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 C’est moi qui ferai paître mes brebis 

«Oui, ainsi dit le Seigneur IHVH : Me voici, moi ! Je me soucierai de mes brebis, et je les inspecterai. Comme un pâtre inspecte ses brebis le jour où il est au milieu de ses brebis dispersées, ainsi j'inspecterai mes brebis, et je les retirerai de tous les lieux où elles ont été répandues en un jour de nuée et de brouillard. Je les ferai sortir des peuples et je les rassemblerai des pays et je les ferai venir sur leur sol. Je les ferai paître sur les montagnes d'Israël, dans les ravins et dans tous les habitats du pays. Dans un bon pâturage je les ferai paître, sur les montagnes du haut Israël sera leur demeure. Là elles s'accroupiront dans une bonne demeure, et dans un gras pâturage elles paîtront sur les montagnes d'Israël. C'est moi qui ferai paître mes brebis et c'est moi qui les ferai s'accroupir, oracle du Seigneur IHVH. La perdue, je la chercherai ; l'égarée, je la ferai revenir ; la brisée, je la panserai ; la malade, je la fortifierai ; la grasse, la forte, je la détruirai. Je ferai paître en équité. Quant à vous, mes brebis, ainsi dit le Seigneur IHVH : me voici, je jugerai entre agneau et agneau, béliers et boucs.»


Ezechiel XXXIV, 11-17

Pour nous aider dans la traversée de ce passage, je vais proposer un certain nombre de termes qui nous sont suggérés par le passage que nous lisons.

Ainsi, sans forcer les mots, nous pouvons reconnaître que, au début de ce passage, celui qui parle, le Seigneur, entend mettre fin à une désagrégation. Dans ce terme, nous entendons le mot que nous retrouvons dans l'adjectif "grégaire" : il s'agit du troupeau ! Tout commence, dans ce passage, par la désagrégation à laquelle le Seigneur entend bien mettre fin en rassemblant le troupeau, qui ne méritait plus son nom.

Si maintenant nous nous projetons vers la sortie de ce passage, il n'est plus fait état de désagrégation, ni de rassemblement. Vers la fin de ce passage, le collectif est oublié. Il s'agit plutôt de la situation particulière de chaque brebis. L'intention du Seigneur est de faire cesser un état de désintégration. Dans intégration, comme dans désintégration, nous entendons encore le mot "intact". Telle brebis a été blessée. Elle a pu perdre d'abord son intégration au troupeau, "La perdue, je la chercherai ; l'égarée, je la ferai revenir". Mais, surtout, c'est en elle-même que s'est produite une lésion, une brisure : "la brisée, je la panserai ; la malade, je la fortifierai".

Bref, si tout commence par la suppression d'une dispersion du troupeau, tout, vers la fin, désigne une entreprise de réfection.

Entre les deux tout est commandé par la relocalisation. "Je les ferai paître sur les montagnes d'Israël, dans les ravins et dans tous les habitats du pays." Ces lieux sont entendus comme le sol même auquel appartiennent les brebis ou qui appartient aux brebis.

Il y a une dispersion qui a été aussi une dislocation. Les brebis ont été répandues dans tous les pays. Elles ont été perdues parmi les peuples. Désagrégation, dispersion, dislocation, à quoi une réunion qui les rassemble va mettre un terme.

Quant au deuxième temps, je vous propose de le marquer par la phrase : "Je les ferai paître sur les montagnes d'Israël". Cette relocalisation n'est pas seulement un déplacement, comme s'il fallait faire venir les brebis de là où elles étaient disséminées vers un lieu unique. C'est une relocalisation commentée par une nutrition. C'est vers le milieu de ce passage qu'abondent les termes évoquant la nourriture : "Je les ferai paître... dans un bon pâturage je les ferai paître, ... dans un gras pâturage elles paîtront... C'est moi qui ferai paître mes brebis".

