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 Vous exultez pourtant d’une joie ineffable 

«Béni le Dieu et père de notre Seigneur Jésus Christ, qui, selon son abondante miséricorde, nous a fait renaître pour une espérance vivante par la résurrection de Jésus Christ d'entre les morts, pour un héritage qui ne peut se corrompre, ni se souiller, ni se flétrir, et qui est réservé dans les cieux pour vous, qui, dans la puissance de Dieu, êtes gardés, par la foi, pour un salut prêt à se révéler dans un dernier moment. En quoi vous exultez, même si pour un peu, présentement, il faut avoir été attristés en des épreuves variées, afin que votre foi vérifiée - plus estimable que l'or, qui périt, et qui est pourtant vérifié par du feu - soit trouvée pour louange et gloire et estime dans la révélation de Jésus Christ, lui que, sans l'avoir vu, vous aimez, en qui, sans le voir présentement, en ayant foi, vous exultez pourtant d'une joie ineffable et déjà glorifiée, portant en vous la fin de la foi, le salut de vos âmes.»


1 Pierre I, 3-9

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Peut-être n'avons-nous pas été attentifs à l'étrange tonalité des verbes qui composent un mode d'emploi. Il arrive très souvent que ces verbes soient à l'indicatif, et à un indicatif qui nous implique : vous prenez le couvercle de cette façon, vous tournez à droite ou à gauche, vous appuyez. Si j'attire votre attention sur les verbes utilisés dans les modes d'emploi, c'est parce qu'ils révèlent quelque chose d'assez singulier. Ils sont à l'indicatif, dirions-nous si nous avions à les analyser. Mais, c'est un indicatif bien particulier. Il ne pointe pas vers ce que nous faisons. C'est un indicatif qui signale ce qu'il y a à faire, qui nous le fait connaître, ce n'est pas un indicatif qui décrit ce que nous faisons, et, pourtant, il se présente comme s'il faisait un relevé de ce que nous sommes en train de faire. Cet indicatif tire plutôt du côté d'un impératif : faites, tournez dans ce sens, appuyez. Mais l'impératif, tel que je viens de l'énoncer, n'est pas utilisé. Bref, nous percevons qu'il y a une façon étrange de parler : un indicatif qui est prégnant d'un ordre, d'une injonction, et qui ne se contente pas de reproduire la réalité.

J'ai tenu à commencer par ces considérations pour que nous saisissions la singularité du ton du passage que nous travaillons ce soir.

Vers le milieu, nous lisons : "En quoi vous exultez" et puis, un peu plus bas, "lui que, sans l'avoir vu, vous aimez, en qui, sans le voir présentement, en ayant foi, vous exultez pourtant d'une joie ineffable". Ces verbes, qui sont chacun au présent de l'indicatif, me paraissent relever de ce que j'ai appelé il y a un instant l'indicatif prégnant d'un ordre. Ainsi ce texte se présente un peu comme un mode d'emploi. Un mode d'emploi de quoi ? De la vie.

En prenant ce passage sous cet aspect, nous sommes à l'abri de deux écueils. En effet, ce qui est présenté là, nous sommes parfois tentés de l'entendre comme une annonce qui vient satisfaire une attente, ou bien, à l'opposé, nous pouvons lire et entendre ce passage comme une annonce encore mais, en définitive, dont nous n'avons rien à faire.

J'insiste beaucoup sur ces deux attitudes préalables qui sont plus enracinées qu'on ne croit dans notre esprit. Tout homme, pense-t-on, est dans l'attente d'une vie qui ne passe pas, d'une vie éternelle. Or, l'annonce qui est faite embraye, si je peux dire, sur cette attente, vient la combler. Mais, du même coup, on se rend tout à fait incapable de saisir l'attitude opposée, qui consiste à dire : annoncez donc une vie éternelle, mais celle-ci me suffit, je n'ai rien à attendre au-delà de cette vie. Je voulais réveiller en nous ces deux attitudes, pour que nous saisissions comment ce texte se situe par-delà chacune d'elles et même par-delà leur opposition.

Nous lisons ici un mode d'emploi de l'existence humaine : voilà ce qu'il y a à faire pour vivre. Qu'importe, en un sens, que cela vienne apaiser une attente ou qu'au contraire, on adopte une attitude d'indifférence ou de rejet. Il y a, dans ces indicatifs gros d'un ordre, une invitation qui ressemble à ce qui est présent dans les modes d'emploi : si vous voulez vous servir comme il faut de l'existence, voilà comment vous y prendre !

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"Béni le Dieu et père de notre Seigneur Jésus Christ". Dès le premier mot, nous trouvons appliqué ce que je viens de vous signaler. Tout se passe comme si Pierre disait : c'est un fait que béni est le Dieu et père de notre Seigneur Jésus Christ. Il fait part de cette opinion à ceux auxquels il s'adresse. Il l'énonce comme un fait qui lui paraît aller de soi. Il y a lieu de dire du bien de celui qui est le Dieu et père de notre Seigneur Jésus Christ.

