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Le credo : quelques propositions de lecture pour les premiers articles du symbole des Apôtres. Ce texte est le retranscription d'une série de lectures publiques à la paroisse Saint-Marcel de Paris, entre novembre 2000 et mars 2001. A quoi bon croire ? Qu'est-ce que nous croyons ? En qui croyons-nous ? Comment croyons-nous ? Credo. Je crois. Ce premier mot est souvent oublié, parce que ce qui suit semble plus chargé. On oublie souvent qu'on a commencé par dire " je crois ". Aussi allons-nous d'abord réfléchir sur cette expression. Croire est un acte que font des hommes et des femmes. Croire est chargé d'humanité , parce c'est quelque chose dont les humains son capables. C'est à la portée de n'importe qui, tout simplement parce que nous sommes des humains. L'humanité de cet acte est à mettre en évidence afin de découvrir pourquoi croire vient comme l'en-tête, le point de départ de tout ce qui va venir après. Croire est une démarche que les hommes peuvent faire indépendamment de toute conviction religieuse. Il importe de rendre sensible cette large humanité du croire. Nous disons : " je crois qu'il fera beau aujourd'hui ", " je crois que vous êtes sincère ", …, dans tous les cas, nous disons " je crois ". Probablement parce que nous voulons écarter un autre verbe. Nous hésitons à dire " je sais ". Nous disons cela parce qu'il y a quelque chose comme une certaine incertitude. Non pas que je doute de votre sincérité. Mais puisqu'il s'agit de votre sincérité, ce n'est pas de l'ordre de la science, mais de l'ordre du lien que j'ai avec vous. " Je crois que vous êtes sincère ". Si vous ne l'êtes pas, tant pis pour vous. Mais pas tant pis pour moi. Le savoir est quelque chose qui nous met en pleine lumière. " Je sais " signifie " je vois bien, je suis sûr que ". Avec croire, nous ne sommes pas incertains, ce n'est pas que nous ne voyions pas ; mais c'est que nous acceptons précisément de ne pas voir. Je ne regrette pas de ne pas voir (que vous êtes sincère ou que vous ne l'êtes pas). Avec croire, ce n'est pas le régime de la lumière, c'est le régime de la nuit, mais d'une nuit que je ne regrette pas. Je ne suis pas malheureux de ne pas pouvoir gratter votre cœur pour y voir. Cela n'est pas un déficit, un manque. Dans la vie ordinaire, cette foi donnée à quelqu'un a pu, pour ces personnes, être un secours. Il y a une beauté de cette humanité de croire. La nuit, opposée à la lumière, n'est pas moins. Elle est autre chose. Savoir tient aussi de la place ; mais il y a aussi dans l'humanité du croire. Allons plus loin. Que se passe-t-il quand nous croyons ? Quand nous croyons ce que quelqu'un nous dit ? Ou même quand nous croyons en quelqu'un ? C'est comme si nous donnions un chèque, un chèque en blanc. Quoi que tu fasses, tu seras incapable de me décevoir. Etablir un lien avec quelqu'un, une alliance telle qu'aucun événement ne pourra le casser. C'est le contraire d'un contrat. Si je dis : " tu m'as déçu " - cela veut dire que lui ou elle n'a pas répondu à l'idée que j'avais de lui ou d'elle, n'a pas observé le plan que j'avais projeté pour lui ou elle. J'avais fait un chèque en blanc, mais j'avais dit : " tu ne dépasseras pas cette somme ". Dans la foi que j'ai en quelqu'un se trouve une incapacité à être déçu. Ce qui signifie que nous acceptons de perdre nos idées, nos projets, nos volontés - même quand elles sont bonnes. Nous acceptons de vivre à perte. C'est cela croire. Et ce n'est pas étonnant que cela se passe dans la nuit. Je crois tellement en toi qu'en croyant en toi j'accepte de me dépouiller de toutes mes assurances - non pas d'être détruit, d'être anéanti, mais de perdre mes fondements. Parce que je mets par dessus tout le fait d'être lié à toi. Le fil rouge qui court dans la foi ainsi comprise est dans une parole de l'eucharistie (" que jamais je ne sois séparé de toi "). C'est une merveille que l'humanité soit capable, aussi, de foi. La foi est vieille comme le monde. La foi est une démarche dont on s'étonne qu'elle ait été inventée, créée. Non seulement