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 Ne vous affligez pas et ne pleurez pas 

«Tout le peuple se rassembla comme un seul homme sur la place qui est en face de la Porte des Eaux, et ils dirent à Esdras, le scribe, de faire venir l’écrit de la Loi de Moïse que IHVH avait établie pour Israël. Esdras, le prêtre, fit venir la Loi en face de la Convocation – des hommes, des femmes aussi et tous ceux qui ont l’intelligence pour écouter –, au premier jour du septième mois. Il proclama en elle en face de la place qui est en face de la Porte des Eaux, depuis la lumière jusqu’au milieu du jour, devant les hommes, les femmes et ceux qui ont l’intelligence. Les oreilles de tout le peuple (étaient) sur l’écrit de la Loi. Esdras, le scribe, était debout sur une tour de bois qu’ils avaient faite pour l’événement, et se tenaient à côté de lui Mattitia, Shéma, Anaia, Ouriyya, Hilqiyya et Maaséia, à sa droite, et, à sa gauche, Pédaya, Mishaël, Malkiyya, Hashoum, Hasbaddana, Zacharie et Meshoullam. Esdras ouvrit l’écrit aux yeux de tout le peuple, car il était au-dessus de tout le peuple et, quand il l’ouvrit, tout le peuple se mit debout. Esdras bénit IHVH, le Dieu, le grand, et tout le peuple répondit: «Amen! Amen!», mains élevées, et ils s’inclinèrent et se prosternèrent pour IHVH, narines contre terre. Josué, Bani, Shérébia, Yamin, Aqqoub, Shabtaï, Hodiyya, Maaséria, Qelita, Azaria, Yozabad Hanân, Pelaia, et les Lévites firent entrer le peuple dans l’intelligence de la Loi, et le peuple se tenait debout. Ils proclamèrent dans l’écrit, dans la Loi de Dieu, distinctement, et ils mirent du sens: ils eurent l’intelligence dans la proclamation. [Néhémie, lui, l’Excellence,] Esdras, le prêtre-scribe, [et les Lévites qui faisaient entrer le peuple dans l’intelligence], dit à tout le peuple: «Ce jour est consacré à IHVH, votre Dieu. Ne vous affligez pas et ne pleurez pas!» Car tout le peuple pleurait en écoutant les événements de la Loi. Il leur dit: «Allez, mangez du gras et buvez du doux, et envoyez des portions à qui n’a rien de prêt pour lui. Car ce jour est consacré à notre Seigneur. Ne vous attristez pas, car la joie de IHVH, c’est elle votre forteresse!»


Néhémie VIII, 1-10

Vous lisez ici: «il proclama en elle». Pourquoi? Parce que nous avons affaire à un verbe qui, sans doute, peut signifier «lire» mais qui, d’abord, exprime le cri, la profération à haute voix. C’est pourquoi, j’ai préféré proposer: «il proclama en elle», dans la Loi, en laissant entendre qu’il fit une proclamation par morceaux choisis, et non par lecture continue et intégrale.

Autre remarque du même ordre. Il «fit venir la Loi en face de la Convocation». J’aurais pu traduire: en face de l’assemblée. Je ne l’ai pas fait, parce que le texte commence par «Tout le peuple se rassembla». Or, le mot qui désigne l’assemblée n’a pas du tout la même racine que le premier, qui évoque le fait de se réunir. Quant au terme qui désigne l’assemblée, il dérive d’une racine qui signifie appeler, convoquer.

«Tous ceux qui ont l’intelligence pour écouter». Je ne suis pas ravi de la traduction que j’ai proposée. «Tous ceux qui ont l’âge de raison», traduit-on la plupart du temps. Mais justement, il ne s’agit pas de cela exclusivement. Il s’agit de tous ceux qui ont l’ouverture d’esprit pour écouter. Vous voyez ainsi comment écouter vient ici en série avec proclamer, avec convocation. Dès le départ, il y a tout un réseau de termes qui dirigent notre attention vers la parole proférée, distincte d’un autre ordre, qui est l’écrit.

