On t'appellera 'mon-désir-en-elle'
«Pour Sion je ne resterai pas en silence,
Et pour Jérusalem je ne me tiendrai pas en repos,
Jusqu'à ce que sorte comme une clarté sa justice
Et son salut comme un flambeau qui brûle.
Les nations verront ta justice
Et tous les rois, ta gloire.
On t'appellera d'un nom nouveau,
Que la bouche de IHVH façonnera.
Tu seras une couronne de splendeur dans la main de IHVH
Et une tiare de royauté dans la paume de ton Dieu.
On ne dira plus pour toi "Abandonnée",
On ne dira plus pour ta terre "Désolation",
Car on t'appellera "Mon-désir-en-elle"
Et ta terre "Epousée".
Car IHVH te désirera
Et ta terre sera épousée.
Car tel l'élu qui épouse une vierge,
Tes fils t'épouseront.
Et de la joie du fiancé sur la toute-parée,
Ton Dieu sur toi sera en joie.»
*
Qui donc parle ici ? Les uns disent : par la voix du prophète, c'est Dieu lui-même qui prend ici la parole et fait des déclarations. D'autres disent : c'est le prophète qui parle.
Si vous le voulez bien, de ces interrogations pour savoir qui parle, je vous propose de retenir seulement ceci : il est sûr que dans ce passage, il est fort question de parler et que, peut-être, plus importe que la question de savoir qui parle, il y en a une autre qu'il convient de soulever. Je voudrais que nous nous demandions : à qui parle-t-on ? Et à cette question, des réponses peuvent être apportées qui, elles, ne sont pas douteuses.
Qui que ce soit qui parle, dès le début, celui qui parle s'adresse soit à lui-même, soit à qui veut bien l'entendre, mais pour entretenir celui à qui il s'adresse, de la parole qui est en lui, qui parle, dont il est gros, et d'une parole qui monte en lui à cause de Sion, de Jérusalem. "Pour Sion je ne resterai pas en silence,... pour Jérusalem je ne me tiendrai pas en repos".
Et puis, dans un deuxième moment, celui qui parle, quel qu'il soit, parle de ce que l'on dira : "On t'appellera d'un nom nouveau... On ne dira plus pour toi "Abandonnée", on ne dira plus pour ta terre "Désolation", car on t'appellera "Mon-désir-en-elle". Celui qui parle, qui avait commencé par dire "je", quel qu'il soit, réapparaît, mais pas n'importe comment et pas à propos de n'importe quel énoncé, puisque aussi bien il s'agit du nom : "on t'appellera "Mon-désir-en-elle"".
Et puis enfin, celui qui parle, quel qu'il soit, s'adresse directement à elle. La langue originale permet infailliblement de s'en rendre compte, la deuxième personne du singulier puisque, ici employée, est, d'un bout à l'autre, une deuxième personne féminine. C'est donc à elle, nous dirions, que lui, quel qu'il soit, s'adresse à la fin.
Voilà quelques remarques d'approche.
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Revenons sur le début de ce passage. Ce qu'il dit, lui, est bien étrange. Il parle pour exprimer la répercussion, présente et à venir, la répercussion en lui, dans son corps, de quoi ? D'une attente. Il s'exprime pour dire comment ce qu'il attend est gravé en lui. Et ce qu'il attend porte sur une collectivité nommée, une collectivité féminine, Sion, Jérusalem. Ce qu'il attend l'émeut : "je ne resterai pas en silence,... je ne me tiendrai pas en repos". Ce qu'il attend, c'est l'apparition, la manifestation éclatante de l'intégrité retrouvée de Sion, de Jérusalem : "je ne me tiendrai pas en repos, jusqu'à ce que sorte comme une clarté sa justice et son salut comme un flambeau qui brûle." Il parle dans l'attente et pour manifester l'attente en lui de quelque chose qui se verra : c'est l'intégrité, la justice, le salut.
Il parle de la communication publique qu'il attend "Les nations verront ta justice et tous les rois, ta gloire." Tout commence donc par l'énoncé de ce qui va être vu comme la vision brillante, glorieuse de cette justice. Mais on ne se contentera pas de voir, on parlera aussi. Ceux qui verront parleront.
