Biographie |
|
De la poésie,
Guy Lafon dit : « J'écris parfois ce qu'on appelle, communément, des poèmes.
Pourquoi? Sans doute parce que je pense que la parole, toute parole, même
la plus anodine, est toujours prononcée poétiquement. J'entends par là
que nous parlons tous d'abord, mais sans bien l'apercevoir toujours, pour
dire l'effet des choses et des événements sur nous et, aussi, notre alliance,
heureuse ou néfaste, avec tous, alors que nous imaginons que nous parlons
seulement pour rendre un compte exact du monde et de l'histoire aux autres
et à nous-mêmes. Pour moi, le poème est l'occasion de me souvenir que
nous ne vivons vraiment que d'une parole qui est la répercussion étonnée
de notre rencontre. Oui, nous vivons poétiquement, et nous l'oublions.
Le poème nous rappelle à la vérité de notre condition d'hommes qui parlent.
»
Tous,
nous écrivons. Sinon des livres ou des poèmes, du moins des lettres,
des messages. Or écrire, c'est comme peindre, avec la lumière en
moins. Voilà ce que nous apprenons à contempler les oeuvres de Sylvia
Elharar-Lemberg. Oui, j'ai bien dit : contempler.
Car,
qui contemple voit, mais ne s'arrête pas à voir. L'étonnant, c'est
qu'en voyant, nos yeux, ici, soient magnifiquement comblés par les
bleus, par les rouges, par le tourment des couleurs de la terre,
mais ce que nous avons vu se grave en nous à la façon d'un souvenir
qui, désormais, n'a plus besoin d'être vu pour exister en nous pour
toujours. La vision a réveillé en nous une présence qui n'attendait
que le dessin et la couleur pour ressusciter.
|
 |
Résurrection,
1991 Acrylique sur papier marouflé sur toile (130x97 cm) |
C'est
par là que peindre et écrire se ressemblent presque. L'écrivain
et le peintre redoutent toujours que nous n'allions pas plus loin
que les images qu'ils nous donnent à voir ou que les idées qu'ils
offrent à notre méditation. Sans chercher nul effet, l'un et l'autre
n'aiment leur oeuvre que pour l'impact, mieux, pour la blessure
qu'elle a creusée en eux. Si quelque plaie semblable pouvait se
produire en qui lit, en qui voit ! Une torche qui brûle, non pas
un enseignement. Car l'écrivain, mais avec moins de bonheur, souvent
avec plus de prétention que le peintre, se satisfait de faire naître
chez son lecteur l'insistance lancinante de quelque question. Toute
réponse lui paraît, à lui aussi, indécente.
Ainsi,
Sylvia Elharar-Lemberg laisse descendre en nous, comme une vrille,
la figure invisible d'un nom que nous ne pourrions prononcer qu'en
le trahissant. Elle peut bien répéter, inlassablement, le tracé,
vain entre tous, du tétragramme. Il est chaque fois nouveau, incomparable.
Regardez bien ! Son retour permanent nous avertit que nous sommes
inséparables de lui. L'éclat et I'ombre de notre vie, de notre histoire,
se reflètent en lui. Indestructible, c'est lui qui nous garde comme
dans l'enclos d'un temple. Il nous retient, enfermés en lui et pourtant
libres, même lorsque, comme il arrive quelquefois, les quatre cotés
semblent s'être disloqués pour composer la forme d'une croix.
Il
est des textes qu'on ne voudrait jamais lire qu'à voix basse. On
regrette le murmure secret qui accompagne leur récitation, même
quand on se tait et que personne n'entend. Or la peinture de Sylvia
Elharar-Lemberg nous réconcilie avec cette infirmité de toute lecture.
Car la lumière de ses toiles, tour à tour douce et violente, n'offense
pas, comme le fait le son de la voix, le texte qu'elle nous fait
lire. Elle crée ses peintures d'après le livre. Elle le suit. Ses
oeuvres ne seraient pas sans lui. Aussi, maintenant qu'elles sont
là, sous nos yeux, nous ne pouvons pas les voir sans les prendre
pour une allusion douloureuse, jubilante aussi, à leur source. Mais,
et ce n'est pas leur moindre merveille ! nous pouvons aussi nous
en tenir à elles, à leur surface, sans aller vers leur en-deça.
C'est en nous alors qu'elles inscrivent leur profondeur.
Croyez
moi ! Vous qui passez devant ce ciel et ce sang, où violemment l'Innommé
prend chair, vous n'échapperez pas à l'espérance.
(publié
en novembre 1993 dans Le Nom dit)
|
|