Enfin, le mouvement s'achève par une reprise de ce qui avait été évoqué au début. En effet, chacune des brebis est envisagée dans sa particularité, mais cette particularité est présentée comme un état lésé. Ainsi, vers la fin, c'est encore la désagrégation qui est en cause. Non plus la désagrégation collective ou sociale mais la désagrégation personnelle, la désagrégation de chacun. Quand on est ensemble, un troupeau, on est désagrégé quand on est dispersé. Mais, quand on envisage le cas de chaque brebis, la désagrégation devient la décomposition interne de chacune, et ce qui était réunion, quand il s'agissait de la pluralité, devient, à la fin, réfection.

*

"Oui, ainsi dit le Seigneur IHVH". Le terme de Seigneur est suivi du tétragramme, du nom imprononçable. Oui, ainsi dit celui qui est le maître. Mais sa maîtrise, nous ne pouvons pas la définir. Tout au plus allons-nous pouvoir observer en quoi elle consiste, quand nous allons lire ce que dit ce Seigneur. Je vous propose d'entendre toutes ces paroles du Seigneur comme une manière de nous faire comprendre son nom. Ce nom que nous ne pouvons pas articuler, nous pouvons cependant reconnaître comment il se présente dans l'action, dans l'opération qu'il accomplit.

"Me voici, moi !" Presque avec la même force, un peu plus bas, un peu avant que nous ne quittions ce passage, le "moi" de celui qui parle réapparaîtra avec force : "C'est moi qui ferai paître mes brebis et c'est moi qui les ferai s'accroupir, oracle". L'affirmation de soi par celui qui parle ici est très forte. Par "moi" nous pouvons entendre, bien sûr, "pas un autre", "personne d'autre". Dire "moi", c'est porter le projecteur sur celui qui parle,  mais c'est aussi  une autre façon de dire : "me voici, moi ; jusqu'alors, je manquais". Il s'agit moins, pour celui qui parle, de se mettre en valeur, que de signaler à quoi il se fait reconnaître. Si le Seigneur a un nom imprononçable, il peut cependant être distingué.

Qu'est-ce qui caractérise le Seigneur ?

Son souci, la préoccupation qu'il a. Il ne s'agit pas seulement d'une recherche (celle-ci viendra vers la fin). Il s'agit d'une recherche qui manifeste le souci qu'il a de ses brebis.

Le Seigneur ajoute qu'il va faire l'inspection. "Je les inspecterai. Comme un pâtre", c'est-à-dire, non pas comme un inspecteur qui se préoccupe de vérifier le nombre, mais comme celui qui a la charge de pourvoir à la nourriture.

"Comme un pâtre inspecte ses brebis le jour (nous verrons ce que c'est que ce jour, tout à l'heure) où il est au milieu de ses brebis dispersées, ainsi j'inspecterai mes brebis, et je les retirerai de tous les lieux où elles ont été répandues en un jour de nuée et de brouillard". Le jour où il est au milieu de ses brebis contraste avec un autre jour : le jour de la nuée et du brouillard. C'est un jour, c'est-à-dire une date, et c'est aussi  en plein jour !

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"Je les ferai sortir des peuples et je les rassemblerai des pays et je les ferai venir sur leur sol." Les pays sont ici à entendre comme des territoires. Si nous voulons entendre "terre" au sens où la terre nourrit, c'est le terme "sol" qui évoque cet aspect. Je les rassemblerai dans un monde quadrillé, dans un monde où un pays n'en est pas un autre, je les rassemblerai sur leur sol. Sans doute, le sol prend place sur la carte, mais ce n'est pas cela qui est d'abord signalé. Le sol est l'endroit où les brebis seront nourries. Le sol n'est pas tant leur propriété, distincte de la propriété d'un autre, c'est l'endroit où elles vont pouvoir trouver pâturage.

"Je les ferai paître sur les montagnes d'Israël, dans les ravins et dans tous les habitats du pays." Il y a un lieu qui est tout entier nourricier, un espace où les brebis vont pouvoir trouver nourriture.

