Le souffle de la filiation adoptive
«Ceux qui existent dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. Or vous, vous n'existez pas dans la chair, mais dans le souffle, puisque le souffle de Dieu habite en vous. Or, si l'on n'a pas le souffle du Christ, on ne lui appartient pas. Or, si le Christ est en vous, alors que le corps est cadavre à cause du péché, le souffle est vie à cause de la justice. Or, si le souffle de celui qui a réveillé Jésus d'entre les cadavres habite en vous, celui qui a réveillé le Christ d'entre les cadavres fera vivre aussi vos corps mortels par son souffle qui habite en vous. Ainsi donc, frères, nous sommes débiteurs, mais non de la chair, de vivre selon la chair. En effet, si c'est selon la chair que vous vivez, vous allez mourir, mais si par le souffle vous mettez à mort les pratiques du corps, vous vivrez. En effet, tous ceux qui sont conduits par le souffle de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. En effet, vous n'avez pas reçu le souffle de l'esclavage, du retour à la crainte, mais vous avez reçu le souffle de la filiation adoptive, dans lequel nous crions : «Abba ! Père !» Le souffle lui-même témoigne avec notre souffle que nous sommes enfants de Dieu. Or, si enfants, aussi héritiers ; mais héritiers de Dieu ; alors cohéritiers avec le Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui.»
Nous pouvons dire que nous venons de traverser une forêt. Comme il arrive lorsque nous traversons une forêt, il se peut que les arbres nous la cachent. Sans doute, avons-nous été tous sensibles au retour d'un certain nombre d'arbres sur lesquels nous avons buté. J'en énumère quelques-uns qui reviennent sur la route avec insistance : souffle, chair, corps, mort, cadavre. Il se peut que nous nous préoccupions avant tout de chercher ce que veulent dire ces mots, ce qu'il y a derrière chacun de ces noms, quelle est l'essence de chacun de ces arbres. Nous sommes dans la forêt et, comme des nains, nous ne voyons que les arbres qui s'élancent.
Si vous voulez, nous allons d'abord sortir de la forêt afin de dominer le tout, comme par une vue aérienne, et notamment de repérer ce qui est dit à l'entrée et ce qui est dit à la fin. Ensuite, nous irons et nous viendrons à l'intérieur de ce maquis.
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Qu'est-ce qui nous est dit dès le début ? «Ceux qui existent dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu.» Il y a une manière d'exister et cette manière d'exister est désignée comme existence dans la chair. Or cette manière d'exister rend impossible ce que je vous propose d'appeler un certain accord. Nous ne pouvons pas, existant dans la chair, être accordés à Dieu. Voilà ce qui est dit dès le départ, sans ambages : une certaine union, une certaine concorde est impossible quand on existe d'une certaine façon.
Et que lisons-nous vers la fin ? «Le souffle lui-même témoigne avec notre souffle que nous sommes enfants de Dieu. Or, si enfants, aussi héritiers ; mais héritiers de Dieu ; alors cohéritiers avec le Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui.» Qu'est-ce qui revient de façon insistante lorsque nous sortons de ce passage ? Vous l'avez entendu, c'est un petit mot qui n'est pas négligeable, même s'il semble tenir moins de place que ceux que j'ai évoqués tout à l'heure : c'est le petit mot avec. Si nous avions à donner un titre à ce passage, je proposerais qu'on l'appelle avec. Voilà de quoi parle ce passage et, myopes que nous sommes, nous nous disons : mais non, il nous parle de souffle, de chair, de corps, de mort, de cadavre. Oui, c'est vrai, il nous fait passer par tout cela, mais pour nous entretenir d'union. Il s'agit de passer d'un mode d'existence où nous ne sommes pas avec à un autre mode d'existence où nous sommes avec.
Vous allez me dire : mais avec qui ? Je vous réponds d'emblée : avec, pas tout seuls, unis à, associés à, plus séparés ! Voilà ce que, d'une vue aérienne, on peut distinguer lorsqu'on n'est plus le nez, les yeux sur les arbres, lorsqu'on surplombe l'ensemble du massif.
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Vous avez observé à la lecture qu'il y a un mot qui revient souvent, du début jusqu'à la fin, et vous y avez été sans doute d'autant plus sensibles que je l'ai traduit de façon un peu originale : au lieu de dire esprit, j'ai traduit plus concrètement par souffle. D'un bout à l'autre, c'est le mot souffle qui vient et revient.
Dans un premier temps, ce terme de souffle est associé à des mots comme chair, comme corps, comme mort, comme cadavre, comme vie aussi. Et puis, vient un moment où nous ne rencontrons plus ces termes, qui ont une signification d'abord physique. On continue à employer le mot souffle, mais tout a changé. Par exemple, «tous ceux qui sont conduits par le souffle de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu»... «vous n'avez pas reçu le souffle de l'esclavage, du retour à la crainte,... vous avez reçu le souffle de la filiation adoptive, dans lequel nous crions : "Abba ! Père !"» Et ça continue ainsi. C'en est fini des termes qui nous renvoient au physique. Ce sont maintenant des mots qui évoquent la situation dans laquelle on se trouve quand on est non pas seulement un être physique, mais un être reconnu, voire écrasé, mais écrasé socialement, reconnu quand on est fils, quand on peut crier «père !», écrasé quand le souffle est celui de l'esclavage, qui fait revenir à la crainte.