des humains envers les humains, mais des humains envers Dieu. Pourquoi est-ce si extraordinaire ? Parce que lorsqu'il s'agit d'une foi " latérale ", vers d'autres, cela répond (ou ne répond pas !), quelqu'un dit " oui ", ou " non ". Quelqu'un qui s'unit - ou refuse de s'unir. Mais avec Dieu, c'est avec l'invisible que cela se passe. C'est cela qui est au chapitre 12 de la Genèse (le YHWH dit à Abraham), et chapitre 22. Abraham a cru en quelqu'un qui lui parlait, plus qu'en quelque chose. Comme celui qui lui parlait était invisible et sans voix - il a cru qu'on lui parlait. Il a fait un chèque en blanc à YHWH, au Seigneur. Il a décidé de croire sur parole, en poussant à l'extrême une démarche que nous pouvons avoir avec d'autres - mais qui est déjà ô combien rare entre nous. Comment vivre la déception possible dans ce rapport à l'autre ? Des actes marquent qu'il n'était pas celui que nous voulions, nous attendions, qu'il aurait " dû " être … De même, dans la foi, nous disons que nous vivons avec le Seigneur. Et voilà qu'arrive une épreuve. " Vous n'êtes pas celui que je croyais " - celui qui me permet de vivre, dit-on au Seigneur. La merveille, ce n'est pas Dieu, c'est la foi. Tout nous détourne de croire en Dieu. Et pourtant, nous croyons. La foi est un défi, un scandale. Comme en effet il est scandaleux de croire en quelqu'un qu'on a aimé et qui a été infâme. C'est peut-être en continuant à croire en lui qu'on l'aide à se sauver. La foi est faite pour tout le monde, n'importe qui. Mais cela ne veut pas dire que la foi est universalisable, généralisable. Parce que croire est scandaleux. Les uns demandent des miracles, des signes, les autres veulent de la sagesse. Je vous annonce un Christ en croix. C'est tout. Je peux vous dire que cela fait vivre. Le juste vit de la foi. Nous crevons de ne pas recevoir plus de confiance des autres. Le péché peut être entendu comme une faute, une défaillance, une faiblesse, à laquelle s'ajoute du désespoir. La faiblesse et le désespoir. Je vais sortir du péché, non pas quand je vais cesser d'être faible (je vais continuer d'être faible - et mon voisin pourra se le dire), mais si le voisin croit en moi, voilà que je ne désespère plus de moi-même. En Dieu le Père tout-puissant. Nous avons tous contemplé le spectacle des vagues au bord de la mer. Nous avons pu constater qu'elles se terminent de façon différente selon qu'elles rencontrent un obstacle (un rocher avant la plage), ou qu'elles suivent leur chemin, allant jusqu'à s'éteindre sur la plage. Dans le chemin sur ce texte, il y a une vague qui continue. Elle s'est déclarée tout de suite par les tout premiers mots : " je crois ". C'est comme une vague qui se prolonge, continue son influence tout au long du chemin ouvert par les mots que nous prononçons ensuite : " en Dieu le Père tout-puissant " et au-delà. " Je crois " n'est pas dans la série un mot comme les autres. Il est le premier et continue son influence, prolonge ses effets sur les autres mots. Il les rencontre et s'accommode des autres mots, comme la vague. Les autres mots vont faire corps avec " je crois ". Pourquoi " je crois " suivi de " Dieu le Père tout-puissant " ? Pourquoi pas d'autres mots ? Poser cette question, c'est accepter qu'il y ait une connivence entre " je crois " et toute la suite. Toute la suite est une redondance de " je crois ", une autre manière de dire, de répercuter " je crois ". Si on mettait d'autres mots, ça n'irait pas. Cela ne permettrait pas à " je crois " de prendre toute son extension. " Je crois ", nous l'avons vu, n'est pas " je pense que, peut-être ", mais au contraire " je me livre, je m'abandonne, je me confie ". Comme la vague qui n'a que son propre abandon pour se soutenir elle-même. Quelqu'un qui ne peut se livrer aura de la peine à entrer dans le mouvement qui va avec " je crois ". Quelqu'un sur ses gardes en permanence, quelqu'un avare de lui-même aura beaucoup de peine à entrer sur le chemin de la foi. Je crois en Dieu. Pour reprendre l'image de l'obstacle que rencontre la vague dans son élan, le premier obstacle ou rocher