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Ils achoppaient sur lui

«Et il sortit de là, et il vient dans sa patrie, et ses disciples le suivent. Et, le sabbat arrivé, il commença à enseigner dans la synagogue. Et la plupart, en l'entendant, étaient frappés : «D'où lui vient cela ? disaient-ils. Et quelle est la sagesse qui lui a été donnée ?... et ces grands actes de puissance qui arrivent par ses mains ? N'est-ce point là le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, et de Joset, et de Jude, et de Simon ? Et ses soeurs ne sont-elles pas ici chez nous ?» Et ils achoppaient sur lui. Et Jésus leur disait qu'un prophète n'est sans gloire que dans sa patrie, et dans sa parenté et dans sa maison. Et il ne pouvait faire là aucun acte de puissance, sauf qu'il guérit quelques infirmes en posant les mains sur eux. Et il s'étonna à cause de leur incrédulité.»


Marc VI, 1-6

Avant de faire la traversée de ce passage, je vous propose une considération très simple. La voici : si quelqu'un savait tout de moi, il n'aurait plus rien à attendre de moi. A supposer que quelqu'un connaisse parfaitement mon identité, tout ce que je suis, de ce fait, entre nous, il n'y aurait plus cet arc tendu qui est la parole que nous pouvons échanger, une parole qui établit entre nous une relation où du nouveau peut advenir sans cesse. Voilà ce sur quoi je vous laisse réfléchir tout au long de la traversée de ce passage.

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«Et il sortit de là, et il vient dans sa patrie, et ses disciples le suivent». Il sort pour entrer quelque part. Il était ailleurs que là où il va se trouver. Il vient d'au-delà des limites dans lesquelles il accepte maintenant de se trouver contenu. Or, il vient, non pas n'importe où, mais il vient là où il est né, là d'où il est issu. Il vient dans sa patrie.

Nous apprenons en même temps que cette venue est accompagnée. Elle est accompagnée de gens qui sont qualifiés comme ses disciples. Il n'y a pas besoin de chercher bien loin pour entendre ce que peut signifier disciple : disciple, c'est celui qui est à l'école, c'est celui qui a quelque chose à apprendre. Ainsi, tout de suite, dès l'entrée dans ce passage d'Evangile, nous sommes avertis qu'il y a certainement quelque chose à apprendre. Et nous sommes d'autant plus inquiets de cette leçon qui va nous être donnée, que nous avons compris qu'il y a déjà quelque chose d'énigmatique dans cette sortie d'un endroit dont on ne nous dit rien, et de cette venue qui est qualifiée comme le lieu d'où il vient, où il est né.

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«Et, le sabbat arrivé, il commença à enseigner dans la synagogue». Nous apprenons par deux termes (celui de «sabbat», et celui de «synagogue») qu'il est entré dans un lieu religieux, un lieu aussi où l'on se rassemble - vous savez bien que c'est le sens même du mot synagogue -, un lieu marqué religieusement encore par la date même à laquelle on s'y rassemble, le sabbat. Il commence à enseigner. C'est un début. Il pose un acte initial, premier, et cet acte consiste à enseigner. Or quel enseignement va-t-il donner ? Voilà ce qui doit éveiller notre attention.

Se trouve-t-il accueilli dans la synagogue ? S'y trouve-t-il détenu ? Comment va se produire le premier surgissement de son enseignement ? Sa parole sera-t-elle accueillie ? sera-t-elle captive ?

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«Et la plupart, en l'entendant, étaient frappés : "D'où lui vient cela ? disaient-ils. Et quelle est la sagesse qui lui a été donnée..., et ces grands actes de puissance qui arrivent par ses mains".» La plupart étaient heurtés. Car ses paroles, non seulement touchent, mais d'une certaine façon, attaquent. Demandons-nous d'ailleurs si ce n'est pas le propre d'une parole, pour peu que ce ne soit pas une parole vide, pour peu que ce soit une parole pleine, pleine comme une balle, de toujours frapper, de toujours heurter.

Ces gens s'interrogent sur d'où ça vient, comme si, ce qui était dit, là, ne pouvait pas être enfermé par le lieu où c'est dit, pas même dans le personnage qui parle. Ce ne sont pas du tout ce qu'on appellerait des paroles verbales. Ce sont des paroles puissantes, tellement puissantes qu'elles font quelque chose.

