SUR LE PSAUME CXXV - LA PRIÈRE ET LA FOI

Ceux qui se fient en IHVH,

Comme le mont Sion!

Il n'est pas ébranlé,

Pour toujours il est assis.

Jérusalem, des monts l'entourent,

Et IHVH entoure Son peuple,

Dès maintenant et pour toujours.

Ceux qui se fient en IHVH ressemblent à un spectacle qu'on peut voir dans le monde. Ils sont comme le mont Sion. Comme lui, ils pointent, ils montent, ils s'élèvent. Ils sont dressés, se détachent à partir de la plaine. Ils se distinguent dans l'ensemble de la société. Cantique des degrés ! Ils ont l'aspect d'une pente qu'on gravit. Bien plus, ils possèdent la stabilité de l'analogue spatial auquel on les compare. Ils ont la solidité d'un rocher. Elle leur vient de IHVH, qui leur communique sa propre fermeté, pour toujours. Il n'est pas devant eux mais en eux, comme l'élément qui les constitue.

Regardons maintenant Jérusalem. Des monts lui font une enceinte perpétuelle. Or c'est IHVH, c'est l'Autre encore que l'on rencontre. Il est le principe de sa sûreté ou, plus exactement, de la protection dont jouit le peuple qui habite la cité. Il est ce qui tient ce peuple, le maintient, le contient, lui donnant à la fois des limites et une consistance propre. Ainsi ceux qui se fient en IHVH forment-ils une communauté dont IHVH est le lien. Ni le même ni l'autre que Son peuple, IHVH en est l'union, c'est Lui qui le fédère en une alliance permanente, tout au long de l'histoire, avec Lui et entre tous les membres qui le composent.

Car, non, il ne reposera pas,

Le sceptre du trouble,

Sur le lot des justes,

Afin que les justes n'envoient pas leurs mains au forfait.

La confiance en IHVH apparaît comme un pouvoir, reçu sans doute mais illimité, notamment dans le temps. Le sceptre du trouble ne peut donc pas exercer sa domination sur la part réservée aux justes. On ne peut évoquer sa prétention à régner sur eux que pour les assurer qu'ils ne sauraient céder à ses prestiges trompeurs. La confiance en IHVH les a établis dans un état de rectitude qu'ils ne peuvent pas perdre. Cependant, si intime que soit IHVH à la confiance qu'on place en Lui, Il ne se confond pas avec Son fidèle. Par conséquent, pourquoi donc celui-ci, si juste qu'il soit, n'aurait-il pas à s'entendre avertir de ne pas mettre ses mains au forfait ? Certes, la confiance en IHVH et la justice qu'elle confère sont irrévocables, comme la situation d'alliance qu'elles manifestent. Mais elles arrivent dans une histoire et celle-ci est faite de péripéties variées. Aussi ne parle-t-on pas d'une histoire comme on ferait pour une démonstration géométrique, qui ignore les aléas du temps. Le mal ne peut en dévier le cours, mais il peut le troubler. L'avertissement, ici, fait apparaître la précarité selon laquelle le fidèle, de son fait, appartient à l'alliance, non pas la fragilité de celle-ci. Il prépare à vivre la confiance en IHVH sur le mode de la prière, non pas de l'affirmation péremptoire et suffisante.

Sois bon, IHVH, pour les bons,

Pour les droits en leur coeur

Mais ceux qui dévient en leurs tortuosités,

Que IHVH les emmène avec ceux qui font le mal !

Paix sur Israël !

La confiance en l'Autre, en IHVH, comme la justice, est un don. Elle est reçue et, quand on l'a reçue, on demande à Celui qui l'a donnée de la conserver à ses fidèles. C'est ainsi que la fermeté, la solidité de montagne inébranlable dans laquelle ils sont fixés est accueillie par eux comme une propriété qui est leur bien sans qu'ils en soient les auteurs, les créateurs. Mais, en priant, ils en deviennent les acteurs. Paradoxe de la prière, qui nous fait demander à l'Autre, à IHVH, ce que nous avons reçu de Lui et qui nous fait nous le donner à nous-mêmes ! En effet, par notre demande le don devient véritablement nôtre, parce qu'il épouse la courbe même de notre désir. Par là nous participons en quelque sorte au geste qui nous l'accorde, nous y communions. Tel est l'un des effets les plus surprenants de l'alliance dans laquelle nous existons.