"Dieu et père". D'emblée, nous sommes introduits dans un registre qui est à la fois religieux et parental : il est le Dieu et père de celui que nous reconnaissons comme notre Seigneur et qui a nom Jésus Christ.

Pourquoi y a-t-il lieu d'en dire du bien ? C'est en raison de ce qui s'est passé : "qui, selon son abondante miséricorde, nous a fait renaître pour une espérance vivante". Je disais tout à l'heure que le registre était celui de la parenté. Ce registre se poursuit puisque aussi bien, maintenant, la renaissance est affirmée. La renaissance de qui ? De nous. Toute la suite du texte sera adressée à vous mais celui qui parle se considère comme atteint par l'événement et, cet événement, il le développe à l'usage de ceux auxquels il s'adresse. C'est l'événement d'une renaissance, c'est-à-dire d'un passage par la mort, suivi d'une autre naissance. Ce passage par la mort l'a concerné lui-même et ceux auxquels il s'adresse. Désormais, c'est chose faite, nous sommes passés à une vie où déjà la naissance est venue une nouvelle fois. "qui, ... nous a fait renaître pour une espérance vivante". Le mode selon lequel cette vie se présente est celui d'une espérance, non pas qui fait vivre, mais qui est vive, qui est vivante.

En d'autres termes, la façon dont se développe cette vie qui a succédé à la mort est l'espérance. Elle est la manière d'être de cette nouvelle vie qui a connu la mort. Et ce qui est intervenu pour que nous passions à une vie qui espère, c'est ce que Pierre appelle "la résurrection de Jésus Christ d'entre les morts".

Vous sentez comment ce registre de la parenté, proche de celui de la vie, est très important ici : ce qui est vécu par nous, pour une espérance vivante, est en nous le fruit d'un passage de la mort à la vie dont Jésus Christ a bénéficié.

Nous voyons s'imbriquer deux discours au moins : un discours qui porte sur ce qui est arrivé à Jésus Christ, la résurrection d'entre les morts, et un autre discours, qui porte sur le fruit ou l'application de ce qui est arrivé à Jésus Christ. Impossible de séparer cette renaissance, qui destine à une espérance qui est elle-même vie et, d'autre part, la résurrection de Jésus Christ d'entre les morts.

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Dieu nous a fait renaître "pour un héritage qui ne peut se corrompre, ni se souiller, ni se flétrir, et qui est réservé dans les cieux pour vous". Quand on parle d'héritage, ce n'est plus tout à fait de vitalité qu'il est question. Il s'agit plutôt de ce que l'on reçoit parce que quelqu'un a disparu, parce que quelqu'un est mort. Ainsi, l'héritage, d'une autre manière, rappelle la mort. On n'hérite que de quelqu'un qui n'est plus là.

"Pour un héritage qui ne peut se corrompre, ni se souiller, ni se flétrir". Pour bien entendre la portée de ces qualifications, je serais tenté d'ajouter : pour un héritage qui, lui, ne se peut corrompre, ni se souiller, ni se flétrir. Il y a bien eu, puisqu'il y a héritage, passage par la mort, mais, avec l'héritage, c'en est fini de tout ce qui pourrait ressembler à corruption, souillure ou flétrissure.

"Et qui est réservé dans les cieux pour vous". L'espérance, elle est vivante, elle est la manière dont nous sommes nés une deuxième fois, elle n'est pas l'héritage, puisque aussi bien l'héritage est ce que l'espérance peut attendre. Cet héritage est ainsi réservé pour ce que nous pourrions appeler une autre vie encore. ça en fait trois : il y a celle que nous avons quittée en renaissant et donc en passant par la mort ; il y a celle de l'espérance ; et puis, une autre encore, mais sans que nous ayons à passer, cette fois, par la mort, puisque aussi bien cette espérance est incapable de se corrompre, de se souiller, de se flétrir.

Y a-t-il une troisième manière de vivre ? Voilà la question à laquelle nous sommes conduits au point où nous en sommes de notre traversée. Nous serions tentés peut-être, au point où nous en sommes, de répondre "oui" et donc d'adopter l'hypothèse des trois vies. Or nous allons observer que c'est cette hypothèse des trois vies qui va être radicalement mise en cause, et aussitôt.

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"Qui est réservé dans les cieux pour vous, qui, dans la puissance de Dieu, êtes gardés, par la foi, pour un salut prêt à se révéler dans un dernier moment". Phrase extrêmement dense. Dieu, qui avait été mentionné dès le début, revient maintenant et, c'est sa puissance qui est évoquée : sa puissance a réalisé en vous une garde et cette garde reçoit un nom, c'est la foi.

En d'autres mots, s'il n'y a pas de troisième mode d'existence, c'est parce que déjà, par la foi, cette manière d'exister dans laquelle nous sommes entrés en renaissant est présente. La foi est, en vous, la présence active de la puissance de Dieu. S'il y a un temps de la foi, ce n'est pas parce que la foi serait insuffisante, mais c'est parce que cette foi est chargée de puissance : elle est comme une chose pleine qui va pouvoir éclater et aussi faire éclater ce dont elle est elle-même pleine. S'il y a quelque chose, en revanche, qui ne s'est pas "révélé", c'est une vie où l'on serait sain et sauf. Or, ce salut, toute la suite de ce passage, a pour effet d'en faire apparaître la simple présence déjà dans la foi.