sur lequel bute la foi, nous l'appelons " Dieu ". Ceci n'a rien d'irrespectueux car, comme nous l'avons dit, croire, c'est ouvrir un chèque en blanc à quelqu'un. Or, en disant " en Dieu ", il va pouvoir sembler que ce mouvement de croire est arrêté - ça y est, il y a un mur, solide, résistant. Je tombe sur Dieu. Cela peut sembler être une sorte de butoir. Or, nous pensons quand nous croyons en Dieu que ça n'est pas un butoir. En disant Dieu, nous entendons désigner quelqu'un, mais quelqu'un qui justement n'est pas un cran d'arrêt pour le mouvement de notre foi. " Je crois " - verbe. " Dieu " - substantif (ce qui se tient ferme, debout) - mais pas une paroi qui arrête notre mouvement. Nous désignons avec Dieu la cible la plus lointaine, ce toujours plus loin, qui ne va pas réduire, restreindre ce mouvement de confiance, cet abandon de nous-mêmes. Nous désignons quelqu'un qui va sans arrêt nous inviter à nous donner encore et encore - à faire toujours davantage confiance, à déborder, à excéder dans l'ordre de la confiance. Dieu confirme ce mouvement de nous-mêmes. C'est une épreuve de croire en Dieu. Ça ne va pas de soi. Parce que celui que j'appelle Dieu, et qui n'est pas un achèvement de mon élan, mais qui le confirme, personne ne l'a jamais vu. Nous n'avons pas d'yeux pour voir Dieu. C'est l'invisible. De sorte que croire en Dieu va nous conduire à redoubler de confiance en notre acte même de croire. Parce que c'est Dieu, nous allons être amenés à refluer sur notre acte de croire pour y croire. Parce que nous pouvons nous taxer d'illusion - pas besoin d'autres pour me mettre à l'épreuve, je le fais moi-même. Parce que ce Dieu en qui je crois, qui est, si je crois en lui, celui qui relance ma foi, je ne le vois ni ne le touche. " Tu te montes la tête " en définissant ainsi quelqu'un comme la relance inépuisable de ton désir - il n'y a personne ! Il va falloir que je fasse confiance à ma confiance. Le Père. Nous ne savons pas ce que nous disons en disant Père. Ou alors nous reconnaissons que nous sommes placés devant une nouvelle épreuve. Pour être père, il ne suffit pas d'être un homme, un individu de sexe masculin. N'importe qui peut être père - il ne suffit pas d'avoir engendré des enfants. Etre père, c'est une position dans l'existence. Le père est celui qui était là avant (premier trait), celui qui précédait. C'est aussi (deuxième trait) celui qui étant là avant a contribué à produire (faire sortir, conduire en avant). Quelqu'un d'antérieur, qui fait et fait sortir. Or, l'humanité a une expérience ambiguë de la paternité. Nous voyons des figures terribles, féroces - des personnes qui, sous prétexte qu'elles étaient avant, avec du pouvoir sur nous, nous ont écrasé. Si bien que dire " père ", c'est s'engager dans un grand combat, une épreuve. Des romans en sont plein (cf. Le rouge et le noir, le père de Julien Sorel, sadique). Dire " je crois en Dieu le Père ", c'est dire " attention " - je me rappelle ce qui arrive à toute paternité. Ce qui sauve la paternité en humanité, c'est que vient un jour où le père se dit " moi-même, j'ai été fils ". Ouf. Et s'il va plus loin, vient un moment où, à l'égard de ses enfants, il est comme un frère. Ce qui sauve la paternité de sa violence possible, c'est la possibilité de se rappeler que nous ne sommes pas seulement père. Même avec ceux que nous avons précédés, ceux que nous avons contribué à faire être. C'est une chance de pouvoir être frères. Quand nous disons que Dieu est Père, nous acceptons que ce père ne soit que Père. Et qu'il n'ait pas lui-même la capacité de se dire - j'ai été fils, et je suis leur frère. Nous avons à accepter un Père qui n'est que père, à la différence de chacun d'entre nous (homme ou femme, qui avons la possibilité de n'être pas seulement père). Il est père et nous avons à nous abandonner à lui en toute confiance. Bien qu'il soit père. Il y a un chemin à faire pour accepter qu'il soit père. Nous compliquons la chose quand nous ajoutons … Tout-puissant. Des chrétiens ne supportent pas que le dimanche on dise le Credo. Le motif de ce rejet, c'est