"Dans un bon pâturage je les ferai paître, sur les montagnes du haut Israël sera leur demeure." Avaient-elles, jusqu'alors, une demeure ? On n'habite pas la dispersion, pas plus que, nous le verrons tout à l'heure, on ne peut habiter, résider dans la maladie.

"Là elles s'accroupiront dans une bonne demeure". J'ai voulu rendre la vigueur du terme de la langue originale. La manière qu'a une brebis de gîter, c'est de faire corps avec la terre, le sol, c'est de s'en nourrir, sans doute, mais en l'occupant par toute l'étendue de son propre corps. "Là elles s'accroupiront dans une bonne demeure". Le pâturage était tout à l'heure qualifié de bon. Maintenant, c'est la résidence qui est devenue bonne.

"Et dans un gras pâturage elles paîtront sur les montagnes d'Israël." Relocalisation, oui, mais relocalisation pour assurer une alimentation, pour faire vivre.

Et, comme si celui qui parle souhaitait que nous ne puissions pas oublier le plus important, il ajoute : "C'est moi qui ferai paître mes brebis et c'est moi qui les ferai s'accroupir, oracle du Seigneur IHVH." Je serai celui qui opèrera cette alimentation, comme si personne d'autre ne pouvait nourrir ses brebis. Sans doute, un sol va les nourrir, un pâturage gras, mais tout cela se fera sous la conduite de quelqu'un qui, lui-même, porte un nom dans lequel on entend encore une relation à la nourriture : il est un pâtre. Il y a une communauté entre le sol nourricier et celui qui préside à l'opération.

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Nous voilà arrivés vers la fin de notre traversée. Jusqu'alors, tout était au pluriel. Maintenant, tout se particularise. Quelque chose évoque encore la dispersion de tout à l'heure : "La perdue, je la chercherai ; l'égarée, je la ferai revenir" : écho de ce que nous avons traversé au début de ce passage. Mais, comme je vous le suggérais tout à l'heure, ce qui commente la désagrégation, c'est la blessure. Ces brebis sont navrées, elles ont reçu une blessure. "La brisée, je la panserai ; la malade," je lui donnerai ce qui lui manque, c'est-à-dire la force. "La malade, je la fortifierai".

En revanche, qu'est-ce que je peux bien avoir à faire avec la grasse, avec la forte ? Je n'en ai rien à faire. "La grasse, la forte, je la détruirai." Il s'agit ici d'affirmer que la force, la vigueur, la santé, ce sont celles qu'il donne, celles qu'il apporte, non pas celles que nous pouvons acquérir par nous-mêmes. En d'autres termes, nous nous tromperions si nous lisions ce texte quantitativement, en disant, par exemple : il y a les miens et les autres. Les miens, je les rassemble, je les préserve. Les autres, je les écarte. Il s'agit de comprendre qu'il n'est de nourriture, de force qui permettent de vivre que celles qu'il donne, celles qui sont données, et non pas naturelles. Si bien que la forte, la grasse, elle n'a rien à recevoir de lui, la malheureuse.

"Je ferai paître en équité." Oui ! Ma conduite sera juste. Je jugerai, il y aura bien discrimination, mais entre quoi et quoi ? Entre ceux, s'ils existent, qui peuvent vivre à partir de leurs propres forces, naturellement, et les autres.

En définitive, ce texte nous dit que ce qui est premier, dans toute situation devant Dieu, s’appelle brisure, maladie, égarement, perte, dispersion, désagrégation. Personne n'y échappe. Et l'œuvre, pastorale, c’est-à-dire nourricière, du Seigneur s'attaque à la force qui est toujours une fausse force, si elle procède d'une vigueur naturelle. En effet, lui seul, le Seigneur rend fort, "voici, moi !...  C'est moi qui ferai paître mes brebis et c'est moi qui les ferai s'accroupir".

18 novembre 1999

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