L'amour de Dieu et la constance du Christ
«II. Que notre Seigneur Jésus Christ lui-même, et que Dieu notre Père, qui nous a aimés et (nous) a donné par grâce réconfort éternel et bonne espérance, réconforte vos coeurs et les affermisse en toute oeuvre et parole bonne. III. Au reste, frères, continuez à prier pour nous, afin que la parole du Seigneur continue à courir et soit glorifiée, comme (elle l'est) aussi chez vous, et afin que nous soyons délivrés des hommes sans lieu et méchants. Car la foi n'est pas le fait de tous. Il est fidèle, le Seigneur, lui qui vous affermira et vous gardera du Mauvais. Nous avons confiance en vous dans le Seigneur : ce que nous vous transmettons, vous le faites et vous le ferez. Que le Seigneur dirige vos coeurs vers l'amour de Dieu et la constance du Christ!»
*
"Que notre Seigneur Jésus Christ lui-même... réconforte vos coeurs et les affermisse". Nous entrons dans ce passage en prononçant un voeu. C'est de cette même façon que nous quitterons ce passage, "Que le Seigneur dirige vos coeurs vers l'amour de Dieu et la constance du Christ !" Non seulement, au début et à la fin, nous rencontrons Dieu et le Christ, mais au début et à la fin nous parlons en formulant un souhait.
Demandons-nous si le passage que nous venons de lire ne serait pas écrit en voeu, en souhait. Du coup, d'ailleurs, nous découvrons quelque chose que nous savions mais que nous oublions souvent : c'est qu'il y a une autre manière de parler que de parler à l'indicatif !
*
Le passage que nous lisons ne nous place pas seulement dans l'ordre du souhait. Déjà, dès le début, nous disons à propos du Père "qui nous a aimés et (nous) a donné par grâce réconfort éternel et bonne espérance". Un peu plus loin, nous lisons ceci, qui est une façon de parler affirmative, et non plus optative : "Il est fidèle, le Seigneur". Nous avions dit un peu avant : "la foi n'est pas le fait de tous. Il est fidèle, le Seigneur, lui qui vous affermira et vous gardera". Et enfin : "Nous avons confiance en vous dans le Seigneur". Cette affirmation est à bien entendre. Quand nous disons à quelqu'un "Nous avons confiance en vous", ça n'est pas seulement un constat, c'est aussi une sorte de déclaration, un peu comme on parle de déclaration d'amour. Dire à quelqu'un "Nous avons confiance en vous dans le Seigneur", c'est une façon de nous lier à ceux auxquels nous parlons sur la base d'un accord que notre parole vient sanctionner.
*
Enfin, ce texte est écrit en prière. La demande n'est pas loin de ressembler à un ordre, à un commandement. "Au reste, frères, continuez à prier pour nous, afin que la parole du Seigneur continue à courir et soit glorifiée". Cette modalité de la prière mérite une grande attention. Nous pouvons nous demander si cet ordre de continuer à prier ne rejoint pas, d'une certaine façon, le souhait que nous avions noté. Nous pouvons nous demander aussi s'il est en véritable contradiction avec ce que j'ai appelé la parole affirmative.
*
Nous sommes souvent extrêmement maladroits. Nous nous disons : je ne peux pas à la fois affirmer quelque chose comme certain et demander, et souhaiter, et prier pour que cette chose arrive. Ce texte est pour nous l'occasion de mettre en question ce simplisme. Il n'est peut-être pas si contradictoire d'affirmer solidement des certitudes et, dans le même temps, de s'engager dans un souhait et même dans une prière.
Pourquoi cette manière de parler est-elle possible ? Pourquoi même est-elle fondée ?
*
Trois mots sont présents dans ce passage. Nous pouvons établir un lien entre eux. Vers le milieu, nous lisons : "Car la foi n'est pas le fait de tous". Aussitôt après : "Il est fidèle, le Seigneur". Dans fidèle, même en français, nous entendons encore le mot foi. Aussi bien d'ailleurs aurais-je pu traduire : "il est digne de foi". Et puis, un peu plus bas, nous lisons : "Nous avons confiance en vous dans le Seigneur". Dans ce terme de confiance, nous retrouvons la foi, la certitude qui vient de ce que l'on se fie en quelqu'un qui mérite qu'on le croie.
