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Comme la pluie et la neige...


«Ah ! tous les assoiffés, allez vers les eaux ;
et les sans-argent, ravitaillez-vous et mangez ;
allez, ravitaillez-vous sans argent, sans prix, de vin et de lait.
Pourquoi pesez-vous de l'argent contre un non-pain,
vous lassez-vous pour la non-satiété ?
Ecoutez, écoutez-moi et mangez bon ;
votre âme se délectera de graisses.
Tendez votre oreille, allez vers moi, écoutez, votre âme vivra.
Je tranche pour vous une alliance de toujours,
les bienfaits de David, qui sont fiables.
Voici, je l'ai donné pour témoin des patries,
pour guide, ordonnateur des patries.
Voici, tu appelleras une nation que tu ne connaîtras pas ;
une nation qui ne te connaîtra pas accourra vers toi,
à cause de IHVH, ton Dieu, pour le saint d'Israël ;
Oui, il te fait resplendir.
Consultez IHVH quand il se trouve, appelez-le quand il est proche.
Le criminel abandonnera son chemin, l'homme de fraude ses pensées.
Il retournera vers IHVH - il aura pour lui des entrailles -,
vers notre Dieu ; oui, il est abondant pour pardonner.
Car mes pensées ne sont pas vos pensées,
ni vos chemins, mes chemins, oracle de IHVH.
Oui, les cieux sont plus hauts que la terre ;
aussi mes chemins sont plus hauts que vos chemins,
mes pensées que vos pensées.
Oui, comme la pluie et la neige tombent des cieux
et n'y retournent pas sans avoir désaltéré la terre,
sans l'avoir fait enfanter et germer,
donnant semence au semeur, pain au mangeur,
telle est la parole qui sort de ma bouche :
elle ne retourne pas vers moi à vide,
oui, sans avoir fait ce que je désire
et fait aboutir ce pour quoi je l'avais envoyée.»


Isaie LV, 1-11

Ce texte est bien étrange et pas seulement en raison de ce qu'il dit, mais d'abord par la façon dont il nous fait parler quand nous le prononçons. Il y a en lui, en effet, au moins comme deux voix.

D'abord, il y a quelqu'un qui parle en disant «je» : «Ah ! tous les assoiffés, allez vers les eaux... Ecoutez, écoutez-moi... Tendez votre oreille, allez vers moi... Je tranche pour vous une alliance de toujours».

Et puis, aussitôt après, une autre voix se fait entendre. Quelqu'un parle de Lui : «Voici, tu appelleras une nation que tu ne connaîtras pas... à cause de IHVH, ton Dieu,... Consultez IHVH quand il se trouve, appelez-le quand il est proche. Le criminel... retournera vers IHVH». Cette fois-ci, nous parlons du Seigneur.

Ensuite, de nouveau, nous sommes invités à parler à la première personne : «mes pensées ne sont pas vos pensées... oui... telle est la parole qui sort de ma bouche».

D'une certaine façon, au beau milieu de ce passage, nous prononçons une sorte de profession de foi : «Oui, il te fait resplendir. Consultez IHVH quand il se trouve, appelez-le quand il est proche.» Cette profession de foi est enserrée entre deux déclarations, deux grands discours affirmatifs au cours desquels quelqu'un parle en disant «je». Ainsi, le discours intermédiaire est comme le résultat du premier moment et comme le socle sur lequel s'appuie le dernier temps de ce passage.

Ces remarques, nous pouvons encore les prolonger en observant que dans le premier temps surtout, dans le deuxième aussi, des commandements retentissent : «allez vers les eaux... ravitaillez-vous... Ecoutez» et un peu plus bas, encore, «appelez-le». Dans le dernier moment, lorsque celui qui parle en première personne reprend la parole, il n'y a plus de commandement. On dirait que le temps est venu d'une grande affirmation sereine. Le même qui avait commandé, reprend la parole mais, cette fois-ci, non plus pour donner un ordre mais pour dire simplement ce qu'il en est.

*

Tout commence par un commandement :
«Ah ! tous les assoiffés, allez vers les eaux ;
et les sans-argent, ravitaillez-vous et mangez»

Ce commandement nous rejoint en deçà des moyens dont nous pourrions disposer pour l'accomplir. En effet, nous sommes habitués à ne manger qu'en achetant ce que nous mangeons : pour manger, il faut avoir de quoi se payer la nourriture. Or c'est en amont de cette situation, pourtant fréquente, que nous sommes conduits : «allez, ravitaillez-vous sans argent, sans prix, de vin et de lait.» De plus, le commandement porte sur ce qui nous fait vivre de façon tout à fait élémentaire, sur des mets très simples : le vin, le lait. Mais, encore une fois, ce qui est souligné, c'est que cette nourriture que nous avons à prendre, il est paradoxal de se la procurer en dépensant quelque chose.