Quant à la teneur de notre prière, à bien réfléchir, elle témoigne de notre faiblesse. Les justes, lisons-nous, sont amenés à souhaiter que IHVH écarte d'eux ceux qui dévient en leurs tortuosités, qu'Il les emmène avec ceux qui font le mal. Pourquoi cet appel à la proscription des méchants ? C'est pour que le peuple, sûr de IHVH mais défiant de lui-même, reste fidèle à l'alliance, enserré en elle comme Jérusalem dans ses montagnes. Il s'agit de protéger les justes de la fascination du mal à laquelle ils pourraient succomber.

Clamart, le 28 février 2005

SUITE 1

Donner, recevoir et demander - On pourrait estimer que ceux qui se fient en IHVH portent la foi à une telle puissance que non seulement ils en excluent les intensités moindres de l'hésitation et du doute mais encore qu"ils accèdent à l'expérience durable de l'éternité. On peut paraître s'approcher d'une telle opinion quand on observe que IHVH est inhérent à une telle foi beaucoup plus qu'il n'en est l'objet, tellement Il en est inséparable. Pourtant, même alors, on est détourné de confondre la foi en IHVH avec l'expérience d'une telle plénitude et il n'est pas besoin pour cela d'invoquer le contrepoids apporté par l'insatisfaction du désir qui s'exprime, en effet, dans la prière.

Assurément, une foi qui ne prierait pas en viendrait à confondre, purement et simplement, le fidèle et IHVH, son Dieu. Pourrait-on même encore, sans un abus de langage, appeler foi une telle attitude? Il ne semble pas. En tout cas, la prière naît, dans la foi, non de l'incertitude de celle-ci, de la nuit où elle plonge, mais de la force d'affirmation qui se manifeste en elle. Or, si l'on néglige cet aspect, c'est parce que, sans peut-être s'en être aperçu, on a décidé que, si la stabilité dans la foi est un don, le fait d'une grâce - ce qui est exact ! -, alors le fidèle ou le croyant, comme on voudra, ne peut occuper qu'une position d'infériorité par rapport à son Dieu, à IHVH. Mais qui ne voit que c'est penser matériellement les choses spirituelles ?

En effet, à s'en tenir à une physique des forces, d'ailleurs toute sommaire et fort contestable en elle-même, celui qui reçoit, même s'il renvoie ce qu'il a reçu, n'a pas eu l'initiative de donner, d'envoyer le premier. Il peut paraître occuper une position d'infériorité, de dépendance. Mais, dans un régime d'alliance, l'un des deux partenaires, fût-il supérieur à l'autre, est en fait son égal. L'union, que l'alliance institue, a pour effet d'établir une parité de statut. Aussi bien donner n'est pas plus ou mieux que demander ou recevoir. L'alliance est le tiers qui lie. Or, en liant, sans supprimer les différences, elle nous oblige à écarter jusqu'à la supposition que l'un, celui qui donne, serait au-dessus de celui qui demande et reçoit.

Pour penser l'énigme de l'alliance, on pourrait s'inspirer de ce que Jean de la Croix écrivait dans le Cantique spirituel: " Comme l'âme voit la vérité de l'immensité de l'amour dont Dieu l'aime, elle ne veut pas L'aimer moins hautement ni moins parfaitement, et pour ce su, et, elle désire la transformation actuelle. Car l'âme ne peut arriver à cette égalité et à cette perfection d'amour si ce n'est par une totale transformation de sa volonté avec celle de Dieu, en laquelle les volontés s'unissent de telle sorte que des deux il s'en fait une. Et ainsi il y a égalité d'amour; parce que la volonté de l'âme convertie en celle de Dieu est désormais toute volonté de Dieu, et la volonté de l'âme n'est pas perdue, mais elle est faite volonté de Dieu, et partant l'âme aime Dieu avec la volonté de Dieu, laquelle est aussi sa volonté à elle ; d'où vient qu'elle L'aimera autant qu'elle est aimée de Dieu puisqu'elle L'aime avec la volonté de Dieu même, dans le même amour avec lequel Il l'aime... "

