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Il y avait un homme à Jérusalem

«Et lorsque furent remplis les jours de leur purification, selon la loi de Moïse, ils le firent monter à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, comme il est écrit dans la loi du Seigneur que tout mâle qui fend la matrice sera appelé saint pour le Seigneur, et pour donner en sacrifice, selon ce qui est dit dans la loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes. Et voici qu'il y avait un homme à Jérusalem, du nom de Syméon, et cet homme était juste et observant, prêt à recevoir la consolation d'Israël, et un esprit saint était sur lui. Et il avait été averti par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur. Et il vint dans l'Esprit au Temple. Et tandis que les parents introduisaient le petit enfant Jésus pour faire à son égard selon la coutume de la loi, lui, il le reçut dans ses bras, bénit Dieu et dit :

"Maintenant, tu congédies ton esclave, maître,
selon ta parole, en paix.
Parce que mes yeux ont vu ton salut,
que tu as préparé selon la face de tous les peuples,
lumière pour un dévoilement des nations
et gloire d'Israël, ton peuple"»


Luc II, 22-32

Dans ce passage, fréquemment, la «loi» revient. C'est «la loi de Moïse», «la loi du Seigneur», et finalement «la loi», tout court.

D'autre part, plus on avance dans le texte, plus la mention de l'Esprit Saint est présente : «un esprit saint était sur lui», «il avait été averti par l'Esprit Saint», «il vint dans l'Esprit au Temple».

Cette double observation, si utile qu'elle soit, risque toutefois de nous conduire sur des chemins qui ne sont peut-être pas les meilleurs. Est-il sûr, par exemple, qu'il faille opposer la loi, qu'elle soit de Moïse ou du Seigneur, ou la loi tout court, à l'Esprit, fût-il saint, ou fût-il l'Esprit tout court ? Voilà une question qui peut nous habiter. Pourquoi ne pas les opposer ? Oui ! Mais aussi pourquoi les opposer ?

Si nous observons maintenant les lieux qui sont mentionnés, la ville de Jérusalem est très présente : «ils le firent monter à Jérusalem... Et voici qu'il y avait un homme à Jérusalem». Un lieu particulier dans Jérusalem est indiqué : «il vint dans l'Esprit au Temple». Vous avez aussi sûrement été sensibles à la mention d'Israël : «prêt à recevoir la consolation d'Israël», «gloire d'Israël». Pour en rester encore aux espaces, ou, du moins, à ceux qui les occupent, notons qu'il est fait état de tous les peuples, et d'un seul peuple, «ton peuple».

*

«Et lorsque furent remplis les jours de leur purification, selon la loi de Moïse». Dès les premiers mots, nous observons que le texte se nourrit de citations. Nous en retrouvons un peu plus bas : «tout mâle qui fend la matrice sera appelé saint pour le Seigneur» et puis : «un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes». Nous nous appuyons sur quelque chose qui a déjà été dit. Il y a un avant de ce texte. Nous pouvons dire que cet avant consiste dans l'antériorité d'une loi. Or, une loi, c'est l'énoncé de quelque chose qui arrive, pour peu qu'on lui obéisse, et qui arrive toujours de la même façon.

Qu'est-ce donc qui arrive ainsi toujours de la même façon ? Qu'est-ce qui a lieu dans l'événement répété de la loi ?

Il s'agit d'une purification. Purification de quoi ? En quoi la pureté est-elle absente ?

Tout se passe comme si, aussi longtemps que l'enfant n'a pas été présenté au Seigneur, la pureté manquait. Vous remarquerez d'ailleurs que la pureté manquerait aussi bien à lui qu'à ses parents. Il s'agit en effet de «leur purification».

Qu'est donc cette pureté ?

*

«Comme il est écrit dans la loi du Seigneur que tout mâle qui fend la matrice sera appelé saint pour le Seigneur».

Qu'est-ce qui se passe quand un mâle fend la matrice ? Qu'est-ce qui lui manque pour qu'il faille encore le présenter au Seigneur ? Est-ce que nous ne pourrions pas dire que cette présentation au Seigneur fait de lui quelque chose d'autre qu'un mâle ? Certes, il reste un mâle mais voilà qu'il va recevoir un nom, on va l'appeler «saint pour le Seigneur» et, en échange de ce mâle, on va donner des bêtes. Autrement dit, ce mâle n'est plus une bête. Il est un vivant, mais il n'est plus seulement un animal. Bref, un homme est né qui n'était, du seul fait de sa naissance, qu'un animal. L'animal, on le sacrifie sous les espèces du couple de tourterelles ou de deux jeunes colombes. Ce mâle, devenu homme, est entré dans un ordre où non seulement on le nomme, mais où on l'appelle «saint pour le Seigneur.»

