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La Parole de Dieu et l'événement, une lecture avec Madeleine Delbrêl

Biographie  

La Parole de Dieu et l'événement

" Les événements ne peuvent être pour nous les signes de la volonté de Dieu que si nous les mettons en contact avec la Parole de Dieu, si nous la mettons en eux. Elle révèle alors la volonté de Dieu qui doit être faite dans la pâte même de ces événements.

Ainsi la Parole de Dieu est tout ensemble une loi immuable de vie, ferment de vie et guide mobile et rapide pour vivre.

Par sa parole, Dieu nous dit ce qu'il est et ce qu'il veut ; il le dit pour toujours, il le dit pour chaque jour.

Pour savoir ce que nous devons faire, ne demandons pas "des signes et des prodiges..." avant d'avoir épuisé la Parole de Dieu. Il ne nous le dit pas une fois pour toutes et tout d'avance ; ce qu'il nous dit pour toujours, nous n'aurons jamais fini de le comprendre ; ce qu'il dit chaque jour, c'est sa parole retentissant dans les événements, dans les circonstances, en celui que nous sommes.

La Parole de Dieu écoutée, entendue, gardée, donnée fait en nous et par nous la volonté de Dieu. Active et efficace, elle a créé, elle recrée sans cesse.

Cela est valable pour toute vie chrétienne.

En créant la vie, Dieu n'a pas créé un monument. Il a créé la vie croissante, dynamique, évolutive, mouvementée, féconde. Toute vie qui naît de la Parole de Dieu, parole toujours créatrice, est croissante, dynamique, évolutive, mouvementée, féconde. Vie destinée à l'éternité. Vie toujours "contemporaine", greffée sur la vitesse du temps.

La croissance de l'église est liée à la croissance de la Parole de Dieu : faire accueil à la Parole de Dieu, se laisser croître par elle, c'est participer et travailler à la croissance de l'Eglise.

Car la fécondité de la Parole de Dieu, c'est d'être transmise ; sa transmission est inséparable de la contradiction et de la croix.

Toute vie chrétienne et toute la vie chrétienne est fondée sur la Foi, c'est-à-dire sur la Parole du Seigneur. Parole indiscutable du Seigneur indiscuté."

Madeleine Delbrêl

(La joie de croire, Paris, Editions du Seuil, 1968, page 172)

LA PAROLE

Avant d'aborder notre sujet, et pour mieux entrer dans la pensée de Madeleine, il peut être important de réveiller en nous une certaine surprise, un certain étonnement devant ce fait si banal, si évident, de "la parole".

Il nous semble que parler va de soi et nous ne nous rendons plus compte combien notre vie est traversée, soutenue par de la parole.

Mais parler, ce n'est pas seulement dire des mots, des phrases ; il faut des oreilles pour entendre. La parole est alors comme une arche, un pont - lequel peut sembler parfois effondré, quand quelqu'un près de nous ne veut pas parler, ou quand nous ne voulons pas l'écouter.

Il faut sans cesse s'étonner devant le fait que nous sommes des êtres qui se parlent et peuvent ne pas se parler ; c'est la situation à laquelle nous sommes habitués mais qui ne va pas de soi. Cette montre sur cette table ne peut pas se dire ou dire quelque chose au livre qui est à côté. Ils sont juxtaposés, comme nous risquons de l'être parfois dans le métro, l'ascenseur ou ailleurs. Cette situation de parler est partout présente jusque dans le fait que la parole est là pour nous permettre de nous parler à nous-même, de nous préciser ce qui se passe dans notre tête. Nous disons souvent' "Je me suis dit…"

Il y a une parole qui existe dans toute humanité, sous tous les cieux, que je vous propose d'appeler la "parole religieuse".

Elle est ce besoin, dans des moments de grande joie ou de malheur, de s'adresser à quelqu'un qui n'est pas là, comme si les hommes, un peu partout, n'arrivaient pas à penser que "parler" ne soit pas entendu. J'appellerai cela d'un mot très ordinaire, très simple, "la prière".