Vous avez certainement été surpris de lire: «ils dirent à Esdras, le scribe, de faire venir l’écrit de la Loi de Moïse». Pourquoi n’ai-je pas dit «le livre»? C’est à cause du scribe que je n’ai pas mis le livre! C’est parce que la racine est la même dans le «scribe» et dans l’«écrit». Or, en français, dans «scribe», nous entendons encore le mot «écrit». Je ne doute pas qu’il s’agisse d’un livre. Mais le livre est présenté sous sa formalité d’écriture, si je puis dire, et non pas sous son aspect d’ensemble constitué.

Un autre mot va vous surprendre: «Esdras, le scribe, était debout sur une tour de bois qu’ils avaient faite pour l’événement». Vous vous dites: pourquoi ne pas traduire tout simplement par «pour la circonstance»? Cela aurait été beaucoup plus coulant. Vous observez qu’un peu plus bas, nous retrouverons le même mot: «Car tout le peuple pleurait en écoutant les événements de la Loi». Le mot, dans le texte hébreu, signifie, inséparablement, la chose et la parole. Je me suis rabattu sur ce mot «événement», même s’il est un peu surprenant la première fois qu’on le rencontre, en lisant: «une tour de bois qu’ils avaient faite pour l’événement». Et, quand nous le rencontrons pour la deuxième fois, nous nous disons: mais pourquoi ne pas mettre «les paroles»? Ceci nous fait pressentir que les paroles de la Loi ne sont pas à entendre comme des mots: elles sont à écouter comme des faits qui arrivent. Nous ne sommes pas simplement devant une série de textes législatifs, et la Loi, dont il est fait état ici, ne se réduit pas à des mots.

Quoi encore? Je vous ferai observer qu’à un autre moment, il s’agit des Lévites qui «firent entrer le peuple dans l’intelligence de la Loi». La traduction est peut-être un peu violente. J’aurais pu traduire: «qui rendaient le peuple intelligent de la Loi». J’ai voulu marquer qu’il y avait une action très forte. Nous retrouvons une nouvelle fois l’expression «ils proclamèrent dans l’écrit». Le texte propose «dans l’écrit,''''dans la loi de Dieu». Je n’ai pas voulu corriger le texte, même si on peut estimer qu’il y a ici une surcharge. Entendons: la proclamation se fait à partir de l’écrit, qui est, en l’occurrence, la Loi de Dieu.

Ils sont en train de «proclamer» dans cet écrit, dans la Loi de Dieu, en y mettant des différences, «distinctement». Certains traduisent :«ils proclamèrent la Loi de Dieu en la traduisant». D’autres sont beaucoup plus prudents. Nous ne savons pas en quoi consiste cette distinction, disent-ils, mais ce qui est sûr, c’est qu’il devait y avoir d’abord une présentation confuse, et puis venait une explication. Bref, il y a une opération de distinction qui culmine dans le verbe qui suit: «ils y mirent du sens». Le résultat, c’est que ceux qui entendaient «eurent intelligence dans la proclamation.» Jusqu’alors, ils n’y discernaient rien, elle était purement et simplement reçue, non pas digérée.

Le texte qui suit est très composite. C’est pourquoi j’ai mis certains mots entre crochets. Il semble bien, en effet, que l’on doive lire tout simplement: «Esdras, le prêtre-scribe, dit à tout le peuple».

Voilà les remarques que je voulais vous faire. Elles tiennent à ce qu’il y a de plus littéral dans ce texte. Mais nous pressentons que cette attention à la lettre va probablement nous conduire assez loin.

*

Nous sommes étonnés qu’ils aient commencé par demander que l’on fasse venir la Loi de Dieu, et que, pour finir, ils se soient mis à pleurer. En réfléchissant, nous perdons notre étonnement. Nous sommes tentés de dire que puisque on leur apportait la Loi de Dieu, ils ont dû découvrir qu’elle était dure, qu’elle était insupportable. Voilà pourquoi ils se sont mis à pleurer! Où prend-on cela dans le texte? Nulle part. Le texte ne nous dit pas: s’étant rendu compte de l’austérité de la Loi de Dieu, ils se sont mis à pleurer.