Les termes qui maintenant sont associés, avec le souffle, ce sont des mots de la vie en société : «le souffle lui-même témoigne avec notre souffle». Et puis il est question d'héritage, et ça se termine par quelque chose qui n'a rien de physique : la gloire.
Après avoir évoqué la présence obstinée du mot souffle, je voudrais tracer le chemin que ce passage nous invite à faire.
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Il y a deux façons d'entendre le mot de vie. Il y a la vie qui désigne une durée. La vie, c'est ce qui dure un certain temps. Elle est limitée par la mort, qui la termine. Dans cette perspective-là, la mort est comprise comme l'au-delà et la négation de la vie. Mais il y a aussi une autre manière d'entendre le mot vie. Il y a la vie qui consiste dans le lien qui unit l'un à l'autre deux êtres, la vie qui joint, la vie qui réunit. Ce n'est plus la vie dont on peut parler en quelque sorte quantitativement. Chacun de nous a une quantité de vie, si l'on compte les années. Mais il y a aussi ce qu'on peut appeler la qualité de vie. La vie alors unit l'un à l'autre deux êtres dans un lien qui est l'échange d'un souffle. Or le contraire de cette vie-là, dans le passage que nous lisons, s'appelle la chair. La chair, ce n'est pas la matière vivante de notre corps. La chair, dans ce passage, c'est le contraire, l'opposé de ce souffle qui donne à la vie une qualité. La chair, c'est ce qui nous laisse tout seuls. La chair, c'est ce qui nous sépare des autres.
La chair, qui est l'en-deça, la négation de l'union, on peut aussi bien la nommer mort, s'il est vrai que le souffle est le moment où la vie est portée à son maximum de qualité, à son intensité la plus haute.
Mais allons plus loin. On peut en effet établir une équivalence entre chair et mort pour autant que la mort empêche l'union, tandis que le souffle, ou l'esprit, si vous y tenez, à la fois unit et fait vivre. Mais on peut aussi parler de la mort comme du lien qui unit dans l'échange d'un souffle, quand deux êtres s'étreignent. Donc la mort n'est pas seulement l'au-delà de la quantité d'années vécues, mais la mort peut être aussi entendue comme ce qui, dans l'essoufflement, dans l'échange du souffle, fait mourir. On meurt d'aimer ! A nous de décider si cette mort est heureuse où si elle est le comble de l'union, le comble de la rencontre !
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Nous parlons de ce qui nous arrive tantôt au présent, tantôt au futur. Or nous pouvons observer comment le futur l'emporte dans le commencement.
Nous lisons par exemple : «celui qui a réveillé le Christ d'entre les cadavres fera vivre aussi vos corps mortels», ou encore : «si c'est selon la chair que vous vivez, vous allez mourir, mais si par le souffle vous mettez à mort les pratiques du corps, vous vivrez». Nous pouvons donc parler de nous au futur, mais nous pouvons parler de nous aussi au présent. C'est ce présent que nous rencontrons, au moment de sortir de ce passage : «Le souffle lui-même témoigne avec notre souffle que nous sommes enfants de Dieu.» Ainsi nous apprenons que le présent ou le futur peuvent être soit le temps de l'union, soit le temps de la mort, d'une union qui est mort, d'une mort qui est union et cela peut se faire, soit maintenant, soit plus tard.
Dans ce passage, il y a une manière de parler de nous autrement qu'au présent et au futur. Nous y parlons aussi de nous au passé. Nous avons reçu un souffle qui s'est uni à notre souffle et ce souffle, cette union réalisée, accomplie, éclate, si je puis dire, non pas se défait, mais s'éclate serais-je tenté de dire, en un cri, car pour crier, il faut du souffle. «Tous ceux qui sont conduits par le souffle de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. En effet, vous n'avez pas reçu le souffle de l'esclavage, du retour à la crainte, mais vous avez reçu le souffle de la filiation adoptive, dans lequel nous crions : "Abba ! et il traduit : Père !"»
Vous sentez bien que ce passage parle d'un événement qui nous est arrivé, d'un événement dans lequel nous existons. Cet événement, tout à l'heure, en survolant le massif, je l'ai appelé union. Nous pouvons lui donner d'autres noms. Ce qui nous est arrivé, ça nous est arrivé parce que dans le temps de notre histoire, dans le même temps que celui de notre histoire, c'est-à-dire dans le temps où, à un moment, la mort arrive, quelqu'un, Jésus, le Christ (c'est le nom qu'on lui donne ici), en son corps, mortel comme le nôtre, a effectivement cessé d'être le cadavre qu'il était devenu. Il a été éveillé d'entre les cadavres par quelqu'un auquel on donne un nom, deux noms plutôt : celui de Père et celui de Dieu.