ce mot, Père tout-puissant. Je n'écarte pas l'hypothèse que sa toute-puissance soit capable de m'écraser. Zeus aussi était un père tout-puissant pour Prométhée. Il va falloir que dans la foi, avec ma foi, je découvre, je fasse l'expérience que cette toute-puissance est une toute-puissance qui ne me détruit pas. Bref, il va falloir que nous nous convertissions à la toute-puissance de Dieu comme à toute-puissance qui ne nous en veut pas, qui n'est pas jalouse, qui n'est pas avare ; qui nous aime. Et qui justement s'exerce dans l'élan même de cette vague qu'est notre foi. Croire en Dieu le Père tout-puissant, ce sera par exemple en venir à dire : " oui, désormais toutes les générations diront que je suis bienheureuse, car le Tout-puissant a fait pour moi de grandes choses "(Magnificat). Il a regardé la bassesse de sa servante - commente-t-elle. Puissance, oui, mais quelle épreuve, et jamais une fois pour toutes. C'est moi-même qui pourrait me regarder comme tellement peu de choses qu'il n'y a pas besoin qu'on jette les yeux sur moi. … " selon qu'il avait annoncé à nos pères, … et de sa race à jamais " : cette race est faite des hommes qui croient. Il a été fidèle à la foi, ce tout-puissant qui fait de chacun de nous des êtres magnifiés - et ne nous écrase pas. Ces mots : Dieu / Père / Tout-puissant ne sont supportables que si nous les animons par le mouvement de la foi. Croire les transforme. Car nous pourrions aussi les entendre en un tout autre sens : Dieu - invisible, rien ; Père - surtout pas ; Tout-puissant - c'est terrible. La foi soulève ces mots. Créateur du ciel et de la terre. Soyons étonnés d'avoir à dire cela. Pourquoi disons-nous cela et pas autre chose ? Il est bon de se poser cette question. Si nous disons " créateur du ciel et de la terre ", nous le disons à partir de ce " je crois ". Nous ne disons pas " il y a Dieu créateur … " ; " je crois " tient avec " créateur du ciel et de la terre ". Nous avons à nous étonner parce que nous pouvons nous dire que probablement créateur nous fait comprendre encore un peu mieux ce que nous faisons quand nous disons " je crois ". L'objet sur lequel nous nous appuyons (créateur) nous renseigne sur le verbe " croire ". Nous allons mieux comprendre ce que c'est que croire, si croire c'est croire en Dieu créateur du ciel et de la terre. Prenons une comparaison. Nous pouvons nous trouver devant un établi, sur lequel se trouvent marteau, tenailles, pinces, etc. Ce n'est pas avec le marteau que je pourrais arracher un clou. Nous pressentons que ce sur quoi frappe le marteau est préparé par la forme du marteau. De même croire, ce n'est pas croire n'importe quoi, mais est éclairé par ce que nous allons croire. Nous allons mieux approfondir croire en avançant dans l'énumération des différents articles du Credo. Qu'apprenons-nous sur croire quand nous croyons que Dieu est créateur du ciel et de la terre ? D'abord, nous apprenons et nous acceptons qu'il y ait quelqu'un qui ne soit rien de tout ce que nous pouvons voir, entendre, toucher et même comprendre. Par ces mots " ciel et terre " se trouve désigné tout ce qui existe. Tout ce qui existe, nous pouvons, d'une certaine façon, arriver à le comprendre, à le pénétrer. Rien de tout cela ne résiste à l'homme. Dire, en y croyant, en nous y abandonnant, que Dieu est créateur du ciel et de la terre, c'est reconnaître qu'il y a autre chose que le ciel et la terre, autre chose qui ne peut même pas être représenté. On peut penser à ce sujet à la tradition biblique de l'interdiction de se faire une image de Dieu - en faire une image, c'est encore une manière de l'introduire dans les choses de ce monde, même de façon détournée. La tradition juive va jusqu'à interdire de prononcer le nom, car prononcer un nom, c'est d'une certaine manière prendre, posséder ce que l'on nomme. Dans le livre de la Genèse, le Seigneur dit à l'homme de donner lui-même des noms aux choses - mais pour le Seigneur, il n'y a pas de nom possible. Il n'est rien de ce qui peut être nommé, et ce qui peut être nommé appartient à l'univers, au monde, au ciel