voyons encore "mes péchés" comme il y avait "mon péché" nous voyons apparaître avec "mes péchés", et "mes fautes", d'abord "mon cœur" : "crée pour moi un cœur pur", et puis "mon sein" et aussi la mention de "l'esprit". Nous sommes là dans une sorte de sas : il y a encore le péché, les fautes, mais arrive le cœur, arrive l'esprit.
L'esprit apparaît. Il va revenir dans la suite : "ne me rejette pas de devant ta Face, ton esprit saint, ne me l'enlève pas". Jusqu'alors, il y avait bien quelque chose du corps de celui à qui on parlait : c'étaient ses yeux : "ce qui est mal à tes yeux". Maintenant, c'est "ta Face, ton esprit saint". "Rends-moi l'allégresse de ton salut, d'un esprit généreux soutiens-moi, aux rebelles j'enseignerai tes voies et vers toi les pécheurs reviendront". Moment d'échange : on vient du péché ou de la faute, conçus comme étant miens, comme m'appartenant. Au fond, je n’étais que ma faute, ma faute était à moi, ma faute était mienne, j'étais presque ma faute. On passe de là à quelque chose qui marque que je n'ai pas seulement ma faute : j'ai aussi un corps, "mon sein". Et puis lui, auquel je m'adresse, il est capable de me faire un "cœur pur". Surtout, il a, lui, une "Face", il a un "esprit saint" : "ton esprit saint, ne me l'enlève pas, rends-moi l'allégresse de ton salut, d'un esprit généreux soutiens-moi". Il a, lui, des "voies" qui sont à lui, "j'enseignerai tes voies et vers toi les pécheurs reviendront".
Vous multiplierez, si vous en avez le loisir et le goût, toutes les observations qui peuvent être faites pour distinguer le premier moment, qui est un moment où je m'identifie à ma faute et à mon péché à tel point d'ailleurs, que ma mère m'a conçu dans le péché. Je ne suis d'abord que péché. Or, je suis en train d'en décoller. Mais si j’en décolle, si je cesse de m'identifier au péché, c'est parce que, dans le même temps, je m'adresse à lui, à Dieu, non plus pour lui dire de m'enlever quelque chose, même si, dans cette partie il y a encore des propos de ce genre, mais positivement, pour lui dire de me donner de lui-même, de me donner quelque chose de lui et que lui, dans le même temps, ne soit plus obsédé, comme s'il avait le regard collé par mes fautes : "ne me re jette pas de devant ta face, rends-moi l'allégresse de ton salut". Et puis surtout, c'est le moment où je commence à parler des autres : "aux rebelles j'enseignerai tes voies". Quel solipsisme, quelle solitude dans le premier moment ! Solitude à deux si vous voulez, avec celui à qui je m'adresse, mais vraiment il n'y en a que pour lui et pour moi, pour moi avec lui. En revanche, à la fin de ce moment vraiment médian, et pas seulement médian, mais médiateur je dis : "aux rebelles j'enseignerai tes voies et vers toi les pécheurs reviendront".
Qu'est-ce que je vois apparaître dans le deuxième moment ? Très concrètement, un mouvement : "vers toi les pécheurs reviendront", ce qui n'est pas sans rapport avec le mouvement qui en découlerait, puisqu'il le suit, qui est la montée des taureaux. "Les pécheurs reviendront" car il y aura des chemins, "J'enseignerai tes voies et vers toi les pécheurs reviendront". Prenons le mot, la phrase au pied de la lettre, "j'enseignerai tes voies". Formule merveilleusement ambiguë. J'allais dire : aux rebelles j'enseignerai comment ils doivent se conduire. Ça, n'est pas exclu, mais pourquoi ce ne serait pas : aux rebelles j'enseignerai comment tu te conduis? Pourquoi je ne ferai pas savoir aux rebelles qu'il y a communication entre toi et eux ? Pourquoi cette idée me vient à l'esprit ? D'abord parce que "j'enseignerai, tes voies" ne me permet pas de décider ; "tes voies" désigne aussi les chemins qui sont les tiens. Mais, plus profondément, parce que j'ai commencé à ouvrir la bouche, dans la première partie même, en disant "aie pitié de moi", en suivant, selon, dans "ta fidélité", dans, selon ou conformément à, ou dans la ligne de "l'abondance de ta miséricorde". Qu'est-ce que c'est que "tes voies" ? C'est qu'il y a abondance de miséricorde. Il y a fidélité et, pour cette raison, "et vers toi les pécheurs reviendront". Alors, je me dis : quelque chose a dû se passer là, le deuxième moment est le moment qui résiste. Quelque chose a dû se passer, mais quoi donc ?
