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Sur Job XIX, 23-27


Qui donc donnera que mes mots soient écrits ?
Qui donnera qu'ils soient gravés en lettres ?
Qu'avec un stylet de fer et avec du plomb
Pour toujours dans le roc ils soient taillés !
Et moi je sais mon racheteur vivant,
En dernier sur la poussière il surgira.
Et derrière ma peau (Ils frapperont cela ?)
Et de ma chair je contemplerai Dieu.
Celui que moi, je contemplerai,
Mes yeux le verront,
Et pas un autre.
Mes reins s'épuisent en mon sein !



Job XIX, 23-27

Entre les paroles que nous prononçons et leur écriture n'y a-t-il pas une distance infranchissable ? Que des mots, les miens, des mots qui m'appartiennent, à moi qui parle, que ces mots-là se détachent de moi et passent de ma voix en des lettres écrites, c'est l'effet d'une faveur gratuite. Celle-ci m'est-elle accordée ?


Qui donc donnera que mes mots soient écrits ?
Qui donnera qu'ils soient gravés en lettres ?

Que la dureté et la solidité de la pierre soient attaquées avec violence ! Que des incisions marquent à jamais, comme d'autant de caractères, le matériau le plus résistant ! Ainsi mes mots seront-ils devenus indestructibles. Ils auront été tracés sur le minéral avec des instruments qui sont eux-mêmes de l'ordre du minéral.


Qu'avec un stylet de fer et avec du plomb
Pour toujours dans le roc ils soient taillés !

Mais qu'ai-je donc à dire, à inscrire en traits de pierre ?

Une pensée qui me semble être antérieure à la parole même qui l'exprime, plus même qu'une pensée, une certitude vécue qui porte sur la vie elle-même. Or, puisque je peux ressentir et me dire à moi-même avec des mots ces mouvements intérieurs, pourquoi ne pas réclamer qu'ils soient à tout jamais fixés sur la face du monde ?


Et moi je sais mon racheteur vivant,
En dernier sur la poussière il surgira.

Je suis donc ou je serai un jour vendu comme un objet de commerce, privé de toute liberté, incapable de me défendre moi-même. Mais un autre est déjà là, qui m'assiste, qui me sauve il vit. Il y a ici même, actuellement, quelqu'un qui est pour moi, qui est qualifié pour me délivrer de toute aliénation - car même s'il m'achète à son tour, c'est pour que je sois libre. 11 est étranger à la mort, capable, le moment venu; de se dresser sur ce qui restera des choses et de moi-même : il survivra à la pulvérisation de l'univers !

Voilà ce que je voudrais qu'on sculpte dans le rocher!

Certes. Mais, si tout est détruit, restera-t-il quelque chose du rocher lui-même ? Est-ce qu'il ne sera pas, lui aussi, anéanti avec tout le reste ? Car, bien sûr, rien ne sera épargné, ils frapperont cela aussi !C'est vrai. Mais, puisque mon racheteur est vivant, le savoir que j'ai de son existence impérissable ne me fait-il pas moi aussi vivant à jamais ? Ma peau, ma chair, mes yeux, tout ce qui atteste que j'ai un corps, tout cela, quand tout le reste aura péri, me permettra encore de saisir sensiblement mon protecteur, c'est-à-dire de rester en communication avec lui. Déjà, du reste, je peux prononcer son nom. C'est Dieu lui-même, pas un autre, rien moins que lui.


Et derrière ma peau (Ils frapperont cela ?)
Et de ma chair je contemplerai Dieu.
Celui que moi, je contemplerai,
Mes yeux le verront,
Et pas un autre.

Mais en ce moment même où je fais de telles déclarations, voilà que moi-même je me consume, comme si ces paroles et l'adhésion que je leur donne me brisaient.

Mes reins s'épuisent en mon sein !

Clamart, le 7 Octobre 2004

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