SUR LE PSAUME CXXII

Je me suis réjoui

Parmi ceux qui me disent:

" Allons à la maison de IHVH ! "

Nos pieds s'arrêtent

En tes portes, Jérusalem.

Je suis dans la joie. Je le dis. Ma joie n'est donc pas seulement un sentiment ou une passion. Elle est une parole. Elle est même une réponse à ce que j'ai entendu. En me réjouissant et en le disant, je fais écho à un message que j'ai reçu. Je m'associe à d'autres qui m'appellent à me joindre à eux pour aller à la maison de IHVH. Or, à peine ai-je fini de proclamer ma joie que déjà je parle, comme à l'adresse de quelqu'un, à Jérusalem, pour lui dire que nos pieds s'arrêtent sur son seuil, nos pieds, pas les miens seulement. J'ai donc répondu à l'appel entendu, je suis avec les autres.

Ma parole aussi s'arrête, elle se fixe, dans l'admiration, sur ce nom même de Jérusalem, pour s'attarder sur lui. Certes, c'est un nom propre, donc unique. Mais l'histoire l'a traité comme un nom commun : elle lui a donné une signification. Il tient celle-ci de ce qu'il désigne une portion construite de l'espace, une ville, qui aurait en elle-même un sens en attente que quelqu'un le dise. Jérusalem, du fait de son plan, de sa configuration interne, est l'énoncé visible, lisible, d'une alliance.

Jérusalem bâtie comme une ville

Où tout est lié ensemble.

Jérusalem rassemble. Nous allons donc jusqu'à elle pour manifester notre unité et aussi en la recevant d'elle. L'ascension vers elle a pour effet de nous rassembler. Tout se passe comme si elle nous convoquait. Voilà pourquoi les tribus, qui sont comme autant de rameaux dispersés sur un même sol, montent vers elle en chantant. Cantique des degrés ! Quand elles sont ensemble sur la hauteur de Jérusalem, alors elles expérimentent et montrent publiquement ce qu'elles sont, les tribus de IH, de l'Autre. Car, nous le confessons, l'alliance entre elles est l'Alliance en lui. Tel est, comme devant un tribunal, le témoignage que porte et que reçoit, à la face du monde, Israël, c'est-à-dire Combat-Dieu. Ainsi, de l'unité, manifestée à l'altitude de Jérusalem, jaillit une louange pour le nom de IHVH.

Oui, c'est là que montent les tribus,

Les tribus de IH,

Témoignage pour Israël,

Pour louer le nom de IHVH.

Jérusalem est la présence, rendue sensible, de la souveraineté de IHVH, de l'Autre. Ainsi la puissance souveraine qui juge, décide et gouverne n'est-elle pas hors du monde, elle est en lui, quelque part sur la terre, en un site élevé dans lequel se rencontrent une alliance entre des hommes et l'Alliance en IHVH, en l'Autre.

Car c'est là que sont établis les trônes pour le jugement,

Les trônes pour la maison de David.

La maison de David, la maison de IHVH ! David et IHVH, l'Autre, ont la même demeure. Car il n'y en a pas deux. La seule et unique maison est celle où nous demeurons, tous ensemble réunis dans une seule et même alliance et, ainsi, dans l'Alliance avec IHVH, avec l'Autre, inséparablement. Telles sont les pensées où je suis conduit et que je proclame, quand je déploie la signification de ce nom de Jérusalem.

Or, voilà que ma parole, pour finir, se fait prière. A qui s'adresse ma prière ? Qui le dira ? Je demande. Je souhaite. Purement. Absolument. Est-ce qu'une menace planerait sur Jérusalem ? N'est-ce pas plutôt que, désormais, ma joie, pourtant immense, s'est changée en attente ? C'est moi, maintenant, qui désire le bonheur d'être ensemble avec tous et avec Lui, avec l'Autre. Car, dans les vœux que je forme un même mot revient sans cesse : c'est la paix que j'appelle. Et je convoque, pour se joindre à moi, qui veut bien m'entendre, et d'abord ceux qui t'aiment, toi, Jérusalem - ainsi, tout en priant pour toi, je n'interromps pas ma conversation avec toi ! Mais si je prie pour toi, c'est que je souhaite garder des frères, des compagnons, bref, une maison encore, celle-là même de IHVH, notre Dieu, qui nous est commun, qui fait de nous tous ensemble une communauté.

Demandez la paix pour Jérusalem.

Qu'ils soient en paix ceux qui t'aiment !

Qu'il y ait paix en tes remparts,

Apaisement en tes donjons !

A cause de mes frères et de mes compagnons,

Je dirai : " Paix en toi ! "

A cause de la maison de IHVH, notre Dieu,

Je chercherai le bonheur pour toi.

Clamart, le 27 décembre 2004

SUITE I

Il faut traduire ce nom propre de Jérusalem. Nous lirons alors Possession de la paix. Ainsi ce nom est-il à l'origine de la pensée qui se déploie dans le cantique tout entier. Celui-ci est donc un hymne à la paix. Or, les accords qui résonnent avant les éclats de la fin laissent pressentir ce qu'est cette paix, quand nous la possédons, quand elle nous possède.