«Pourquoi pesez-vous de l'argent contre un non-pain,
vous lassez-vous pour la non-satiété ?»

D'emblée, nous sommes avertis que manger, boire, pour vivre, sont des opérations tellement élémentaires qu'elles n'ont pas de prix, au sens le plus simple et aussi d'ailleurs le plus équivoque de cette expression française : elles n'ont pas de prix, elles sont, si nous voulons, au-delà mais aussi bien en-deçà de toute évaluation.

*


«Ecoutez, écoutez-moi et mangez bon ;
votre âme se délectera de graisses.»
Quelle est cette nourriture qui n'a pas de prix ? Ce qui soutient la vie, c'est d'écouter celui qui commande de manger sans payer. «Ecoutez, écoutez-moi et mangez bon ; votre âme se délectera de graisses.»


«Tendez votre oreille, allez vers moi, écoutez, votre âme vivra.»
Tout à l'heure nous étions surpris parce que nous devions aller prendre gratuitement ce que d'ordinaire nous ne prenons qu'en l'achetant. Maintenant, cette réalité que nous avons à atteindre, c'est par l'oreille tendue qu'elle va nous venir : «Ecoutez, écoutez-moi et mangez bon». Comme s'il n'y avait qu'à écouter pour être nourris ! Comme si ce qui faisait vivre, c'était manger du vin et du lait, si j'ose dire, par les oreilles : «Tendez votre oreille, allez vers moi... votre âme vivra.» Ecouter et tendre l'oreille aux paroles de celui qui dit : pour vivre, il n'y a pas à acheter quoique ce soit, car ce n'est pas ce que l'on achète qui fait vivre.

*

Etrange situation, qui est aussitôt énoncée dans un mot très simple : alliance.
«Je tranche pour vous une alliance de toujours,
les bienfaits de David, qui sont fiables.»

Cette situation qui consiste à écouter pour vivre, vers laquelle il nous faut aller, nous apprenons qu'elle existe déjà. Si nous avons à y aller, c'est parce que nous y sommes établis déjà par celui qui s'adresse à nous sur le ton de l'ordre. «Je tranche pour vous une alliance de toujours, les bienfaits de David, qui sont fiables.» En donnant cet ordre, celui qui parle ne fait que mettre en oeuvre l'alliance, dans laquelle nous sommes pris, dont cet ordre n'est que la manifestation, une alliance qui a déjà produit des fruits dans le passé : «Je tranche pour vous une alliance de toujours, les bienfaits de David». Ce qui a été fait pour le bien de David, les bienfaits qu'il a reçus, vous pouvez vous y fier, vous n'avez qu'à leur dire amen car ils sont solides.


«Voici, je l'ai donné pour témoin des patries
pour guide, ordonnateur des patries.»

Oui, cette alliance existe, et très largement, puisque celui qui en est le bénéficiaire en témoigne aussi pour l'univers social tout entier. «je l'ai donné pour témoin des patries, pour guide, ordonnateur des patries.» L'alliance entre les groupes humains n'a pas de raison, elle est gratuite comme la faim et comme la soif quand celles-ci sont satisfaites. La satisfaction, nous l'avions vu en commençant, qui est donnée à la faim ou à la soif, ne s'achète pas. Pas davantage, la paix entre les patries. Elle est donnée. J'ai donné David, j'ai fait de lui un cadeau, je l'ai constitué comme présent, témoin des patries, guide, ordonnateur des patries.


«Voici, tu appelleras une nation que tu ne connaîtras pas ;
une nation qui ne te connaîtra pas accourra vers toi,»

Nous écoutons ici le prolongement de ce que nous avons déjà entendu au commencement. Qu'est-ce qui nous était dit alors? Que nous pouvions nous nourrir de quelque chose, sans rien payer. Maintenant, nous pouvons appeler une nation sans la connaître. Il n'y a pas besoin de connaître pour reconnaître. «Une nation qui ne te connaîtra pas accourra vers toi,» Vous sentez comment la gratuité, présente dès le départ de cette méditation, ne cesse d'irriguer tout le parcours que nous sommes en train de faire. Cette gratuité, c'est elle qui fait que l'on se reconnaît les uns les autres, gratuitement, sans autre raison que la gratuité elle-même.

