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 En ce temps… pour l’éternité, pour toujours. 

«En ce temps, Mikaël se dressera,
Le grand chef dressé au-dessus des fils de ton peuple.
Ce sera un temps de détresse tel qu’il n’en a pas été
Depuis qu’est la nation jusqu’à ce temps.
En ce temps, ton peuple s’échappera,
Quiconque sera trouvé inscrit sur le Livre.
Des multitudes d’endormis dans la poussière du sol s’éveilleront,
Ceux-ci pour la vie éternelle,
Ceux-là pour les outrages, pour l’horreur éternelle.
Ceux qui sont avisés resplendiront comme la splendeur du firmament,
Ceux qui rendent justes des multitudes, comme les étoiles,
Pour l’éternité, pour toujours.»


Daniel XII, 1-3

==== Je pose ces questions à propos de ce texte parce que nous pouvons être embarrassés pour le faire nôtre. Le grand motif de notre embarras, c’est le temps auquel il se trouve écrit. En effet, si nous lisons ce texte comme un texte qui traiterait du futur, ou de ce qui va arriver, à ce moment-là nous considérons les faits qu’il évoque inévitablement comme extérieurs à nous-mêmes, pour la raison que le futur nous est extérieur : ce que nous ferons tout à l’heure est en dehors de nous. Donc, si nous lisons ce texte comme traitant du futur, ce dont il nous entretient se trouve devant nous, au sens spatial aussi bien que temporel. Dans ces conditions, si nous voulons, comme je le disais, que ce texte devienne nôtre, si nous voulons passer par lui et qu’il passe par nous, il nous est indispensable de prendre position par rapport à ce futur, que nous lisons. ====

Pour nous aider à le faire, je voudrais évoquer une expérience que nous avons certainement déjà tous faite. Il nous est arrivé à tous de nous trouver devant un écran de cinéma. La plupart du temps, nous sommes devant une succession temporelle de faits, devant aussi des paysages. Or, et c’est le propre de certains montages cinématographiques, voilà que ce qui est en face s’approche tellement de nous que nous sommes dedans. Il y a des procédés qui permettent que nous habitions, comme partie intégrante, ce qui est devant nous. A ce moment-làse produit la suppression de ce devant: nous ne sommes plus devant, mais nous sommes dedans.

Nous allons appliquer le même traitement à ce texte. Nous lisons des mots comme ceux-ci: «En ce temps,… Ce sera un temps… jusqu’à ce temps… En ce temps». Ce temps, ne le regardons pas devant nous: nous sommes en lui ou, mieux, il est en nous. Je suis en train de vous proposer ce qu’on pourrait appeler un futur auquel on s’intègre par la foi. Les faits ne cessent pas d’être des faits, et, tout à l’heure, en entrant davantage dans ce texte, je n’arrêterai pas d’employer ce terme d’«événement». Mais l’événement n’est plus devant nous, il est en nous et nous sommes en lui. S’il y a un futur et si nous avons à faire avec ce futur, c’est parce que ces événements sont laissés à notre discrétion, nous sont offerts: à nous de les prendre, à nous d’être pris par eux ou, au contraire, de refuser de les prendre et d’être pris par eux. Le futur nous présente ces événements à distance pour que nous gardions la liberté d’en faire partie, de nous y intégrer, ou de les intégrer à nous.

*

«En ce temps, Mikaël se dressera, le grand chef dressé au-dessus des fils de ton peuple». Dans ce temps, non seulement pour toi, mais pour tout l’ensemble auquel tu appartiens, pour tous ceux qui sont nés là où tu es né, acceptes-tu qu’apparaisse quelqu’un qui en soit le maître, qui se dresse au-dessus, quelqu’unqui monte de ce temps?

«Ce sera un temps de détresse tel qu’il n’en a pas été depuis qu’est la nation jusqu’à ce temps». Le temps est fait pour qu’on y avance, pour qu’on soit enveloppé par lui et non pas pour qu’il nous fasse défaut, non pas pour qu’il nous manque, en quelque sorte. Or le temps portera avec lui la détresse, parce que l’irruption dans le temps d’un chef qui le domine va rompre le charme du temps dans lequel nous sommes et qui nous porte.