Où vais-je situer ce qui s'est passé ? D'une certaine manière "les pécheurs reviendront", est en fin de deuxième partie. C'est donc entre 9 et 15 que ça s'est passé. Le moment le plus agréable dans une lecture comme celle que nous faisons, c'est celui où l'on se dit : je vais arriver à trouver le passage dans le passage, le passage dans le passage du passage, le cœur du cœur du cœur du cœur. "Aux rebelles j'enseignerai tes voies et vers toi les pécheurs reviendront" ! Qu'on le prenne comme un futur qui annonce ce qui se passera ou, comme je vous le disais en commençant, comme une sorte de manière encore de parler à l'impératif (je m'engage à ce qu'ils reviennent) on se dit : c'est avant que ça s'est passé !
Alors ? Oh, ce n'est sûrement pas avec le "ôte mon péché", "lave-moi", Pourquoi ? Parce que ça ressemble beaucoup à ce qui se disait au début. Dans ce deuxième moment, on a encore des souvenirs du premier, littéraux même : "lave-moi", et puis "péché", "je serai pur", "Fais-moi entendre l'allégresse et la joie, que jubilent les os que tu as broyés" ? On brûle, on brûle. "Détourne ta Face de mes péchés, toutes mes fautes effaceles" ? On retombe encore... Oh, c'est passionnant ! Vous savez, à ne pas lire comme ça on se prive d'un plaisir, pas seulement intellectuel, croyez-moi, mais vraiment spirituel. Donc, je croyais que c'était avec "fais-moi entendre... que jubilent..." et puis patatras, on revient en arrière. Alors ? "Crée pour moi Dieu un cœur pur, renouvelle en mon sein un esprit affermi", "ne me rejette pas loin de ta Face". Ça sent encore, moins que ce qui précède, le souvenir de ce qu'il ne faut pas faire. "Ne me rejette pas de devant ta Face, ton Esprit saint, ne me l'enlève Pas," ? Tant qu'il y a encore une négation, on reste dans la prière d'ablation. Qu'est-ce qui reste ? "Rends-moi allégresse de ton salut, d'un esprit généreux soutiens-moi". Ça y est. On est arrivé au cœur du cœur de ce passage.
Lorsque dans notre première approche du texte je parlais du thème possible du texte et que je vous disais : il est question du péché, il est question du pardon, je vous avais fait observer que du pardon, si vous cherchez bien le mot, il n'en est pas question. Je ne veux pas dire que Dieu ne pardonne pas, mais - et c'est tout autre chose ! - que nous pouvons observer comment le pardon a prise dans le texte. Il n'arrive pas sous la formule : tu me pardonneras, tu m'as pardonné. Le pardon arrive sous les espèces de ce que je demande à Dieu. "Rends - moi l'allégresse de ton salut, d'un esprit généreux soutiens-moi... "
C'est le moment où arrive quelque chose qui n'est pas prévu. Jusqu'alors, j'en demandais, des choses, mais c'étaient des demandes d'écarter, d'enlever, de retrancher, de purifier, de laver. Et puis est venu "Rends-moi l'allégresse de ton salut, d'un esprit généreux soutiens-moi". Entre cette dernière phrase la plus forte, et la suivante, j'aimerais mettre comme un grand blanc, comme si ce qui est fait n'était pas mentionnable. On ne voit jamais que des effets. Et les voici : "Alors aux rebelles j'enseignerai tes voies et vers toi les pécheurs reviendront". Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu pardon. Mais je dis : il n'y a pas eu mention du pardon, il y a eu accueil du pardon, il n'est pas mentionné, il est exercé, il est agi, il est, je ne dis même pas reçu, car reçu c'est encore trop passif, il est, oui, exercé, pratiqué, agi aussitôt : "aux rebelles j'enseignerai tes voies et vers toi les pécheurs reviendront".
Vous allez me dire : c'est étrange vous avez commencé par travailler sur la section intermédiaire, sur le moment médiateur. Oui c'est vrai, parce que c'est le plus intéressant ! C'est celui qu'il ne faut pas manquer. Le moment médiateur par un côté, et encore pardonnez-moi si je vous dis une lapalissade, regarde vers le premier et, par un autre, il regarde vers le dernier le troisième. Nous avons vu à satiété qu'il regardait vers le premier. Mais peut-être ne vous ai-je pas assez montré comment il regardait déjà vers le troisième. Il regarde vers le troisième ne serait-ce que parce que vous y avez le mot "salut" qui va arriver très vite au début du troisième. Vous y avez le mot "esprit", qui va revenir très vite lui aussi au verset 19 : "un esprit brisé". Vous y avez "le cœur" qui n'était pas dans le premier moment. Beaucoup des choses nouvelles qui sont dans le deuxième moment vont se retrouver dans le troisième.
