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Et voici que moi, je suis avec vous...

«Quant aux onze disciples, ils allèrent en Galilée, sur la montagne, là où leur avait fixé Jésus, et, l'ayant vu, ils se prosternèrent, mais (certains) doutèrent. Et, s'étant avancé, Jésus leur parla en disant : «Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur terre. Etant donc allés, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, leur enseignant à garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici que moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à l'achèvement des temps»


Matthieu XXVIII, 16-20

«Quant aux onze disciples, ils allèrent en Galilée, sur la montagne, là où leur avait fixé Jésus». Ce que nous pouvons retenir de cette première notation, c'est qu'il y a un lieu imposé par Jésus : c'est un lieu, non seulement déterminé sur la carte, mais un lieu qui est l'objet d'un ordre.

J'en profite pour vous faire reconnaître l'heureuse ambiguïté qu'il y a dans cette expression, en français, mais aussi bien je crois dans d'autres langues : aller au lieu de Jésus, ou à la place de Jésus. Au lieu de, ou à la place de Jésus signifie par un côté : l'emplacement occupé par Jésus. Mais l'expression signifie aussi : sans que lui y soit. Les disciples vont là où leur avait fixé Jésus, au lieu de Jésus. Ainsi, d'emblée, en commençant à lire ce passage, une sorte de clé nous serait donnée : ils vont au lieu que Jésus leur a assigné, sans doute, mais vont-ils le trouver ? Y seront-ils avec lui ? Ou n'y seront-ils pas à sa place ? Au lieu de lui, si je puis dire ?

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«Et, l'ayant vu, ils se prosternèrent, - et prenons la traduction la plus difficile - mais doutèrent». En d'autres mots, la vue de Jésus produit une attitude, sinon contradictoire, du moins étrange : «ils se prosternèrent, mais doutèrent». Le doute vient commenter le prosternement, si bien que nous ne savons plus si ce qui apparaît comme un geste de vénération en est un, en définitive, puisque aussi bien se prosterner est compatible avec douter.

«Et, s'étant avancé, Jésus leur parla en disant : "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur terre. Jésus maintenant ne se laisse pas simplement voir. Jésus parle.

Ses premiers mots sont pour parler de ce qui lui est arrivé. «Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur terre», à moi qui vous parle. L'important n'est pas ce que vous pouvez éprouver ou ressentir. L'important, c'est ce que j'ai à vous dire. A vous de l'entendre ! Or, ce que j'ai à vous dire, c'est que, en matière de pouvoir, il n'y en a que pour moi. «Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur terre.»

La conséquence, c'est que, de même que vous étiez partis «en Galilée, sur la montagne,» au lieu fixé par moi, de même, je vous dis maintenant de partir, mais de partir n'importe où : «de toutes les nations faites des disciples». Non seulement partout, mais n'importe où. Vous allez partir non pas pour faire des nations des serviteurs de vous-mêmes, voire des esclaves, mais pour faire de tous et de n'importe qui, des gens comme vous, des disciples. Rappelons-nous : «Quant aux onze disciples, ils allèrent en Galilée» et maintenant : «de toutes les nations faites des disciples». Vous n'en êtes pas les maîtres. Vous en ferez des disciples qui, en cela, ressembleront à ce que vous êtes.

Et comment allez-vous en faire, des disciples ? Qu'est-ce que c'est qu'être disciple ?

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Les deux caractéristiques données sont d'une grande importance. Pour en faire des disciples, il faut et il suffit que toutes les nations soient, d'une part, baptisées au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit et, d'autre part, qu'elles reçoivent et gardent l'enseignement que vous-mêmes, vous avez à garder.

Revenons sur ces deux caractéristiques. «Les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit». Toutes les nations reçoivent le même nom. Toutes les nations sont plongées dans le même nom : «au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit». Elles sont confondues sous ce même nom.

Comment va se manifester, d'autre part, cet accès à l'état de disciple ? En pratiquant «tout ce que je vous ai commandé». Le disciple, c'est celui dont le nom a changé et dont la pratique change aussi. Des disciples, il y en a déjà : c'est vous par exemple, à qui je parle. Mais vous ne confisquez pas l'identité de disciple. Celle-ci est diffusive, elle ne peut pas être captée, elle est remise à votre responsabilité : «Faites des disciples, les baptisant... leur enseignant». Ceux qui vont ainsi être enseignés auront à se lier à moi comme vous êtes liés vous-mêmes à moi par les commandements que je vous ai donnés.

On aimerait bien qu'ici soit énoncé le contenu de ces commandements. Mais il l'est, si nous lisons bien. Car ce commandement, c'est d'aller et de faire de toutes les nations des disciples. Le commandement, c'est de ne pas regarder quelle est la nation en question. Le commandement, c'est l'ouverture en direction du monde entier et de n'importe qui. Le commandement, c'est de ne pas faire acception de nation, comme on dit acception de personne. Le commandement, c'est de ne pas choisir, de ne pas trier.

Et pourquoi tout cela ? Parce que, désormais, vous êtes au lieu de Jésus. «Et voici que moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à l'achèvement des temps.» Le monde devient dense de la présence de Jésus qui parle. Le monde est plein de la présence de Jésus et, en même temps, il est réduit à la présence de Jésus en ceux qui sont ses disciples : «voici que [c'est] moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à l'achèvement des temps.»

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Nous saisissons que ce que nous appelons la foi, c'est la réalité nouvelle dans laquelle se trouvent les disciples, quoi qu'il en soit, au demeurant, de leur prosternement et de leur doute. On dirait que Jésus impose à ses disciples la réalité de sa présence en eux, avec eux... Et c'est ainsi désormais que Jésus sera présent jusqu'à l'achèvement des temps et tous les jours. Il est avec eux, pourvu qu'eux-mêmes se mettent à sa place. Et qu'est-ce que c'est que se mettre à sa place ? C'est être plongé dans ce monde du Père, du Fils et du Saint-Esprit et c'est, dans le même temps, garder tout ce qu'il a commandé. Le disciple se met au lieu de Jésus, quand il entre dans ce nouveau monde, Père, Fils et Saint-Esprit, et quand il obéit au commandement d'ouverture universelle que Jésus vient de leur donner. A ce moment-là, ils sont au lieu de Jésus, et ils peuvent entendre ce que Jésus leur dit, quand il leur dit : «moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à l'achèvement des temps.»

Au terme de cette traversée, on peut se dire : quelle chance que le temps dure puisque le temps est gros, dense de sa présence. Vous observerez en effet, qu'à notre grande surprise, à aucun moment, dans les versets que nous venons de lire, il ne nous est dit que Jésus s'en va. Pas même au ciel. En revanche, ce qui nous est dit, et j'y reviens, c'est que nous avons à aller au lieu de Jésus, pour que Jésus soit avec nous, partout, toujours.

9 mai 1996

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