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Toutes ces choses advenaient typiquement

«Car je ne veux pas que vous ignoriez, frères, que nos pères, tous, ont été sous la nuée, et qu’ils ont passé, tous, à travers la mer, et qu’ils ont été plongés, tous, en Moïse dans la nuée et dans la mer, et qu’ils ont mangé, tous, le même aliment de souffle, et qu’ils ont bu, tous, le même breuvage de souffle: car ils buvaient du rocher de souffle qui (les) accompagnait, et le rocher, c’était le Christ. Mais ce n’est pas dans la plupart d’entre eux que Dieu s’est complu, car ils furent étendus tout au long dans le désert. Or, ces choses sont devenues des types de nous, pour que nous ne soyons pas des convoiteurs de maux, comme ceux-là ont convoité. Ne devenez pas non plus idolâtres, comme certains d’entre eux, ainsi qu’il est écrit: «Le peuple s’est assis pour manger et boire, et ils se levèrent pour jouer. Ne forniquons pas non plus, comme certains d’entre eux ont forniqué, et ils tombèrent en un seul jour vingt-trois mille. Et ne mettons pas non plus le Christ à l’épreuve, comme certains d’entre eux ont mis à l’épreuve, et sous les serpents ils périrent. Ne murmurez pas non plus, comme certains d’entre eux ont murmuré, et sous l’exterminateur ils périrent. Or, toutes ces choses advenaient typiquement pour ceux-là, mais elles ont été écrites pour nous les mettre dans l’esprit, (nous) sur qui la fin des temps est arrivée. Ainsi, celui qui pense tenir debout, qu’il regarde à ne pas tomber.»»


1 Corinthiens X, 1-12

Nous lisons: «ces choses sont devenues des types de nous» et, vers la fin, nous lisons: «toutes ces choses advenaient typiquement pour ceux-là». D’autre part, à deux reprises, nous lisons: «ainsi qu’il est écrit: "Le peuple s’est assis pour manger et boire, et ils se levèrent pour jouer et, vers la fin, nous lisons: ces choses «ont été écrites pour nous les mettre dans l’esprit». J’ai appelé notre attention sur ces mots parce qu’il suffit de les rapprocher les uns des autres pour que nous soit évoqué un mot que nous connaissons bien en français: la typographie. La première partie de ce mot, nous la retrouvons dans type, et graphie nous renvoie à ce que nous entendons par écrire.

Qu’est-ce que la typographie? Si j’en crois ce que disent assez communément les dictionnaires, c’est un procédé d’impression à partir d’éléments en relief. Le type est, littéralement, le coup que l’on donne et aussi le produit, le résultat du coup que l’on donne. Ainsi, notre existence peut ressembler à une page écrite, une page sur laquelle des coups ont été frappés, sur laquelle se trouvent inscrits les résultats de ces coups. Pour peu que nous nous reconnaissions frères et héritiers des mêmes pères: nous avons, gravé sur nous, un même programme (de nouveau, l’écriture revient dans ce mot!).

J’emploie à dessein ce terme de programme parce qu’il risque de nous diriger dans un sens fâcheux. Car le programme déjà détermine, annonce ce qui va se produire. Il anticipe sur ce qui va arriver. Ce qui arrive n’est autre chose que l’exécution du programme, sa réalisation. Bref, il y a un certain rapport de cause à effet entre le programme et son effectuation. Pourquoi irions-nous dans un sens fâcheux, si nous retenions ce terme de programme ? Parce que, toute gravée que soit la page de notre existence, nous découvrons, en lisant ce passage, que ce qui s’y trouve gravé n’a rien d’un programme déterminant!

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«Je ne veux pas que vous ignoriez, frères, que nos pères, tous, ont été sous la nuée, et qu’ils ont passé, tous, à travers la mer, et qu’ils ont été plongés, tous, en Moïse dans la nuée et dans la mer». Nous avons entendu l’insistance sur «tous». Il n’y a pas eu de différence: tous, sans exception, ont été l’objet, passivement, d’une certaine conduite. Ils ont été sous la nuée, tous. Ils ont passé, tous, à travers la mer, et Moïse est celui en qui ils se sont rassemblés: ils ont été plongés, tous, en Moïse dans la nuée et dans la mer.

«Ils ont mangé, tous, le même aliment de souffle,… ils ont bu, tous, le même breuvage de souffle: car ils buvaient du rocher de souffle qui (les) accompagnait, et le rocher, c’était le Christ». L’expression, je vous l’accorde, est étrange. J’ai voulu faire apparaître quelque chose qui risque de s’effacer si nous lisions: ils ont mangé tous le même breuvage spirituel. Puisque spirituel nous renvoie au souffle, j’ai voulu faire apparaître ce fait. Ils se sont nourris et désaltérés par du souffle! C’est du souffle qui leur a permis de vivre, de souffler, car celui qui vit respire: il aspire et il expire.