J'attire votre attention sur ces quelques mots pour que nous parvenions à faire apparaître ce qui est au fond de tout ce texte. Il nous rappelle comment nous pouvons vivre quand nous sommes introduits dans une situation d'alliance. On peut définir celle-ci comme un état dans lequel il y a de la confiance. Il peut ne pas exister : "La foi n'est pas le fait de tous". Mais ce qu'il y a de sûr c'est qu'"Il est fidèle, le Seigneur". En conséquence de quoi "nous avons confiance en vous dans le Seigneur". Ce qui est permanent, dans ce passage, c'est cette situation de foi, de foi échangée, mutuelle.
Est-ce qu'il n'y a pas d'autres mots qui vont venir faire série avec cette foi, cette confiance, cette fidélité ?
*
"Que notre Seigneur Jésus Christ lui-même, et que Dieu notre Père, qui nous a aimés". J'observais tout à l'heure que nous commencions par un souhait. J'aurais pu observer aussi que nous mentionnions un fait : "que Dieu notre Père, qui nous a aimés". Or, l'amour de Dieu est encore présent à la fin de ce passage. "Que le Seigneur dirige vos coeurs vers l'amour de Dieu". Au point où nous en sommes, nous percevons que la situation de fidélité elle-même est dépendante d'un amour donné.
Allons plus loin. Nous étions partis de la fidélité d'une alliance dans laquelle l'un se fie à l'autre. Nous avons reconnu que cette foi n'était pas sans rapport avec un amour. Nous rencontrons aussi le terme d'espérance. "Dieu notre Père, qui nous a aimés et (nous) a donné par grâce réconfort éternel et bonne espérance". Je vous avais fait remarquer tout à l'heure que nous souhaitions, que nous demandions aussi. Or, bien loin que ce souhait et que cette demande soient l'indice d'une incertitude ou d'un doute, ils apprennent comme la façon dont une espérance se déploie. Ainsi, en nous faisant don, par pure faveur, d'espérer, Dieu notre Père ne nous a pas placés dans une situation où nous serions exposés à l'hésitation, portés à fluctuer. L'espérance apparaît comme la manière de vivre dans le temps en faisant nôtre le don d'amour que Dieu nous a accordé.
Autrement dit, l'espérance n'a rien à voir avec le "peut-être". Elle est la façon de s'approprier temporellement ce qui nous a été donné. C'est pourquoi, on peut commencer par faire ce voeu : "Que notre Seigneur Jésus Christ lui-même, et que Dieu notre Père, qui nous a aimés... réconforte vos coeurs et les affermisse en toute oeuvre et parole bonne."
*
Si l'espérance est une manière de vivre dans le temps de ce que nous y recevons d'amour venu de Dieu le Père, on comprend que le texte puisse continuer en ces termes : "continuez à prier pour nous, afin que la parole du Seigneur continue à courir et soit glorifiée, comme (elle l'est) aussi chez vous, et afin que nous soyons délivrés des hommes sans lieu et méchants." Je m'explique sur cette curieuse traduction : "hommes sans lieu". Si j'avais voulu traduire avec une exactitude qui serait presque une transcription du texte grec, j'aurais dû écrire : "des hommes atopiques", des hommes qu'on ne peut pas localiser quelque part, des gens qui ne sont pas fixés, qui n'ont pas trouvé leur lieu.