Dans la prière, il y a toujours quelque chose qui se dit, au-delà des mots ; attente, regret, souhait, merci. A ce moment-là, nous avons une parole, sans interlocuteur sensible, et qu'on aurait bien de la peine à nous empêcher de dire. Nous sommes parfois les premiers à l'étouffer, ou bien il y a toujours quelqu'un pour nous, dire : "Ça ne va pas de parler à un invisible"'? Cela nous révèle que cette parole de la prière, la parole religieuse, est dans une situation de faiblesse. Faible ne veut pas dire qui n'a pas d'importance, de peu de prix. Ne soyons donc pas étonnés que la prière soit un geste spirituel qu'on peut toujours contester. Il n'est pas fort, pas puissant.

La prière est-elle efficace ? Question souvent posée … Non, si c'est dans le sens d'une efficacité physique, physiologique, comme un cachet d'aspirine. Mais dans la situation de prière de demande, dans le geste de prier, un pont, une arche sont bien créés à l'égard de Dieu comme à l'égard de quelqu'un d'entre nous : une présence mutuelle s'exerce en toute parole. Dès que nous nous mettons à parler, nous sommes présents à ceux à qui nous parlons, et la réciproque est vraie même s'ils se taisent. Nous ne sommes pas à côté l'un de l'autre, nous sommes ensemble. Au fond, toute parole est envoyée, envoyée comme on envoie une lettre, et en ce moment, vous êtes en train de décacheter la lettre que je vous envoie.

C'est aussi quelque chose, de ce genre qui se passe entre nous et ce destinataire invisible à qui nous avons pris l'habitude de donner le nom de Dieu.

En ce moment où je vous parle, chacun d'entre vous reçoit les mêmes mots, les mêmes phrases, mais il y a une sorte d'alchimie qui ne se fait pas seulement dans votre tête, mais aussi avec votre sensibilité, votre cœur, votre histoire. Chacun reçoit avec tout ce qu'il est. L'oreille de chacun, je ne dis pas que l'oreille fausse, déforme, non ! elle reçoit et va dire : "Voilà ce qu'il m'a dit."

En ce moment vous vous dites : ce n'est pas une série de bruits, une suite de sons, c'est une parole qui m'est adressée, qui me dit quelque chose. Pour entendre ce qui est dit, chacun mobilise tout ce qu'il est ; c'est vous qui reconnaissez la qualité de parole que je suis en train de prononcer.

LA PAROLE DE DIEU ET L'EVENEMENT

Reprenons en détail le texte de Madeleine.

"Par sa Parole, Dieu nous dit ce qu'Il est et ce qu'Il veut."

Entre les événements de notre vie et cette Parole de Dieu, quel lien y a-t-il ?

Un événement ! C'est ce qui arrive, ce qui "nous tombe dessus". Il n'y a rien de plus muet... aussi muet qu'une table ou un objet... si bien que, devant lui, nous nous disons : "Qu'est-ce que ça veut dire ?" - J'ai échoué à mon bac, j'ai perdu de l'argent que je croyais bien placé ... qu'est-ce que cela veut me dire ?

"Les événements ne peuvent être pour nous les signes de la volonté de Dieu que si nous les met-tons en contact avec la Parole de Dieu, si nous la mettons en eux. Elle révèle alors la volonté de Dieu qui doit être faite dans la pâte même de ces événements."

Les événements qui, d'une certaine façon, sont comme des choses, voilà que nous pouvons les regarder comme des signes d'une volonté, des signes que fait quelqu'un.

Comment peuvent-ils nous apparaître signes de la volonté de Dieu, ces événements gui ne par-lent pas ? Si nous les mettons au contact de la Parole de Dieu, ils deviendront pour nous signes de sa volonté, un peu comme le signal qu'on rencontre sur les routes. Ils ne seront signes que si je les joins à la Parole de Dieu, pas seulement ce qu'Il dit, mais le fait que Dieu parle.

