Commencement de l’Heureux Message de Jésus Christ, Fils de Dieu

Commencement de l’Heureux Message de Jésus Christ, Fils de Dieu : selon qu’il est écrit dans Isaïe, le prophète : «Voici que j’envoie mon messager devant ta face qui fraiera ton chemin. Voix d’un qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur. Rendez droits ses sentiers. », il y eut Jean, baptisant dans le désert et proclamant un baptême de changement d’esprit pour la rémission des péchés. Et sortait vers lui tout le pays de Judée et tous ceux de Jérusalem et ils étaient baptisés par lui dans le fleuve du Jourdain en avouant leurs péchés. Et Jean était vêtu de poils de chameau et d’une ceinture de peau autour de sa hanche, et mangeant des sauterelles et du miel sauvage. Et il proclamait en disant : «Il vient, le plus fort que moi, après moi. Je ne suis pas capable, m’étant baissé, de délier le cordon de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés d’eau ; lui, il vous baptisera dans un souffle saint.»


Marc I, 1-8



« Commencement de l’Heureux Message de Jésus Christ, Fils de Dieu ». Le premier mot de ce passage mérite la plus grande attention. Nous aurons tout à l’heure à nous demander en quoi consiste un commencement.

Mais, avant de nous arrêter sur cette question, nous devons nous demander de quoi il y a ici commencement. Est-ce le commencement de l’ouvrage qui, tout entier, consiste en un « Heureux Message« , le commencement du livre ? Ou s’agit-il du commencement de la proclamation elle-même, de l’annonce ?

Peut-être notre lecture apportera-t-elle une réponse à ces questions, peut-être serons-nous conduits à choisir entre les deux significations.

D’autant que nous pouvons aussi nous demander s’il n’y a pas encore une troisième acception. « Commencement de l’Heureux Message de Jésus Christ, Fils de Dieu » pourrait signifier ceci : tout ce que nous allons lire (mais où allons-nous arrêter notre lecture ? – voilà encore une autre question -) n’est qu’un commencement.

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En tout cas, c’est le commencement d’un événement de parole. « Commencement de l’Heureux Message« . L’événement qu’est ce commencement consiste tout entier dans une annonce qualifiée d’heureuse. Tout au long de ce passage, nous retrouverons, avec plus ou moins d’insistance, le registre de la parole. Il vient très vite : « selon qu’il est écrit dans Isaïe, le prophète« . Et la déclaration faite par le prophète porte elle-même sur une parole : « Voici que j’envoie mon messager devant ta face« .

Allons un peu plus loin. La citation tout entière insiste sur la parole. C’est la voix de quelqu’un qui crie. Un peu plus loin, nous apprenons que Jean baptise, sans doute, mais il proclame un baptême. Et, d’autre part, ceux qui sont baptisés viennent à lui en posant un acte de parole : ils avouent leurs péchés. Enfin, avant de quitter ce passage, c’est encore sur la parole que notre attention est dirigée : « Et il proclamait en disant« . Je laisse dans l’incertitude les derniers mots : le « souffle saint« . N’est-ce pas suggérer que c’est dans l’élément de la parole, dans le souffle, que baptisera celui qui est plus fort que Jean.

« Commencement de l’Heureux Message de Jésus Christ, Fils de Dieu« . Ici encore interrogeons-nous. S’agit-il d’un Heureux Message porté au sujet de Jésus Messie, Fils de Dieu, d’un message qui porte sur lui, Jésus Christ, et qui le déclare Fils de Dieu ? Ou bien, s’agit-il du commencement de l’Heureux Message dont Jésus Christ, le Fils de Dieu, est l’unique acteur, comme si Jésus Christ, Fils de Dieu, était une sorte de messager initial ?

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« Selon qu’il est écrit dans Isaïe, le prophète« . Ce commencement de l’Heureux Message est lui-même préparé. Tout de suite, nous sommes amenés à entendre ce que « commencement » peut bien vouloir dire. En effet, nous apprenons que ce commencement suit en quelque sorte une ligne, un tracé, conformément à ce qui est écrit. Bref, le commencement, dont il est ici fait état, est un commencement qui a eu des antécédents.