Quand il en appelle à Dieu par son aveu, le pécheur est acquitté; il devient alors témoin devant tous, et est remplacé sur l’autel du sacrifice. Par quoi ? Par qui ?
Qu'est-ce qui se passait donc dans le premier moment ? D'abord, comme je l'ai signalé, l'énoncé des termes du contrat, des clauses de l'alliance. Mais, surtout, se produisait un geste que je vous propose d'appeler un appel comme d'aveu. C'était cet appel comme d'aveu que j'avais formulé quand je vous avais dit lapidairement : j'ai péché, et alors Situation de péché, mais appel, appel au sens juridique : j'en appelle à toi en vertu du pacte qui nous lie et appel au sens que nous donnons à ce mot, non pas dans le droit, mais dans notre vie la plus ordinaire : appel, cri. Oui, je m'identifie à ce que je suis, je ne suis que ça, et alors ? Et toi, qu'est-ce que tu vas faire ? Je suis ma faute, mon forfait, moi, je le connais, mon péché est devant moi constamment ; mais si j'ai péché, c'est contre toi, toi seul, c'est une affaire entre toi et moi, mais j'en appelle à toi en vertu de ta fidélité, de l'abondance de ta miséricorde. "Contre toi, toi seul j'ai péché, ce qui est mal à tes yeux je l'ai fait". Dont acte. Comme ça tu peux être content, je suis bien d'accord, tu as raison quand tu parles, tu es sans reproche quand tu jugeras. Quand tu parles, tu as raison de reconnaître que j'ai péché : moi aussi je le dis, de sorte que tu es sans reproche quand tu juges. Oui, je suis de ton côté, tu sais, et si je dis "contre toi, toi seul j'ai péché", c'est pour que tu le saches bien : je reconnais que tu as raison quand tu parles, que tu es sans reproche quand tu juges, c'est pour cela que je le dis, je ne le dis pas pour m’accabler, je le dis pour constater l'état des lieux.
J'essaie de vous développer mon "et alors". Appel comme d'aveu, plaidoirie d'un coupable : vois, dans la faute je fus enfanté, dans le péché ma mère m'a conçu (vous comprendrez ça comme vous voudrez : en raison de l'ambiguïté du texte, vous regarderez ce que l'on appelle pudiquement l'œuvre de chair comme un péché, ou bien vous comprendrez : quand elle m'a conçu j'étais déjà fait pécheur, comme vous voudrez). Celui qui parle se loge dans son péché, il se confond avec et jusqu'à la racine. "Vois ; dans la faute je suis enfanté... Vois ; c'est la vérité que tu veux au fond de l'être, dans le secret tu me fais connaître la sagesse": Appréciation dans son discours du discours qu'il est en train de tenir : tu veux la vérité au fond de l'être, ça y est, je viens de la dire ! C'est ça que tu veux ? Et bien, je le dis ! Mais oui, aveu de culpabilité et surtout, appel comme d'aveu d'un coupable.
Après cet appel, je vais me trouver dans la situation d'un coupable devenu témoin mais acquitté. Acquittement d'un coupable devenu témoin. En d'autres mots, ce que nous appelons le pardon de Dieu n'existerait pas sur cette terre s'il n y avait pas des gens acquittés, s'il n'y avait pas des gens qui font, ont fait, n'arrêtent pas de faire l'expérience de leur acquittement, ou alors, nous faisons du pardon de Dieu une idée. Or le pardon n'est pas une idée, si haute, si grande soit-elle, parce que le pardon est ici et maintenant. Je vais vous dire encore une lapalissade : il n'existe que dans l'existence de gens pardonnés et devenus témoins. Témoins de quoi ? Mais, à la fois, du fait qu'ils étaient coupables et du fait qu'ils sont acquittés. Si, d'aventure, il n'y avait plus des gens comme ça,... mais c'est comme s'il n'y avait plus de pardon nulle part. "J'enseignerai tes voies aux rebelles et vers toi les pécheurs reviendront" c'est ce qui découle, dans le deuxième moment, de l'expérience qui a commencé dans le premier, mais qui est à la fois prolongée et dépassée.