Bref, la naissance d'un mâle, qui devient autre chose qu'un simple vivant, est d'emblée déchiffrée comme un événement religieux : il est présenté au Seigneur et il est appelé saint pour le Seigneur. Le mâle qu'il continue d'être devient un homme, et un homme en relation avec le Seigneur.

Voilà la première réponse que l'on peut avancer lorsqu'on cherche, dans l'énoncé même de la loi, ce qui arrive quand on accomplit cette loi.

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Maintenant essayons de comprendre ce que l'événement lui-même de la présentation de Jésus ajoute à la signification de cette loi. Car cette loi est appliquée. Mais l'application, ce jour-là, de la loi, nous permet de comprendre, plus radicalement que nous ne venons de le faire, ce qui arrive quand s'accomplit cette loi du passage à l'humanité.

Ici prend sa signification, à la fois merveilleuse et simple, une affirmation qui apparemment ne signifie pas grand chose : «Et voici qu'il y avait un homme à Jérusalem». On nous donne aussitôt le nom de cet homme : «il y avait un homme à Jérusalem, du nom de Syméon, et cet homme était juste et observant, prêt à recevoir la consolation d'Israël, et un esprit saint était sur lui.» Cet homme est à Jérusalem, là où l'on conduit l'enfant. Mais il est lui-même pris dans tout ce dispositif sacré, religieux. Il est au coeur du coeur de Jérusalem, dans le Temple. Allons plus loin : cet homme, d'une certaine façon, est lui-même un lieu, il était «prêt à recevoir la consolation d'Israël», il était habité par un esprit saint qui le recouvrait.

Donc, il y a comme une sorte de rencontre. Un homme va à la rencontre de quelqu'un qui vient de naître à l'humanité !

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«Il avait été averti par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur». Nous sommes là au lieu le plus grave de ce passage. Ou bien..., ou bien. Ou bien la mort, ou bien la présence du Messie du Seigneur. La mort peut bien venir. Puisque la venue du Christ du Seigneur a eu lieu, qu'elle vienne ! Chaque fois que cette loi s'accomplissait, la victoire sur la mort était virtuellement présente dans les répétitions de la loi. Mais, assurément, cette virtualité, présente jusqu'alors dans la loi, mais enveloppée, arrive, s'impose par l'événement même : l'événement commente la loi, il la réalise, l'approfondit et en manifeste la portée ultime.

Il s'agit de l'évacuation de la mort dans une vie où, pourtant, elle va venir. Maintenant, elle peut venir car ici, déjà, ce n'est plus elle qui l'emporte, c'est la rencontre du Messie du Seigneur.

*

«Tandis que les parents introduisaient le petit enfant Jésus pour faire à son égard selon la coutume de la loi». Il n'y a rien de plus à faire parce qu'au fond, l'important, c'est ce qui s'est déjà passé dans l'attente de Syméon. Il était prêt à recevoir la consolation d'Israël et déjà il avait été averti que la mort ne viendrait qu'après qu'il aurait vu quelque chose d'autre, quelqu'un d'autre que la mort.

«Et tandis que les parents introduisaient le petit enfant Jésus pour faire à son égard selon la coutume de la loi, lui, il le reçut dans ses bras». Quand nous prenons quelqu'un dans nos bras, c'est une manière de le faire nôtre, de nous unir à lui.

Qu'est-ce qu'il dit ? «Maintenant, tu congédies ton esclave, maître, selon ta parole, en paix.» Oui, ce n'est pas le maître qui l'appelle esclave, c'est lui qui se dit esclave, soumis entièrement à ce qui a été dit.

Maintenant, la parole révèle qu'elle n'était pas creuse. Mais, pour comprendre qu'il en est ainsi, il faut un événement. Cependant une fois qu'il est arrivé, on découvre qu'il était toujours déjà arrivé. Mais encore faut-il qu'il soit arrivé, pour qu'on dise qu'il était de toujours.

«Parce que mes yeux ont vu ton salut». De nouveau réapparaissent les références à des termes qui étaient déjà utilisés et valables autrefois, «parce que mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé selon la face de tous les peuples, lumière pour un dévoilement des nations et gloire d'Israël, ton peuple.» Oui, tu l'as préparé pour tout le monde, c'est-à-dire pour n'importe qui, mais pour que tout le monde, c'est-à-dire n'importe qui, le découvre, il faut qu'il y en ait un, Israël, ton peuple et moi, Syméon, ton esclave qui reçoivent l'événement dont la parole de la loi était grosse, qui l'accueillent dans leurs bras.

30 janvier 1997

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