Disons-le nettement, nous ne considérons pas ici une union entre des volontés, comme le fait le Docteur Mystique. L'alliance dont nous formons ici le concept est indépendante de l'idée qu'on peut se faire des puissances de l'âme, parmi lesquelles se rencontrerait entre autres la volonté. Mais, comme Jean de la Croix, nous regardons l'alliance - il dirait, lui, l'union, et même l'union d'amour - comme une transformation qui élève l'inférieur à la hauteur du supérieur. Or, cette transformation qui élève a pour effet d'instituer une égalité. Mais nous ne ferions pas de l'union ou de l'alliance ni de la transformation qu'elle réalise le terme d'un processus. Nous le tenons pour une situation créée, dans laquelle nous sommes, aussi permanente que le mont Sion, qui n'est pas ébranlé, parce que pour toujours il est assis. S'il y a une histoire, et il y en bien une ! elle est présente dans les pas de ceux qui, tous ensemble réunis entre eux et avec IHVH qui les protège, - car IHVH entoure Son peuple ! - gravissent la pente qui monte. N'oublions pas que nous lisons un Cantique des degrés !

Il fallait dégager de ses attaches avec une certaine psychologie les intuitions de Jean de la Croix sur l'union d'amour et sur l'égalité qui va avec elle. Alors pouvait se révéler à quelle profondeur l'alliance dans la foi, continuée au long des jours, affecte notre humanité. On aurait tort, en effet, de restreindre la portée des affirmations qu'on lit dans le Cantique spirituel aux conditions, certes exceptionnelles, de l'expérience qu'on nomme mystique. Elles expriment, en fait, la vérité de toute alliance pour quiconque, du moins, met sa confiance en IHVH. Elles nous permettent notamment d'entendre que, dans le réseau des liens qui nous unissent, si humbles soient-ils, c'est l'amour qui est à l'œuvre car l'union ou l'alliance d'amour est inséparable de notre condition créée. Bien loin, en effet, de tenir cette union ou cette alliance pour une exception dans le cours d'une existence, présente seulement du fait de certaines circonstances, Jean de la Croix discernait en elle une suite et une expression, toujours actuelle, de ce que nous sommes du seul fait que nous sommes créés ou recréés. Bref, la transformation et l'égalité, qui sont le propre de l'union et de l'alliance d'amour, ne dépendent pas des effets sensibles et extraordinaires que nous pouvons en éprouver. Plutôt que d'insister sur ces effets, le Saint préfère évoquer sobrement la condition initiale de l'homme et sa régénération. " Et cela n'arrive pas de la sorte, écrit-il, sans que Dieu ait donné à l'âme dans ledit état de transformation une grande pureté, telle que celle de l'état d'innocence, ou du Baptême... "

Clamart, le 1er mars 2005

SUITE 2

La foi, l'alliance - Ceux qui se fient en IHVH révèlent, en la pratiquant, une alliance impérissable à laquelle ils appartiennent. Comme la nature naturante, chez Spinoza, ou l'élan vital, chez Bergson, cette alliance emporte toujours plus loin, toujours autrement, les fidèles de IHVH, de l'Autre, mais ni dans le temps de la nature ni dans celui de la vie, dans le temps de l'humanité. Au cours de son trajet dans la société humaine cette alliance se dépose en des croyances qu'elle inspire et qu'elle dépasse en tous ceux qui croient absolument - car c'est cela croire, se fier en IHVH. Ainsi leur foi, par l'abandon entier avec lequel ils s'y livrent, témoigne-t-elle d'une alliance qui passe par eux sans s'arrêter à eux. Ils en sont les relais actifs.

Dès lors comment pourrait-on supposer que cette alliance, qui court tout au long du temps humain, dès maintenant et pour toujours, habite seulement les croyances qu'on nomme religieuses en raison des institutions qui en sont le cadre ou le support ? Plus largement, plus profondément, plus secrètement aussi, elle est à l'oeuvre, par exemple, dans le crédit illimité, cet autre nom de la foi, que nous pouvons nous ouvrir les uns aux autres. Là aussi il y a de l'amour. Gabriel Marcel considérait " cet amour inconditionné de la créature pour la créature " comme " la palpitation prénatale "de la " foi pure ". Allons plus loin. Un tel crédit, dans lequel s'exprime un tel amour, n'est-il pas une incarnation qui s'ignore de la confiance en IHVH, en l'Autre ?

Clamart, le 3 mars 2005

Guy LAFON