Si l'on veut cependant énoncer une raison, c'est
«à cause de IHVH, ton Dieu, pour le saint d'Israël»
Le seul motif de ce rassemblement, de cette reconnaissance mutuelle, c'est le Seigneur, le Dieu de celui à qui on s'adresse, le saint d'Israël.

*

Voici comme une perle au milieu de ce passage,
«Oui, il te fait resplendir.»
S'il y a un éclat, il consiste tout entier en ceci : au milieu du monde, il y a quelqu'un, vous ou moi, d'autres aussi d'ailleurs, qui brillent d'être les témoins de cette gratuité : «Oui, il te fait resplendir.» C'est dans cette entente des nations que resplendit le Seigneur. D'une certaine façon, il apparaît, il éclate dans cette entente.

*

C'est bien pourquoi d'ailleurs il ne faut pas manquer l'occasion, quand elle se présente :
«Consultez IHVH quand il se trouve, appelez-le quand il est proche.»
Nous n'avons pas à craindre que notre malignité soit plus forte.
«Le criminel abandonnera son chemin, l'homme de fraude ses pensées.
Il retournera vers IHVH - il aura pour lui des entrailles -,
vers notre Dieu ; oui, il est abondant pour pardonner.»

Merveilleux mouvement que celui-ci, qui va comme au-devant de l'objection suivante : oui, mais le mal est si grand en nous, l'habitude de n'acheter qu'en payant est tellement invétérée que peut-être ce commandement pourrait ne pas se réaliser. Or il n'en est rien. «Il retournera vers IHVH... vers notre Dieu... oui, il est abondant pour pardonner.»

*

Je vous disais que pour finir, nous abordons une affirmation tranquille. Celui qui avait commencé par prendre la parole parle à nouveau. On dirait qu'il répond à une question, présente mais non formulée : pourquoi tout cela peut-il se faire ?

«Car mes pensées ne sont pas vos pensées,
ni vos chemins, mes chemins, oracle de IHVH.»

je voudrais vous rendre attentifs au paradoxe qui apparaît maintenant. D'un côté, il y a une distance et une distance fortement marquée entre les pensées, les cheminements qui nous sont habituels, et les pensées et les cheminements du Seigneur. Il y a un écart considérable entre les voies que nous prenons pour nous unir les uns aux autres et les voies, les chemins que prend le Seigneur pour s'adresser à nous : «mes pensées ne sont pas vos pensées,... vos chemins, mes chemins».

Si l'on veut marquer cette différence, il n'y a guère que la distance entre le ciel et la terre qui puisse convenir :
«Oui, les cieux sont plus hauts que la terre ;
aussi mes chemins sont plus hauts que vos chemins,
mes pensées que vos pensées.»

Voilà pour un premier aspect.

Mais il y en a un deuxième. C'est pourquoi je disais qu'il y a une sorte de paradoxe. Après avoir marqué la distance entre ses chemins, ses pensées et nos chemins et nos pensées, celui qui parle, qui dit «je», utilise les figures de la ressemblance.
«Oui, comme la pluie et la neige tombent des cieux
et n'y retournent pas sans avoir désaltéré la terre,
sans l'avoir fait enfanter et germer,
donnant semence au semeur, pain au mangeur,
telle est la parole qui sort de ma bouche :
elle ne retourne pas vers moi à vide,
oui, sans avoir fait ce que je désire
et fait aboutir ce pour quoi je l'avais envoyée.»

Après avoir marqué la différence entre ses pensées, ses chemins et nos pensées et nos chemins, il attire notre attention vers une façon de faire qui ressemble à quelque chose à quoi nous sommes habitués.

Cette parole qui vient de lui, non seulement elle fait vivre, non seulement elle est un pain pour le mangeur, mais c'est elle qui rend productif celui qu'elle fait vivre. Car vivre, ce n'est pas seulement n'être pas mort. Il suffit de regarder ce que fait la pluie, ce que fait la neige : elles ne se contentent pas de remonter après avoir désaltéré mais elles remontent après avoir fait enfanter et fait germer. Désaltérer, c'est permettre de ne pas mourir. Faire enfanter, faire germer, c'est autre chose encore. C'est sur cette mort évitée, sur cette vie permise, faire lever quelque chose d'autre, un enfantement, une germination «telle est la parole qui sort de ma bouche : elle ne retourne pas vers moi à vide,... sans avoir fait ce que je désire, sans avoir... fait aboutir ce pour quoi je l'avais envoyée.»

9 janvier 1997

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