Nous avions commencé par observer qu’ils avaient été passifs. Sont-ils passifs maintenant? Sont-ils actifs? Il serait bien difficile de le dire. Ce qui est sûr, c’est que ce qui les entretenait leur permettait de respirer. Ce rocher auquel ils buvaient, d’où sortait, si j’ose dire, une eau de souffle, ce rocher les accompagnait. Or, nous apprenons que ce n’était personne d’autre que le Christ. Ils étaient ainsi alimentés par celui qui porte le nom même de l’attente. N’oublions jamais en effet que, quand nous lisons Christ, nous pourrions lire, à la place, Messie, celui qui viendra, celui qui est marqué comme celui qui viendra. Bref, ils vivaient d’attendre, de se nourrir de l’Attendu.

Aussitôt après l’évocation de cette situation qui les concernait tous sans exception, nous lisons ceci: «Mais ce n’est pas dans la plupart d’entre eux que Dieu s’est complu, car ils furent étendus tout au long dans le désert». Ainsi, ils ont beau avoir été tous à la même enseigne, cependant, il y a eu entre eux un partage, et un partage inégal, puisque la plupart d’entre eux «furent étendus tous au long dans le désert».

Que s’est-il donc passé entre le temps de cette alimentation spirituelle et l’événement qui est rappelé ici, leur mort? (Par parenthèse, il était très important de reconnaître tout de suite la présence du souffle ou de l’esprit: c’était une façon de reconnaître qu’il s’agissait de la vie!) Qu’est-ce qui s’est donc passé pour que, si bien entretenus qu’ils aient été, la plupart d’entre eux aient succombé? Il y a là comme une sorte d’énigme, et nous pouvons attendre de la suite que cette énigme soit levée.

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« ''Or, ces choses sont devenues des types de nous, pour que nous ne soyons pas des convoiteurs de maux, comme ceux-là ont convoité''». Ces choses sont devenues des types, c’est-à-dire, de ces éléments en relief dont nous sommes le résultat. Et pourquoi y a-t-il ce lien entre nous et ces événements? La réponse que nous attendions commence à pointer. S’il y a ce rapport typique entre ces événements et nous, c’est pour que nous transformions notre désir, «pour que nous ne soyons pas des convoiteurs de maux, comme ceux-là ont convoité». Nous sommes frappés à leur sceau, pour que, ainsi marqués, nous apprenions à transformer notre désir, à ne pas avoir le même désir qu’eux, qui était un désir de maux. Ainsi, commence à apparaître une réponse à la question que nous posions: que s’est-il donc passé pour qu’ils aient succombé, alors qu’ils étaient si bien pourvus? Il y a eu un événement nouveau, qui nous est indiqué maintenant, et c’est leur convoitise.

Cette convoitise a porté sur des maux. Quels étaient ces maux? «Ne devenez pas non plus idolâtres… Ne forniquons pas non plus… ne mettons pas non plus le Christ à l’épreuve... Ne murmurez pas non plus ».

Certains d’entre eux sont devenus idolâtres. Autrement dit, certains d’entre eux se sont arrêtés à une image: «ainsi qu’il est écrit: "Le peuple s’est assis pour manger et boire, et ils se levèrent pour jouer. L’écriture nous révèle ce qui est inscrit dans l’existence de ces hommes, qui sont des types de nous-mêmes. Qu’est-ce donc qui est écrit? «Le peuple s’est assis pour manger et boire». Manger et boire, nous avions déjà lu cela tout à l’heure: «Ils ont mangé, tous, le même aliment de souffle et… ils ont bu, tous, le même breuvage de souffle». Ils ont bien continué à boire et à manger, mais, au lieu de boire et manger un aliment ou une boisson de souffle, ils ont mangé et bu, sans plus. «Le peuple s’est assis pour manger et boire». Quand il s’est levé, «ils se levèrent pour jouer». Ils sont entrés dans une existence qui n’avait pas de gravité, qui n’était pas sérieuse, qui échappait à cette alimentation par le souffle qui les avait faits vivre. Voilà quel a été le grand événement: un désir qui s’arrête en route, un désir qui n’est plus porté par le souffle qu’ils avaient reçu.