Or, Paul et ceux auxquels il s'adresse comme à des frères, sont des hommes qui ont trouvé leur lieu. Leur lieu, c'est l'espérance, c'est cette situation d'alliance, où la foi se reçoit et se donne. Leur lieu, c'est d'appartenir à un amour qu'ils reçoivent par grâce. Ils sont fermes. "Il est fidèle, le Seigneur, lui qui vous affermira". Rapprochez cette solidité de l'expression "des hommes sans lieu". Paul demande qu'on prie pour que cette foi, qui espère et qui est fondée sur un amour, soit toujours rendue présente, communiquée. Car dans cette foi, cette espérance et cet amour, une vie ne s'affermit que si on en parle. Croire, espérer, aimer sont des situations étranges. Elles ne surgissent pas sans qu'une parole soit adressée. Croire, espérer, aimer sont une variante théologale de la conversation. Nous pouvons converser entre nous, et puis, aussi, la conversation peut faire lever entre nous ces gestes qui nous étonnent les premiers, quand nous les posons : croire, espérer, aimer. Mais, quand on est engagé dans ce genre de vie, on se rend bien compte que ce n'est jamais acquis, qu'il y a comme un combat. Il faut être délivré de tout ce qui s'y oppose.
Ne prenons pas comme une simple formule de politesse la phrase qui suit "Nous avons confiance en vous dans le Seigneur" : ce que nous vous transmettons, "vous le faites et vous le ferez" : cette foi, cette espérance, cet amour n'ont été donnés que pour se transformer en ouvrage : "qu'il affermisse vos coeurs en toute oeuvre et parole bonne."
Nous savons bien que pour que quelqu'un ait confiance, simplement, en lui-même, il faut souvent que quelqu'un ait confiance en lui et le lui dise. La confiance est quelque chose qui se transmet par une sorte de contagion.
*
"Que le Seigneur dirige vos coeurs vers l'amour" qu'a Dieu pour vous, vers l'amour que Dieu vous porte, qu'il vous rende attentifs à cet amour et qu'il dirige vos coeurs vers "la constance du Christ !"
Qu'est-ce que ces frères, auxquels Paul s'adresse, ont à faire au long du temps qui court ? Ils ont à s'approprier la constance du Christ. Au fond, tout se passe comme s'il leur disait : en vivant de foi, d'espérance et d'amour, vous allez, là où vous êtes, reproduire mais, singulièrement, la constance du Christ. Alors, oui ! "Que notre Seigneur Jésus Christ lui-même,... réconforte vos coeurs et les affermisse". Oui ! lui-même, lui en personne, pas seulement le Père, mais Jésus, le Christ.
*
La lecture que je vous ai proposée a fait d'abord apparaître la diversité des voix qui se font entendre dans ce texte. Nous avons pu penser que cette diversité de voix allait vers la confusion. En effet, qu'est-ce qu'un discours qui mêle le souhait, l'affirmation, la demande et dans lequel on demande ce qui d'abord a été affirmé ?
Dans un deuxième temps, j'ai essayé de montrer qu'une attention plus exacte au texte permettait de dissiper tout soupçon sur la cohérence de ce passage. Nous avons été amenés à mieux entendre ces trois gestes qui nous ramènent à Dieu le Père : croire, espérer et aimer.
La dominante d'un passage comme celui-ci, c'est l'espérance, mais une espérance toute autre que nous ne l'entendons souvent. "J'espère" est une autre manière de dire "je crois," une autre manière de dire "j'aime". C'est la manière de dire "je crois" et "j'aime" en plein dans le temps. L'espérance est la manière d'honorer le temps, de ne pas trouver le temps insupportable, parce que le temps n'est pas réfractaire à croire et à aimer.
Quant à savoir si l'amour de Dieu dont il est fait état à la fin, c'est l'amour que nous avons pour Dieu ou l'amour que Dieu a pour nous, on pourrait certainement en disserter de façon inépuisable. Si je suis porté à entendre ici plutôt l'amour de Dieu pour nous, c'est parce que c'est lui qui a été évoqué au début : "Dieu notre Père, qui nous a aimés". Donc "Que le Seigneur dirige vos coeurs vers l'amour de Dieu", qu'il vous évite d'oublier l'amour que Dieu a eu pour vous. Du même coup, il vous dirigera vers la constance du Christ, cette constance du Christ étant pour celui-ci ce qu'est pour nous l'espérance.