et à la terre. Même si on n'a probablement pas encore fini de nommer ce qu'il y a au ciel et sur la terre. Mais quand nous reconnaissons et croyons en un créateur, nous nous plaçons, au sens ambigu du mot, devant de l'innommable. Le contraire de la foi en la création s'appellerait l'idolâtrie (idole au sens de représentation, image, figure). Autrement dit, traiter comme innommable quelque chose de nommable, qui peut être représenté. Dieu n'est rien du monde, et l'idolâtrie est donc impossible, insupportable. Ensuite, puisque nous nous livrons à ce Dieu, créateur du ciel et de la terre, nous ne pouvons pas penser que ce monde soit un monde méchant, mauvais. Si Dieu en est le créateur, ce monde ne peut être mauvais. Ainsi, dans le livre de la Genèse (chapitre 1), dans le premier récit de la création, revient comme un refrain l'expression " et Dieu vit que cela était bon ". Le récit se termine ainsi : " Dieu vit tout ce qu'il avait fait. Cela était très bon ". Nous avons tendance à distinguer le meilleur et le moins bon. Nous avons à travailler cette représentation là. Sans doute y a-t-il des aspects différents en nous (le cœur n'est pas le sexe, par exemple), mais l'un n'est pas sans l'autre. Il n'y a pas quelque chose qui est moins bon et quelque chose qui est meilleur. Tout ce qui a été fait, puisque cela a été fait par un Dieu en qui nous croyons, est bon. Ce qui pose aussitôt un très grave problème - non pas celui de l'échelle que nous établissons, mais comment se fait-il que dans ce monde je me cogne, je me fais mal ; et je peux faire du mal. Si tout est bon, le mal (aussi bien celui dont nous pâtissons comme celui que nous infligeons) surgit comme une question : comment est-ce possible ? Ainsi en Genèse 3, lorsque le serpent est venu proposer de manger de tous les arbres du jardin, que se passe-t-il ? Verset 6 : la femme vit que l'arbre était bon à manger, et séduisant à voir … Même quand est évoqué le surgissement de la catastrophe, c'est encore sur quelque chose de bon. Elle ne se trompait pas en désirant. Alors, d'où vient le mal ? c'est une question qui attaque les hommes, sans arrêt. S'il y a du bon, c'est parce que le créateur lui-même est bon, puisque nous nous abandonnons à lui. Pour le mal, ce qui nous fait mal et le mal que nous faisons, c'est toujours une sorte de point d'interrogation. Expliquer le mal est impossible - on ne peut que dire " délivre nous du mal " en se tournant vers le Père, créateur du ciel et de la terre, pour demander d'y échapper. Enfin, puisque ce monde est bon, mais que rien du monde ne peut être Dieu, nous pouvons dire aussi bien l'une que l'autre de ces deux phrases, et les tenir toutes les deux : le monde est en Dieu, et Dieu est dans le monde. Mais ne nous trompons pas sur ce verbe " être ". Il n'y est pas quelque chose, sinon il serait une chose lui-même. Nous ne disons pas que quelque chose du monde serait Dieu. Nous disons quelque chose de plus fort, que Dieu est à chercher dans le monde, et en même temps que Dieu est à chercher en dehors du monde. Nous sommes souvent tentés de choisir en lui ! en dehors du monde ! La foi oblige à dire et … et …, et non ou bien … ou bien … Autrement dit, Dieu se révèle en se cachant : il va pouvoir se révéler quand je le cherche dans le monde, comme aussi quand je le cherche hors du monde. Je ne vais pas mieux le trouver dedans que dehors - je n'ai qu'à le chercher. Il se révèle en se cachant. Pourquoi ? Parce que dans la foi Dieu veut exister comme quelqu'un que l'on cherche. Et on ne cherche que ce sur quoi on ne pourra jamais mettre la main (cf. Psaume 139/138). Il y a au moins deux tonalités pour lire ce psaume : " Seigneur, tu me sondes et me connais ". Plaintif et râleur, et apaisé ; dans une vie, on peut supposer qu'il y a une oscillation entre les deux tons. Dieu est dans le monde, et le monde est en Dieu, mais il n'y est pas comme une chose, et le monde lui-même n'est pas en Dieu comme une chose. Il y a entre nous et Dieu la relation d'une recherche. D'une recherche qui est à la fois insupportable et heureuse. Tu es un Dieu