Quand nous disons "Parole de Dieu", nous pensons "Bible". Mais cherchez bien dans la Bible, vous ne trouverez pas un propos qui vous parle de l'événement qui vient de vous arriver, heureux ou malheureux. Mais ce livre est là et il est pour nous le signe que nous croyons que dans ce qui nous arrive, Dieu nous faut signe et exprime une volonté qui va devoir être traitée "dans la pâte même des événements". La pâte, on s'en occupe, on la pétrit pour en faire autre chose qu'elle n'est ; et on attend de ce contact entre les événements et la Parole de Dieu que ce que Dieu veut de nous, apparaisse dans cette pâte même.

"Ainsi, la Parole de Dieu est tout ensemble une loi immuable de vie, ferment de vie et guide mobile et rapide pour vivre."

Pourquoi ce terme de "vie" revient-il avec insistance ?

Les événements, c'est la vie qui s'est produite hier et aujourd'hui et qui continue demain. La Parole de Dieu va retentir dans la vie, la vie avec sa brutalité, sa simplicité, son décousu, la vie dans ce qu'elle a de plus trivial. La Parole ne choisit pas, elle n'est pas "regardante".

"Par sa Parole, Dieu nous dit ce qu'il est et ce qu'Il veut : Il le dit pour toujours, Il le dit pour chaque jour."

Il y a une sorte d'investissem ent de la Parole de Dieu dans le "toujours" et le "chaque jour" de l'événement. Il n'y a donc pas d'événements qui échappent à la Parole de Dieu...

"Pour savoir ce que nous devons faire, ne demandons pas `des signes et des prodiges' ,... avant d'avoir épuisé la Parole de Dieu. Il ne nous le dit pas une fois pour toutes et tout d'avance : ce qu'Il nous dit pour toujours, nous n'aurons jamais fini de le comprendre; ce qu'Il dit chaque jour, c'est sa Parole retentissant dans les événe-ments, dans les circonstances, en celui que nous sommes"...

Notre pente serait d'attendre des miracles, c'est-à-dire des événements devant lesquels on admire (admiration - miracle, même racine). Nous sommes portés à estimer qu'il doit y avoir soit des catastrophes, soit des prodiges qui vont nous laisser interdits, stupéfaits ! Dieu étant Dieu, Il se signale.

Mais il y a quelque chose de plus prodigieux, qui se fait oublier, comme la Parole se fait oublier; c'est le fait que Dieu parle : "Ne demandons pas des prodiges avant d'avoir épuisé le fait que Dieu, parle", avant d'avoir fait cet effort d'attention.

"Ce qu'Il nous dit pour toujours", n'ayons pas la sottise, la prétention de croire que c'est connu. Serait-ce encore une Parole de Dieu si nous avions réussi à la capter une fois pour toutes ? Pour qui nous prenons-nous ?

"Ce qu'Il dit chaque jour, c'est sa Parole retentissant dans les événements", comme dans une caisse de résonnance, "en celui que nous sommes".

"La Parole de dieu écoutée, entendue, gardée, donnée, fait en nous et par nous la volonté de Dieu. Active et efficace, elle a créé, elle recrée sans cesse."

Cette Parole écoutée, entendue, gardée, regardée comme une parole qu'à la fois je vous donne, et que vous avez à vivre...

"Elle est donnée", donnée à moi, mais je ne vais pas la garder pour moi. La Parole de Dieu est donnée, mais d'une certaine façon va se perdre.

"Elle fait en nous" : Dieu a en quelque sorte perdu, dilapidé sa Parole, mais en toute confiance parce que dans les événements dans lesquels Il l'a introduite, auxquels nous allons la mêler, elle va nous permettre de faire ce qu'Il demande. Madeleine suggère que Dieu fait plus confiance que nous aux effets de sa Parole.

"Elle est active" : ce contact entre la Parole de Dieu et les événements va les brûler, les embraser comme il embrase le buisson ardent qui brûle sans se consumer, qui flambe sans être détruit. Nous sommes loin de ce que nous disions tout à l'heure : l'événement n'est plus muet, meurtrissant, éventuellement destructeur.