«En ce temps, ton peuple s’échappera». Nous retrouvons à la fois le «en ce temps» et le «peuple», le peuple qui est à toi et auquel tu appartiens. Beaucoup de traductions proposent de traduire par «se sauver». Mais le sens est beaucoup plus concret. Il faut entendre: ton peuple sortiraet il ira habiter on ne sait où, mais cependant cet événement se présentera en ce temps.

Le lieu du peuple est présenté, et aussi le Livre, où il est écrit, où il a son nom. Il y a une sorte de compétition entre le temps et quelque chose d’autre, qui est le Livre. Nous pensions que le lieu de notre sécurité, c’était le temps. Or, il y a un autre lieu, un lieu où il a y a des gens inscrits «quiconque sera trouvé inscrit sur le Livre». L’autre lieu que le temps, c’est le Livre.

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Maintenant apparaît une rivalité entre le temps et l’espace. «Des multitudes d’endormis dans la poussière du sol s’éveilleront». L’espace n’est pas envisagé dans sa surface, mais dans son épaisseur, dans sa profondeur.

Ce qui arrive dans le temps, paradoxalement, avec la défection du temps, c’est la suppression de la mort. «Des multitudes d’endormis dans la poussière du sol s’éveilleront, ceux-ci pour la vie éternelle, ceux-là pour les outrages, pour l’horreur éternelle». Si nous croyons que le temps est susceptible de cette grande catastrophe, et si nous intégrons à nous-mêmes cette catastrophe, c’est parce que, dans le temps, il y a place pour de l’éternité. L’éternité s’ingère dans le temps.

Je vous disais tout à l’heure que la présentation au futur de ces événements était la condition d’un libre accueil de ces événements. S’ils nous sont présentés comme futurs, en effet, c’est parce qu’ils sont à prendre ou à laisser. Comment allons-nous les prendre? Allons-nous les prendre comme des événements qui nous proposent une éternité de vie, et dès à présent? ou bien allons-nous les prendre comme des événements qui font horreur, qui ne peuvent susciter que la répulsion?

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Dans ce qui reste de texte, il n’y en a que pour ceux qui, si j’ose dire, font le bon choix. «Ceux qui sont avisés resplendiront comme la splendeur du firmament». Et vous sentez comment la parole de ce texte se fait pressante. On dirait qu’elle veut nous envahir. Elle nous rentre dedans et nous entrons en elle. Sommes-nous avisés? A quoi sommes-nous attentifs dans ce chambardement qui se produit? Si nous sommes attentifs à l’éternité de vie qui nous est proposée, alors, nous retrouvons notre place, en ce monde, dans l’espace. Ceux qui sont avisés resplendiront comme la splendeur des espaces célestes.

Tout à l’heure on évoquait l’espace en faisant état de la poussière du sol, cette fois-ci, il s’agit de l’espace céleste: «ceux qui rendent justes des multitudes, comme les étoiles». L’espace est, ici, comme la figure de l’éternité à laquelle accèdent ceux qui rendent justes des multitudes parce qu’ils travaillent à être justes envers elles, ces multitudes qu’on évoquait tout à l’heure, les endormis dans le sol.

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La force de ce texte est de nous conduire à la racine même de la foi. Je m’explique. Nous disons: il y a le temps, et puis nous imaginons une sorte de frontière et, au-delà du temps, l’éternité. Il n’en va pas du tout ainsi. Je mets comme hypothèse que tous ceux qui croient estiment que par la foi ils ont déjà triomphé de la mort et sont entrés dans l’éternité. Sur cette base, ils pensent qu’il n’y a pas de raison que cette victoire ne dure pas. Je dis là ce qui est le noyau le plus élémentaire de la foi.

16 novembre 2000

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