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Vous vous rappelez les deux attitudes que j'avais typées dès le départ. On peut, d'une part, lire ce texte en se disant : voilà que les attentes humaines sont satisfaites. Et puis, autre attitude : nous n'avons rien à faire de satisfaire les attentes humaines car ce que nous vivons nous satisfait pleinement. Si nous réinjectons maintenant la pensée de ces deux attitudes au point où nous en sommes, nous comprenons ceci : gardés dans la foi par la puissance de Dieu, nous ne pouvons pas entendre ce passage comme s'il venait combler nos attentes, mais nous ne pouvons pas davantage l'entendre comme une annonce dont nous n'aurions rien à faire. Ce passage nous dit quelque chose d'infiniment plus simple : il faut que vous fassiez avec la foi dans laquelle vous êtes, dans laquelle vous vous trouvez.

"En quoi vous exultez". Mais non ! je n'exulte pas ! dira quelqu'un. Rappelons-nous ce que je vous disais au début sur la modalité de ces indicatifs étranges. Est-ce qu'il faut entendre : en quoi vous devez exulter. Ah ! voilà bien l'ordre que je veux envoyer promener : je n'en ai rien à faire de cette injonction à l'allégresse ! Mais c'est par-delà l'opposition de ces deux attitudes, vous disais-je tout à l'heure, qu'il faut entendre ce verbe. Vous ne le saviez pas ? Mais vous exultez ! Dans la foi, je vous le fais savoir, vous êtes dans l'allégresse !

"Même si pour un peu, présentement, il faut avoir été attristés en des épreuves variées" (et nous voyons ici se projeter quelque chose qui reste du passage par la mort), ces épreuves ne vont pas à la mort ! Jésus Christ a été ressuscité d'entre les morts, et, du coup, vous êtes vous-mêmes nés pour une espérance vivante. Donc, il s'agit là d'épreuves qui arrivent pour que votre foi soit d'un bon aloi, comme on le dit d'une pièce de monnaie. "Afin que votre foi - faisant la preuve de son bon aloi, faisant la preuve qu'elle est, en effet, l'expression dans votre vie de la puissance de Dieu - soit trouvée pour louange et gloire et estime dans la révélation de Jésus Christ" : écho de "pour un salut prêt à se révéler dans un dernier moment".

Avec votre foi, vous avez tout. D'ailleurs, cette foi, elle vaut mieux, elle est plus estimable que l'or, lequel périt : pas elle. Vous êtes entrés dans un régime où il n'y a plus corruption, ni souillure, ni flétrissure. Parlons de l'or qui "périt, et qui est pourtant vérifié par du feu". Ainsi, tout périssable qu'il soit, on le vérifie par du feu. Mais votre foi, le fait de croire est sans rapport avec les réalités les plus précieuses qu'on puisse imaginer. Pourtant ces réalités les plus précieuses connaissent l'épreuve du feu. Comment la foi, plus précieuse encore, ne connaîtrait-elle pas l'épreuve du feu ? C'est en raison de son excellence que la foi connaît l'épreuve du feu.

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"Lui que, sans l'avoir vu, vous aimez". Mais non ! je ne l'aime pas ! Mais si ! vous ne pouvez pas faire autrement. Engagés comme vous l'êtes, dans cette nouvelle vie, je vous assure, vous l'aimez.

Vous "que, sans l'avoir vu, vous aimez, en qui, sans le voir présentement, en ayant foi, vous exultez". Mais non ! je n'exulte pas ! Je n'en ai rien à faire d'exulter. Je me moque d'exulter. Mais si, faites excuse ! vous exultez !

Vous comprenez peut-être mieux maintenant pourquoi tout à l'heure j'ai tenu à attirer votre attention sur ces étranges indicatifs qui ne dénotent pas ce qui se fait, et qui ne sont pas non plus de faux impératifs. Je ne sais pas comment appeler ce mode.

Revenons à notre lecture. Vous exultez pourtant "d'une joie ineffable". Il est très étrange qu'à la fin du texte, un adjectif nous signale qu'en effet, on vient de lire des choses que la grammaire a de la peine à faire entrer dans ses cadres. C'est comme si l'auteur signait en écrivant : ineffable. Je n'en parle pas, je viens d'essayer d'en parler.

En tout cas, j'ajoute : "et déjà glorifiée". Il n'y a pas la grâce, la foi, la gloire qui se succèderaient chronologiquement. Elle est "déjà glorifiée", cette joie. Pourquoi ? Mais parce que vous portez en vous ce en quoi se termine la foi, la cible que vise la foi, vous portez déjà en vous ce que la foi cherche à atteindre. Quoi donc ? "le salut de vos âmes".

Le salut, ou l'état de bonne santé de vos âmes, l'état de vos âmes devenues saines et sauves. Le salut n'est pas sans rappeler le registre par lequel nous avions commencé la lecture de ce texte : celui de la vie ou de la vitalité.

8 avril 1999

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