Or il faut se protéger des paroles qui ont de l'effet. Il faut tenter d'en réduire l'impact. «N'est-ce point là le charpentier, le fils de... le frère de... et ses soeurs ne sont-elles pas ici chez nous ?» Le voilà ramené à un point de l'espace, à sa carte d'identité.

Rappelons-nous : si quelqu'un savait tout de moi, il n'aurait plus rien à attendre de moi.

Nous lisons ensuite d'une autre façon ce que nous avons lu tout à l'heure, mais avec une précision supplémentaire : «Et ils achoppaient sur lui». Tout à l'heure ils étaient frappés : maintenant ils se cognent à lui. Ils achoppaient parce qu'ils étaient sans doute bien embarrassés. Ils savaient tout sur lui, et pourtant ils venaient de faire l'expérience, parce qu'ils l'avaient écouté, que sa parole disait encore autre chose que tout ce qu'ils pouvaient savoir.

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Jésus vient à leur aide, «Et Jésus leur disait qu'un prophète n'est sans gloire que dans sa patrie, et dans sa parenté et dans sa maison». Tout à l'heure, on était seulement dans la patrie, maintenant s'y ajoute la parenté, la maison. La précision augmente. Les murs se resserrent. Or si je dis que Jésus leur vient en aide, c'est parce qu'il leur dit : «Mais, enfin, vous savez bien, qu'un prophète n'est sans gloire que chez lui. C'est une vérité d'expérience, ce n'est pas moi qui vous l'apprends. En d'autres mots, c'est toujours chez vous, chez nous, là où nous avons notre patrie, notre parenté et notre maison qu'il y a des prophètes méprisés. Ils ne peuvent être méprisés que chez eux. Le propre du monde familier, pas seulement de la famille, mais des amis, des communautés, c'est précisément que les prophètes y soient sans gloire». Or s'il leur vient en aide, c'est parce qu'en leur rappelant cette vérité d'expérience il insinue ceci : «Si ça pouvait faire exception, si d'aventure aujourd'hui vous faisiez mentir le dicton ?»

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«Et il ne pouvait faire là aucun acte de puissance, sauf qu'il guérit quelques infirmes en posant les mains sur eux». Je ne sais pas si vous avez remarqué l'étrangeté de cette phrase. Car par certains côtés, elle ne tient pas debout. A la rigueur, ça peut avoir un sens si on se dit : oui, il n'a pas été bien loin, il aurait pu en faire plus, puisque quelques infirmes seulement ont été guéris. Mais pourquoi dire : «Il ne pouvait faire là aucun acte de puissance», alors que, tout de même, il a fait quelques guérisons. Est-ce que ces guérisons ne sont pas des actes de puissance ?

Après avoir été attentifs à cette énigme, nous pouvons essayer de la lever. Il suffit de lire le dernier verset : «Et il s'étonna à cause de leur incrédulité». Si nous pouvons apprendre qu'il n'a fait aucun acte de puissance sauf de guérir, c'est que sa puissance, ç'aurait été que les gens qui étaient là aillent jusqu'à lui faire confiance, jusqu'à croire. Sa puissance ne s'est pas exercée, en effet, car la puissance de Jésus ne va jusqu'au bout d'elle-même que lorsque nous lui donnons notre foi. Il aurait été jusqu'au bout de sa puissance si ceux qui étaient là avaient cru. Mais l'incrédulité l'a bloqué.

Ce n'est pas une situation tellement étonnante. Lorsque quelqu'un parle et se met tout entier dans ce qu'il dit, prononce des paroles pleines, si celui qui les entend n'y croit pas, je ne dis pas que ses paroles se vident, mais ses paroles restent en chemin, s'arrêtent en route.

Vous avez sans doute rencontré de ces situations-là. C'est le cas par exemple, quand nous sommes en position de témoin. Prenez un événement simple, un accident de la route. Vous étiez là, vous avez vu, vous ne pouvez que raconter ce que vous avez vu. Mais vous vous trouvez en face de quelqu'un qui n'en croit rien. Nos paroles, à ce moment-là, ont beau être chargées : la réponse qu'elles attendent, c'est d'être crues. Si elles ne sont pas crues, leur puissance se trouve suspendue.

30 juin 1994

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