L'événement de cet éveil est maintenant en nous. Il est en nous dans la permanence d'un souffle, de notre souffle, du souffle qui fait de nous des vivants et qui, en ce moment, me permet de parler, par exemple. Souffle uni à notre souffle, nous unissant de façon que nous soyons des enfants. Ce souffle, c'est lui qui nous qualifie pour nous regarder comme des héritiers, et c'est lui aussi qui nous rassemble intérieurement en nous-mêmes quand nous souffrons et qui nous unit à la naissance, à la condition d'héritiers et à la souffrance de Jésus, le Christ, comme il nous unit à sa gloire.
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C'est bien pourquoi nous n'avons pas de dette à payer et surtout pas de dette à payer à la chair, la chair qui est, je vous le rappelle, cet en-deça de l'union, la chair qui est en nous ce qui fait que nous ne pouvons pas nous unir. C'est par le souffle que nous nous unissons. Nous n'avons pas de dette à payer à la chair, c'est-à-dire à la mort, quand elle fait de nous des cadavres, ou encore, comme le dit ce passage, au péché.
«Ainsi donc, frères,» (voilà qu'il dit frères, car ce n'est pas quelque chose qui lui arriverait à lui tout seul : il en parle comme d'une réalité qui concerne ceux auxquels il s'adresse et qui établit entre eux et lui une fraternité). «Ainsi donc, frères, nous sommes débiteurs, mais non de la chair, de vivre selon la chair.» Entendons : si nous vivons, et nous vivons, nous ne le devons pas à la chair. «En effet, si c'est selon la chair que vous vivez, vous allez mourir, mais si par le souffle vous mettez à mort les pratiques du corps, vous vivrez.» L'important semble bien être que nous nous reconnaissions pour ce que nous sommes devenus. Nous ne sommes pas seulement des vivants, nous ne sommes pas seulement des êtres qui seraient nés, nous ne sommes pas seulement des enfants. Comme le dit énergiquement Paul, nous sommes des fils, fils de Dieu par adoption, puisque son souffle habite en nous. Et l'effet de cette habitation du souffle de Dieu en nous, l'effet encore négatif, il est écrit ici noir sur blanc : c'est le bannissement de la peur, ou de la crainte, comme vous voudrez. «Vous n'avez pas reçu le souffle de l'esclavage, du retour à la crainte, mais vous avez reçu le souffle de la filiation adoptive, dans lequel nous crions : "Abba ! Père !"» Voilà à quoi se reconnaît la présence du souffle en nous : à ce que la mort ou la peur, la mort qu'est la peur aussi bien d'ailleurs que la peur de la mort, sont bannies, et lorsque nous crions «Abba ! Père !»
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Je termine en proposant un petit lexique.
Il faut accepter que par ce mot de chair et de corps sous l'emprise de la chair, nous entendions la solitude, l'infécondité et la mort. Accepter aussi que par ce mot de souffle et par le mot de corps quand il est animé par le souffle, nous disions le lien, l'alliance, la création, la vie, non pas en tant qu'elle dure selon une quantité déterminée mais la vie en tant qu'elle fait passer à une qualité d'existence autre que celle dans laquelle on est d'emblée. Il faut accepter aussi que Dieu et celui que nous appelons le Christ ou le Messie, nous les mettions du côté du souffle. Comment seraient-ils du côté de la chair ?
Autrement dit, ici, dans le passage que nous venons de traverser, chair et souffle ou chair et esprit, pour autant qu'ils s'opposent, mais qu'ils s'opposent dans ce passage, je n'hésite pas à dire que ce sont des façons de dire, des manières de parler. De dire quoi ? de parler de quoi ? La chair, elle dit soit notre ignorance, soit notre refus, soit notre impuissance face à l'union. Le souffle, l'esprit, qu'est-ce qu'il dit ? Qu'est-ce que nous disons en employant ce terme ? Nous disons notre attente et notre accueil de l'union. Et qu'est-ce que nous disons enfin lorsque nous employons des termes comme résurrection ou éveil de Jésus, le Messie, d'entre les cadavres ? Nous disons l'événement, présent dans notre histoire, qui nous permet de nous regarder les uns les autres comme des gens appelés à ne pas rester tout seuls : appelés à s'unir. Et qu'est-ce que nous entendons par un autre mot, qui est aussi présent dans ce texte, même s'il l'est peu souvent, qu'est-ce que nous entendons par le mot de Dieu ? Dieu, c'est le nom par lequel nous signifions que cette attente, cet accueil de l'union ont été, sont et seront des événements inscrits dans notre histoire pour assurer la vérité, la réalité de l'union.