caché (cf. Isaïe). Sur les deux tons aussi. Croire en Dieu créateur du ciel et de la terre, cela ne va pas de soi. Croire est ne heureuse aventure dans laquelle nous nous sommes engagés, et qui n'est jamais accomplie, jamais terminée. Si nous faisons refluer tout ceci sur croire, cela éclaire le verbe " croire ", laisse entendre ce que c'est que croire. Et étonnons-nous que ce soit cela que nous ayons à croire, et pas autre chose. En disant cela, nous approfondissons le geste de croire. D'autres traditions spirituelles disent " je crois " et n'alignent pas les mêmes mots. Croire revient-il alors au même ? Peut-être que d'autres, par d'autres chemins, entretiennent leur geste de croire. Je crois en Jésus-Christ, son fils unique, notre Seigneur Nous n'avons jamais assez de soin pour essayer de comprendre ce que nous disons quand nous disons " je crois ". Il y a une signification délavée, passée, " je crois " au sens de " je ne suis pas sûr, à mon avis, peut-être, il se peut que … ". Ce n'est pas le sens qu'il y a dans le symbole des Apôtres. Le " je crois " n'a pas une signification atténuée, timide, qui aurait peur de s'engager. C'est le contraire. " Je crois " signifie " je me livre tout entier à ce que je vais dire, j'ai confiance ". Nous nous livrons à la personne en qui nous croyons. Nous nous abandonnons, sans retenue. C'est le contraire d'un sens atténué, appauvri. Non seulement il exprime notre confiance et notre abandon en celui en qui nous croyons, mais en outre il faudrait entendre le " je crois " sur un air de fanfare. Oui ! Je crois ! Je vous le dis. Parce que ce " je crois " est une sorte d'attestation - je vous le fais savoir - qu'on appelle confession ou profession de foi. Non seulement on s'engage, mais on proclame qu'on s'engage. Il n'y aurait pas de foi dans le monde s'il n'y avait pas de croyants. La foi n'est pas une réalité enfouie que l'on découvrirait un jour. On ne la découvre pas comme si elle préexistait. On l'invente - elle n'existait pas avant que des gens disent " je crois ". Sans croyants, pas de foi. Enfin, ce qui suit le " je crois ", ce sont des mots prononcés qui permettent de comprendre encore mieux ce que c'est que croire. Les mots qui suivent sont comme des explications, des dépliements, des déploiements de ce que c'est que croire. Jésus-Christ. Ces deux mots nous dirigent vers ce qui est sur le même plan que nous. Nous ne pouvions pas le dire de Dieu, Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. Il n'était pas dans l'histoire. Sur le même plancher que nous. Si l'on donne à quelqu'un un nom, Jésus, on désigne quelqu'un qui est là, dans le même espace temporel, dans la même histoire que nous. Avec " Jésus-Christ ", on ajoute à ce prénom ou nom une qualification, qui est celle d'une fonction. Jésus. Nom propre. Il y a des noms dont on a beaucoup de peine à découvrir ce qu'ils signifient - et souvent un nom propre ne veut rien dire, il sert simplement à distinguer quelqu'un. Mais " Jésus ", si ce nom désigne quelqu'un (c'est la première fonction de tout nom propre), signifie aussi quelque chose : " Dieu sauve ". Ce nom avait déjà été porté dans le passé : Josué désignait une autre personne, mais le même sens. Pourrait-on croire en quelqu'un qui ne nous sauverait pas ? Si je dis " je crois en vous ", c'est qu'en me fiant à vous, je pense qu'il m'arrivera quelque chose de bon. Vous saurez répondre à cette confiance de façon heureuse pour moi. Si je suis exposé à des dangers, vous saurez m'en délivrer. Christ. Expression qui signale la fonction remplie par Jésus, déjà bien marquée dans " Dieu sauve ". " Christ " ajoute quelque chose d'autre : Messie (c'est la même chose). Ce Jésus est donc celui que nous attendons, d'une attente profonde, radicale - attente de ceux qui le reçoivent. Jésus-Christ, c'est-à-dire Messie qu'on attendait. Il est à la fois attendu, toujours attendu (Christ) et déjà venu. Croire en Jésus-Christ, en Jésus Messie, c'est se livrer tout entier parce qu'il est attendu. Et cette attente continue alors qu'il est déjà venu (alors que et non bien que). Il