"On t'appellera d'un nom nouveau, que la bouche de IHVH façonnera." Un nom qui n'a jamais été prononcé, nouveau, va venir en circulation. Ce nom nouveau aura été ciselé. C'est donc un nom qui, sans doute, sera dit, prononcé, mais, surtout, ce nom aura été ouvré, sinon ouvragé, en quelque sorte, par Celui qui est là, appelé IHVH, et qui viendra de son intérieur. Je disais tout à l'heure que celui qui parle commence par dire ce qui se passe en lui, ce qui n'arrêtera pas de se passer en lui. Maintenant il s'agit de ce qui sort de la bouche de IHVH.
Et nous observons comment, dans ce moment, vont se mêler, s'unir en une sorte de tresse, des déclarations de puissance, attribuées à elle, et autre chose que des déclarations de puissance. Nous aurons dans un instant à préciser en quoi consiste cette autre chose que la puissance qui sera reconnue publiquement comme appartenant à Sion, à Jérusalem. Mais c'est la puissance d'abord. "Tu seras une couronne de splendeur dans la main de IHVH". Après sa bouche, sa main. "Et une tiare de royauté dans la paume de ton Dieu." La couronne, la tiare : autant d'indices que celle à laquelle il s'adresse sera puissante et reconnue comme puissante.
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Des traits nouveaux s'ajoutent. «On ne dira plus pour toi "Abandonnée", on ne dira plus pour ta terre "Désolation", car on t'appellera "Mon-désir-en-elle" et ta terre "Epousée".» Je vous invite à rapprocher l'un de l'autre ces deux fragments du texte "On t'appellera d'un nom nouveau" et «Car on t'appellera "Mon-désir-en-elle".»
En quoi ce nom est-il nouveau ? Il l'est parce qu'il est inédit : on ne l'a jamais entendu prononcer. C'est le sens en quelque sorte temporel de la nouveauté. Il succèdera donc à des noms que l'on donnait communément. «On ne dira plus pour toi "Abandonnée", on ne dira plus pour ta terre "Désolation".» Mais il est nouveau dans sa fabrication même. N'oublions pas que ce nom nouveau, la bouche de IHVH l'aura façonné.
Et nous l'entendons, ce nom nouveau, étrange : "on t'appellera "Mon-désir-en-elle". En d'autres mots, on ne dira pas "son désir", le désir de IHVH, le désir de Dieu en elle, mais : "on t'appellera "Mon-désir-en-elle". C'est le moment où l'on cesse de lui dire "tu", on revient à parler d'elle, comme on l'avait fait au début, et celui qui parle révèle sa présence : "Mon-désir-en-elle". Au fond, cette justice, ce salut apparaissent maintenant avec ce nom nouveau sous les espèces du désir de celui qui parle. Ce qui lui manquait, on vient de nous le signaler, c'était d'être désirée : elle était abandonnée, elle était désolation. Il lui manquait d'être aimée de désir. Elle le sera : voilà la nouveauté qui va apparaître.
Arrêtons-nous encore un peu sur ce moment. «On ne dira plus pour toi "Abandonnée", on ne dira plus pour ta terre "Désolation".» Maintenant, chaque fois qu'il sera question d'elle, ce sera avec ce double qu'est la terre : la terre est comme le substitut, l'équivalent du corps, ce corps qu'on a vu tout à l'heure avec la bouche, avec les mains, avec la paume. Maintenant, Sion, Jérusalem, toi, à qui Il parle, ou toi dont Il parle, tu as la consistance d'une terre dont on comprend très vite qu'elle est la métaphore du corps tout entier, cette terre, puisque aussi bien elle est épousée.
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Nous en venons maintenant au troisième et dernier moment. Je vous disais tout à l'heure que, dans ce dernier moment, celui qui parle s'adresse directement à elle. Etrangement, le moment où il s'adresse à elle, est celui où, parlant de lui-même comme de quelqu'un d'autre, il semble se distinguer de ce nom qui est venu plusieurs fois, qu'on a l'habitude de traduire par "le Seigneur" : "car IHVH te désirera". Au fond, on te donnera ces noms, on t'appellera de ce nom nouveau contraint qu'on y sera car, de fait, IHVH aura pour toi du désir et ta terre sera épousée. Les noms qui étaient donnés précédemment proviennent de ce qu'en effet il y avait désir, il y avait épousailles. S'ils sont prononcés, si désormais elle n'est plus appelée abandonnée ou désolation, mais "mon désir en elle", c'est parce que c'est vrai !