Il y a plus simple. C’est vrai, ils ont «demandé» d’eux-mêmes, tous comme un seul homme. Personne ne s’y est opposé. Ils ne faisaient qu’un. Ils ont demandé d’avoir la Loi de Dieu comme loi constitutive de l’organisme qu’ils forment (comme un seul homme!). Ils ont demandé que la Loi de Dieu soit l’armature qui les fait vivre.

Or, quand l’événement s’est produit, il y a une réaction d’affliction, incompréhensible, étonnante, et dont on ne nous donne pas la raison. Cette tristesse ne sera dissipée que par la parole d’Esdras, qui révèle à ces hommes, à ces femmes, et à tous ces gens capables de saisir quelque chose, que ce qui leur est donné les fait vivre, est comme une fête pour eux, qui doit s’accompagner d’un repas plantureux et bien arrosé.

Bref, nous découvrons, en lisant le texte au raz des mots, que la Loi de Dieu est une véritable source. N’étaient-ils pas en un endroit où les eaux passaient, à «La Porte des Eaux»? Quand elle arrive au plus intérieur, lorsqu’elle est assimilée, cette Loi de Dieu, lorsque la proclamation s’en fait de plus en plus distincte, lorsque cette Loi se révèle comme ayant du sens, alors se produit l’affliction. Autrement dit, rien n’est plus éprouvant que le sens, que de devenir soi-même le vecteur de la Loi. Passer du stade d’une assemblée déjà organique, mais seulement organique, à une assemblée irriguée par la Loi de Dieu, c’est pourtant ce qu’ils demandent. Ils demandent que l’écrit, non seulement devienne parole, mais qu’il aille plus loin que la parole, qu’il se confonde avec leur propre intelligence.

Quant au scribe, il fait en sorte de n’être pas seul à être debout. Tous ceux qui écoutent se mettent debout eux aussi: «le scribe était debout sur une tour de bois''''une tour de bois qu’ils avaient faite pour l’événement» Il «ouvrit l’écrit aux yeux de tout le peuple, car il était au-dessus de tout le peuple et, quand il l’ouvrit, tout le peuple se mit debout». La position debout n’est pas un privilège, le scribe n’est debout que pour que les autres se dressent, partagent avec lui cette même surrection.

Esdras continue, tout le peuple s’écrase: «se prosternèrent pour IHVH, narines contre terre». N’oublions pas qu’ils étaient là comme un seul homme: «les oreilles de tout le peuple étaient sur l’écrit de la Loi». Il y avait non seulement des oreilles, mais aussi des yeux. Il «ouvrit l’écrit aux yeux de tout le peuple». Il y a maintenant les «narines» et «les mains élevées». Se constitue, en filigrane, une sorte de corps humain. Les oreilles, les yeux, la main, le nez. Il n’y manque que le sens. Quand le sens arrive, quand on est passé de l’écrit à la profération verbale, de la profération verbale, à l’ingestion intellectuelle, spirituelle, morale, le drame survient. Car rien n’est plus éprouvant.

Seule peut dissiper l’affliction cette parole d’Esdras : «Ce jour est consacré à IHVH, votre Dieu. Ne vous affligez pas et ne pleurez pas!». Et tout se termine par: «la joie de IHVH, c’est elle votre forteresse!» Vous ne saviez pas ce que vous demandiez en demandant que la Loi du Seigneur soit conduite jusqu’à vous, devienne l’ossature de l’homme unique que vous constituez. Car vous demandiez alors, sans le savoir, d’avoir accès à une joie qui vient d’un autre, qui n’est pas issue de vous-mêmes. La joie du Seigneur, c’est elle votre forteresse. S’ils pleurent, c’est parce qu’ils sont introduits à une joie réelle, mais qui leur est donnée, qui n’est pas l’effet de ce qu’il y a en eux-mêmes. Ils demandent d’être comme étaient leurs ancêtres, mais ils ignorent où va les conduire leur demande.