En faisant cette observation, nous pouvons tout de suite entendre ce que « commencement » peut bien vouloir dire. Le commencement dont il s’agit ici est l’événement d’une différence, d’un écart. Différence et écart entre deux états. Entre l’état écrit dans Isaïe, qualifié de prophète, et, d’autre part, cet Heureux Message dont nous allons apprendre qu’il est maintenant proclamé. Ecart, différence entre un écrit et une parole. Tout ce passage est travaillé par un commencement défini comme un écart, comme une différence.

Bref, ce qui nous serait suggéré très tôt, c’est que tout commence sans cesse, parce que sans cesse il y a un écart, une différence qui se crée entre deux états. Ce qui bouleverse un peu notre idée du commencement. Car, spontanément, nous pensons qu’un commencement est une sorte de point zéro ou, à la rigueur, de point premier, de départ à partir de quoi il va y avoir des suites. Mais nous n’avons pas l’idée que le commencement est lui-même fendu. Nous ne pensons pas que le commencement comporte une césure interne. C’est pourtant, semble-t-il, devant cette pensée que nous sommes placés, puisque aussi bien le commencement de cet Heureux Message doit s’entendre lui-même comme une suite de ce qui a été écrit.

« Voici que j’envoie mon messager devant ta face qui fraiera ton chemin ». Là aussi nous voyons l’écart entre le messager et celui qui viendra ensuite, dont la face se présentera : ce messager a pour effet précisément de faire une percée.

« Voix d’un qui crie dans le désert« . Cette parole est une parole qui fend, en créant un chemin, en traçant une rupture sur le sol du désert. Ce chemin est lui-même en quelque sorte la métaphore, inscrite dans l’espace, d’une parole qui est un cri, un cri qui, lui aussi, déchire.

« Voix d’un qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur. Rendez droits ses sentiers. » Le prophète parle d’une voie et aussi d’une voix qui est tout entière préparation : préparer ce qui conduit au Seigneur, ou préparer la route que va prendre le Seigneur. Nous sentons toujours que la différence, constitutive du commencement, est à l’œuvre, avec cette redondance : « Rendez droits ses sentiers » : faites passer ses sentiers à un état de rectitude, qui n’existe pas encore.

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Conformément à cela (« selon qu’il est écrit dans Isaïe, le prophète« ), « il y eut Jean« . Or, que fait Jean ?

D’abord, arrêtons-nous à son nom. Jean signifie : le Seigneur fait grâce, le Seigneur agit avec miséricorde. Comment Jean remplit-il son nom ? Comment Jean rend-il son nom présent par ce qu’il fait ? Il baptise dans ce désert, qui avait été évoqué par le prophète, dans un lieu où il n’y a rien. Le désert est l’espace dans lequel le commencement va se produire, l’espace libre pour le commencement.

J’attire votre attention sur ce baptême dans le désert, qui est le baptême tout à fait initial. Le désert est, sans doute, le lieu où Jean baptise, mais il est aussi l’élément dans lequel il baptise. Si je peux me permettre cette observation, c’est parce que, un peu plus bas, reviendra la mention de l’eau, de l’élément du baptême, de ce en quoi on baptise : « Moi, je vous ai baptisés d’eau ; lui, il vous baptisera dans un souffle saint. » Cette plongée est une immersion dans le désert, dans l’eau et, enfin, dans un souffle saint.

Dans ce désert, Jean ne se contente pas de baptiser : il proclame une plongée qui consiste à passer d’un état à un autre. Le terme du texte original évoque, lui aussi, le trajet d’une différence, d’un écart : ce baptême consiste à changer de mentalité, d’esprit, d’opinion, et de passer à un état où les péchés seront remis.

Après ce que nous avons lu précédemment, nous pouvons comprendre que ce baptême, dans lequel Jean plonge ceux qui le voudront bien, a pour finalité de déboucher la voie, de frayer le chemin, comme s’il y avait un obstacle sur la route, comme s’il s’agissait de dégager la route de ce qui l’encombre.

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« Et sortait vers lui tout le pays de Judée et tous ceux de Jérusalem. » Soyons sensibles au contraste entre ce désert, qui ne peut pas avoir de nom, et, d’autre part, ces noms de pays qui arrivent : « sortait vers lui tout le pays de Judée et tous ceux de Jérusalem« . Bref, les gens qui sont quelque part, qui ont une adresse, un domicile (la Judée, Jérusalem) viennent vers celui qui se tient en un lieu qui n’est pas nommé, en un lieu qui est comme une absence de lieu. Bref, ils passent par le vide.

