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Une lecture de "Drogues, Eglise et société"

Biographie  

Plus de fraternité pour plus de liberté

Chrétiens & sida n°19, décembre 1997, page 4.

Guy Lafon, prêtre et théologien catholique, nous avait fait partager son expérience spirituelle au contact des personnes atteintes ("Chrétiens & sida" numéro 10-11 ). Il nous dit ici sa lecture de "Drogues, Eglise et société" de la Commission sociale de l'épiscopat français.

L'ILLUSION A LA PLACE DU LIEN SOCIAL

Il est fragile. Il se ferait presque oublier. On ne s'aperçoit de sa présence que lorsqu'il est tendu et menace de se rompre. En fait, il est toujours là, mais il nous rend, selon son état, heureux ou malheureux. Tel est le lien social, condition de notre rencontre avec le monde, avec les autres, avec nous-même et avec Dieu même.

Quiconque tente d'échapper à ce lien, contrairement à ce qu'il peut bien imaginer, ne devient pas plus libre, car ce lien n'est en rien une chaîne qui nous entraverait. Qui s'efforce de briser le lien social tente, donc vainement, de fuir, et c'est grand dommage pour lui et pour nous : il se perd et nous le perdons. Ainsi en est-il de ceux qui s'évadent dans l'illusion de vivre qu'apporte l'usage de la drogue.

On conçoit qu'il faut être déjà blessé gravement pour recourir à cette extrémité, pour s'habituer, avec obstination et méthode, à entretenir en soi une exaltation trompeuse, où la communion avec les autres, si elle se produit, devient elle-même artificielle. En réalité, par ce leurre qu'on se donne, on se transforme soi même en un danger pour soi et pour les autres.

REPRIMER ? SOIGNER?

Est-on alors un malade? Est-on un coupable? Nous ne disposons tous d'abord que de ces qualificatifs simples, trop simples, pour aborder la détresse du toxicomane. Mais si nous restons attachés à une telle approche, si nous ne la critiquons pas, nous ne tardons pas à entrer dans une course sans fin dans laquelle la médecine et les lois, ensemble ou tour à tour, se prétendent à l'envi seules compétentes pour en finir avec le mal. Entre les soins qu'on prodigue et les sanctions qu'on inflige, qu'est-ce qui vaut le mieux ? Sanctions et soins rejoignent-ils au plus vrai ceux qui souffrent? Sont-ils capables de les rendre à la liberté ?

A vrai dire, la cure et la répression sont déjà les signes d'une attention et comme une tentative pour rappeler au toxicomane qu'il appartient à un même monde, commun à tous. Car, même si l'hôpital et la prison excluent, et parfois brutalement, du moins ils témoignent que la misère de la drogue ne laisse personne indifférent, qu'elle est un mal qui nous concerne tous. Ceux qui éprouvent de la peine à vivre dans notre société comme elle est au point de tout faire, jusqu'à s'exposer à en mourir, pour s'en absenter, ceux-là rencontrent dans le médecin et dans le juge des présences qui les avertissent que la réalité demeure, qu'ils peuvent la retrouver. Pourtant, qui mieux que le médecin ou le juge pourrait convenir des échecs d'un pouvoir ou d'une technique dont ils connaissent d'expérience les limites ? Ne sont-ils pas les premiers à nous faire savoir qu'il existe une relation aux habitués de la drogue plus fondamentale encore que tout pouvoir ou toute technique ?

PAS LES SYMPTOMES MAIS LES CAUSES

C'est le très grand mérite d'un document comme "Drogues, Église et société" que de nous faire revenir vers l'origine, souvent oubliée, de notre vie sociale, à ce lien qui nous unit tous en même corps. Puisque c'est lui, ce lien, qui a été atteint, c'est en lui rendant sa force libératrice que nous pouvons espérer réduire ou peut-être même supprimer le malaise mortel qui s'est installé parmi nous du fait de la toxicomanie. En somme, il s'agit d'entendre la demande de la vie sociale plénière qui nous est adressée par des conduites que nous réduisons à n'être que déviance ou pathologie. A un grave déficit de vie sociale doit répondre un effort, socialement exprimé en des institutions. Celles-ci "considèrent d'abord un être avec sa dimension sociale. Elles se placent donc en amont, avant le dispositif judiciaire ou médical, sur le plan de la dimension sociale de la personne qu'elles s'efforcent de rejoindre et de restaurer. Cette position envisage donc les causes (peu souvent rejointes) plus que les symptômes (soignés ou punis) ". Il faut donc tendre "vers une prise en charge réciproque de la personne blessée par la société et de la société par cette personne. "