La paix est le lien qui se rencontre en un lieu où l'on séjourne, qu'on appelle ce lieu maison ou ville. On va, on monte vers lui. Il est un terme, il n'a pas d'au-delà de lui-même. On s'arrête à ses portes comme sur un seuil, avant d'y pénétrer. Le propre de la paix qui règne là, c'est qu'elle unit. Les résidents n'y sont pas comme dans un espace qui les contiendrait. Ils s'y tiennent ensemble, s'y entretiennent.

La communauté qui se forme en ce séjour est tenue pour autre chose encore qu'une entente entre des frères et des compagnons. Ou, plus précisément, ceux qui participent à cette entente en parlent autrement encore que d'un certain état dans lequel ils se trouveraient. En elle se manifeste à eux - c'est, du moins, ce qu'ils croient ! - la présence d'un tiers, d'un hôte, qui ne fait pas nombre avec eux. Ils parlent de Lui comme de Quelqu'un qui est inséparable de la paix qui les unit mais qui, pourtant, est un Autre et qui, surtout, est Autrement que la somme résultant de leur rassemblement. Cependant, la parole qu'ils prononcent sur lui, est indispensable pour assurer sa présence. Car cet Autre, IHVH, ne serait pas là si Son nom n'était pas célébré. Mais, d'autre part, que seraient ceux qui sont là, seraient-ils même, s'il n'était pas là, Lui, pour les rassembler entre eux et en Lui ?

Bien singulier est le rapport qu'entretient cette communauté, en tant même qu'elle est rassemblée dans la paix, et, d'autre part, Celui dont elle loue le nom. Il va de soi qu'il ne s'agit pas d'une relation de causalité. La parole qui témoigne ne fait pas être Celui dont le nom est prononcé et, d'autre part, le nom de IHVH, quand il est prononcé, ne fait pas exister, comme magiquement, cette communauté. Le rapport, ici, n'est pas davantage d'exprimant à exprimé, comme on le suppose quand on dit, par exemple, qu'un mot exprime quelque chose ou quelqu'un qui est, une réalité indépendante de lui. Le rapport n'est pas, non plus d'implication, comme si, l'un des deux termes enveloppait nécessairement l'autre et que l'autre ne pouvait en être que l'expansion.

Peut-être atteindrait-on au plus près la nature de ce rapport en le qualifiant d'alliance. Par alliance il faut entendre le surgissement, indéfectible et toujours nouveau, d'un lien qui tient au fait que nous parlons. La parole innove, c'est-à-dire fait du nouveau sans cesse et un nouveau qui est union. Ainsi, en tout cas, en est-il de la paix et de la louange du nom de IHVH et, finalement, de IHVH lui-même et de la communauté réunie dans la paix.

Clamart, le 5 janvier 2005

SUITE 2

Monter vers Jérusalem, vers Possession de la paix, c'est accéder à un certain lieu, situé dans l'espace, repérable sur la carte du monde. Mais l'expérience que font les pèlerins ne peut pas être considérée comme une spécialité régionale. En effet, le nom de IHVH, la louange qu'on lui accorde, délocalisent l'événement sans le déréaliser pour autant. Car IHVH n'est pas lié au lieu qu'on lui assigne, puisque, justement, Il ne fait qu'un avec son nom, ce qui ne signifie pas, on l'aura compris, qu'Il n'est que du vent. La maison de IHVH ne l'isole pas quelque part et ceux qui en deviennent les hôtes ne sont pas des élus, distincts de tous les autres qui ne prennent pas effectivement, quelque part sur la terre, le chemin de Jérusalem. L'expérience des pèlerins n'est pas enfermée dans sa particularité de géographie et d'histoire. Elle est typique ou, plus exactement, elle peut toujours le devenir pour quiconque, à son tour, fait siennes les paroles du cantique.

Comme une marque que l'on grave sur une matière - c'est cela, le type ! - l'expérience des pèlerins fait apparaître la sainteté de l'union, où que celle-ci se manifeste et sous quelque forme qu'elle se produise. Dans cette expérience l'humanité se montre frappée à l'effigie d'une alliance en devenir qui fait d'elle une communauté sainte, parce qu'en elle, comme son élan, il y a IHVH, qui sans cesse la renouvelle.

Dans ces conditions, on peut mieux comprendre encore que le cantique s'achève sur un mode votif, que le récitant souhaite avec insistance la paix. Le vœu qu'il formule alors signifie, non pas d'abord qu'il a peur pour la paix, mais, positivement, qu'il l'affirme avec la dernière intensité. En effet, le vœu est la forme active, déjà opérante, de l'avenir de la paix, à l'intérieur du présent où nous sommes. Le vœu nous engage !

Clamart, le 8 janvier 2005

Guy LAFON