*

«Ils dirent à Esdras, le scribe», et puis, aussitôt après, Esdras est présenté comme le prêtre: «Esdras, le prêtre, fit venir la Loi en face de la Convocation». Un peu plus bas, quand revient Esdras, il n’est plus mentionné que comme scribe: «Esdras, le scribe, était debout». Plus loin, il n’y a plus qu’Esdras, tout seul: «Esdras ouvrit l’écrit». Et enfin il est appelé «prêtre-scribe».

Le scribe, c’est celui qui sait lire. De ce fait il peut remplir bien des fonctions. En tout cas, il est défini par sa fonction de lecteur. Les autres, ou bien ne savent pas lire ou bien attendent qu’il lise. Mais que fait-ilen lisant? En lisant, il consacre; en lisant, en faisant passer à d’autres, il fonctionne comme un prêtre. Mais, finalement, il est comme un autre, lorsque les autres se mettent debout comme lui. C’est au moment où on nous dit qu’il ouvrit l’écrit aux yeux de tout le peuple, qu’on nous dit simultanément: il était au-dessus. Mais, quand il l’ouvrit, tout le peuple se mit debout, comme lui-même était primitivement debout. Alors il devient un parmi les autres. C’est tellement vrai d’ailleurs qu’on lui donne des assesseurs, à droite, à gauche. Il devient quelqu’un comme les autres au moment où les autres accèdent à ce qu’il leur transmet. A la fin, il méritera d’être mentionné comme prêtre-scribe lorsqu’il délivre le message décisif, lorsqu’il fait savoir au peuple que ce jour est consacré au Seigneur, et qu’il n’y a donc pas à s’affliger, mais au contraire à se réjouir: une rencontre a eu lieu avec le Seigneur, et elle va se manifester par un festin joyeux. Tout cela, loin d’être anémiant, est nourrissant. Il faut donc que tous ceux qui n’ont rien à manger en reçoivent quelque chose. «Allez, mangez du gras et buvez du doux, et envoyez des portions à qui n’a rien de prêt pour lui.» Dès que la présence du Seigneur, sous les espèces de la Loi, sous les espèces de ce qui permet de vivre, est arrivée à quelqu’un, il n’y a pas de raison qu’on le garde pour soi.

Autre observation encore. Il est fait mention du jour : «Il proclama en elle en face de la place qui est en face de la Porte des Eaux, depuis la lumière jusqu’au milieu du jour». La mi-temps est évoquée. «Au premier jour du septième mois». Faites le compte: septième mois, s’il y en a douze, premier jour du septième mois. Ce jour, cette mi-temps, est consacré au Seigneur. Et ce sera répété! «Car ce jour est consacré à notre Seigneur». Autrement dit, au milieu du temps, quand il reste encore du temps à vivre, arrive cette présence de la Loi du Seigneur, qui doit réjouir.

Nous saisissons toute l’équivoque de l’événement qui se produit au milieu de ce récit. «Esdras bénit IHVH, le Dieu, le grand et tout le peuple répondit "Amen! (autrement dit: d’accord!) mains élevées, et ils s’inclinèrent et se prosternèrent pour IHVH, narines contre terre. Ils y passent tout entiers. Ils s’écrasent, comme je le disais tout à l’heure. Mais quand on tire les conséquences de cet écrasement, lorsqu’on découvre qu’il y a quelque chose à comprendre, c’est à ce moment-là qu’il y a comme un deuil. Ils vont pleurer, comme des gens qui auraient perdu quelque chose d’important. Aussi le message final sera-t-il pour leur dire: «vous n’avez rien perdu, ou si vous avez perdu quelque chose, songez à ce que vous avez obtenu: c’était ce que vous aviez demandé, mais vous ne saviez pas que c’était cela que vous demandiez.»

18 janvier 2001

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