La voie indiquée par de telles déclarations est profonde. Même s'il convient de rendre toujours plus juste la législation et plus efficace le traitement, il importe surtout de tenir l'usager de drogues comme un membre du corps social auquel nous appartenons tous. Il est un membre blessé, certes, mais blessé comme l'est une victime qui mérite de trouver dans la société elle-même un secours fraternel et non pas une sollicitation à sombrer dans la délinquance et la maladie.

Car, il faut le dire et le répéter, la société qui exclut si facilement coupables et mal portants, n'est pas sans responsabilité dans l'extension de la toxicomanie. Les fractures dont elle souffre elle-même dans son organisation nationale et internationale (certains pays ne doivent qu'au trafic de la drogue leur précaire équilibre économique !) ont produit et entretiennent l'asservissement de ces gens de tout âge qui s'éloignent d'elle, faute de pouvoir fonder en son sein un foyer solide, y exercer un métier, y atteindre à une culture qui les soutienne, bref, y vivre heureux.

Ainsi, en restaurant "les liens qui font corps d'humanité ", en accueillant ses membres atteints par la souffrance et fuyant dans un paradis d'illusion, la société ne fait que leur rendre le statut dont ils ont été injustement privés. En les faisant renaître en elle, elle se régénère elle-même et, en quelque manière, elle se sauve. Car la société perd pour elle ce qu'elle n'a pas su donner aux plus vulnérables de ses membres. Au contraire, l'amitié et la fraternité, quand elles sont généreusement prodiguées, augmentent la force qui nous réunit tous ensemble dans un même monde.

FECONDITE SOCIALE ET FOI D'ALLIANCE

Ce sont là des considérations qui peuvent venir ou cœur et à l'esprit de quiconque médite sur le fléau de la toxicomanie. La tradition qui soutient la pensée de beaucoup d'entre nous les porte, heureusement, à choisir cette voie où chacun peut se découvrir plus humain parce qu'il s'éprouve solidaire de tous.

Il reste qu'un chrétien conçoit une grande joie à entendre ses guides spirituels l'encourager à aller le plus loin possible dans la responsabilité sociale. Car il sait, dans sa foi, que le renforcement du lien social, aujourd'hui comme toujours, renouvelle la vigueur d'une alliance dans laquelle il est pris et confesse que Dieu lui-même prend chair humaine, interminablement, jusqu'à la fin des temps. Ainsi, travailler ensemble pour permettre "à un usager de la drogue de retrouver sa fécondité sociale", c'est faire grandir en nous et entre nous l'humanité et, dans un même temps, c'est donner une figure charnelle à la foi qui allie à un Dieu venu vers nous tous comme l'un de nous.

En définitive, le catholique, qui vit de communion, est heureux que son Église l'incite à écouter la demande qui monte de ceux-là mêmes qui, dans la poursuite d'une illusion qui les apaise, réclament en fait, en criant leur malheur, une reconnaissance fraternelle qui ferait d'eux des hommes plus libres. Ici, comme prétend le faire le marché de la drogue, c'est la demande qu'il faut écouter et satisfaire, mais en lui donnant cette fois-ci la réponse d'une offre qui soit à la mesure de la détresse:

"La demande porte sur une réinsertion sociale. Cette exigence constitue la clef de tout véritable progrès. Elle considère une personne avec la reconnaissance sociale à laquelle elle a droit. Elle favorise, en retour, par la personne, la libre reconnaissance de la société avec ce qu'elle offre - mais c'est là une autre offre - comme positivement sociale et comme fécondité sociale. Il s'effectue ainsi le rétablissement d'une démarche de réciprocité qui est garante d'une liberté possible. C'est la voie de l'espérance. "

Guy LAFON

Les italiques sont des citations tirées du document de la Commission sociale de l'épiscopat: "Drogues, Eglise et société".

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Guy Lafon - 08/09/2004