en va ainsi lorsqu'on attend un enfant : il n'a pas suffi qu'il vienne au monde, car l'attente ne s'arrête pas à l'heure de la naissance. Un enfant nous est né : ce n'est pas seulement un chant de joie inspiré d'Isaïe, mais c'est aussi un chant d'espérance, une espérance enracinée sur une arrivée réelle - qui n'a pas liquidé l'espérance mais qui l'a relancée. Dire " Jésus-Christ ", c'est dire " Dieu sauve, comme je m'y attendais, et comme je suis encore dans l'attente du salut ". Son fils unique. Cette expression nous apprend quelque chose sur ce qu'est Dieu lui-même. Elle nous apprend qu'être père, être capable de produire quelqu'un et de le reconnaître, de l'approuver comme quelqu'un qui est sorti de vous mais comme un autre, c'est le propre de Dieu lui-même. Dieu n'est pas un œuf, Dieu n'est pas fermé sur lui-même, il est au contraire Dieu parce qu'il fait sortir de lui-même un autre - qui lui ressemble mais qui n'est pas lui, qu'on ne peut pas confondre avec lui. Il est vraiment un autre, mais pas un étranger. Il tient à Dieu lui-même de n'être pas solitaire, bouclé, clos. Il y a en Dieu un autre que lui, mais un autre qui lui ressemble, qui ne lui est pas étranger. Qu'est-ce qui va permettre de l'appeler " fils ", et non pas produit, excroissance, rejeton ? Il y a entre lui, Père, et un fils, autre chose qu'un processus de production, mais de l'amour. Il y a de l'amour en Dieu, qui n'a pas besoin de se multiplier - un seul suffit pour dire tout son amour. " Celui-ci est mon fils bien-aimé en qui j'ai mis tout mon amour ". Ceci n'est pas seulement une déclaration sur ce qu'est Dieu. Nous disons que cet amour réside au milieu de nous. Ce fils unique, nous l'avons appelé " Jésus-Christ ".Il est son fils unique ; il est au milieu de nous. Il a pris chair. Le fruit de cet amour n'est pas à chercher loin, mais là, parmi nous. Il nous faut ici penser humainement les énoncés religieux. " Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous " - c'est-à-dire que cet amour est là. Notre Seigneur. " Notre ", et non pas " mon ". Quand nous disons " nous ", nous pouvons dire " pas le leur " - un " nous " exclusif, sélectif. Mais nous pouvons aussi dire " nous ", c'est-à-dire moi qui parle et vous à qui je parle. Il en est ainsi d'une déclaration, d'une profession, d'une confession ou le Seigneur n'appartient pas à ceux qui l'annoncent, qui le proclament - bien plus, puisqu'ils l'annoncent, le proclament, il est aussi aux autres, s'ils veulent bien l'attraper, le prendre, l'accueillir - cf. le prologue selon saint Jean : " il est venu parmi les siens, et les siens ne l'ont pas accueilli ". Il est " notre " au sens où il crée entre nous une communauté, une communion. Et une communion sans frontière, car il est proclamé non pour être gardé mais pour être donné. Nous faisons un appel au rassemblement, à la communion, en passant à " notre ". Seigneur. Nous l'appelons " Seigneur ". Celui sont je reconnais le pouvoir - même si ce mot reste à expliquer. Reconnaître que nous lui sommes soumis, que nous dépendons de lui. Il reste à reconnaître, dans la suite du texte, comment il exerce sa souveraineté ; mais je le déclare " Seigneur ", et je l'ai appelé " Jésus-Christ " - " Dieu sauve l'attendu arrivé et encore attendu ". Ce pouvoir, il ne peut l'exercer, quelle que soit la façon dont il l'exerce, que pour nous protéger, nous sauver, pour ne pas décevoir notre attente, et non pas comme une force prodigieuse, une souveraineté despotique et écrasante. Car il s'appelle Jésus-Christ, fils unique du Père. On ne peut pas prononcer le Credo si ce n'est pas pour nous l'occasion de réveiller une certaine façon d'exister, l'occasion de faire naître une manière d'être, une expérience spirituelle. Le Credo n'est , d'une certaine façon, pas un catalogue de vérités. Mais un chemin tracé dans ses linéaments, qu'il me reste à emprunter, à faire. Comme un passage, un gué, un chemin. Texte en version PDF ici. |
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Guy
Lafon - 01/08/2004
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