Dans le troisième moment, je peux dire que j'ai un corps et un corps qui ne va pas être brûlé, un corps et un cœur qui seront remplacés sur le bûcher : "Délivre-moi du sang, ô Dieu, Dieu de mon salut. Que ma langue acclame ta justice" : ta fidélité, ta miséricorde sont maintenant appelées justice. "Seigneur ouvre mes lèvres et ma bouche publiera ta louange": je n'aurai à la bouche que des paroles de félicitation, que des paroles de louange, et ,je ne croirai pas que tu veux que je sois broyé. Ces petites phrases négatives, comme elles prennent du sens si vous les rapprochez de "c'est la vérité que tu veux au fond de l'être, dans le secret tu me fais connaître la sagesse" ! Ainsi le troisième moment répond au premier, le développe et le prolonge en un écho qui le résout ! Je vais te la dire la sagesse que je suis en train d'apprendre : "tu ne veux pas de sacrifice, si j’offre un holocauste, tu ne l'agréeras pas ! Mon sacrifice à Dieu" (vous voyez, il ne lui parle plus, moment d’interruption étrange dans tout ce texte, où il s’arrête de lui parler) "Mon sacrifice à Dieu, c'est un esprit brisé". Pour ça, j'ai fait ce qu'il faut : il l'est ! Or "d'un cœur brisé, contrit, Dieu, tu n'as point de mépris" (contrit, ça signifie frotté, raboté). Cela, je le sais, mais je tiens à te le redire. Aussi, je peux te demander (et l'impératif reprend) "fais du bien à Sion, bâtis les murs de Jérusalem". Sion, Jérusalem : des collectivités apparaissent. "J'enseignerai tes voies et vers toi les pécheurs reviendront": tu ne bâtis jamais qu'une cité dans laquelle il y a des gens qui reviennent de ce qu'ils étaient. Dans ta faveur, fais du bien à moi, bien sûr, qui suis le témoin, mais aux autres aussi. Il n'y a pas d'autres populations en humanité, que des pécheurs qui se reconnaissent acquittés. "Dans ta faveur, fais du bien à Sion, bâtis les murs de Jérusalem, alors tu te plairas aux justes sacrifices, holocauste, offrande totale".
Que seront les justes sacrifices ? Que sera l'offrande totale ? Ça sera le sacrifice, la consomption jusqu'au bout. De quoi ? De quelqu'un qui prend la placé du cœur brisé, du cœur contrit. Les bêtes sont des substituts, ici. Quelqu'un prend la place ! Ce texte, mais c'est un procès qui se termine par le non-sacrifice de l'acquitté-témoin. Sacrifice d'autres. Ce sont des taureaux qui prennent sa place...
Cette dernière partie est faite de deux affirmations qui paraissent contradictoires. "Tu ne veux pas de sacrifice, si j'offre un holocauste, tu ne l'agréeras pas". Je ne peux pas offrir d'holocauste devant toi. "Mon sacrifice à Dieu, c'est ce que j'ai dit, c'est un esprit brisé, or d'un cœur brisé, contrit, Dieu, tu n'as point de mépris". Donc, je fais ce que j'ai à faire, mais ce que j’ai à faire ne peut pas conduire à ma destruction. Tu n'as rien à faire de mon holocauste. Cependant, tu attends le sacrifice et le sacrifice, pour peu que je veuille bien ne pas m'imaginer que je peux le faire, il se fera, mais ça n’est pas moi qui serai sur l'autel, "alors tu te plairas aux justes sacrifices, holocauste, offrande totale ; alors sur ton autel monteront des taureaux". Je ne serai pas le taureau immolé.
Le sacrifice que j'ai à faire, c'est cet esprit brisé. Mon sacrifice, c'est mon péché avoué ! Mon sacrifice, c'est ma faute, c'est mon forfait, en tant qu'avoués. Mon aveu est ma façon de brûler mon péché et je n'ai pas à en chercher d'autres. Si je peux être acquitté et témoin sans être sacrifié, c'est parce que des bêtes viennent à ma place ! Tout, dans un texte, signifie, mais c'est dans le texte que cela signifie. Ici, les taureaux signifient celui qui n'est pas le coupable. Voilà, ce que signifie le mot taureaux ici, dans le texte : le taureau, c'est le sacrifié qui n'est pas le coupable, puisque le coupable après l'appel comme d'aveu, est témoin de l’acquittement dont il bénéficie et qu'il annonce à tous.
Nice, mars 1993