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Devenez mes imitateurs, frères...

«Ensemble devenez mes imitateurs, frères, et regardez ceux qui marchent comme vous en avez un exemple en nous. En effet, beaucoup marchent - je vous le disais souvent, mais maintenant c'est en pleurant que je vous le redis - en ennemis de la croix du Christ. Leur fin, ruine ; leur dieu, le ventre ; leur gloire, dans leur honte, eux qui appliquent leur pensée à ce qui est sur la terre. En effet, pour nous, l'exercice de la citoyenneté réside dans les cieux, d'où de tout nous-mêmes nous attendons aussi comme sauveur le Seigneur Jésus, Christ, lui qui transfigurera le corps de notre abaissement en le conformant au corps de sa gloire, selon la force qu'il a de pouvoir aussi se soumettre toutes choses. En conséquence, mes frères bien-aimés et très-désirés, ma joie et ma couronne, tenez bon ainsi dans le Seigneur, bien-aimés.»


Philippiens III, 17-IV, 1

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Nous pouvons marcher. Mais nous pouvons marcher sans nous soucier de la figure que décrit notre marche, sans nous préoccuper de notre allure. Nous pouvons aussi marcher avec le souci de reproduire une certaine figure.

C'est face à cette deuxième conception de la marche que nous sommes placés d'emblée, dès que nous entrons dans le texte que nous lisons. "Ensemble devenez mes imitateurs, frères, et regardez ceux qui marchent comme vous en avez un exemple en nous". Déjà il y a ici, dans le monde, des gens qui ont adopté une certaine façon de marcher. Paul déclare : "vous avez un modèle, vous avez une figure qui vous dit comment marcher". Ensemble, imitez donc ma marche, mon pas et regardez ceux qui marchent comme je marche : ils sont pour vous une figure exemplaire que vous pouvez vous-mêmes reproduire.

En effet, que se passe-t-il quand nous marchons ? Nous sommes tout entiers pris par le mouvement que notre marche adopte. C'est notre corps qui est engagé, et notre corps prend un certain aspect.

Ceux auxquels Paul s'adresse peuvent regarder. S'ils ouvrent les yeux, ils découvrent qu'il y a d'autres façons de marcher que la sienne. Mais s'il s'adresse à eux en les nommant ses frères, c'est pour les avertir que la fraternité qui est entre eux doit aller jusqu'au partage du même pas. Car d'autres - et, semble-t-il, ils sont nombreux - "marchent - je vous le disais souvent, mais maintenant c'est en pleurant que je vous le redis - en ennemis de la croix du Christ."

Prenons très au sérieux cette incise. Si Paul s'exprime ainsi, c'est que ces hommes marchent, sans doute, mais en affrontant, dans leur marche, un adversaire qui, finalement, va triompher d'eux. Cette marche est celle de gens qui sont engagés dans un combat. Ils marchent "en ennemis de la croix du Christ." Paul pleure parce qu'ils s'attaquent à plus fort qu'eux. Au lieu de l'attaquer, ils devraient, comme il ne tardera pas à le dire, l'accueillir, le recevoir.

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"Leur fin, ruine ; leur dieu, le ventre ; leur gloire, dans leur honte, eux qui appliquent leur pensée à ce qui est sur la terre."

S'ils sont dignes des larmes de Paul, c'est en raison de ce qu'ils reconnaissent comme valeur supérieure. Il y a, en effet, un point commun à la fin, au dieu et à la gloire : la gloire, c'est ce que l'on poursuit ; le dieu, c'est ce qui est au terme. Or, ce qui est visé, ce à quoi tend leur marche, c'est ruine ; ce qui est vénéré, comme un dieu, c'est le ventre, et ce qui doit ou devrait leur apporter de l'éclat, leur gloire, fait leur honte.

La raison nous en est donnée tout de suite. "Eux qui appliquent leur pensée à ce qui est sur la terre". Ces hommes marchent à leur perte, parce que leur pensée est appliquée à quelque chose qui, comme tout ce qui passe par le ventre, finalement, conduit à perdre. Car nous perdons ce qui passe par notre ventre. Aussi bien la gloire que nous pouvons en tirer tourne en définitive à notre confusion.

Pourquoi Paul dit-il que tout cela va à la perte, passe par le ventre et conduit à la confusion, à la honte ? Mais c'est parce qu'il y a une autre manière de marcher, qu'adoptent ceux qui ne sont pas ennemis de la croix du Christ.

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"En effet, pour nous, l'exercice de la citoyenneté réside dans les cieux". Nous pouvons marcher autrement parce que, en quelque sorte, nous relevons d'un autre droit de cité et ce droit de cité s'exerce dès maintenant. C'est pourquoi, dès à présent, nous avons notre façon à nous de marcher.

"D'où de tout nous-mêmes nous attendons aussi comme sauveur le Seigneur Jésus, Christ". "Attendre", si j'entends bien le mot qui est employé, signifie s'accorder avec, se conformer à, accepter, accueillir. Il y a un mot français, très simple : "se faire à". Se faire à quelque chose, c'est s'y faire présentement, mais se faire à ce que ça soit comme ça, à ce que ça ne change pas.

Ce Christ, qui avait d'abord été évoqué à propos des ennemis de la croix du Christ, voici qu'il revient, mais avec le titre impérial "d'où de tout nous-mêmes nous attendons aussi comme sauveur le Seigneur Jésus, Christ". Et notre attente n'est pas une disposition d'esprit, une manière de penser, elle ne relève pas de ce que nous pouvons ressentir : notre attente est dans notre façon de marcher. Dans la mesure où attendre, ici, signifie s'accorder, se conformer à, se mouler sur, notre attente nous transforme déjà.

En définitive, si la marche ou l'allure ont à prendre une certaine tournure, c'est parce que le Seigneur Jésus, en quelque sorte, se grave déjà dans la marche qui est la nôtre. Nous ne pouvons pas dire que nous l'attendons, si nous ne sommes pas à l'accord du Seigneur victorieux. Car la croix du Christ ici est celle d'un vainqueur. Nous avons à nous adapter à la transformation que fera ce Seigneur Jésus Christ. "Lui qui transfigurera le corps de notre abaissement en le conformant au corps de sa gloire".

Quel était le malheur - un malheur à en pleurer - de ces gens, nombreux, dont la fin est ruine, dont le dieu est le ventre, et qui mettent leur gloire dans leur honte ? Leur malheur était de tourner en rond, de rester fixer sur eux-mêmes. Leur détresse, qui arrache des larmes, c'est de ne pas s'en remettre à un autre qui leur confèrera la gloire. Et du coup, leur corps se trouve rabaissé, en raison de cette incurvation sur eux-mêmes, d'attachement à eux-mêmes, de poursuite d'eux-mêmes. Autrement dit, ce à quoi Paul appelle c'est à vivre déjà glorieusement, de la gloire qui est reçue de celui qui l'a, en se conformant au corps de sa gloire.

"En conséquence, mes frères bien-aimés et très-désirés, ma joie et ma couronne, tenez bon ainsi dans le Seigneur, bien-aimés." Tout à l'heure Paul n'avait que des larmes pour ceux qui marchent en ennemis de la croix du Christ. Maintenant, il suppose que son exhortation est écoutée. Il conclut donc : "tenez bon ainsi dans le Seigneur, bien-aimés." Mais il a commencé par leur dire qu'il fallait qu'ils deviennent ses imitateurs, et que certains sont bien loin de l'être.

5 mars 1998

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