Ces gens occupaient un espace repérable, désigné sur la carte. Les voilà qui, en allant vers Jean, vont vers un lieu qui n’est pas occupé. Venir dans ce lieu désertique ouvre un chemin. Ce passage, cette venue à un zéro de lieu, va frayer une voie.

« Et ils étaient plongés par lui dans le fleuve du Jourdain en avouant leurs péchés. » « Le fleuve du Jourdain« , encore un nom qui peut figurer sur une carte. Qu’entendre par là ? Que ce désert est quelque part, quand même. Que ce désert peut être situé. Bref, ce désert n’est pas abstrait, mais sa localisation n’est pas celle d’un pays, d’une terre, c’est celle d’un fleuve. Le fleuve coule, il descend, c’est ce que veut dire d’ailleurs Jourdain, et d’être baptisé par Jean, dans cette voie d’eau, fait que les péchés s’en vont.

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Nous revenons à cet homme dont je vous rappelle la signification du nom : le Seigneur fait grâce. « Et Jean était vêtu de poils de chameau et d’une ceinture de peau autour de sa hanche, et mangeant des sauterelles et du miel sauvage. » Il y a au moins deux façons d’entendre ces caractéristiques qui affectent Jean. On peut supposer que Jean, par son vêtement, sinon par sa nourriture, rappelle quelqu’un qui, dans le passé, avait, lui aussi, ce vêtement et se nourrissait ainsi : un homme du désert, qui était lui-même déjà venu. Mais pourquoi ne pas penser que ces notations laissent entendre que le désert collait à la peau de Jean ? Jean porte sur son corps la trace de cette nature désertique qui avait été évoquée tout à l’heure. Il n’a rien de ce qui caractérise une population vivant soit en Judée, mais hors du désert, soit à Jérusalem. Le désert s’est en quelque sorte inscrit sur le corps de Jean.

« Et il proclamait en disant : « Il vient, le plus fort que moi, après moi ». » Vous voyez comment le commencement n’en finit pas. Qui donc vient ? Celui qui, sous l’aspect de la force, l’emporte sur moi : « le plus fort que moi« . Mais il vient « après moi« .

Cette différence entre lui, Jean, et cet autre, qui est en train de venir, va être encore soulignée : « Je ne suis pas capable, m’étant baissé » : même si je supprime la différence entre lui, qui arrive, et moi, même si je me fais petit, je ne suis pas capable, « de délier le cordon de ses sandales« , je ne suis pas capable de l’empêcher d’aller plus loin. Celui qui vient échappe aux gestes mêmes que je pourrais faire pour interrompre sa marche.

« Moi, je vous ai baptisés d’eau« , je vous ai imbibés d’eau, c’est avec l’élément eau que je vous ai baptisés. « Lui, il vous baptisera dans un souffle saint« , que rien ne pourra arrêter. L’eau, si liquide, si j’ose dire, qu’elle soit, si fluide qu’elle puisse être, est encore capable d’arrêter, de retenir. Lui fera autre chose encore. Il ira plus loin et vous entraînera à l’intérieur de ce qui est impalpable.

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Au début de ce travail de lecture, je demandais : qu’est-ce qu’un commencement, et plus précisément, qu’est-ce que le commencement de l’Heureux Message portant sur Jésus Christ, Fils de Dieu, ou l’Heureux Message que constitue Jésus Christ, Fils de Dieu ?

Le commencement de cet Heureux Message est un événement qui a une suite, qui a été préparée et annoncée, une suite, cependant, qui ne ressemble à ce premier temps que partiellement.

Le commencement, en effet, est tout entier constitué par cette différence entre deux moments qui se ressemblent, sans doute, mais très imparfaitement. Dans les deux cas, il s’agit d’une plongée, d’un baptême, mais, dès qu’on a dit cela, on est amené aussitôt à ajouter qu’il n’y a qu’une sorte de similitude verbale. C’est vrai, nous sommes baptisés dans le désert, baptisés d’eau, dans le fleuve du Jourdain, et baptisés dans un souffle saint. Mais, surtout, nous sommes plongés, par l’Heureux Message de Jésus Christ, Fils de Dieu, dans une histoire qui n’en finira pas.


2 décembre 1999
Lecture du deuxième dimanche de l’Avent, année B

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