C'est vrai, mais encore faut-il le dire et le lui dire. Et vous avez observé comment, insensiblement, on passe dans ces derniers moments du désir aux épousailles et, allant plus loin, à la fécondité : "Tes fils t'épouseront" - j'y reviendrai dans un instant. On va même plus loin. "Et de la joie du fiancé sur la toute-parée, ton Dieu sur toi sera en joie." Du désir on passe aux épousailles, des épousailles, à la fécondité et, finalement, à la liesse érotique.
Sur cette finale de notre passage, le lecteur a souvent été extrêmement embarrassé. On dirait que le lecteur, ici, s'est rendu compte que quelque chose d'assez extraordinaire était dit. Ce qui est évoqué, en effet, c'est un inceste, mais un inceste dans un sens auquel on n'est pas habitué. Chaque fois qu'aujourd'hui, nous invoquons cette situation, elle vient plutôt des parents en direction des fils ou des filles. Ici, c'est l'inverse.
Alors, comment comprendre si j'ose dire cette inversion de l'inceste ? Je vous propose d'entendre ceci : bien sûr, Sion, Jérusalem sera opulente, au sens propre du mot, elle sera riche et féconde, mais il y aura comme une sorte de retournement de la fécondité, en ce sens que les fils produits deviendront des époux. On passera du régime de la simple production à un autre régime qui est, non plus celui de la parenté, qu'il s'agisse de l'enfantement ou de la génération, mais un régime d'alliance. C'est là ce qui est finalement dit : "Tes fils t'épouseront. Et de la joie du fiancé sur la toute-parée, ton Dieu sur toi sera en joie." La joie, ici, la liesse sont convoquées pour exprimer cette union dans laquelle nous restons deux, dans laquelle nous sommes unis, sans doute, et étroitement, mais en restant chacun quelqu'un d'autre.
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On commence par évoquer le pouvoir que l'on reçoit de Lui, la solidité, la fermeté que l'on acquiert. Fermeté et solidité qui sont d'autant plus assurées qu'elles sont universellement reconnues. Mais que serait pour elle cette reconnaissance ? A quoi lui servirait-il d'être une personne reconnue si elle était abandonnée ou si elle était semblable à une terre sur laquelle on est beaucoup passé, qui est désolée, fanée ? Que servirait-il d'être quelqu'un si un nom nouveau ne lui était pas donné, et donné par les autres, mais en Son nom : «Car on t'appellera "Mon-désir-en-elle".» Un nom qui signifie en définitive l'origine de la vie, c'est-à-dire le désir. Or, pour exprimer cette union, il va falloir convoquer et en quelque sorte aussi briser les expressions dont on se sert pour parler des unions qui se rencontrent en humanité. Nous en connaissons deux : l'union qui consiste à enfanter ou à engendrer et l'autre, qui consiste à s'étreindre érotiquement, conjugalement. Il va falloir passer par l'expression de ces deux modes d'union. Non pas pour s'y arrêter mais pour pointer vers quelque chose qui est absolument nouveau. Cette nouveauté, c'est ce qui est dit à la fin, "la joie du fiancé sur la toute-parée, ton Dieu sur toi sera en joie."
Je disais qu'il y avait le pouvoir, qu'il y avait l'amour. Vous avez pu voir aussi au passage comment d'un bout à l'autre il y avait aussi la beauté. Elle était déjà dans la clarté, dans le flambeau qui brûle, dans la splendeur de la couronne. Elle est encore présente à la fin. Celle à qui IHVH parle est "la toute-parée". Le pouvoir n'est pas grand chose, le désir avec l'amour, c'est déjà beaucoup et la beauté s'y joint ! IHVH, Il n'est pas étranger à tout cela.