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La suite laisse entendre davantage encore en quoi consiste cette défaillance du désir. Elle est formulée d’abord comme une rupture de l’alliance. «Ne forniquons pas non plus, comme certains d’entre eux ont forniqué, et ils tombèrent en un seul jour vingt-trois mille.» Plus nous avançons, plus nous commençons à comprendre que se nourrir de souffle, boire du souffle fait vivre. Or, qu’est-ce qui fait vivre? C’est de respecter l’alliance, c’est ne pas vivre simplement pour manger et boire, ou ne se lever que pour jouer. Celui qui fornique brise le lien qui l’unissait à quelqu’un d’autre et qui, ainsi, lui permettait de vivre. La fornication conduit à la chute: «ils tombèrent en un seul jour vingt-trois mille».

«Et ne mettons pas non plus le Christ à l’épreuve». Rappelez-vous que le rocher qui les accompagnait, c’était le Christ. Comprenons: «Ne mettons pas non plus notre attente à l’épreuve- Le Christ, celui qui est promis, le Messie, l’Attendu -, comme certains d’entre eux ont mis à l’épreuve, et sous les serpents ils périrent.» Au fond, ils vivaient d’attendre le Christ. Ce Christ, qui les accompagnait comme un rocher, existait en eux comme une attente vive et vivifiante. Or, si l’on met à l’épreuve ce Christ, la mort s’ensuit.

«Ne murmurez pas non plus, comme certains d’entre eux ont murmuré, et sous l’exterminateur ils périrent.» Cette fois-ci, on va plus loin encore que la rupture d’alliance, plus loin que la mise à l’épreuve de ce qui nourrit: on va jusqu’à la révolte. Or, la révolte est arrêtée brutalement par l’exterminateur.

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Nous sommes maintenant instruits sur les motifs qui ont conduit à la chute du plus grand nombre dans le désert. Elle procède d’eux-mêmes. La nourriture, la vie leur venaient d’au-delà d’eux-mêmes, c’est ce que nous avions vu en commençant. Mais encore avaient-ils à l’accueillir, et cet accueil est présenté comme quelque chose qui fait partie du programme, mais qui ne va pas de soi. Certains accueillent, d’autres n’accueillent pas. Il ne suffit pas d’être alimenté ou désaltéré pour vivre. Vivre procède d’un don, sans aucun doute, et en même temps, vivre procède d’un choix. Le don n’écarte pas le choix. Sans doute, le choix suppose le don, mais le don n’entraîne pas le choix. Tout au plus, le don oblige à choisir. C’est cela qui est gravé en nous ou, plutôt, dont nous sommes la gravure. Nous existons d’après cette effigie-là.

«Or, toutes ces choses advenaient typiquement pour ceux-là, mais elles ont été écrites pour nous les mettre dans l’esprit». Pour ceux-là, elles advenaient comme des traits, des caractères qui s’imprimaient dans leur existence. Elles ne la conditionnaient pas comme peut faire un déterminisme: elles les marquaient, simultanément et inséparablement, du don et du choix, un peu comme sur une pièce de monnaie, l’envers et l’avers sont inséparables. «Mais elles ont été écrites (admirable formule) pour nous les mettre dans l’esprit.» Le verbe grec dit très exactement: pour nous les placer dans l’esprit, ou dans la pensée, pour que cela devienne la forme même de notre esprit et de notre pensée, pour que nous vivions d’après ces lignes tracées, où il est fait état du don et du choix. C’est cela qui caractérise notre existence d’esprit. Elle est marquée au coin du don et du choix.

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«… ''(nous) sur qui la fin des temps est arrivée.''» Il était important d’entendre tout à l’heure la mention du Christ comme de celui qui est attendu, de celui qui va venir. Quant à nous, la fin des temps nous atteint. Donc, l’aujourd’hui que nous vivons nous presse de choisir, de nous déterminer. Mais justement, c’est nous qui nous déterminerons. Ce qui était attendu est arrivé, si bien que maintenant il y a urgence de choisir pour rester vivant, pour continuer à vivre.

Nous ne pouvons pas nous appuyer sur le passé: «Celui qui pense tenir debout, qu’il regarde à ne pas tomber.» Nous nous étions familiarisés avec ce verbe tomber, nous l’avions lu tout à l’heure: «ils tombèrent en un seul jour vingt-trois mille». Périr ou être étendu tout au long dans le désert n’est pas loin de tomber! Maintenant donc que le temps se fait court, si quelque chose s’est modifié pour nous, ce n’est certes pas le don car le don est toujours là, mais c’est l’appel à choisir, qui devient, lui, de plus en plus pressant.

15 mars 2001

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