Madeleine reprend la notion de création : "En créant la vie, Dieu n'a pas créé un monument. Il a créé la vie croissante, dynamique, évolutive, mouvementée, féconde. Toute vie qui naît de la Parole de Dieu, Parole toujours créatrice, est croissante, dynamique, évolutive, mouvemen-tée, féconde. Vie destinée à l'éternité. Vie toujours `contemporaine', greffée sur la vitesse du temps."

"Un monument" : c'est ce qui rappelle ce qui s'est fait, c'est tourné vers le passé, c'est le passé figé qui est mort. Devant un monument, vous êtes prié de vous souvenir.

Rien de tel avec la Parole de Dieu. En créant par sa Parole, Dieu n'a pas créé un monument : "Il a créé la vie croissante, dynamique, évolutive, mouvementée, féconde." La Parole de Dieu crée un avenir. L'avenir, c'est ce qui vient d'arriver, qui va se déborder lui-même, qui va déplacer ses limites, ses frontières.

"Vie destinée à l'éternité" : rien de ce que l'événement aura amené, aussi réduit, circonscrit que soit cet événement, n'est petit. Cette heure de détresse, cette heure de dépression va être, elle aussi, croissante, dynamique ; car elle est destinée à changer, non pas en quittant le temps, mais dans le temps, à y introduire une autre manière d'exister, de vivre. Alors, on a employé le mot d'éternité.

"Vie toujours contemporaine, greffée sur la vitesse du temps" : le temps n'est pas abandonné, mais il est habité par une vie qui est toujours accordée à l'instant, à l'événement. Vie qui est toujours. avec le temps, pas hors du temps, à côté du temps, mais avec le temps, "contemporaine".

"La croissance de l'Eglise est liée a la croissance de la Parole de Dieu : faire accueil à la Parole de Dieu, se laisser croître par elle, c'est participer et travailler d la croissance de l'Eglise..."

Jusqu'à présent, nous semblions être dans l'ordre de l'individualité, c'est-à-dire "du cha-cun". Maintenant apparaît l'Eglise qui est cette Société des hommes et des femmes qui acceptent de mettre en contact les événements avec la Parole de Dieu.

"Car la fécondité de la Parole de Dieu, c'est d'être transmise ; sa transmission est inséparable de la contradiction et de la Croix..."

Ceci est lié à ce que je vous ai dit sur la faiblesse de la parole qui peut être contestée. La fécondité de la Parole de Dieu, c'est d'être transmise dans la contradiction et la Croix...

"Toute vie chrétienne et toute la vie chrétienne est fondée sur la Foi, c'est-à-dire sur la Parole du Seigneur. Parole indiscutable du Seigneur indiscuté"...

Ici, Madeleine nous laisse entendre, me semble-t-il, que la toute première Parole que Dieu nous adresse, c'est le fait même que nous croyions. Croire, c'est sans doute notre fait. Mais croire, c'est aussi le fait qu'Il nous parle. Notre Foi est déjà la première transformation opérée par sa Parole ; cette Parole va se réaliser dans ce que nous sommes, "dans la pâte des événements". Nous n'avons rien d'autre à Lui offrir que cela : nous offrir à la "Parole indiscutable du Seigneur indiscuté".

Puisque nous avons accepté les uns et les autres de nous mettre à l'école de Madeleine Delbrêl, acceptons qu'elle nous bouscule. A mon humble avis, elle nous bouscule avec plus de clarté et de limpidité que n'a été bousculée la société bien pensante du siècle dernier par la petite carmélite de Lisieux.

Guy LAFON

Paris, le 7 juin 1998

Ce texte est disponible auprès de l'association "Les amis de Madeleine Delbrêl",

dans sa lettre n°34 d'octobre 1998.

Adresse : 11, rue Raspail, 94200. IVRY

Tél. : 01 49 59 84 95

Fax : 01 46 72 02 95

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Guy Lafon - 31/08/2004